« La gouvernance de Renault-Nissan est si mal ficelée que les deux entreprises sont paralysées »
Personnage haut en couleur, Albert Frère, le marchand de clous de Charleroi, en Belgique, devenu milliardaire et décédé le 3 décembre, n’avait pas son pareil pour parler simplement du monde des affaires. Il avait coutume de répéter « petit minoritaire, petit con, gros minoritaire, gros con ». Sous-entendu, si vous avez beaucoup d’argent investi dans une entreprise et pas le droit de décision, vous avez toutes les chances de finir, un jour, en dinde de Noël. L’affaire Renault-Nissan illustre à merveille cet adage et les conséquences d’une gouvernance si mal ficelée que l’on voit mal comment Renault pourrait en sortir indemne.
Le constructeur automobile vient de prendre sa plus belle plume pour demander poliment à la société Nissan – dont elle est le plus gros actionnaire, avec 43,4 % du capital, et qui réunit son conseil d’administration, lundi 17 décembre – de convoquer, d’urgence, une assemblée générale pour statuer sur l’avenir de leur alliance et la composition de ses instances dirigeantes. Plutôt une bonne idée, compte tenu de la crise aiguë que traverse cette union franco-japonaise unique au monde par son ampleur et son organisation. Depuis que Carlos Ghosn, qui tenait seul tous les fils de cette union, médite en prison sur la vanité du pouvoir, l’ambiance est glaciale entre les deux entreprises.
Mais voilà : Renault n’a pas la possibilité d’imposer la tenue d’une telle assemblée ni de proposer la moindre résolution, sans l’accord du conseil de Nissan, où elle n’a pas voix au chapitre. Car la participation pourtant proche des 50 % de Renault dans Nissan ne lui donne aucun droit. Et comme Nissan, de son coté, est propriétaire de 15 % de Renault sans droits de vote, les deux entreprises sont paralysées. Gros minoritaires, gros…
Equilibre précaire
Cette situation ubuesque est le fruit d’une construction complexe tentant de ménager les susceptibilités de l’entreprise japonaise et celles de l’Etat français. Trois ans après l’investissement de 5 milliards d’euros de Renault dans Nissan, le pacte fondateur de l’alliance, appelé « Ama » (Alliance Master Agreement), est signé en 2002. Celui-ci laisse une large autonomie au japonais, afin de préserver sa culture, aux antipodes de celle du français. Ce qui ne posait pas de problème, puisque le patron de Nissan était le même que celui de Renault : Carlos Ghosn. En 2015, la France accroît par surprise sa participation dans Renault pour bénéficier de droits de vote double. Pour faire passer la pilule auprès des Japonais, furieux du procédé, l’Ama est amendé, et Renault abdique de la plupart de ses droits sur Nissan, y compris la nomination de ses dirigeants et membres du conseil d’administration.
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