Archive dans 2021

« Ethique de la pratique ordinaire » : le poids des normes au travail

Le livre. A quoi tient ce sentiment, si répandu aujourd’hui, d’une brutalisation croissante des rapports sociaux ? D’où provient le constat désabusé de ne pas parvenir à donner priorité à ce que nous tenons pour important et de céder sans cesse à des contraintes secondaires, voire dérisoires ? Dans Ethique de la pratique ordinaire (Pocket), Pierre-Olivier Monteil souligne la nécessité de personnaliser les relations dans le travail comme dans la vie courante. Il donne des conseils aux manageurs et aux collaborateurs d’entreprise en quête d’efficacité comme de sens.

Pour comprendre la restriction de nos marges de manœuvre, qui nous livrent à un monde d’automatismes et de fonctionnalités, le docteur en philosophie politique et chercheur associé au Fonds Ricœur interroge la prolifération des règles, des normes et des procédures de toutes sortes. Un phénomène, estime l’auteur, à dénoncer et à contenir. « Il multiplie les situations dans lesquelles nous nous trouvons embrigadés dans des conduites sans âme, que nous menons à bien pour l’unique raison qu’elles sont obligatoires et sans avoir toujours la conviction qu’elles sont appropriées. C’est le cas d’un nombre incalculable d’actes professionnels. »

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Le problème n’est pas la norme en tant que telle, mais ses pathologies. Sa prolifération infantilise et dissuade l’inventivité et la responsabilité. Sa traduction bénigne est fournie par l’allumeur de réverbères du Petit Prince, de Saint-Exupéry qui, pour respecter la consigne, passe son temps à allumer et à éteindre sa lanterne.

L’auteur, qui enseigne l’éthique appliquée à l’université Paris-Dauphine-PSL, à l’ESCP Business School et à Sorbonne-Université, pointe aussi le problème de la conception et la formalisation du pouvoir dans les organisations de travail. L’obéissance formelle à une autorité extérieure tarit l’énergie et l’inventivité des savoir-faire informels. Tout rationaliser est donc une illusion.

Ethique, confiance, créativité

L’ouvrage invite le management à se montrer plus courageux, en laissant davantage de liberté à l’équipe, au lieu de s’échiner à lui dicter son travail. Imposer de l’extérieur le sens de l’activité en se focalisant sur les motivations extrinsèques comme le salaire, la carrière, le pouvoir ou le prestige attaché à la tâche, c’est ne pas prendre en compte les motivations intrinsèques que procure l’activité en elle-même et qui passent par l’éthique et les valeurs, la solidarité et la confiance, l’autonomie et la créativité.

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Alors que le modèle marchand conduit « à dépersonnaliser la relation en concentrant l’attention sur les biens échangés plutôt que sur les personnes en train d’échanger », l’ouvrage promeut un usage plus réfléchi des normes, un recours plus mesuré aux moyens techniques, et une conviction plus aiguë des limites de la logique marchande.

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« Les personnels des trois versants de la fonction publique ne peuvent se contenter de discours louangeurs ou de mesures parcellaires »

Tribune. La crise issue de la pandémie a eu au moins une vertu : la reconnaissance de l’engagement et des compétences des agentes et agents de la fonction publique. Qui prétendrait aujourd’hui que les femmes et les hommes de l’hôpital public, celles et ceux de l’éducation nationale, des services départementaux d’incendie et de secours perçoivent une juste rémunération ? Et ce qui est vrai pour ces professions l’est également pour toutes celles qui œuvrent à l’intérêt général et à la protection des populations, qu’elles soient sur le devant de la scène médiatique ou non.

A l’heure où, de manière tout à fait légitime, le pouvoir d’achat est à nouveau la principale préoccupation de la population, les personnels des trois versants de la fonction publique ne peuvent se contenter de discours louangeurs ou de mesures parcellaires. Il en va aussi de l’attractivité de la fonction publique, de sa capacité à recruter et maintenir en son sein des agentes et agents à la formation et à la qualification du plus haut niveau possible, dimension indispensable à la qualité du service public.

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De significatives et urgentes augmentations générales sont indispensables. Sans attendre, il faut donc rompre avec l’absence de mesures générales : il faut ainsi revaloriser le point d’indice, dont le gel, en plus de dix ans, a entraîné pertes de pouvoir d’achat considérables, absence de reconnaissance des qualifications et rabougrissement des carrières. D’autres mesures – telles que l’attribution d’un nombre de points uniforme à toutes et à tous – doivent être envisagées.

Ouverture de véritables négociations sur les salaires

Nous n’oublions pas que plus de 60 % des personnels de la fonction publique sont des femmes. Il faut donc en finir avec les inégalités professionnelles dont elles sont victimes. Nous n’oublions pas d’avantage que plus d’un million de non-titulaires et précaires travaillent dans la fonction publique et que leur situation doit être également améliorée.

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Nous, signataires de cette tribune, venons d’horizons différents : militantes et militants de la vie associative, de la vie politique, syndicalistes, femmes et hommes de la culture… mais toutes et tous considérons que les services publics, pour lesquels notre attachement est sans faille, ont besoin de femmes et d’hommes bénéficiant d’un salaire décent et valorisant.

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C’est pourquoi nous demandons que le président de la République et le gouvernement ouvrent sans attendre de véritables négociations pour procéder, dès le début 2022, aux augmentations générales de salaire que les agentes et agents de la fonction publique méritent amplement.

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Volkswagen : « La famille Porsche compte s’inviter à la grande restructuration de l’industrie automobile mondiale »

Herbert Diess, le patron de Volkswagen, à Francfort, en septembre 2019.

Pertes et profits. En 1947, ce qui reste des usines Volkswagen (VW) à Wolfsburg (Basse-Saxe) produit, dans des locaux à moitié détruits par les bombardements, des voitures pour les troupes d’occupation. L’officier britannique qui dirige le site en propose le rachat à des constructeurs d’outre-Manche, puis américains et français. Tous déclinent, ne voyant qu’un avenir éphémère au producteur de la Coccinelle. Dommage pour eux. Ce sont, bien plus tard, les descendants du créateur Ferdinand Porsche (1875-1951), grand admirateur d’Hitler, qui reprendront le contrôle de l’entreprise devenue le premier constructeur automobile d’Europe. La famille Porsche sera au premier rang, jeudi 9 décembre, pour le conseil de surveillance de l’entreprise.

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Officiellement, le sujet du jour est le colossal plan d’investissement dans la voiture électrique, plus de 70 milliards d’euros sur cinq ans, pour faire basculer l’entreprise dans l’ère de la voiture zéro carbone et autonome. Un défi existentiel, imposé par les nouvelles normes européennes, qui banniront le moteur thermique à partir de 2035. Mais d’autres sujets plus immédiats occuperont les esprits. D’abord, le sort du patron lui-même. Volontiers cassant avec les syndicats, cet ancien ingénieur autrichien de BMW avait déclaré, en septembre, qu’il y avait probablement 30 000 personnes de trop dans l’entreprise en Allemagne. C’était oublier le poids des représentants du personnel, présents au conseil de surveillance, et de leur alliance objective avec le Land de Basse-Saxe, qui détient 20 % de la société. Selon l’agence Reuters, Herbert Diess sauverait son poste, mais sera flanqué d’un nouveau membre au directoire, Ralf Brandstätter, déjà chargé de la marque VW, pour gérer les opérations.

Concurrence de Tesla

Cela ne règle évidemment pas la question de la facture de la transition et de ses conséquences sur l’emploi. Ajoutant de l’huile sur le feu, une enquête commandée par l’association européenne des équipementiers automobiles, publiée le 6 décembre, estime que la fin du moteur thermique devrait conduire à 500 000 suppressions d’emplois, dans les cinq ans, en Europe. Elles ne seront compensées que partiellement par 226 000 créations de postes dans les nouvelles technologies. La pression est d’autant plus forte chez VW qu’à deux heures de route de son siège social la nouvelle usine Tesla de Grünheide, près de Berlin, sortira, dès 2022, des voitures, avec une productivité largement supérieure à celle du constructeur allemand.

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La famille Porsche, qui, à la suite de la fusion de sa célèbre société avec Volkswagen, en 2012, détient désormais 31,4 % du groupe, ne compte pas rester les bras ballants. Le quotidien financier allemand Handelsblatt croit savoir qu’elle projette de vendre une partie de ses actions VW pour participer à la mise en Bourse de Porsche qu’envisagerait la maison mère, afin de dégager de nouvelles ressources. Les décisions ne sont pas prises, mais ce serait un étonnant retour en arrière pour les arrière-petits-enfants de Ferdinand. Une manière aussi de s’inviter à la grande restructuration, qui devrait bientôt secouer l’industrie automobile mondiale.

Députés et sénateurs trouvent un accord sur la proposition de loi instaurant des quotas de femmes dirigeantes dans les entreprises

La députée du parti La République en marche (LRM) Marie-Pierre Rixain, à l’origine de la proposition de loi, à Paris, le 6 mars 2019.

La parité dans les entreprises fait partie des – rares – thèmes sur lesquels les parlementaires de toutes obédiences trouvent des consensus. Réunis en commission mixte paritaire (CMP), les députés et les sénateurs sont parvenus à s’entendre, mardi 7 décembre, sur la proposition de loi « visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle ». Un accord unanime salué sur Twitter par Elisabeth Moreno, la ministre déléguée chargée de l’égalité et de la diversité.

Porté par Marie-Pierre Rixain, députée LRM de l’Essonne, le texte a retenu l’attention en raison – notamment – des dispositions figurant à l’article 7, dont le but est de féminiser le sommet de la hiérarchie dans les sociétés comptant au moins 1 000 salariés. En 2027, la proportion de femmes « parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes » devra au moins être égale à 30 %. Ce pourcentage sera porté à 40 % trois ans après.

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Les employeurs concernés qui restent en dessous de ce ratio s’exposeront à une « pénalité financière » susceptible d’aller jusqu’à 1 % de la masse salariale. Le montant sera fixé par les services du ministère du travail, en tenant compte de la santé économique de l’entreprise, des efforts que celle-ci a consentis pour se conformer à ses devoirs et des raisons pour lesquelles elle n’y est pas parvenue.

Le mot « quota » n’apparaît pas dans l’article 7 mais il s’agit bel et bien d’en instaurer. Le texte se situe clairement dans le prolongement de la loi dite « Copé-Zimmermann » de janvier 2011, qui a contribué à augmenter la part des femmes dans les conseils d’administration et les conseils de surveillance. L’objectif de Mme Rixain et de ses collègues est de franchir une étape supplémentaire, en s’attaquant, cette fois-ci, aux responsabilités managériales les plus hautes.

Briser le « plafond de verre »

La France fait figure de mauvaise élève en la matière, d’après une étude publiée à la mi-novembre par le cabinet Heidrick & Struggles. Il n’y a qu’une seule femme à la tête d’un groupe du CAC 40 – Catherine MacGregor chez Engie (ex-GDF Suez). En 2020, on dénombrait, selon le Medef, onze directrices générales dans les entreprises du SBF 120, l’indice tricolore qui regroupe les 120 plus grosses capitalisations boursières.

La proposition de loi entend donc remédier à cette situation en brisant le « plafond de verre » qui entrave l’ascension des femmes. La version finale du texte débouche sur un dispositif « opérationnel », confie Laurence Garnier, sénatrice LR de Loire-Atlantique et rapporteure durant les débats au Palais du Luxembourg, qui se félicite de « l’approche pragmatique » adoptée par Mme Rixain dans ce dossier. Membre de la CMP, Stéphane Viry, député LR des Vosges, voit dans l’article 7 un « pas » de plus qui permet de compléter utilement la loi Copé-Zimmermann. Martine Filleul, sénatrice PS du Nord, a également donné son imprimatur à la proposition de loi, en commission mixte paritaire, même si elle juge que les avancées sont faibles.

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Changement de tête à la direction interministérielle du numérique, en pleine crise interne

Malaise à la direction interministérielle du numérique

« Incompréhension », « violence », « souffrance » : les mêmes mots se répètaient au fil des entretiens. Plus de vingt agents de la direction interministérielle du numérique (Dinum), chargée d’accompagner tous les ministères dans leur transition 2.0, avaient accepté de témoigner auprès du Monde de la dégradation de leurs conditions de travail depuis la réorganisation de leur administration, début 2019, sous l’impulsion du directeur Nadi Bou Hanna. Les deux tiers de ces salariés ont quitté la Dinum, un tiers y est resté. Tous ou presque ont souhaité garder l’anonymat.

Mardi 7 décembre, à la veille de la publication de cette enquête par Le Monde, Nadi Bou Hana a annoncé par mail à ses équipes quitter ses fontions « mi-janvier », « après trois années d’une intensité exceptionnelle », précise-t-il. Ce départ correspond-il au « souhait » de M. Bou Hana, comme il l’écrit, ou est-il imposé par le gouvernement pour répondre à la crise traversée par le service ?

Depuis plus de deux ans, selon les agents interrogés par Le Monde, les arrêts maladie, les burn-out, les prescriptions d’antidépresseurs se sont multipliés au sein de ce service central, placé sous l’autorité du premier ministre et sous la tutelle de la ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin. Les lettres ouvertes, courriers aux autorités, saisines de la médecine du travail et des syndicats n’y auraient rien changé. Au point d’entraîner une véritable hémorragie de personnel aux compétences pourtant pointues et recherchées, attiré là au départ par l’ambition de moderniser l’action de l’Etat.

Les témoins rencontrés par Le Monde dénoncent le management de M. Bou Hanna, décrit comme autoritaire et déshumanisé, mais aussi l’incohérence de la stratégie mise en œuvre et une politique de ressources humaines qui précarise une filière-clé dans la réussite de la transformation numérique de l’Etat, pourtant promue comme l’un des axes forts du programme d’Emmanuel Macron en 2017. Une ambition sans cesse renouvelée pendant le quinquennat, alors que la crise sanitaire accentuait le besoin d’ouverture des données et d’accès aux services publics dématérialisés, au point qu’un budget de 500 millions d’euros a été déployé jusqu’en 2022.

Précarisation inquiétante des équipes

Après le service d’information du gouvernement, auquel Le Monde avait consacré une enquête le 16 juillet, c’est la deuxième entité dépendant des services du premier ministre qui se voit mise en cause par ses agents pour des pratiques de management brutal. La première est située au 4e étage du 20, avenue de Ségur, à Paris, la seconde au 5e. Une ex-employée de la Dinum y dénonce « un climat de peur », une « violence insidieuse » et « un mal-être général ». Elle raconte des « pics de travail quasi intenables de plusieurs semaines », avec l’obligation de cumuler les responsabilités laissées vacantes par des départs non remplacés. Arrêtée, placée sous antidépresseurs, sans perspective d’évolution, elle a fini par abréger son contrat.

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Harcèlement : qui doit mener l’enquête interne ?

Carnet de bureau. La dimension psychologique est clé dans les cas de harcèlement au travail. « Avec la libération de la parole, on voit ressortir de vieux dossiers. Les collaborateurs sont partis. Il ne reste plus qu’une parole contre l’autre, avec parfois des affabulations », affirme David Guillouet, avocat associé du cabinet MGG Voltaire. En droit du travail, la prescription commence à partir du moment où l’employeur a connaissance des faits. C’est ce signalement qui marque le point de départ de l’enquête interne exigée par la loi. Mais qui va la mener ?

Dans les entreprises de plus de 250 salariés, un « référent harcèlement » est censé être l’interlocuteur sur le sujet. Le droit du travail (art. L. 1153-5-1) lui confie la tâche « d’orienter, d’informer, d’accompagner les salariés ». Il peut aussi être impliqué dans le déroulement de l’enquête interne, mais sans moyens ni cadre juridique prévus pour mener ce délicat « travail de police ». L’entreprise confie l’enquête soit aux services des ressources humaines (RH), soit à un cabinet extérieur.

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Concrètement, c’est souvent l’avocat qui est sollicité en premier, en tant que conseiller récurrent de l’employeur. C’est lui qui va qualifier l’alerte « harcèlement » avant de mettre en place le mécanisme d’enquête approprié. Il travaille à partir de la description des faits établie par le plaignant, le présumé harceleur et les témoins. « Mais notre rôle va s’arrêter à la qualification. Quand il va falloir faire retravailler les gens ensemble, reconstruire le lien managérial, ce n’est plus de la compétence de l’avocat », explique David Guillouet. Depuis peu, on voit des entreprises qui en plus de l’avocat missionnent des psychologues cliniciens pour conduire l’enquête.

Une question juridique

Une fois la méthodologie présentée au référent et aux élus pour valider la probité de la démarche, le psychologue va analyser le contexte pour comprendre comment les salariés en sont arrivés là. Soit il y a harcèlement, soit il n’y a pas harcèlement, soit il y a instrumentalisation de cette qualification.

« Le rôle du psychologue est de distinguer qui fait mal et ce qui fait mal. Un système de risques ne justifie pas des comportements déviants. Mais le harcèlement est beaucoup plus souvent un problème collectif que le fait d’un seul pervers narcissique. Ce peut être un masquage pour faire taire des témoins. En entreprise, harcèlement, fraude et corruption sont très liés. Dans une affaire récente, la directrice d’une agence commerciale a ainsi été mise en cause pour harcèlement moral au moment où elle révélait des fraudes à l’horodatage. Si on se limite à la qualification des faits, le risque est la réitération », explique Gilles Riou, psychologue clinicien du cabinet Egidio.

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La sédentarité, un risque professionnel accru par le télétravail

Au fil de ses consultations, la cardiologue Claire Mounier-Vehier a perçu combien le confinement avait pu abîmer la bonne santé de ses patients. « Plus de prise de poids, plus de stress également, et, fréquemment, des déséquilibres observés dans les traitements, tout particulièrement ceux de l’hypertension artérielle », indique-t-elle. Et de conclure : « La pandémie a mis en lumière les nombreux effets pervers de la sédentarité. »

Des effets que les professionnels de la santé au travail observent aujourd’hui avec inquiétude. Car le télétravail, largement déployé lors des confinements successifs, se développe aujourd’hui durablement en France et favorise, chez les salariés, un mode de vie plus sédentaire. Inutile de sortir de chez soi pour se rendre au bureau, de se déplacer pour se réunir avec des collègues. Les rendez-vous avec des clients peuvent, quant à eux, avoir lieu en visioconférence depuis son salon. La plupart des journées de travail se déroulent ainsi exclusivement devant l’écran de son ordinateur. « En conséquence, beaucoup de ces télétravailleurs reconnaissent ne plus bouger », note une médecin du travail francilienne.

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Or le maintien en position assise durant plusieurs heures présente de nombreux risques pour la santé, l’impact apparaissant particulièrement à partir de sept heures par jour. « C’est quelque chose de dramatique, tranche Frédéric Dutheil, professeur en médecine du travail au CHU de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). La sédentarité est même la première cause de mortalité évitable dans les pays développés. C’est un fait malheureusement largement ignoré. »

Surpoids, hypertension, diabète

L’absence de mouvement peut tout d’abord favoriser l’apparition de troubles musculo-squelettiques et de lombalgies. Elle se répercute par ailleurs sur la circulation sanguine. « Nous voyons apparaître la phlébite du télétravail, parfois chez des patients assez jeunes, qui peuvent rester douze heures par jour devant leur ordinateur quasiment sans bouger », explique Mme Mounier-Vehier.

La sédentarité augmente aussi les facteurs de risques cardiovasculaires comme le surpoids, l’hypertension artérielle ou le diabète. Elle peut provoquer infarctus ou accidents vasculaires cérébraux. Elle accentue aussi les risques de développer certains cancers. L’impact peut être également psychique. « On relève des états anxieux, dépressifs », indique M. Dutheil. « La sédentarité favorise la rumination, poursuit Mme Mounier-Vehier. L’activité physique est nécessaire pour oxygéner son cerveau et avoir un mental positif, mais aussi une plus grande capacité de réflexion. »

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Chômage : « La privation d’emploi a un coût pour l’Etat de plus de 30 milliards d’euros par an »

Tribune. Non, le chômage de longue durée n’est pas une fatalité, il ne repose pas sur un manque de volonté des personnes éloignées de l’emploi, comme nous l’entendons malheureusement si souvent ! Nos 2,5 millions de concitoyens qui sont au chômage de longue durée ne sont pas responsables de cette situation.

Non, nous n’avons pas tout essayé ! Le chômage de longue durée repose sur l’inadéquation entre les offres d’emploi et les compétences des personnes, sur un manque d’« employeurabilité » des entreprises, sur la dévalorisation des métiers et sur un sous-investissement de l’Etat dans la création nette d’emplois.

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Pour nous, acteurs de l’économie sociale et solidaire, élus locaux engagés, acteurs de terrain implantés dans les territoires, la lutte contre le chômage de longue durée passera par la création d’emplois d’utilité sociale et territoriale portés et conçus au plus près des territoires pour garantir un emploi pour tous, valorisant et redonnant une citoyenneté sociale et économique aux personnes tout en accompagnant leur montée en compétences vers des filières d’avenir.

Le « droit à l’emploi » dans les obligations de l’Etat

Contrairement aux idées reçues et agitées par les politiques, selon Pôle emploi, neuf offres d’emploi sur dix sont pourvues et il y a aujourd’hui un poste vacant pour treize chômeurs. En élargissant aux demandeurs d’emploi au sens plus large, on arrive à un poste pour vingt-deux demandeurs d’emploi. Ces chiffres remettent très largement en cause la tentation de faire peser la responsabilité du chômage de masse sur les chômeurs eux-mêmes, comme l’a fait dans son allocution du 9 novembre Emmanuel Macron, annonçant un renforcement du contrôle des personnes chercheuses d’emploi.

En outre, les politiques publiques de l’emploi justifient une part importante du chômage par le manque de diplôme des chercheurs d’emploi. Or, les entreprises et leur mode de recrutement ont également leur part de responsabilité. L’ensemble des entreprises recrute en usant de prérequis fondés sur la croyance que seul un diplôme permet de valider les compétences d’un salarié.

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Enfin, malgré les réticences des pouvoirs publics à le reconnaître, deux obligations pèsent sur l’Etat : celle de garantir à chaque individu le « droit à l’emploi », droit constitutionnel inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, et celle de réduire les dépenses budgétaires engendrées par les coûts du chômage. Car, rappelons-le, la privation d’emploi a un coût : plus de 30 milliards d’euros par an !

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Les travailleurs sociaux font grève pour partager leur désarroi

Les travailleurs sociaux n’en peuvent plus et veulent le faire savoir. Ils sont 1,2 million à accompagner, soutenir, aider, insérer, éduquer ou tout simplement écouter les 10 millions de citoyens les plus fragiles de la société française, personnes âgées en perte d’autonomie, bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) sur le chemin de l’emploi, personnes en situation de handicap, sans-abri, jeunes à la dérive ou qui souffrent de troubles du comportement, sans-papiers… L’appel à la grève nationale, mardi 7 décembre, lancé par la plupart des syndicats, la CGT, Solidaires et SUD-Santé, la Fédération syndicale unitaire (FSU), divers collectifs comme Les Broyés du social ou le Social déchaîné et même la CFDT, rencontre, cette année, un écho particulier.

« Beaucoup de nos adhérents, dont ce n’est pourtant pas l’habitude, seront cette fois dans la rue, prévoit Stéphane Racz, directeur général de Nexem, un réseau de 11 000 établissements du secteur privé non lucratif dans les domaines sanitaire, du handicap, de la protection de l’enfance, du grand âge ou de l’insertion sociale, et qui emploie 330 000 salariés. La promesse du Ségur de la santé, qui a revalorisé les salaires du secteur public et oublié les secteurs associatif et privé comme le nôtre, exacerbe les inégalités en apportant une preuve de plus de l’invisibilité de notre travail aux yeux des pouvoirs publics et de la société entière et affaiblit le travail en équipe », plaide-t-il.

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En novembre, des mouvements régionaux avaient déjà rassemblé des foules inhabituelles, tant de salariés que d’employeurs, d’élus et de familles, 5 000 manifestants à Nantes ou encore 2 500 à Strasbourg. Le premier ministre, Jean Castex, a bien, le 8 novembre, évoqué une future « conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social » d’ici le 15 janvier 2022, « mais nous n’avons aucune date, aucune précision et ne recevons aucune réponse à nos lettres », s’inquiète M. Racz.

« Manque de reconnaissance »

La revendication prioritaire, mardi, concerne donc les salaires, faibles et jamais réévalués : « Voilà quinze ans que le point d’indice est gelé, s’insurge Alexandre Lebarbey, représentant CGT du secteur sanitaire, social, médico-social privé à but non lucratif. Lorsque j’ai démarré ma carrière d’éducateur, mon salaire dépassait le smic de 500 euros ; aujourd’hui, pour un débutant, l’écart n’est plus que de 100 euros. »

Raphaëlle (qui souhaite garder l’anonymat) travaille, elle, à l’insertion vers l’emploi des bénéficiaires du RSA : « Après dix ans de carrière, je gagne 2 000 euros, primes incluses, et, dans mon département où la vie est chère, je paie un loyer de 900 euros et dépense 300 euros de frais de transports professionnels… Vivre avec ce qui reste, c’est très difficile ! » « Après dix-sept ans de carrière, mon salaire plafonne à 2 100 euros et, comme tous mes collègues, je suis systématiquement à découvert chaque fin de mois », constate Frédéric Motel, éducateur en institut thérapeutique et pédagogique auprès d’enfants et de jeunes souffrant de troubles de comportement.

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Le « marécage juridique » des frais du télétravail

Droit social. Véritable boîte de Pandore, la prise en charge des frais liés au télétravail est source de tensions, que la démocratisation du travail à distance va renforcer en l’absence de régulation collective. Où commencent ces frais, et surtout, où s’arrêtent-ils ?

Car au-delà des règles d’ordre public visant les instruments de travail (ordinateur), le diable se niche dans les détails. Ainsi de la connexion Internet : rembourser l’intégralité de l’abonnement illimité « triple play » utilisé par toute la famille ? La dépense supplémentaire liée au télétravail ? Mais comment évaluer précisément la part d’utilisation dans le cadre de l’emploi ?

La grande généralité de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 est emblématique de cet embarras général : « Il appartient à l’entreprise de prendre en charge les dépenses engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’entreprise, après validation préalable de l’employeur (…). Le choix des modalités de prise en charge éventuelle des frais professionnels peut être, le cas échéant, un sujet de dialogue social ». Quelle prudence !

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Or, si guerre des coûts il doit y avoir, il n’est pas certain que les salariés en sortent gagnants. Car plutôt que de devoir évoluer dans ce marécage juridique sous le regard sourcilleux de l’Urssaf et du fisc, nombre d’employeurs préféreront renoncer au télétravail salarié.

Seule solution pour éviter paperasserie ou contestations sans fin, une indemnité forfaitaire, par jour télétravaillé chaque semaine, dans les clous fixés par l’Urssaf : dix euros mensuels maximum, treize en cas d’accord de branche ou de groupe.

Bombe à retardement

Et des règles collectives : une charte, ou si possible un accord d’entreprise. En effet, la gestion individuelle d’hier est impensable, s’agissant désormais de centaines de collaborateurs très attachés – comme nos juges – à l’égalité de traitement. Les avantages sont d’ailleurs examinés de près par les salariés de première ligne n’ayant pas accès à cette flexibilité plébiscitée, et y voyant une double peine.

Car la légalité n’est pas tout : la légitimité est importante. Si, par exemple, l’entreprise réalise des gains immobiliers substantiels, collaborateurs et syndicats ne verront pas d’un bon œil une gestion pingre des coûts liés au travail au domicile.

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La prise en charge la plus importante et la plus discutée parmi ces frais est sans doute l’utilisation professionnelle d’une pièce affectée. La jurisprudence distingue ici deux situations : si le salarié disposant d’un poste de travail dans l’entreprise ne peut y prétendre, commerciaux et itinérants peuvent l’obtenir car « l’occupation, à la demande de l’employeur, du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci. L’employeur doit l’indemniser de cette sujétion particulière, ainsi que des frais engendrés par l’occupation à titre professionnel du domicile ».

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