En outre-mer, le service militaire adapté face à la « course au chiffre »
Deux rapports soulignent que les objectifs imposés, depuis 2009, à ce dispositif d’insertion des jeunes en difficulté dégradent les services rendus.
« Remarquable. » Tel est l’adjectif choisi par la Cour des comptes dans un rapport publié en février 2019 pour qualifier l’efficacité du service militaire adapté (SMA) dans sa mission d’insertion des jeunes ultramarins en difficulté. L’appréciation est plutôt rare sous la plume des magistrats de la Rue Cambon, alors même que les difficultés rencontrées par ce dispositif s’accentuent. Et que les objectifs chiffrés donnés aux régiments du service militaire adapté (RSMA) peuvent être un facteur de dégradation des services rendus.
Créé en 1961, le service militaire adapté encadre les jeunes de 18 à 25 ans les plus éloignés de l’emploi dans les départements et territoires d’outre-mer. Il compte également un régiment à Périgueux, en métropole. Le projet consiste à raccrocher les décrocheurs, les sans-diplôme, et ceux qui sont le plus éloignés de l’emploi. Le SMA leur propose – et impose – un cadre militaire afin de les former aux règles du vivre ensemble, puis une formation professionnelle répondant aux besoins économiques locaux pour leur mettre le pied à l’étrier d’un emploi ou d’une formation diplômante.
En 2009, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, fixe pour objectif de doubler le nombre de volontaires grâce au plan « SMA 6 000 ». A l’époque, le taux d’insertion des jeunes ultramarins passés par le dispositif est de près de 80 %. Une prouesse au regard des profils difficiles des jeunes hommes et femmes qui font le choix de ce cursus. L’exigence présidentielle s’accompagne d’un budget en hausse. Les ressources de l’Etat affectées aux RSMA (qui est sous tutelle de ministère de l’outre-mer) passent de 114 millions à 200 millions en 2017, l’année ou l’objectif de 6 000 est réalisé.
Mais pour financer cette croissance, la durée des stages a été réduite – une réduction comprise entre six mois et une année, selon les formations. Ainsi en 2016, sur le total de 4 685 volontaires stagiaires, 1 022 ont suivi un cursus court. « Or, le taux d’insertion dans l’emploi de ces derniers, six mois après la fin de leur cursus, est en moyenne plus faible », souligne la Cour des comptes. Ce fait est également noté par la société Edater, spécialiste du développement territorial et de l’évaluation des politiques publiques, qui dans une étude remise en janvier 2019, que Le Monde s’est procuré, constate que « certains acteurs ou volontaires rencontrés expriment un sentiment de dégradation de la qualité des accompagnements, qu’ils associent à l’augmentation de jeunes accueillis ».
Les régiments sont également soumis à « des objectifs de recrutement » qui mobilisent des moyens et de l’énergie qui pourraient être affectés à de la formation, mission initiale des RSMA. « Nombre de jeunes se présentent avec un cumul de freins et un projet professionnel faible, voire absent, l’accompagnement des volontaires devient plus important, plus technique et plus complexe que par le passé », soulignent les auteurs du rapport Edater.
Enfin, le vivier de volontaires est le même que celui d’autres organismes locaux, ce qui complique le recrutement. A titre d’exemple, en Guadeloupe, cinq opérateurs proposent aux jeunes un accompagnement du même type ou assez proche : le RSMA, les missions locales, les écoles de la deuxième chance, la région et Pôle emploi. L’ensemble des dispositifs ne se coordonnent pas, « les partenariats de fond et les réunions de travail qui permettaient de partager les diagnostics ont disparu au bénéfice de la course au chiffre », note Edater. « Il y a un défaut de compétence aux Antilles », relève un officier supérieur en direction des collectivités territoriales locales.
Pour que les RSMA puissent continuer à accomplir leur mission – raccrocher les jeunes les plus fragiles –, Edater conseille de maintenir les effectifs, de revenir sur la politique comptable lancée en 2009 et de rationaliser la politique d’insertion au niveau local avec l’ensemble des partenaires, comme l’a également fait la Cour des comptes dans les recommandations de son rapport de février 2019.
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