« Une partie des actionnaires de Tesla se comporte comme si ce n’était pas le groupe qui était coté en Bourse, mais Elon Musk lui-même »
La décision de la juge du Delaware de priver Elon Musk de 56 milliards de dollars de rémunération à la suite de la plainte d’un actionnaire qui ne détenait que neuf actions Tesla met en évidence deux éléments majeurs de l’évolution du capitalisme américain : la notion de rémunération abusive et la prise de pouvoir par les actionnaires minoritaires actifs.
Rappelons que tout est parti de la plainte de cet actionnaire après le vote par le conseil d’administration d’une rémunération liée à la performance boursière du groupe entre 2018 et 2022 pour son patron charismatique, Elon Musk. L’actionnaire en question est un rockeur un peu tombé dans l’oubli avant cette affaire, mais dont le nom du groupe qui l’avait rendu célèbre aurait dû alerter le milliardaire : Dawn of Correction, « l’aube de la correction (ou de la rectification) ».
La correction en question, c’est la juge Kathaleen McCormick qui l’a infligée. Elle a mis en avant la capture du conseil d’administration par son président, le montant de la rémunération n’ayant fait l’objet d’aucune négociation. Le milliardaire détient déjà 22 % de la capitalisation boursière du groupe, bien assez pour amasser des milliards lorsque la performance est positive (la juge a rappelé que Mark Zuckerberg détenait 13 % de Meta, mais ne se versait pas de salaire et ne semblait pas pour autant démotivé).
La protection des actionnaires minoritaires
Plus fondamentalement, le jugement est motivé par la volonté de protéger les actionnaires minoritaires. Il n’est pas anecdotique, puisqu’il intervient au moment même où est réformée la règle portant sur l’anonymat des actionnaires (Schedule 13D), vieille de plus de cinquante ans. Lorsqu’un actionnaire dépasse 5 % de détention, son droit à l’anonymat est annulé par le droit des autres actionnaires à être informés. Depuis 1968, le délai de déclaration aux Etats-Unis était de dix jours, le plus long des grandes économies mondiales (il est de quatre jours en France, délai maximal en Europe).
Dans certains pays, comme le Royaume-Uni, le seuil de détention contraignant à la levée de l’anonymat a été abaissé à 3 %. Une longue bataille politico-académique a opposé pendant plus de dix ans les partisans du statu quo (priorité à l’anonymat) aux partisans de la transparence (une pétition réclamait un seuil de 1 % et un délai d’un jour).
La réforme mise en œuvre le 5 février est minimale, puisque le seuil reste à 5 % et le délai de cinq jours, plus long que presque partout ailleurs. L’objectif est d’accroître marginalement la transparence des transactions au moment du franchissement, sans décourager les fonds activistes, ces minoritaires capables d’imposer leurs vues dans les entreprises cotées.
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