Archive dans juin 2022

Le niveau des enseignants, une inquiétude qui monte

C’est une petite musique qui ne date pas d’hier : les enseignants, moins nombreux à se porter candidats pour ce métier frappé par le déclassement, seraient moins bons qu’avant. Argument avancé : les candidats aux concours de recrutement des professeurs du second degré ne font pas le plein, depuis plusieurs années et dans plusieurs disciplines (français, mathématiques…) ; alors les jurys de concours, contraints de choisir les lauréats parmi des candidats moins nombreux, reculent la note du dernier admis (qu’on appelle la barre d’admission), parfois jusque très bas. Faut-il en conclure que le niveau baisse à tous les concours et dans toutes les disciplines ? La réalité est plus nuancée.

Tout d’abord, le nombre de candidats en baisse « a un impact mécanique sur le niveau du concours », détaille Xavier Sorbe, le président du jury de capes de mathématiques – où seuls 817 candidats sont admissibles cette année, pour 1 035 postes. « Lorsque les candidats sont moins nombreux, il y a forcément moins de bons profils. »

Conséquence : d’année en année, les jurys sont donc contraints « d’ouvrir » légèrement le recrutement – c’est-à-dire de reculer le seuil au-delà duquel un candidat est jugé trop faible pour être admis. Au capes de mathématiques, la barre d’admission était à 8/20 en 2021 contre 9,5/20 en 2006 – à cette époque, un peu moins de 4 000 candidats s’étaient présentés au concours, contre 2 075 en 2021.

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« En mathématiques, le seuil d’admission ne recule plus depuis plusieurs années, et nous sommes souverains sur ce choix, défend Xavier Sorbe. Il n’est pas question de baisser la barre d’admission pour pourvoir les postes, car il nous revient de garantir la qualité de l’enseignement. » Pour ce président de jury, le fait que les concours ne fassent pas le plein est justement un gage de qualité. Et de rappeler que la note du dernier admis reste celle du moins bon candidat : elle ne dit rien de la tête du classement, qui compte des futurs enseignants beaucoup plus prometteurs.

Un « second concours »

Dans certains cas, s’interdire de descendre trop bas ne suffit plus. « Honnêtement, le niveau est très faible », s’alarme une professeure des écoles membre du jury pour le concours du premierdegré dans l’académie de Créteil, qui ne souhaite pas donner son nom. Dans cette académie, la note du dernier au concours des professeurs des écoles serait de 6/20 – ce que le rectorat refuse de confirmer. « Je vois des copies bourrées de fautes d’orthographe, sur lesquelles je me demande comment les candidats sont arrivés jusqu’au master. » Cette correctrice assure que le faible nombre d’admissibles à Créteil cette année (ils sont 521, pour 1 079 postes ouverts) est d’autant plus préoccupant que « la consigne a été donnée de noter large, en évitant d’éliminer les candidats dès l’écrit ». Trop sanctionner l’orthographe est également proscrit – 5 points peuvent être retirés au maximum, assure-t-elle.

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Dans l’académie de Versailles, des journées de « job dating » pour recruter des enseignants contractuels

« L’académie de Versailles recrute, alors rejoignez-nous ! » Les écrans installés dans plusieurs salles du rectorat, transformé pour l’occasion en salon de recrutement, diffusent en boucle, sans le son mais avec des sous-titres, le message promotionnel de la rectrice Charline Avenel. Au programme des quatre journées de « job dating » : 2 000 entretiens de trente minutes pour embaucher autant de personnels non titulaires, parmi lesquels 1 300 enseignants – 700 pour le primaire et 600 pour le secondaire. Une mesure d’urgence pour pallier le faible nombre de candidats qui se sont présentés aux concours.

Accueil pour le « job dating » de l'académie de Versailles, au rectorat de Versailles, le 30 mai 2022.

En cette première matinée, lundi 30 mai, ceux qui n’ont pas pu avoir de créneau se pressent pour déposer une fiche de renseignements et être contactés plus tard. Assistante sociale depuis vingt ans, Touria a « envie de faire autre chose ». « Pendant le confinement de mars 2020, j’ai fait office de maîtresse pour les enfants des familles que j’accompagne. Pourquoi pas continuer ? », évoque-t-elle. Thomas Lauro, 27 ans, va intégrer un master MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) à la rentrée dans le but de devenir professeur d’espagnol et aimerait décrocher un contrat pour « avoir déjà un pied dans le milieu » tout en finançant ses études. Alors qu’il faut être titulaire d’un master pour passer les concours, le niveau licence suffit pour postuler à ce job dating.

Thomas Lauro, 27 ans, est venu s’incrire pour les prochaines journées de « job dating ». En septembre, il commencera un master Métiers de l’enseignement et aimerait être professeur d’espagnol en parallèle. A Versailles, le 30 mai 2022.

L’« espace rencontres » grouille de candidats de tous âges et tous horizons. Certains sont venus en famille, bébé dans les bras, d’autres ont sorti le costume pour l’occasion. Un quart se dit en recherche de reconversion, 42 % en recherche d’emploi et 9 % sont étudiants, selon les données du rectorat. L’envie de transmettre ou de travailler avec des enfants et des adolescents est sur toutes les lèvres, la réalité des métiers de l’éducation nationale semble plus lointaine pour beaucoup.

« J’ai été surpris quand on m’a demandé le contenu des programmes à l’école primaire », raconte Etienne, bientôt 60 ans, à la sortie de son entretien. Professeur d’arts plastiques dans des écoles d’art ou des associations, il veut désormais rejoindre l’éducation nationale. Combien de candidats seront embauchés ? Le rectorat se fixe quinze jours au maximum pour leur donner une réponse. Leur rémunération sera équivalente, voire légèrement supérieure, à un enseignant titulaire en début de carrière, selon leur niveau de diplôme et la discipline enseignée. Les écarts se creusent ensuite.

Etienne, 60 ans, est professeur d'arts plastiques en filière professionnelle, et postule pour devenir professeur en collège ou lycée. A Versailles, le 30 mai 2022.

« Plus vraiment de profil type »

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Pourquoi le métavers intéresse déjà les recruteurs

Carnet de bureau. Elément de langage pour être toujours plus attractif ? Nouveau sésame pour faciliter le recrutement ? Le métavers ouvre ses portes au petit monde du recrutement. Dans la grande distribution, Carrefour avait déjà acquis 8 hectares de terrain virtuel en février. Mais, pour son opération de recrutement de 3 000 data scientists et data analysts souhaité d’ici à 2026, il a loué en plus une parcelle dans un « métavers corporate » dénommé « VR Académie », un peu comme il aurait auparavant loué quelques stands au salon d’exposition de la Porte de Versailles. Le président-directeur général Alexandre Bompard a communiqué par Twitter sur ce premier événement de recrutement dans le métavers le 18 mai.

Calendrier de communication bien choisi : le même jour, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares) annonçait que le nombre d’emplois vacants avait de nouveau augmenté de 8 % affichant un total de 368 100 emplois sans candidats au 1er trimestre. Le taux de chômage a de fait atteint son niveau le plus faible depuis 2008, à 7,3 %.

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Quelles que soient les diverses raisons de la hausse des emplois vacants, les recruteurs s’arrachent les cheveux pour trouver des candidats, qu’il s’agisse de pourvoir les postes de développeur, de chaudronnier mais aussi de préparateur de commandes. « On a des besoins sans cesse croissants sur des métiers où l’on n’a pas les compétences », reconnaît Alexandre Pham, cofondateur et président du groupe intérimaire MisterTemp’.

« Un drôle d’avatar »

Les employeurs, qui continuent à chercher le mouton à cinq pattes – diplôme renommé, expérience solide et rémunération raisonnable –, n’améliorent pas vraiment la transparence sur les salaires qui pourrait pourtant convaincre certains candidats de les rejoindre. Ils préfèrent investir tous les « canaux » de recrutement : le métavers en est un nouveau, qui, à leurs yeux, a d’autres avantages, à commencer par être adapté au public « digital ».

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C’est en effet pour attirer « de jeunes candidats data analysts ou data scientists » qu’Alexandre Bompard a pris les « traits d’un drôle d’avatar » pour recevoir une quarantaine d’étudiants, dont « une dizaine ont continué le processus de recrutement au-delà du métavers corporate », précise une porte-parole du groupe.

L’expérimentation de Carrefour est symbolique de l’intérêt que peuvent porter les gros employeurs à ce type d’innovation technologique. Le secteur de l’intérim est aussi sur le coup pour être à la pointe de l’innovation. « A ce stade, ça n’apporte rien de plus, c’est de l’expérimentation. Mais il est intéressant d’en être pour voir comment ça fonctionne. On a construit une agence dans le métavers The Sandbox qui sera en ligne prochainement. Les salariés pourront se connecter, rentrer dans l’agence et rencontrer un recruteur via son avatar », décrit Alexandre Pham. « Ça va permettre de faire des immersions dans l’environnement de l’entreprise pour y découvrir le lieu de travail, voire y être formé en situation “réelle” avant d’être embauché », espère-t-il. Ce professionnel de l’intérim y voit un intérêt majeur pour les compétences manuelles toujours difficiles à valoriser sur un CV.

Des employeurs testent le congé sabbatique rémunéré pour fidéliser leurs salariés

Gauthier Toulemonde en télétravailleur du désert, à Oman, en 2017.

« Ce qui est sûr, c’est que je ne vais pas passer deux mois devant la télé. » A défaut d’être sur son écran, c’est en vrai que Laura Lelièvre va partir à la découverte des steppes d’Amérique du Sud. Cette responsable des partenariats au sein de la start-up de marketing numérique Artur’In s’est décidée à poser un congé sabbatique de deux mois, afin de réaliser un vieux rêve : donner un coup de main à une amie, qui a ouvert une ferme équestre en Amérique du Sud. « Changer de vie » temporairement, tout en gardant la sécurité de son poste : le compromis idéal pour cette salariée de 34 ans, qui n’envisage pas de quitter son travail : « J’adore mon boulot, mais depuis qu’on a passé le bac, on n’a jamais eu deux mois consécutifs de congés. »

La possibilité de poser un congé sabbatique de six mois à un an existe dans la loi française, mais son adoption reste difficile à mesurer : l’absence de statistiques du ministère du travail laisse penser que le phénomène demeure marginal. S’il permet d’avoir la garantie de retrouver son poste ou un poste équivalent après plusieurs mois d’absence, le congé sabbatique nécessite l’accord de l’employeur. Surtout, ce dispositif n’est pas rémunéré.

Mais l’allongement des carrières, la peur de la « grande démission » et les tensions de recrutement incitent certains employeurs à proposer des aménagements. Au sortir de la crise sanitaire engendrée par le Covid-19, l’entreprise de Laura Lelièvre n’a pas hésité à mettre en place un congé sabbatique rémunéré de deux mois.

Soigner son image de marque

« Un collaborateur épanoui va être bien dans son travail », revendique François Castro-Lara. Le directeur marque et stratégie de Artur’In ne s’en cache pas : offrir cette possibilité à ses salariés sert aussi à soigner son image de marque employeur. « On a des gros enjeux de recrutement, plus de trente postes ouverts actuellement pour des profils “tech”. C’est aussi en s’adaptant aux attentes des salariés que l’on pourra les attirer de manière plus importante. »

Challengés par des collaborateurs en quête de changements dans leur vie, les grands groupes font aussi évoluer leurs dispositifs. Il y a un an, Accenture a mis en place un « congé priorité personnelle » de trois mois, pour permettre à un collaborateur de se consacrer à un projet personnel tout en restant rémunéré à 50 % de son salaire brut. Ce congé « fait partie d’une série d’initiatives » qui ont pour ambition de répondre à la « quête de sens » des collaborateurs et « à leurs nouvelles attentes en matière de souplesse et d’autonomie », souligne une porte-parole du groupe.

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Pap Ndiaye, nouveau ministre de l’éducation, face au défi du recrutement des enseignants

Le ministre de l’éducation, Pap Ndiaye, à l’Elysée, le 23 mai 2022.

Positionner un enseignant devant chaque classe : c’est l’exercice habituel auquel s’attellent, rentrée après rentrée, les ministres de l’éducation. Un défi de taille pour faire coïncider dans chaque école, collège et lycée, l’affectation d’un gros million de personnels – dont 800 000 enseignants – à celle de 12,5 millions d’enfants et d’adolescents. Et cela se répète, bon an mal an, à chaque rentrée de septembre.

Mais à trois mois du jour J, la situation dont hérite Pap Ndiaye, tout juste nommé Rue de Grenelle, n’a rien d’habituelle. Jamais, de mémoire de syndicats d’enseignants, la crise du recrutement n’a semblé aussi aiguë.

L’alerte a été donnée à plusieurs reprises durant la crise sanitaire, laquelle a vu l’institution multiplier les appels en direction des contractuels – des retraités, des étudiants – sans toujours trouver les volontaires. Elle résonne de nouveau depuis qu’ont été communiqués, mi-mai, les premiers résultats aux épreuves d’admissibilité des concours de l’enseignement. Quelque 10 600 postes sont à pourvoir au primaire et 13 690 dans le secondaire. Mais, à ce stade du recrutement (autrement dit, à l’issue des écrits, et avant l’étape des oraux convoqués jusqu’en juillet), le manque de candidats est déjà alarmant, puisque les « admissibles » sont parfois moins nombreux que le nombre de postes ouverts.

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Du « jamais-vu », martèle-t-on dans les centrales syndicales. Une « situation exceptionnelle et ponctuelle », leur oppose-t-on au ministère de l’éducation. La réforme des concours, lancée sous le précédent quinquennat et qui a reporté d’un an (de la fin du master 1 à la fin du master 2) le passage des épreuves pour les aspirants professeurs, a un « impact mécanique sur le vivier », défend-on à la direction générale de l’enseignement scolaire, l’un des principaux services de ce ministère. On y reste optimiste : « La baisse des candidats, cette année, était écrite d’avance, de même qu’est écrite leur augmentation, probable, pour la session de l’an prochain. » A voir.

Aucun niveau épargné

En attendant, sur le terrain, on s’organise. Dans l’académie de Versailles depuis ce lundi, et, avant ça, à Toulouse, à Montpellier, les rectorats parient sur des « job datings » et des embauches en CDD, pour pallier les « manques » de professeurs titulaires à venir. Ceux-ci sont, d’ores et déjà, prévisibles dans certains territoires – dont l’Ile-de-France – plus que dans d’autres. Plus aussi, dans les disciplines dites « déficitaires » – les mathématiques, le français, l’allemand, ce « trio terrible », comme disent les enseignants. Mais aucun niveau, de la maternelle au lycée, ne semble aujourd’hui épargné. « Les taux de présence aux premières épreuves écrites du concours du professorat des écoles atteignent l’un des plus bas niveaux de l’histoire », a averti, dès le 10 mai, le SNUIpp-FSU, syndicat majoritaire au primaire.

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