Archive dans mars 2025

A Chamonix, l’alpinisme au service du management, pour révéler les failles du travail collectif et briser la glace entre salariés

L’humour, ça aide à briser la glace. Pendu à ses piolets et accroché à une paroi glacée par ses crampons, Victor (toutes les personnes interrogées ont requis l’anonymat) plaisante sur sa performance d’escalade, qui mériterait bien – et pourquoi pas ? – une augmentation. « N’oublie pas de rentrer les fesses et de coller ton corps à la paroi », lui crie d’en bas Nicolas, le guide de haute montagne, plus pragmatique, qui accompagne le groupe de grimpeurs. A son collègue Hamza, qui l’assure en rappel, Victor demande du mou pour redescendre. Ses bras le brûlent. A peine revenu à terre, le voilà pourtant qui reprend son ascension. Plus assuré, collé à la paroi, il vise le sommet, puis redescend. Avant de repartir une troisième fois, sûr de lui, à l’assaut d’une cascade de glace beaucoup plus abrupte. Mais, soudain, ses piolets décrochent des morceaux de la paroi glacée. L’un d’eux atterrit dans le cou d’un collègue. Le guide lui intime de s’arrêter. Victor comprend qu’il a voulu aller trop haut, trop vite. Katia, sa n + 1 résume : « C’est tout Victor, ça. Il est très orienté “résultats”, quitte à être un peu bourrin. »

L’activité cascade de glace du séminaire Mountain Path, à Chamonix (Haute-Savoie), le 27 janvier 2025.

L’ingénieur de 37 ans, chef de projet dans une grande entreprise du nucléaire, est arrivé de Paris quelques heures plus tôt seulement, avec treize de ses collègues. Sa cheffe, Katia, 30 ans, a organisé pour son équipe un séminaire d’alpinisme de trois jours dans la vallée de Chamonix (Haute-Savoie). Le programme est resté secret jusqu’au bout, pour ne pas effrayer les participants, et aussi pour s’ajuster aux conditions météo, intenses, en cette fin janvier.

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Les DRH face au « harcèlement moral institutionnel »

La fortune judiciaire sourit aux avocats audacieux. Pari très risqué en effet de tout miser sur le droit pénal, et sur un délit n’existant pas en tant que tel dans le code.

Dans l’arrêt France Télécom du 21 janvier 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation a pourtant retenu un « harcèlement moral institutionnel » propre aux dirigeants. Et confirmé les peines (un  an de prison avec sursis) du PDG et du numéro deux « ayant arrêté et mis en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel ».

L’équation était certes spécifique : l’essentiel des 22 000 salariés visés étant fonctionnaires, pas de licenciements économiques possibles. D’où les pressions ayant « pour objet de dégrader », afin d’obtenir des départs, mais aussi « pour effet de », avec une définition légale délibérément plus subjective (« susceptible de porter atteinte… ») : l’équilibre à trouver est délicat.

Dans cette affaire, quatre hauts responsables des ressources humaines (RH) avaient été poursuivis pour complicité. Deux sont finalement condamnés. « A la stratégie ferme définie par le Comité de direction s’est ajouté le suivisme des directions des ressources humaines dont les procédures et méthodes ont infusé dans toute la politique managériale (…). La prévenue a décidé volontairement de faciliter la commission de l’infraction reprochée, en connaissance de cause, en notifiant des objectifs de départ élevés aux directeurs territoriaux, et en prônant des méthodes de management harcelantes, y compris lors de formations. »

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Plombière, charpentière, maçonne… quand l’émancipation des femmes passe par les chantiers

Une fois dépassé le village haut perché de Saorge (Alpes-Maritimes), dans la vallée de la Roya, il faut se frayer un chemin dans la végétation sèche et foisonnante sur deux kilomètres pour atteindre la maison en pierre de Marie (certaines femmes interrogées dans cet article ont requis l’anonymat), 30 ans, qu’elle a en grande partie rénovée de ses mains. « On verra si ma nouvelle construction passe l’hiver ! », plaisante-t-elle, nous invitant d’un geste de la main à entrer dans une serre qu’elle a fabriquée à partir de matériaux de récupération et dans laquelle elle cultive des plantes aromatiques.

Encerclé de pins, offrant une vue imprenable sur les montagnes environnantes, son lieu de vie n’a pas toujours été placé sous le signe du confort. Le premier hiver, elle l’a passé sans électricité avec son ex-conjoint, suivi d’un premier été de sécheresse rendant impossible l’accès à l’eau. Pour rendre la maison habitable, Marie s’est démenée. Des ajustements et des raccordements qu’elle a effectués majoritairement seule, sans formation au préalable, « à force de tentatives hasardeuses et de quelques coups de main ». Sans l’avoir anticipé, son aisance à bricoler, à réhabiliter et à construire a généré des tensions dans son couple. « Sûrement parce que ça a remis en question nos assignations mutuelles à des rôles prédéfinis », pense-t-elle avec le recul.

Désormais seule dans la maison, cette Ardéchoise d’origine passionnée de bricolage depuis l’enfance en est désormais certaine : l’autocensure face à des travaux de cette ampleur est plus bloquante encore qu’un réel déficit de compétences. « En tant que femme, on a tendance à considérer que ce genre de travaux est de l’ordre de l’impossible. Moi, la plupart du temps, j’improvise, et j’apprends la technique en faisant, à partir du troisième essai », assure-t-elle.

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