Corinne Gaudart et Serge Volkoff, finalistes du prix « Penser le travail » : « Le travail est de plus en plus organisé sur le modèle de la hâte »

Corinne Gaudart et Serge Volkoff, finalistes du prix « Penser le travail » : « Le travail est de plus en plus organisé sur le modèle de la hâte »

Dans Le Travail pressé (Les Petits Matins), Corinne Gaudart, directrice de recherche au CNRS, au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (LISE), et Serge Volkoff, statisticien et ergonome au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET), développent le concept de « modèle de la hâte » pour décrire l’intensification du travail dans de nombreux secteurs d’activité.

Votre ouvrage se concentre sur l’impossibilité de penser le temps long au travail. Quelles en sont les principales raisons ?

Corinne Gaudart : Nous essayons de montrer que le travail est de plus en plus organisé sur le modèle de la hâte. Ce modèle combine des processus d’intensification qui agissent sur notre temps de travail. Et il est régulièrement présenté comme un principe organisateur de l’activité qui n’est pas discutable, parce qu’il faut faire face à la concurrence, au marché…

Il agit sur notre temps de travail en réalisant plusieurs opérations.

Il y a le temps densifié, où l’on est de plus en plus occupé à plein temps, soit car on est autant en effectifs mais on doit faire plus, soit autant mais avec moins de gens. C’est un temps qui se retrouve souvent débordé : on déborde sur les fins de journée, on y pense dès le matin quand on sort du lit. C’est d’autant plus vrai pour les encadrants de proximité.

C’est aussi un temps assigné : il faut faire vite, mais on nous indique aussi la manière que l’on doit suivre pour produire de la qualité. Ce temps assigné conduit aussi à des modes d’organisation où l’on doit rapporter ce qu’on a fait : c’est ce qu’on appelle le « temps consigné ».

Enfin, la hâte produit aussi un temps enfermé : on est dans l’immédiateté, avec l’impossibilité de se retourner sur le passé, car les nomenclatures et les méthodes changent en permanence.

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Ce modèle a des incidences sur la manière dont on travaille. Il finit par être délétère, et il produit des formes d’individualisation des difficultés au travail, de manière paradoxale, car nous sommes dans des entreprises qui souhaitent nous engager collectivement.

Ces exigences obligent-elles à arbitrer entre le travail bien fait et la réalisation des objectifs ?

Serge Volkoff : En effet, on peut essayer de rendre conciliables certaines normes et la qualité, mais la plupart du temps on n’y arrive pas, donc on sacrifie une partie de la qualité du produit de notre travail, ou on essaie de raboter la variabilité des clients ou des usagers. Cela oblige souvent à arbitrer, étant entendu que la prescription non dite est qu’il est toléré de faire du travail pas très bien fait… C’est encore plus ravageur, on le voit dans la santé. C’est d’autant plus frustrant pour les personnes.

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