Guillaume Allègre, économiste : « Quand on lutte contre les pauvres, c’est la pauvreté qui gagne »

Un collectif de seize associations et syndicats a saisi le Conseil d’Etat afin d’abroger le décret du 30 mai 2025, qui prévoit des sanctions en cas de « manquement » aux devoirs des allocataires du revenu de solidarité active (RSA), parmi lesquels les fameuses quinze heures d’activité d’insertion. L’argument juridique du collectif est le suivant : les sanctions prévues sont manifestement disproportionnées par rapport à l’objectif d’intérêt général en termes d’insertion.
Le nouveau régime de sanctions prévoit en effet une suspension d’au moins 30 % et jusqu’à 100 % du montant du RSA pour une durée d’un à deux mois, jusqu’à ce que l’allocataire demandeur d’emploi se conforme à ses obligations. Si le manquement est répété, la suspension, voire la suppression partielle ou totale de l’allocation peut être étendue jusqu’à quatre mois, la sanction pouvant aller jusqu’à la radiation de l’allocataire.
Le ministère défend « une alternative à une suppression pure et simple du revenu ou des allocations, afin que la sanction favorise une remobilisation pour un retour rapide à l’emploi ». La question est donc de savoir si les moyens sont proportionnés aux fins, si la sanction favorise réellement la remobilisation. C’est une question empirique.
Les études s’étant intéressées à la question pointent un aspect contreproductif qui risque de l’emporter sur la mobilisation. En effet, il est clair aujourd’hui que le durcissement des régimes de sanctions augmente le non-recours aux prestations, et donc la grande pauvreté. Par peur du contrôle et des indus, certains allocataires renoncent à la prestation pour éviter d’en perdre 30 % ou d’avoir à rendre l’argent. Cet évitement est documenté, même si d’un point de vue économique, il peut paraître irrationnel.
Or, ce non-recours plonge les personnes concernées dans une plus grande pauvreté… ce qui les éloigne du marché du travail. Les sanctions ont donc deux effets : elles mobilisent certaines personnes, en moyenne plus proches du marché du travail, et accélèrent leur insertion ; elles démobilisent certaines personnes, en moyenne plus éloignées du marché du travail, et les éloignent encore plus de l’insertion sociale et professionnelle. Si, à très court terme, les effets peuvent paraître positifs sur l’emploi, à moyen et long terme, ces effets s’estompent voire deviennent négatifs.
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