«#uberusés, le capitalisme racial de plate-forme » : immigré Uber à vie ?

«#uberusés, le capitalisme racial de plate-forme » : immigré Uber à vie ?

Pourquoi la plupart des chauffeurs Uber sont des immigrés ou des enfants d’immigrés ? La réponse se trouve dans le dernier ouvrage de la sociologue Sophie Bernard, qui, après une vaste enquête ethnographique menée d’octobre 2015 à juin 2022 entre la France, le Royaume-Uni et le Canada, conclut au développement d’« un capitalisme racial de plate-forme ». C’est le sous-titre de son essai #Uberusés.

Les « usés », ce sont la centaine de chauffeurs qu’elle a interviewés dans les trois capitales et leurs éventuels successeurs. En 2022, plus de cinq millions de chauffeurs travailleraient par l’intermédiaire de la plate-forme dans le monde. Une véritable « armée de travailleurs ».

La sociologue décrit en détail et sans concession la méthodologie appliquée par Uber pour s’installer en position de quasi-monopole à Paris, Londres et Montréal, en commençant par de vastes opérations de lobbying pour contourner les réglementations en place et évincer la concurrence.

L’entreprise applique ensuite un business model de plate-forme qui recrute aux marges du marché du travail les populations discriminées, pour disposer d’un vivier de main-d’œuvre flexible, voire « docile » et renouvelable, que la gestion algorithmique et le monopole vont progressivement rendre dépendants de l’entreprise américaine.

Une division raciale du travail

« Son modèle économique suppose un accès aisé au métier pour disposer d’un pool excédentaire de chauffeurs par rapport à la demande pour satisfaire rapidement cette dernière. La plate-forme se révèle ainsi, dans un premier temps du moins, attractive pour les populations racisées, situées aux marges du système d’emploi », écrit Sophie Bernard.

Le concept de « race » est défini dans cet essai non pas dans sa dimension biologique, mais comme « l’aboutissement d’un processus d’altérisation et d’infériorisation d’un groupe subordonné ». La sociologue parle de division raciale du travail censée réunir pour mieux les exploiter les immigrés et enfants d’immigrés. De ce point de vue, l’ouvrage met le doigt sur plusieurs failles du marché de l’emploi.

L’analyse des chauffeurs Uber explique, au fil des pages, comment et pourquoi l’activité a, dès le début et de plus en plus, été attractive pour des immigrés. Les non-qualifiés y ont trouvé une porte d’accès au marché du travail sans discrimination, plus « propre » et dans un premier temps moins pénible que d’autres emplois salariés.

Quant aux plus qualifiés, confrontés à la non-reconnaissance de leur diplôme, éventuellement au manque de maîtrise de la langue ou aux barrières administratives liées à la nationalité, ils ont vu dans cette activité une possibilité de compenser leur déclassement professionnel. La déqualification est « un des mécanismes communs de relégation des immigrés dans des métiers pénibles », rappelle la sociologue.

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LJD

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