Le Québec met les enfants au travail pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre
A l’âge où certains jouent encore aux Lego, Adrien empile consciencieusement les boîtes de conserve au bout de son rayon. Tous les soirs, le jeune garçon sort de l’école en courant pour venir travailler dans cette grande surface du nord de l’île de Montréal. Deux heures de travail quotidien après la classe : un emploi du temps chargé pour ce garçonnet de 12 ans. Aux caisses de ce même supermarché, de très jeunes adolescents, comme lui, aident les clients à remplir leurs sacs. Combien d’heures par semaine pour chacun, pour quel salaire ? Le gérant refuse de répondre.
Ces mineurs sont pourtant employés, a priori, en toute légalité. Au Québec, il n’y a pas d’âge minimum requis pour commencer à travailler. La loi sur les normes du travail se contente d’énumérer quelques restrictions : l’employeur doit s’assurer d’obtenir l’autorisation écrite des parents pour les mineurs de moins de 14 ans. Jusqu’à16 ans, il est interdit de les faire travailler pendant les heures de classe, et les horaires de nuit sont proscrits.
En 2016, une enquête menée par l’Institut de la statistique du Québec soulignait qu’un écolier sur trois avait un emploi rémunéré pendant l’année scolaire. Une situation déjà particulière, qui faisait du Québec, et plus généralement du Canada, des figures d’exception au sein des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques en matière de travail des enfants.
« Autonomisation des enfants »
« Dès la fin des années 1990, la déréglementation des horaires d’ouverture des commerces de détail en soirée et le week-end a fait exploser les besoins en main-d’œuvre à temps partiel, explique Elise Ledoux, professeure en ergonomie, spécialiste des questions du travail à l’université du Québec à Montréal. Les écoliers, libérés de leurs cours dès le début de l’après-midi en vertu de l’aménagement du temps scolaire au Québec, étaient une main-d’œuvre idéale pour quelques heures par jour. »
Aujourd’hui, le phénomène atteint une ampleur inégalée. D’après une étude de Statistique Canada, le taux d’emploi des mineurs au Québec dépasse les 51 %. La situation économique actuelle de la province – un taux de chômage de seulement 3,9 % et une pénurie de travailleurs aggravée par la pandémie de Covid-19, avec quelque 240 000 postes à pouvoir – accroît la pression sur les employeurs. Corollaire : la main-d’œuvre immigrée et les mineurs sont particulièrement courtisés. Sur les autoroutes du pays, les géants de la restauration rapide comme Tim Hortons ou McDonald’s déploient une communication offensive grâce à d’immenses panneaux publicitaires promettant aux parents qu’un emploi chez eux « favorisera la carrière de [leur] enfant ».
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