Mutations du travail : le « lean management », une forme moderne du taylorisme ?
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Le monde du travail réinvente jour après jour une vieille querelle éthique – celle qui oppose l’« artisan », chérissant l’ouvrage bien fait, à sa hiérarchie, soucieuse de rationaliser les processus de production. « En France, les tensions autour de cette question sont particulièrement vives, constate le sociologue François Dubet, directeur scientifique de la Fondation pour les sciences sociales. On croyait, à la suite des travaux de Max Weber sur l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, que le travail comme réalisation de soi était l’apanage des pays protestants. Les Français sont pourtant les Européens les plus attachés à cette conception créative de leur métier. »
Selon les enquêtes d’European Values Study, les Français plébiscitent plus massivement que leurs voisins l’éthique de l’épanouissement au travail. « Dans l’Hexagone, le métier est un peu considéré comme un art : l’ouvrier professionnel défend les traditions de sa corporation et le professeur se dit le maître, après Dieu, dans sa classe, poursuit François Dubet. Dans ce contexte, les politiques d’évaluation et de contrôle sont souvent considérées comme des machines bureaucratiques qui, paradoxalement, démotivent les salariés et les empêchent de réaliser leur travail dans les règles de l’art. »
Controverses
Le lean management (gestion de la production fondée sur la rentabilité) est au cœur de ces controverses sur le bien-être au travail : parce qu’il rationalise et standardise les procédures, on l’accuse volontiers de méconnaître, voire de déprécier le savoir-faire des salariés. Apparue en France dans les années 2000, cette modélisation des pratiques japonaises a été déployée dans l’automobile avant de s’imposer dans d’autres secteurs industriels, voire dans les services hospitaliers. Le lean management rêve d’améliorer sans cesse l’efficacité opérationnelle de la chaîne de production : il insiste sur l’optimisation des stocks ou l’affichage, dans les ateliers, des indices « qualité ».
Si la démarche japonaise est imprégnée d’une philosophie participative qui met l’accent sur l’intelligence collective – elle a d’ailleurs été conçue en opposition avec le taylorisme –, le lean management tel qu’il est pratiqué en France ressemble souvent à un simple « outil » gestionnaire : au lieu de prendre en compte l’expertise des salariés, il impose des dispositifs standardisés imaginés par la hiérarchie dans une logique de performance à court terme. « Le “lean outil” est une optimisation technocratique centrée sur le rôle des experts, le poids des normes et la performance individualisée », résume François Dubet.
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