Entre opacité des chiffres et indifférence des autorités, les morts au travail encore largement ignorés
Il n’existe aucune donnée précise pour rendre compte du nombre global d’accidents mortels du travail en France. Selon l’Assurance-maladie, au moins 530 salariés du secteur privé sont décédés sur leur lieu de travail en 2017.
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C’est en cherchant dans la presse quotidienne régionale qu’on les trouve. Un court article souvent, relatant l’accident mortel. Sous la mention « faits divers », Le Populaire du Centre faisait ainsi part, mardi 9 juillet, de la mort d’un ouvrier agricole de 18 ans, écrasé sous son tracteur à Saint-Jean-Ligoure (Haute-Vienne). Le même jour, L’Ardennais relatait celle, sur un chantier, d’un ouvrier de 45 ans percuté par la chute du contrepoids d’une grue, à Herpy-l’Arlésienne (Ardennes). La veille, Le Parisien informait du décès d’un mécanicien de 43 ans mort à Beautheil-Saints (Seine-et-Marne), coincé dans une arracheuse de lin.
On pourrait encore évoquer, depuis début juillet, ce manutentionnaire tombé d’un engin de levage en Seine-Maritime, cet ouvrier écrasé par une machine alors qu’il refaisait la chaussée de l’A7, dans les Bouches-du-Rhône, ou cet ascensoriste tué en Haute-Savoie.
Un « drame » ici, une « terrible tragédie » là. Une somme d’histoires individuelles. Mais que diraient ces accidents mortels de la réalité du monde du travail en France en 2019 si l’on les examinait dans leur ensemble ?
Un chiffre existe : celui des accidents du travail des salariés du secteur privé, recensés par l’Assurance-maladie. Il nous apprend qu’au moins 530 personnes sont mortes sur leur lieu de travail en 2017. Et cela sans compter les 264 qui se sont tuées sur leur trajet, ou les cas de suicide, qui nécessitent souvent un passage par le tribunal pour être reconnus comme des accidents du travail. Plus de dix personnes meurent donc au travail chaque semaine en France. A bas bruit.
« Une logique comptable et financière »
« L’accident du travail est un non sujet de santé publique, confirme Véronique Daubas-Letourneux, sociologue, enseignante-chercheuse à l’Ecole des hautes études en santé publique. On l’envisage sous l’angle de la fatalité, des “risques du métier”. Cela contribue à une naturalisation du risque professionnel, qui n’est pas interrogé en soi. On ne questionne ni le facteur organisationnel ni la précarité au travail. Si chaque histoire est un drame au plan individuel, elle pourrait aussi être un facteur d’alerte au plan collectif sur les conditions de travail. »