Archive dans 2021

Le référent handicap encore peu visible en entreprise

« Cumuler sa fonction de référent handicap avec celle de référent harcèlement ou référent égalité femmes-hommes comme y réfléchissent certains DRH ne paraît pas souhaitable pour la secrétaire d’Etat » (La secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, lors de la Conférence nationale du handicap le 11 février 2020 à l’Elysée).

L’emploi des personnes en situation de handicap devrait être une question prioritaire en entreprise. C’est ce que pensent 39 % des salariés interrogés en février par l’IFOP, dans une enquête réalisée pour l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) et publiée lundi 29 mars. Depuis la loi « avenir professionnel » de 2018, toutes les entreprises de plus de 250 salariés sont tenues d’avoir nommé un référent handicap pour orchestrer cette priorité.

Sa mission n’est pas préétablie, à chaque employeur de la définir. « Le référent est un lien que le gouvernement a souhaité pour impulser la politique handicap en entreprise. On professionnalise le réseau [des référents] sur quatre axes : le recrutement et le maintien en emploi, la sensibilisation, le management inclusif et le recours au secteur protégé », décrit la présidente de l’Agefiph, Malika Bouchehioua.

Ils sont au minimum 1 300 en France. C’est le nombre des entreprises membres de l’Agefiph qui ont un référent handicap. Certains n’avaient pas attendu l’obligation légale, comme Thales qui a nommé des référents dès la loi de 2005 sur l’accessibilité. Le groupe spécialisé dans l’électronique de défense en compte aujourd’hui cinquante-deux, un par établissement. Mais « beaucoup d’entreprises n’en ont toujours pas », reconnaît Claire Sala Angeli, directrice adjointe des Papillons de jour, l’agence de sensibilisation au handicap qui organise depuis 2018 des formations au rôle de référent. Dans l’enquête IFOP, un tiers des salariés affirment que leur entreprise en est dotée.

Pas d’effet visible sur l’emploi

Quelle efficacité peut-on en attendre pour améliorer l’emploi des personnes en situation de handicap en entreprise ? « La BPE [la banque privée de La Banque postale], par exemple, qui recrute à bac + 5 sur les profils de cadres et de managers, a embauché une référente handicap qui avait un réseau important. En huit mois le taux d’emploi de personnes en situation de handicap est passé de 2 % à 8 % », illustre la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel.

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Chez le pionnier Thales aussi les résultats sont tangibles depuis la nomination des référents handicap : « Le taux d’emploi des personnes en situation de handicap est passé de 3,5 % en 2005 à 6,92 % en 2019 », témoigne Gérard Lefranc, directeur de la mission insertion du groupe. C’est près du double du taux moyen de 3,8 % de personnes en situation de handicap dans l’effectif des entreprises privées.

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Slack, l’application devenue championne du télétravail qui n’y croyait guère

Stewart Butterfield, PDG de Slack.

Pour beaucoup d’entreprises, l’année 2020 restera exceptionnelle. C’est particulièrement vrai pour Slack, cette entreprise qui a développé un outil de communication très prisé dans le monde professionnel. Fin novembre, après seulement sept années d’existence, et alors qu’elle est toujours déficitaire, elle a décroché le jackpot en trouvant un accord pour se faire racheter par l’américain Salesforce pour 27,7 milliards de dollars (environ 23,5 milliards d’euros).

Surtout, elle fait partie de ces sociétés qui ont vu leurs résultats s’envoler dans le contexte de la crise due au Covid-19. Son chiffre d’affaires a crû de 43 % en 2020 pour atteindre les 900 millions de dollars. Au vu de ses derniers résultats trimestriels, la barre du milliard de dollars de revenus devrait être franchie sans mal.

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Dans un contexte où un très grand nombre d’entreprises ont dû se réorganiser pour continuer à fonctionner avec des employés confinés à domicile, Slack s’est avéré un outil utile. De manière paradoxale, Stewart Butterfield, dirigeant et cofondateur de Slack, n’avait jamais fait du télétravail un des arguments pour promouvoir sa solution. Pour l’entrepreneur canadien de 48 ans, le produit était avant tout conçu pour « coordonner l’activité des équipes, leur permettre d’être toujours alignées ». « J’étais de ceux qui, il y a treize mois, auraient dit qu’on ne pouvait pas maintenir la productivité chez Slack en télétravail ». Les faits lui ont donné tort… et matière à réflexion.

Hors du périmètre

Ne serait-ce que sur les questions des recrutements. Alors que la société a embauché massivement en 2020, les effectifs ayant augmenté de 30 % pour dépasser les 2 500 salariés, elle s’est donné la liberté de retenir des candidats hors du périmètre de ses bureaux où personne ne pouvait se rendre. « Ça nous a permis de découvrir de nouveaux talents », admet Stewart Butterfield, tout en en tirant déjà les conséquences : « Une fois la crise, passée, on ne va pas leur demander de déménager pour revenir dans nos murs. »

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Une leçon qui, selon lui, dépasse largement la seule situation de Slack. A ses yeux, le Covid-19 est venu battre en brèche un monde de l’entreprise « dépendant de modèles d’organisation vieux de plus de cent ans où il faudrait que tout le monde soit dans le même espace au même moment, c’est une forme de tyrannie ». Or, avec les mesures de confinement, les salariés ont gagné en autonomie de travail et pris goût à cette flexibilité.

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Emploi et handicap : vers une société plus inclusive

Benjamin (à g.), formateur au sein de l’organisme de formation professionnelle en transport et logistique Aftral, accueille Corentin pour réaliser une prestation d’évaluation des capacités fonctionnelles (PECF).

Yves Guillemot est conducteur d’autobus depuis 2016 au sein de la société Linevia, à proximité de Rennes. Ce père de famille assure son service matin et soir sur des lignes du réseau urbain de la métropole bretonne. Le quadragénaire effectue également quelques trajets pour des scolaires. Son véhicule ressemble à tous ceux de l’entreprise, à quelques détails près : il dispose d’une boîte de vitesses automatique et son volant est équipé d’une boule. Celle-ci lui permet d’avoir un accès direct à différentes commandes (klaxon, clignotants, essuie-glace) et de faire tourner le véhicule d’une seule main.

« Ces aménagements sont indispensables pour que je puisse conduire mon autocar », explique le salarié. Le Rennais est en effet en situation de handicap. Il a perdu l’usage de son bras gauche voici trente ans, à l’âge de 17 ans, à la suite d’un accident de mobylette. Mais grâce à ces adaptations techniques, il peut aujourd’hui exercer son métier sans contrainte, comme tous les autres conducteurs.

« C’est possible ! », se réjouit-il. Son témoignage illustre un phénomène constaté plus largement dans différents secteurs d’activité : de nouveaux métiers s’ouvrent aujourd’hui aux travailleurs en situation de handicap, grâce notamment à des innovations techniques. « Des personnes en fauteuil roulant peuvent désormais conduire un poids lourd de 38 tonnes, ce qui va à contre-courant des idées reçues », note Pascaline Tuho, chef de projet à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph).

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Nombre de professions sont, en effet, toujours considérées comme inadaptées dans l’imaginaire collectif. Elles figurent d’ailleurs dans une liste de métiers dits « ECAP » (emplois exigeant des conditions d’aptitude particulières) fixée par décret en 1988. On y retrouve les conducteurs de véhicules routiers de transports en commun, mais également les pompiers, les hôtesses de l’air ou encore les maçons qualifiés. Au total, 36 professions qui, lorsqu’elles sont présentes au sein d’une entreprise, permettent de minorer la contribution financière de la société en cas de non-respect de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (6 % des effectifs dans une société de 20 salariés ou plus).

Le transport, un secteur « bon élève »

Quels leviers permettent aujourd’hui cette ouverture à de nouveaux métiers ? « Certaines de ces professions ont évolué grâce aux progrès techniques, à une nouvelle organisation du travail ou même à de nouvelles approches pour réaliser les missions demandées », explique Mme Tuho. C’est le cas notamment dans le secteur du transport, qui fait figure de bon élève pour l’intégration de salariés en situation de handicap. De nombreuses innovations technologiques ont permis, ces dernières années, d’adapter des postes.

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Entreprises en difficulté : la France fait mieux que ses voisins européens

C’est une étude qui tombe à pic, en pleine crise économique et sur fond de transposition de la directive européenne de juin 2019 sur le droit des entreprises en difficulté. Le dispositif de prévention, de sauvegarde et de liquidation des entreprises en difficulté en vigueur en France permet plus souvent que d’autres de préserver l’activité et l’emploi, selon une étude menée dans six pays européens (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne, Pays-Bas) par un grand nom du conseil.

Cette analyse comparative, réalisée à la demande du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), que nous publions en exclusivité, met en évidence une forte spécificité du système français, qui peut expliquer ses meilleurs résultats.

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A commencer par le champ d’action de la justice économique, qui « ratisse » bien plus large qu’ailleurs. En 2019, près de 50 000 dossiers (49 915 précisément) ont été ouverts en France, contre 19 000 environ seulement en Allemagne et au Royaume-Uni, soit un ratio 2,6 plus élevé. Ce chiffre s’expliquerait, d’une part, par le grand nombre de sociétés dites « impécunieuses » – dénuées de capitaux – qui sont prises en charge annuellement, mais d’autre part, aussi, par l’importance plus grande donnée au volet « prévention » des entreprises en difficulté.

A un prix compétitif

Ce spectre très large permet d’obtenir, quantitativement en tout cas, des résultats plus concluants sur trois critères. A commencer par l’emploi : les procédures collectives permettent en France de sauver 145 000 emplois par an, soit 68 % des emplois concernés par des plans sociaux, contre 10 % en Allemagne. Elles permettent également de sauver davantage d’entreprises : à l’issue des procédures, 39 % des dossiers échappent à la liquidation, contre 8 % seulement aux Pays-Bas, 5 % en Allemagne et 2 % au Royaume-Uni.

Pour autant, les créanciers ne sont pas plus mal traités en France que chez nos voisins européens : le taux de recouvrement des créances y est de 21 % contre 22 % en Allemagne et 13 % au Royaume-Uni. Le tout à un prix compétitif, puisque le ratio du coût des procédures en pourcentage du recouvrement réalisé est largement inférieur en France (13 %) à celui de nos voisins britanniques (26 %) ou germaniques (40 %).

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« Les procédures dans les autres pays sont plus liquidatives et disposent de moins d’outils pour maintenir le chef d’entreprise à la tête de la société et préserver l’emploi », résume Christophe Basse, président du CNAJMJ. « Pourquoi ? Parce que nous anticipons – on intervient avant la cessation de paiements, estime-t-il. On fait de la médecine préventive dans un cadre amiable et confidentiel. » Un point essentiel pour les chefs d’entreprise, qui redoutent plus que tout de voir leur signature entachée auprès de leurs créanciers ou fournisseurs, et la confiance de leurs salariés ébranlée.

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Unilever ferme son usine Knorr en Alsace

Représentants syndicaux devant l’usine Knorr de Duppigheim (Bas-Rhin), le 25 mars 2021.

Après avoir cédé, à l’automne 2020, son site de Saint-Vulbas, dans l’Ain, le groupe Unilever a annoncé jeudi 25 mars l’abandon de son site de Duppigheim (Bas-Rhin), spécialisé dans la production de soupes et de sauces, d’ici à la fin de l’année. En cause, le déclin structurel du marché : en France, la consommation de soupes industrielles aurait baissé de 26 % entre 2012 et 2019, estime la direction. De fait, l’usine Knorr ne tourne qu’à 40 % de sa capacité, et le sursaut enregistré en 2020 n’a pas duré.

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Unilever s’engage à reclasser 70 des 261 salariés du site au sein de ses autres implantations, à Chevigny (Côte-d’Or), Saint-Dizier (Haute-Marne) et Compiègne (Oise). La production des soupes liquides destinées au marché national qui représente un peu plus de la moitié de l’activité du site alsacien sera sous-traitée, le groupe étant actuellement à la recherche d’un prestataire en France. Le conditionnement de produits déshydratés sera quant à lui confié à d’autres sites du groupe en Europe de l’Ouest.

« Un drame pour les salariés »

Pour les salariés, l’annonce a fait l’effet d’un coup de massue. « L’ordre du jour de la réunion du CSE parlait de réorganisation, mais personne n’imaginait une décision de cette ampleur. Et les chiffres qu’on nous a présentés, c’est ceux qu’on voit tous les mois. Notre outil de production fonctionne. C’est vrai qu’il faut s’adapter au consommateur, mais le groupe aurait pu innover pour cela », estime ainsi Olivier Dietrich, délégué CFTC et porte-parole de l’intersyndicale de l’usine. « L’envie d’assurer la survie du site n’existait plus. Cela fait des années qu’il n’y a plus eu de réel investissement, complète Martial Schwartz, délégué syndical Force ouvrière. Le souci, c’est que de nombreux salariés ont fait toute leur carrière ici ; je les vois mal déménager à Saint-Dizier ou Dijon. »

Knorr est le deuxième employeur de ce village de 1 600 habitants, pourvu d’une zone industrielle regroupant près de 2 500 emplois, dont les 800 postes générés par le groupe Lohr

« Le problème est à la fois industriel et marketing. On a tout essayé, mais les coûts fixes de l’usine de Duppigheim sont trop élevés et cela menace les autres activités du groupe. Les investissements que nous devrions faire aujourd’hui pour reconvertir le site, ce serait des moyens en moins pour innover dans la marque », rétorque la direction d’Unilever. Le groupe recherche des repreneurs pour tout ou partie du site et les négociations concernant le plan social démarreront le 6 avril.

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Le gouvernement britannique refuse de venir en aide à GFG Alliance

Sanjeev Gupta, à Londres (Royaume-Uni), le 28 janvier 2019.

L’empire sidérurgique construit en tout juste sept ans par Sanjeev Gupta vacille dangereusement. Vendredi 26 mars, le gouvernement britannique a refusé la demande de sauvetage financier lancée par l’homme d’affaires indo-britannique, selon plusieurs médias britanniques. Celui-ci avait réclamé 170 millions de livres (200 millions d’euros) pour permettre à son entreprise, GFG Alliance, de rester à flot. Le groupe, en grave difficulté depuis la faillite de Greensill, son principal financeur, emploie 2 000 personnes en France et possède des usines stratégiques, dont celle d’Hayange (Moselle), qui fabrique les rails de la SNCF, ou Aluminium Dunkerque, la plus grande fonderie d’Europe.

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Le refus du gouvernement britannique est sec et sans appel, dans une lettre de quelques paragraphes seulement. Explication : GFG Alliance est trop « opaque », selon une source citée par l’agence de presse Bloomberg. De fait, le groupe est constitué d’un réseau de sociétés enregistrées dans le monde entier, sans comptes consolidés. Difficile d’y voir clair. Le groupe se contente d’affirmer qu’il emploie 35 000 personnes dans 30 pays et a un chiffre d’affaires de 20 milliards de dollars (environ 17 milliards d’euros).

Train de vie dispendieux

Pour le gouvernement britannique, il n’est pas question de voler à la rescousse d’un tel écheveau incompréhensible, d’autant que M. Gupta défraie la chronique avec un train de vie dispendieux. En août 2020, l’homme s’est notamment payé une propriété de 42 millions de livres (49 millions d’euros) à Belgrave Square, un îlot exclusif au cœur de Londres. Entourée de résidences d’ambassadeurs et d’oligarques, la propriété du XIXe siècle de 1 500 m2, achetée au nom de sa femme, Nicola Gupta, arbore moulures dorées et plafonds peints dans un style très rococo. Des travaux d’aménagement sont prévus, la résidence ayant reçu, le 17 mars, le feu vert des autorités locales pour installer une nouvelle terrasse à l’arrière du bâtiment, changer des peintures et des papiers peints et ajouter une balustrade protégeant les escaliers.

Le refus des autorités britanniques d’intervenir n’est sans doute que temporaire. Kwasi Kwarteng, le ministre de l’industrie, est très actif sur le dossier, discutant avec les syndicats et la direction de GFG Alliance. Il a préparé un plan d’intervention d’urgence, prêt à être actionné. Quelque 5000 emplois britanniques et des usines essentielles sont en jeu, fournissant notamment l’industrie de la défense et de l’aviation.

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Emploi et handicap : Philippa Motte, briseuse de tabou

Philippa Motte, consultante et formatrice spécialisée dans la santé mentale et le handicap psychique au travail, à son domicile parisien, le 22 mars 2021.

Philippa Motte est une pionnière. Depuis une dizaine d’années, cette consultante indépendante est spécialisée dans la formation et l’information des entreprises et des pouvoirs publics sur un sujet encore mal connu, voire tabou : le handicap psychique. Depuis deux ans, la quadragénaire accompagne également en individuel des personnes touchées et leurs proches. Ses objectifs sont triples. Il s’agit pour cette battante de lutter contre les discriminations à l’encontre des personnes victimes de maladies psychiatriques, de favoriser leur inclusion dans la société et le monde du travail et de les aider à trouver en elles les capacités pour s’en sortir.

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Le chantier est vaste. Tout reste à faire. Et ça tombe bien : « J’ai toujours aimé les grandes causes », confie Philippa Motte, qui travaille en partenariat avec le Comité national coordination action handicap (CCAH) et avec l’association Clubhouse France. Ce lieu d’accueil de jour, non médicalisé, accompagne dans leur réinsertion les personnes atteintes de troubles psychiques. Cet accompagnement se fonde sur la « pair-aidance », cette entraide des personnes touchées. Un modèle qui a fait ses preuves depuis plus de soixante ans dans plus d’une trentaine de pays. Le premier Clubhouse français a été ouvert à Paris en 2011. Forte de sa réussite, l’association essaime sur le territoire national : à Bordeaux, Lyon, Nantes…

Philippa puise sa force dans sa propre histoire et dans son long combat avec un handicap invisible. « J’ai un parcours psychiatrique très lourd », raconte-t-elle. Impossible pourtant de deviner, derrière son lumineux sourire, cette vulnérabilité cachée. A l’âge de 20 ans, l’avenir lui souriait. « J’étais quelqu’un d’assez joyeux. Mais à la suite d’événements personnels, je suis entrée dans une dépression assez sévère. » Un antidépresseur lui est prescrit, qu’elle arrête « un peu intempestivement ». La jeune femme bascule alors « dans une crise psychique grave, avec des hallucinations, un sentiment de persécution et une forte dimension mystique ». Interpellée par la police, elle refuse de coopérer et se retrouve « menottée, plaquée au sol ». Terrifiée, incapable de décliner son identité, elle est conduite à l’infirmerie psychiatrique de la Préfecture de police de Paris. Mise à l’isolement, « piquée de force », elle y restera soixante-douze heures.

Internement sous contrainte

Suivent « une dépression très profonde » et deux mois d’hospitalisation. Le diagnostic tombe, sans vraiment la convaincre : trouble bipolaire. De fait, lors de sa dernière crise, il y a deux ans, un autre diagnostic sera posé : une triade associant une forme d’épilepsie, un haut potentiel et un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDHA).

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Virgile Abbondanza met le Web au service du handicap

Virgile Abbondanza, cofondateur de MeHandYou, dans l’espace de coworking de l’accélérateur d’innovation sociale de la Croix-Rouge, à Montrouge (Hauts-de-Seine ), le 22 mars 2021.

« Passez chez moi, nous irons ensemble au 21 », propose Virgile Abbondanza. Comprenez l’accélérateur d’innovation sociale de la Croix-Rouge « 21 » , à Montrouge (Hauts-de-Seine). Ce lieu, que le jeune trentenaire appelle presque affectueusement « sa base », est situé à vingt minutes à pied de son logement au cœur du 14e arrondissement de Paris. La distance n’est pas un problème, malgré le souvenir que lui ont laissé une dermatomyosite juvénile, de la famille des myopathies, et trois récentes opérations. « Pour avoir été tour à tour bénéficiaire, salarié et bénévole investi dans des missions solidaires, je suis comme un poisson dans l’eau à la Croix-Rouge », affirme ce fils d’artistes. C’est ici qu’a été imaginée MeHandYou. « Cette plate-forme Web a été conçue pour aider des personnes en situation de handicap dans la conduite de leurs projets de vie, par la mise en relation de pair à pair », explique Virgile.

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Après un master de droit à Paris-II où il enseigne un temps, cet ancien seine-et-marnais devient juriste au ministère de la culture et au Centre Pompidou. En 2015, il intègre la Croix-Rouge en mission de service civique, puis en CDD au siège parisien, et fait partie d’une équipe chargée de la création d’une communauté de personnes porteuses de handicap. « Cette idée m’a mis mal à l’aise au début. Un certain misérabilisme dans ce petit monde me faisait fuir, sûrement parce que je rejetais mon propre handicap et que je m’étais battu pour gagner mon autonomie. Mais ce projet solidaire m’a finalement fait beaucoup avancer sur moi-même », se souvient Virgile.

Une aubaine contre l’isolement

L’idée de pair-accompagnement (ou de pair-aidance) s’impose bientôt. « Il s’agit de rapprocher des personnes confrontées au handicap ou simplement atypiques, et de constituer des binômes où l’expérience de l’un profite à l’autre, en travaillant sur l’émotionnel, l’autonomie, le développement personnel et professionnel », détaille Virgile.

L’association MeHandYou voit le jour en avril 2019 pour faire émerger le projet en toute indépendance. Elle est soutenue par l’accélérateur 21 qui coache les quatre fondateurs bénévoles et offre une subvention de 15 000 euros. Deux autres incubateurs d’entreprises sociales, Makesense et Antropia Essec, les accompagnent dans la communication, l’animation de communauté et la définition du business model (une plate-forme gratuite mais des prestations payantes pour les entreprises voulant développer leur culture inclusive).

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Emploi et handicap : Didier Roche, « serial entrepreneur »

Le fondateur du concept des restaurants Dans le noir ?, Didier Roche, aveugle depuis l’âge de 6 ans, est aussi engagé dans l’inclusion du handicap. Ici dans son bureau, tour Montparnasse, à Paris. Le 22 mars 2021.

La tour Eiffel, Notre-Dame, le Sacré-Cœur, la Défense… Par temps clair, le 52e étage de la tour Montparnasse offre une vue imprenable, à 40 kilomètres alentour. Lorsqu’il reçoit dans son bureau, l’entrepreneur Didier Roche laisse ses invités s’installer face au panorama. Il est d’autant plus sensible à leur émotion que lui-même ne profite pas du paysage : il est aveugle. Pourtant, lorsque, à 20 ans à peine, il développe sa première entreprise spécialisée dans les biens et services pour aveugles et handicapés visuels, il lorgne déjà le plus haut gratte-ciel de Paris et sa vue à couper le souffle. A l’époque, il a installé ses bureaux dans la CIT, la petite sœur de la tour Montparnasse. « Je me disais “un jour, je serai dans la grande”. Et m’y voilà », résume-t-il sobrement.

Issu d’une famille ouvrière, il devient non voyant à 6 ans, à la suite d’un accident domestique. On s’inquiète pour lui, on redouble d’attention, mais, enfant déjà, il préfère l’admiration à la compassion. Il ne peut plus suivre ses amis dans leurs périples à vélo ? Il fixe des bouts de carton sur la bicyclette qui le précède, et se repère au bruit. Pour jouer au foot, il glisse le ballon dans un sac en plastique. Philosophe, Didier Roche constate : « Le mur de l’impossible recule devant l’être qui marche. »

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A 50 ans, il est cofondateur d’Ethik Connection, une agence qui accompagne les entreprises dans la création de projets à fort impact social, et directeur général associé du groupe Ethik Investment, 8 millions de chiffre d’affaires en 2019, avec lequel il développe des restaurants, spas et boutiques proposant des expériences sensorielles dans l’obscurité totale. La marque Dans le noir ? emploie une centaine de collaborateurs dans le monde entier, dont 50 % sont en situation de handicap lourd, essentiellement non voyants. « Avec le Covid-19, nous allons perdre au moins de 60 % à 70 % du chiffre d’affaires, mais nous ne toucherons pas aux postes des personnes handicapées », assure cet entrepreneur, qui place la diversité au cœur de son modèle de création de valeur.

Un capitaine d’équipe

En 2009, il se met en tête de créer un CAP d’esthétique pour les aveugles, et force la main au rectorat, réticent, en allant jusqu’à passer lui-même le certificat. « J’étais le seul homme, le plus âgé aussi. J’ai eu la pire note de l’équipe, mais ça a fonctionné », raconte-t-il, amusé. Aujourd’hui, le CAP a été validé par une cinquantaine de personnes. « Didier, c’est un porteur de projets, un organisateur, un capitaine d’équipe », rapporte Hamou Bouakkaz, ami de longue date, également non voyant.

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