« L’Innovation, mais pour quoi faire ? » : la face sombre d’une « religion moderne »
Livre. Franck Aggeri s’est attaqué à un mythe : l’innovation. Il a décidé de porter un regard critique sur un concept qui prend la lumière à merveille, qui ne connaît que peu de remises en question et dont on « célèbre [les] vertus et [les] prophètes pour construire un monde meilleur ». Un propos iconoclaste que le professeur de management à Mines Paris Tech-PSL mène avec rigueur et pédagogie dans L’Innovation, mais pour quoi faire ? (Seuil).
Pour ce faire, l’auteur invite à se détourner de l’intensité grisante qui semble entourer l’innovation, cette « nouvelle religion moderne » présentée comme « un ensemble de promesses et de potentiels », qui vise le plus souvent à « servir le projet d’une croissance sans fin, de rendements financiers exorbitants ou de performances irréalistes ».
Un pas de côté qui doit permettre de s’interroger sur la manière dont une culture de l’innovation s’est progressivement imposée dans nos sociétés. L’auteur retrace l’histoire de cette pensée positive, démontrant notamment l’influence du modèle de « destruction créatrice » de l’économiste autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950). Il souligne également la priorité donnée au court-termisme, qui se concentre sur les gains présents sans anticiper les conséquences négatives qui pourraient survenir dans le futur.
Son propos est justement de montrer que les innovations ont aussi leurs « faces sombres », des zones d’ombre qu’on peine à rendre visibles. De fait, leurs effets négatifs sont aujourd’hui peu anticipés. Des normes environnementales et sanitaires sont parfois mises en place face aux innovations technologiques, mais elles ont leurs limites.
« La normalisation est en retard sur les innovations, elle ne repère que les effets connus », note l’auteur qui s’interroge : « Que savons-nous des impacts potentiels à long terme des nanomatériaux ou des biotechnologies (…) ? Peu de choses. Et, lorsque des effets négatifs seront révélés, il sera probablement trop tard pour agir car de telles technologies auront été disséminées dans un grand nombre de produits de consommation courante. »
Effets indésirables
Différents biais sont à l’œuvre, contribuant à minorer les points noirs des innovations. L’effet d’échelle notamment : ce n’est que lorsque l’innovation est largement déployée qu’ils sont révélés. « Au moment de son introduction, le Roundup a été présenté comme une grande avancée permettant de lutter efficacement contre les mauvaises herbes, note M. Aggeri. Maintenant que son usage est devenu massif, ses effets sur la santé publique et sur la biodiversité sont devenus criants et sont la cause de mobilisations sociales pour demander son interdiction. »
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