Jean-Philippe Robé : « Quand le big business réinvente la recette de l’eau chaude »
L’avocat, dans une tribune au « Monde », rappelle que la maximisation de la valeur actionnariale, fruit d’une idéologie économique, n’a jamais été inscrite dans le droit des sociétés, ni aux Etats-Unis ni en France.
Article réservé aux abonnés
Tribune. Des dirigeants d’entreprises membres de la Business Round Table (BRT), qui réunit près de 200 sociétés dont le chiffre d’affaires combiné atteint 7 000 milliards de dollars (6 317 milliards d’euros), ont signé le 19 août une « Déclaration sur les fins de l’entreprise » dans laquelle ils s’engagent à fournir de la « valeur à leurs clients », à « investir dans leurs salariés », à « traiter éthiquement et de façon juste leurs fournisseurs », à « soutenir les communautés dans lesquelles elles travaillent » et à « protéger l’environnement et générer de la valeur à long terme pour les actionnaires ». Cela ne mange pas (trop) de pain, et on supposera généreusement qu’il fallait faire basique pour rassembler.
Cette déclaration intervient alors que les disparités de revenus n’ont jamais été aussi élevées et que le bouleversement climatique fait partie de notre réalité quotidienne. Face aux nuages qui s’accumulent, aux menaces de régulations brandies par les démocrates, et à une probable récession dans les mois à venir, le moment était probablement venu de changer de religion : le revirement est majeur pour la BRT, puisque sa « déclaration sur la gouvernance d’entreprise » de 1997 préconisait au contraire de maximiser la richesse des actionnaires.
Encore plus en loin en arrière dans le temps !
Pourtant, cette déclaration ne fait rien d’autre que nous ramener encore plus en loin en arrière dans le temps ! La BRT a procédé à de nombreuses consultations pendant près d’un an. Elle aurait mieux fait de consulter ses archives. En 1981, elle avait publié une brochure de 14 pages intitulée « Déclaration sur la responsabilité d’entreprise » dont le paragraphe conclusif affirmait que « les responsabilités d’une entreprise mettent en jeu la manière avec laquelle elle est gérée au quotidien. Il faut qu’elle se comporte en institution réfléchie qui s’élève au-dessus des considérations de rentabilité pour prendre en compte l’impact de son action sur tous, des actionnaires à la société dans son ensemble. Ses activités entrepreneuriales doivent avoir un sens social tout comme ses activités sociales doivent avoir un sens économique ».