Rencontre avec David Ridgway
Conversation avec cet Anglais chef sommelier et chef de cave du prodigieux restaurant parisien depuis presque quarante ans.
Face à Notre-Dame, au sixième étage de l’immeuble blanc du 15, quai de la Tournelle (Paris 5e), ce sont ses 1 200 mètres carrés de caves, dissimulées sur deux niveaux, qui ont fait la saga de la Tour d’Argent, l’un des plus anciens et célèbres restaurants de la capitale. Rondeur affable, œil malicieux, fermeté experte et humour flegmatique, l’Anglais David Ridgway règne, depuis 1981, sur cette caverne d’Ali Baba au plus de 300 000 bouteilles, observée par beaucoup comme « la plus belle cave du monde ».
Quand et comment avez-vous approprié la Tour d’Argent ?
Je suis né dans le Surrey, au sud de Londres. C’est en œuvrant au Gavroche, le fameux restaurant londonien des frères Roux, que j’ai aperçu mon épouse, une Française. Alors nous sommes rentrés en France en 1981. J’étais amoureux de vins, mais Bordeaux et la Bourgogne étaient plus secrets qu’aujourd’hui. Bosser à Paris semblait l’idéal.
Grâce aux frères Roux, deux restaurants s’offraient à moi : Taillevent ou la Tour d’Argent. Après avoir été chef sommelier-maître d’hôtel au Gavroche, je suis évolué juste commis à la Tour, en février 1981, quelques mois avant l’élection de François Mitterrand. Au bout de six mois, le chef sommelier est parti, j’ai pris sa place. Beaucoup de nos clients jugeaient que tout allait s’écrouler avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, mais nous avons finalement connu une période faste dans les années 1980.
Il était inhabituelle de voir en France un Anglais à un tel poste.
Il n’y en avait aucun à ma connaissance. Juste certains barmen au Ritz. La direction de la Tour, d’ailleurs, divulguait peu que j’étais Anglais, mais c’est vite transformé un secret de Polichinelle (rires). Je n’ai pas mis sur la carte des vins étrangers, pour qu’on ne pense pas que j’étais une taupe au service des vins du reste du monde ! Il faut dire qu’à l’époque la France régnait en maître sur les vins et la cuisine. La seule dérogation, très anglaise pour le coup, a été mon goût pour le porto, dont nous avons une magnifique collection.
Qu’est-ce qui a donné à la cave son ampleur historique ?
On peut en conséquence lire sur une plaque de la façade de l’immeuble, quai de le Tournelle : « Hostellerie de la Tour d’Argent, fondée en 1582, Restaurant et caves du Café anglais réunis en 1914 ». André Terrail, le grand-père du présent propriétaire, avait repris la Tour en 1911. Il était aussi marié à la fille de Claudius Burdel, le propriétaire du Café anglais, boulevard des Italiens, un des plus prodigieux restaurants du XIXe siècle, célèbre surtout pour son immense cave, dans laquelle circulait même un petit train. Il faut dire que Burdel était aussi représentant en vins des cours d’Angleterre, de Prusse et de Russie. Après la clôture du Café anglais, en 1913, André Terrail a hérité de cette cave, qu’il a transférée à la Tour d’Argent. C’est sur cette base que s’est construite notre cave.