USA: la Californie adopte la loi qui fait des chauffeurs Uber et Lyft des salariés
Le texte vise à requalifier les travailleurs indépendants de l’économie « ubérisée » en salariés, afin qu’ils soient mieux protégés et qu’ils puissent disposer d’un salaire minimal.
La Californie a adopté, le 18 septembre, une loi qui doit contraindre les géants de la réservation de voitures à requalifier les chauffeurs de VTC en salariés, afin qu’ils soient mieux protégés. Approuvé par le Sénat californien le 10 septembre, le texte doit rentrer en application au 1er janvier 2020. Cette décision va porter un coup dur aux porte-drapeaux de la gig economy, l’économie des employés indépendants qui travaillent aujourd’hui sans protection ni garanties.
« Cette loi va aider à résoudre le problème de statut des travailleurs considérés comme des sous-traitants et non comme des salariés, ce qui les empêche de bénéficier des protections sociales de base, comme le salaire minimum ou l’assurance-maladie », a mentionné Gavin Newsom, gouverneur démocrate.
« L’étape suivante c’est de faciliter la formation de syndicats qui pourront négocier ensemble de meilleures conditions de travail (…) tout en préservant la flexibilité et l’innovation », a déclaré le gouverneur de cet Etat progressiste, où sont installés les sièges de plusieurs géants des technologies.
« Un énorme merci à tous les travailleurs, membres de syndicats et activistes qui ont passé des heures à se mobiliser pour obtenir cette victoire historique », a écrit sur Twitter une fédération californienne de syndicats. Lorena Gonzalez, la parlementaire qui a élaborer la loi, a salué sa ratification comme une « victoire massive » pour les travailleurs.
Modèle économique remis en question
Les deux géants américains des VTC – Uber et Lyft – s’opposent à tout changement de statut de leurs conducteurs, qui leur coûterait plus cher en charges sociales. « Nous pensons que la Californie passe à côté d’une réelle opportunité de montrer la voie au reste du pays », a mentionné un porte-parole d’Uber. L’entreprise défend depuis des mois « un nouveau cadre de travail progressiste, qui aurait, pour la première fois, accordé aux travailleurs indépendants des garanties de salaire minimum, l’accès aux protections sociales et le droit de s’organiser entre eux », a-t-il déclaré.
Lyft juge également que la reclassification des chauffeurs serait néfaste aussi bien pour eux que pour les clients du service. Cette requalification « pourrait avoir comme conséquence que Lyft traite ses employés comme le font les autres entreprises », explique un porte-parole. « Les utilisateurs pourraient devoir payer plus et attendre plus longtemps, et certaines zones pourraient ne plus être desservies du tout. Ce serait particulièrement dévastateur (…) dans des zones mal desservies par les transports publics ou moins densément peuplées », a-t-il détaillé.
La récente loi vient menacer les modèles économiques de ces deux groupes, qui voient le nombre des courses bondir, tout comme celui des utilisateurs, tandis que leurs pertes s’accumulent. Uber a enregistré au deuxième trimestre une perte record de plus de 5 milliards de dollars.
Lors de l’adoption du projet de loi par le Sénat californien la semaine dernière, Uber avait averti que le nouveau texte n’entraînerait pas une requalification automatique de ses conducteurs en employés. Il faudra passer un test « pour déterminer si un travailleur est qualifié d’indépendant ou d’employé » aux yeux de la loi, a défendu Tony West, le directeur juridique d’Uber.
Vers un vote populaire
Uber et Lyft affirment avoir mis de côté 30 millions de dollars chacun pour organiser un vote populaire, comme l’autorise la loi californienne, afin de remplacer cette loi par les compromis de droits sociaux qu’ils ont présentés au gouverneur. « Nous sommes prêts à soumettre cette question aux citoyens pour préserver la liberté et l’accès que les conducteurs et les passagers désirent », a déclaré Lyft.
Les chauffeurs, eux, sont divisés, entre ceux qui voudraient avoir de la même sécurité que les salariés et ceux qui souhaitent œuvrer aux horaires de leur choix sans les contraintes d’un emploi à plein temps. « Si on devient des employés, ils vont perdre beaucoup de conducteurs », estime Vondre Adams, chauffeur Uber à San Francisco depuis six mois.
« Uber, ce n’est pas une carrière. Mais je gagne 200 à 300 dollars par jour, j’ai l’argent tout de suite. Je n’ai pas envie d’être payé à l’heure, et de ne plus pouvoir faire d’heures supplémentaires », déclare à l’Agence France-presse ce conducteur, qui bénéficie par ailleurs de la couverture santé de sa femme.