Archive dans 2021

« Les effets pervers du défaut d’accès des jeunes à un revenu de base sont plus importants que ceux d’un prétendu assistanat »

Tribune. Non seulement les jeunes sont les plus touchés par la pauvreté, mais ils sont aussi ceux qui ont le plus souffert de la crise du Covid-19. Selon les derniers chiffres disponibles de l’Insee, en 2019, 12,5 % des 18-29 ans ont eu un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté (soit 50 % du revenu médian), alors que ce taux est de 8,3 % pour l’ensemble de la population, et d’à peine plus de 3 % pour les plus de 65 ans. On ne connaît pas encore le taux de pauvreté en 2020, mais l’Insee indique que les jeunes sont ceux pour qui la hausse du chômage a été la plus forte en 2020.

A cette forte incidence de la pauvreté chez les jeunes, notre système social ajoute une difficulté supplémentaire : le principe de dépendance des jeunes adultes envers la solidarité familiale. Les 18-25 ans n’ont pas droit au RSA. Cette logique impose aux jeunes d’origine modeste, qu’ils soient en études, en formation, en recherche d’emploi ou en emploi précaire, une situation de détresse financière que la crise sanitaire n’a fait qu’aggraver.

Erreur de logique

Pourquoi exclure les jeunes adultes de la solidarité nationale ? La raison est idéologique : nos dirigeants politiques, et une grande partie de l’opinion publique, redoutent des effets supposément pervers liés au versement d’une prestation à des jeunes. Cet « assistanat » les pousserait à la fainéantise ; ceux qui cherchent un emploi pourraient se contenter de jouer à la PS4 ; ceux qui étudient ne verraient plus l’intérêt d’aller en cours ; ceux qui travaillent pourraient préférer diminuer leur nombre d’heures de travail et toucher un complément de l’Etat. Si de tels effets pervers peuvent exister pour certains jeunes – en général en difficulté psychologique et qu’il serait d’ailleurs bon de prendre en charge –, ils sont si limités qu’ils n’ont jamais pu être confirmés par les travaux statistiques.

Récit : Article réservé à nos abonnés Les 18-25 ans, une génération abîmée par la pandémie

L’idée d’« assistanat » est une idéologie intuitive et profondément ancrée. Elle provient de l’observation empirique que telle ou telle personne touche le RSA et ne cherche pas efficacement du travail, alors que les travaux des chercheurs démentent cette simple observation. L’apparente contradiction vient de ce qu’on appelle un « biais d’attribution » selon lequel on interprète intuitivement la situation comme « untel ne cherche pas efficacement du travail parce qu’il touche le RSA », alors que les raisons de son inactivité sont autres : manque d’accès à l’information, manque de confiance en soi, découragement, honte, problèmes de santé mentale, etc.

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« Pour un recours accru à l’immigration face aux pénuries de main-d’œuvre»

Tribune. Alors que la très forte reprise économique laisse entrevoir une possibilité historique de renouer avec la croissance et le plein-emploi dans notre pays, la pénurie de main-d’œuvre menace d’étouffer cet élan. En effet, 50 % des entreprises françaises se plaignent de ne pas pouvoir recruter, et bon nombre d’entre elles finissent par renoncer à créer de l’activité supplémentaire faute de trouver les salariés dont elles ont besoin.

Avec plus de cent métiers classés « en tension », de nombreux secteurs sont touchés et tous les niveaux de qualification sont concernés. Ainsi, parmi les dix métiers les plus recherchés (hors saisonniers) on trouve, pêle-mêle, des agents d’entretien, des aides-soignants, des aides à domicile, des employés de la restauration et de libre-service, des ouvriers non qualifiés manutentionnaires, des agents de sécurité et de surveillance, mais aussi des infirmiers, des ingénieurs, des cadres et responsables de l’informatique.

Problème structurel

Bien plus inquiétant que les tensions sur les marchés des matières premières, de l’énergie ou des produits semi-finis, qui devraient se résorber assez rapidement, ce problème est structurel. En effet, de nombreuses entreprises ne trouvaient pas non plus de salariés avant la crise du Covid-19. La réforme de l’assurance-chômage, en réduisant les indemnités liées au travail en CDD, devrait remettre des salariés de manière durable sur le marché de l’emploi. Mais étant donné l’ampleur de la pénurie, ce sera loin d’être suffisant, d’autant plus que certains chômeurs n’ont aucune qualification et sont difficilement employables.

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Face à de telles difficultés, la solution qu’utilisent les plus grosses entreprises, quand leur processus de production le leur permet, est de délocaliser une partie de leur activité à l’étranger, là où la main-d’œuvre dont elles ont besoin est abondante. Cette solution est évidement moins bénéfique à l’économie française que de créer de l’activité économique sur le territoire national.

Une autre solution est alors de faire appel à la main-d’œuvre étrangère. C’est ce que font traditionnellement d’autres pays européens comme la Suisse, le Luxembourg, le Royaume Uni, ou encore l’Allemagne, qui ont tous, proportionnellement à leur population, une immigration plus élevée que celle de la France, en flux comme en stock.

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De fait, notre pays est aujourd’hui très peu compétitif sur ce sujet. Il souffre d’un déficit d’attractivité auprès des candidats à l’immigration de travail comme l’illustre la faible immigration intra-européenne. Parmi le flux d’immigrés arrivant chaque année en France (de l’ordre de 270 000 personnes), les ressortissants de l’Union européenne (UE) n’en constituent qu’un tiers ; 4,6 % de la population totale sont issus de pays tiers et seulement 2,4 % de l’UE. Ceci classe la France derrière le Luxembourg, l’Autriche, la Belgique, l’Irlande, l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume-Uni (pré-Brexit), le Danemark, la Suède, l’Italie, les Pays-Bas, et même Chypre et Malte.

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CPF : l’essor du compte personnel de formation se confirme

Le compte personnel de formation (CPF) entre dans les usages à toute vitesse. En 020, il a financé 984 000 actions pour développer les compétences des travailleurs et des chômeurs, contre 517 000 en 2019. Et la dynamique se poursuit : au cours du premier semestre 2021, le nombre de dossiers est équivalent à celui des douze mois précédents. C’est ce que montrent des enquêtes diffusées, jeudi 28 octobre, par la Caisse des dépôts et consignations et par la Dares – la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail.

Cette forte augmentation est due à l’ouverture, à la fin de novembre 2019, du « parcours d’achat direct ». Il y a deux ans, le CPF a été profondément transformé en devenant accessible par le biais d’une application mobile et du site Internet Moncompteformation. Le lancement de ces outils numériques s’est accompagné de l’instauration d’une procédure nouvelle : elle permet aux personnes de se payer des formations avec l’argent qui a été crédité sur leur compte, sans passer par un intermédiaire comme c’était le cas auparavant. Tous ces changements, qui découlent de la loi « avenir professionnel » promulguée en septembre 2018, ont contribué à « démocratiser l’accès à la formation », comme l’a déclaré la ministre du travail, Elisabeth Borne, lors d’une rencontre, jeudi à Paris, consacrée à cette thématique.

« Très favorable aux demandeurs d’emploi »

En 2020, 2,8 % de la population active a eu recours au CPF. Cette proportion peut être jugée faible, mais il faut en même temps rappeler qu’elle est nettement supérieure à celle qui avait été mesurée sur la période 2015-2019 (1,5 % en moyenne). Le passage au « parcours d’achat direct » se « très favorable aux demandeurs d’emploi », puisque ceux-ci représentaient « 36 % des bénéficiaires du CPF en 2020, soit quatre points de plus » en un an, d’après la Dares. Ce succès s’observe dans d’autres catégories. Ainsi, le nombre d’ouvriers qui mobilisent leur compte s’envole (+ 73 %) et celui des employés enregistre une progression très vive (+ 53 %). Chez les femmes, les individus de moins de 30 ans et les seniors, la tendance est également à la hausse.

Les formations les plus suivies dans le cadre du CPF concernent le champ « transports, manutention et magasinage », selon la Dares.

Les formations les plus suivies dans le cadre du CPF concernent le champ « transports, manutention et magasinage », selon la Dares. Cette « prédominance » tient notamment aux stages débouchant sur la délivrance du permis de conduire, dont le nombre a quadruplé. « Les langues restent le deuxième domaine le plus important, même si leur part (…) diminue depuis 2018 », complète l’étude des services du ministère du travail. Enfin, on assiste à un accroissement soutenu des « formations CPF » destinées aux créateurs-repreneurs d’entreprises et aux activités de coiffure, d’esthétique et d’informatique.

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En Espagne, comment des plates-formes de livraison tentent de contourner la loi

Il y a ceux qui sous-traitent à des sociétés de transport et de logistique l’embauche des livreurs à domicile (comme Uber Eats), ceux qui bricolent les paramètres des applications pour tenter d’effacer toute relation de type salariale avec leurs coursiers (Glovo), ceux qui abandonnent (Deliveroo). Mais il y a aussi ceux qui jouent le jeu et embauchent leurs coursiers (Just Eat). Cinq mois après l’approbation de la loi « riders » en Espagne, un texte pionnier censée obliger les plates-formes numériques à salarier leurs livreurs, et deux mois et demi après son entrée en vigueur, le 12 août, les différents acteurs tentent de trouver la parade.

« La loi est un outil utile pour réguler le secteur. Et, même si elle n’est pas complètement efficace, les livreurs ayant un statut d’autoentrepreneur sont aujourd’hui une minorité », assure Carlos Gutierrez, porte-parole de la jeunesse et des nouvelles réalités du travail pour le syndicat Commissions ouvrières (CCOO). Pour lui, les bénéfices du texte sont évidents. « Les nouvelles plates-formes de livraison qui ont décidé de s’implanter en Espagne depuis son approbation, comme Rocket, salarient les livreurs, rappelle-t-il. Quant aux autres, la plupart essaient de contourner la loi, mais nous sommes en train de porter plainte. La question des coursiers n’est que la pointe de l’iceberg de l’ubérisation du travail et il est indispensable d’ordonner les nouvelles activités et de préserver les droits du travail. »

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Deliveroo a, lui, préféré jeter l’éponge et faire une croix sur un marché dynamique (près de 4,7 millions de clients en 2019 ayant réalisé 36 millions de commandes). « Ce qui est important, c’est que, dans le cadre de la négociation du licenciement collectif, elle reconnaîtra la validité de la loi et, donc, le statut de salarié des riders avant de les licencier », précise M. Gutierrez. Près de 3 800 coursiers sont concernés.

Bénéfices sociaux

Pour l’heure, les grands gagnants de la nouvelle législation espagnole semblent être les entreprises de transport et logistique, comme Deelivers. Cette start-up galicienne, lancée en 2014, prévoit de tripler ses résultats cette année et de réaliser 12 millions d’euros de chiffre d’affaires. Choisie notamment par Uber Eats pour employer ses anciens livreurs autonomes, qu’elle a déconnectés de sa plate-forme en août, elle recrute à tour de bras et compte déjà près de 1 400 livreurs, contre 600 à peine avant la loi.

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Pour attirer les candidats, qui « commencent à manquer », selon son PDG, Adrian Pena, elle vante ses « conditions uniques » d’embauche sur son site Web : flexibilité des horaires, trente et un jours de vacances par an, des bénéfices sociaux au bout d’un an, un salaire horaire fixe et des primes, pas de travail le jour de son anniversaire… Pour décider les réticents, elle a même préparé des réponses aux questions types, telles que : « Mon ami est travailleur indépendant et il peut travailler quand il veut » ou « Mon ami gagne plus en travaillant comme autoentrepreneur ». Signe que devenir salarié d’une entreprise de sous-traitance ne convainc pas tous les livreurs. « Surtout ceux qui travaillaient pour plusieurs plates-formes et pouvaient faire soixante heures par semaine », reconnaît M. Pena.

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La loi pour une « égalité économique et professionnelle réelle » peut modifier en profondeur les directions des grandes entreprises françaises

Tribune. La loi Copé-Zimmermann a imposé en 2011 un minimum de 40 % d’administrateurs de chaque sexe au sein des conseils d’administration (CA) des entreprises cotées en Bourse. Dix ans plus tard, au moment où le Sénat examine la proposition de loi « égalité économique et professionnelle réelle » qui vise, cette fois, à imposer une mixité au sein des comités exécutifs – qui dirigent les entreprises au quotidien –, il semble indispensable de tirer les leçons de l’expérience précédente.

La loi Copé-Zimmermann a atteint, et même dépassé, les résultats chiffrés attendus. Les femmes sont passées d’une situation de toute petite minorité – 7 % des membres des CA en 2006 dans les entreprises du SBF 120 [les 120 plus grosses capitalisations françaises] – à une situation proche de la parité : 46 % des effectifs aujourd’hui. Alors que l’inégalité des genres semblait gravée dans le marbre depuis des décennies, cette loi a fait de la France la championne de la mixité des conseils d’administration.

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Mais il est intéressant d’examiner les conséquences de cette réforme sur la qualité de la gouvernance des entreprises concernées. L’étroitesse du vivier de femmes dirigeantes a-t-elle abouti à la sélection de personnalités de second choix, ayant moins d’expérience, de qualifications, d’indépendance que les administrateurs qui les précédaient ?

Cette question est récurrente dès qu’il est question de quotas. Accorder un quota à une partie de la population jusque-là sous-représentée, suscite toujours des craintes quant à la qualité des personnes nommées par la suite.

Plus expérimentées, plus indépendantes

De fait, la réforme Copé-Zimmermann a causé dans un premier temps des difficultés de recrutement. Les mandats, particulièrement longs, des premières femmes nommées administratrices en témoignent. Mais une recherche menée par une équipe de l’université Paris-Dauphine-PSL met en évidence les effets finalement très positifs de cette loi – « Closing the Gap : Board Gender Quotas and Hiring Practices », Daniel Ferreira, Edith Ginglinger, Marie-Aude Laguna et Yasmine Skalli, European Corporate Governance Institute (ECGI), Finance Research Paper n° 520, 2020.

Cette recherche démontre notamment que, contrairement à ce que l’on pouvait anticiper, les nombreuses administratrices sélectionnées à partir de 2011 sont plus expérimentées, plus indépendantes, et ont des profils plus internationalisés que les rares femmes qui étaient auparavant à ces postes.

Que s’est-il passé ?

Jusqu’à la loi Copé-Zimmermann, le recrutement des administrateurs était en réalité largement basé sur la cooptation à travers des réseaux très peu féminisés d’anciens de l’X, d’HEC, et de l’ENA, dont les membres se trouvaient représentés de manière disproportionnée dans les conseils d’administration.

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Emploi : au-delà de l’embellie, des chantiers inachevés

Editorial. Trimestre après trimestre, l’embellie sur le marché de l’emploi en France se confirme. La baisse du chômage s’est accélérée entre juillet et septembre, selon les dernières statistiques de la direction chargée des études au ministère du travail. Le nombre de demandeurs d’emploi est redescendu légèrement en dessous du niveau atteint en décembre 2019, juste avant le début de la crise pandémique. Qui aurait cru qu’il faille moins de sept trimestres pour effacer les effets d’un tel choc conjoncturel ?

Si la résilience du marché du travail est une bonne surprise, elle n’a rien de magique. Les coûteux plans de soutien à l’économie déployés par le gouvernement avec l’aide de la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne ont parfaitement joué leur rôle d’amortisseur. Ils ont financé des dispositifs de chômage partiel, qui ont limité la destruction pure et simple des emplois, permettant une reprise du marché du travail plus fluide et plus rapide que prévu.

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Ainsi, les déclarations d’embauche n’ont jamais été aussi nombreuses depuis 2000. Même si les recrutements en contrat court restent majoritaires, la croissance des CDI devient forte, et la reprise profite à toutes les catégories d’âge. Plus surprenant, le dynamisme de l’emploi salarié est supérieur à celui de la croissance économique, un phénomène inverse de celui observé aux Etats-Unis, où, malgré la reprise, le nombre de salariés reste inférieur de 5 millions à celui d’avant la crise.

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L’embellie est telle que la question de l’emploi est en train de passer au second plan des préoccupations des Français, qui se focalisent désormais sur leur pouvoir d’achat. La lutte contre le chômage est pourtant loin d’être gagnée. Selon les prévisions de l’Insee pour le troisième trimestre, le taux de demandeurs d’emploi devrait avoisiner 7,6 % de la population active. La France ne peut se satisfaire d’une telle situation.

Anticiper l’adaptation du marché du travail

Les pistes d’amélioration sont connues. Certaines sont sur le point d’être empruntées par le gouvernement. Des mesures à destination des jeunes qui ne sont ni au travail, ni en formation, ni dans un établissement d’éducation devraient être prochainement annoncées. Il est question de verser une allocation en échange d’un engagement à suivre un parcours vers l’emploi. L’efficacité du mécanisme sera fonction des moyens alloués.

Autre piste, celle de l’amélioration des dispositifs de formation. Des sommes importantes ont été débloquées en début de quinquennat, permettant d’enregistrer des progrès dans l’accompagnement des chômeurs. Les pénuries d’emplois constatées dans certains métiers montrent toutefois que l’adéquation entre les compétences disponibles sur le marché et les profils recherchés par les employeurs reste compliquée.

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Deux chantiers sont encore au point mort. L’emploi des séniors, d’abord. Il n’est pas admissible que près de 40 % des personnes partant à la retraite ne soient déjà plus en activité. Certains candidats à l’élection présidentielle parlent de reculer l’âge de départ, mais aucun n’avance de proposition pour augmenter le taux d’emploi des plus de 60 ans, ce qui devrait être un préalable à toute réforme des régimes de pension.

Le second chantier concerne l’adaptation du marché du travail à la transition écologique et numérique. Dans sa présentation du plan d’investissement France 2030, Emmanuel Macron n’a fait qu’effleurer le sujet de l’adaptation des compétences, pourtant primordial. Sans anticipation de ces ruptures et sans régler les problèmes structurels de l’emploi en France, l’embellie risque d’être de courte durée.

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Le Monde

« Toxic Management »: un témoignage glaçant sur la manipulation des salariés

Le livre. Dans la salle de réception du siège social, sur l’estrade, le PDG fait face à une cinquantaine de nouveaux salariés. « Chez nous, vous êtes libres. Vraiment. Il n’y a ni hiérarchie ni chefs, vous êtes votre propre patron. Il est expressément interdit de donner des ordres. Que voulez-vous, je suis un disciple de Mai 68, j’ai l’autorité en horreur : je veux qu’on s’éclate dans ma société ! » Gadama Inc. n’est pas n’importe quelle entreprise : elle se présente comme une application fidèle de la « démocratie participative ».

Lorsqu’on lui propose d’entrer dans le groupe en tant que philosophe, Thibaud Brière accepte avec enthousiasme. « Sauf que tout ne s’est pas passé comme prévu. J’ai été progressivement convaincu de la perversité du mode de management que j’étais chargé de promouvoir, dans l’usage qui en était fait », révèle l’auteur de Toxic Management (Robert Laffont). L’ouvrage livre un témoignage glaçant sur la manipulation des consciences qui s’exerce aujourd’hui dans le monde de l’entreprise.

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Si le nom est fictif, Gadama Inc. existe réellement. Il s’agit d’une société considérée comme une référence managériale, auprès de laquelle de nombreuses autres viennent chercher leur inspiration. Elle se veut une préfiguration de ce que sera demain le monde du travail : en réseau, entre pairs, peu hiérarchique, participatif, souligne celui qui l’a rejointe entre 2012 et 2018.

L’impératif de transparence

Le philosophe d’entreprise participe aux réunions du conseil d’administration et du comité de direction, anime des formations destinées aux techniciens comme aux manageurs et circule dans les enseignes des différentes filiales. Recruté pour identifier les valeurs de l’entreprise, afin de les diffuser ensuite et d’instaurer un climat de confiance, il doit en réalité transmettre des ordres sous couvert de valeurs humanistes, faire adhérer les membres de l’organisation à la doctrine particulière du PDG – « comme Amazon, Google et Apple ont, elles, institué la fonction de “chief evangelist officer”, qui a le mérite de la clarté ».

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Lors d’une journée d’accueil pour les nouveaux venus, le président et principal actionnaire, rebaptisé « père fondateur », insiste sur la totale transparence dont tout le monde doit faire preuve, et conclut son intervention en évoquant le recrutement d’un philosophe maison, entièrement libre dans ses propos, à qui il passe la parole. « A l’issue de mon intervention – modérée et prudente puisque je viens de débuter –, il me demande expressément de réserver dorénavant certaines de mes critiques les plus incisives pour les réunions du conseil d’administration. »

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Fadila Khattabi : « L’égalité des chances réelle passe par la lutte contre les discriminations »

Tribune. « Je n’ai pas été pris pour le poste. Je ne devais pas correspondre au profil ! » ou encore « j’ai postulé pour un contrat d’apprentissage mais c’est mon camarade de classe qui a été retenu. Pourtant, l’employeur que j’avais contacté quelques jours auparavant m’avait dit qu’il n’avait besoin de personne cette année… ». Ces phrases, je les ai entendues de nombreuses fois, d’abord en tant qu’enseignante dans un centre de formation d’apprentis dans lequel j’ai exercé pendant près de vingt-cinq ans, mais aussi en tant qu’élue, lors de mes rencontres avec les administrés de ma circonscription.

Ce constat, que j’observe depuis de nombreuses années maintenant, dépeint une réalité plus large : celle des discriminations qui perdurent encore dans notre pays et qui mettent à mal notre cohésion nationale. Ces discriminations de toutes sortes sont particulièrement prégnantes dans le domaine de l’emploi.

Dans une étude récente diffusée mercredi 6 octobre (réalisée par le cabinet Occurrence pour l’association Diversidays), 48 % des salariés interrogés estiment avoir été victimes d’une discrimination au sein de leur entreprise. Pour les jeunes salariés, cette problématique est encore plus présente puisque 76 % d’entre eux déclarent avoir été témoins d’au moins une discrimination et 95 % attendent en conséquence de la part de leur entreprise davantage d’engagement sur cette question.

Une société sereine et apaisée

Cette réalité m’interpelle et surtout me choque profondément. En effet, le moment que nous vivons actuellement doit plus que jamais être consacré à la prise de conscience, car cette question constitue un défi majeur pour la défense de nos valeurs et de notre pacte républicain.

Face aux populistes en tout genre qui s’attellent à démembrer notre société, il est urgent de renforcer les fondements de notre République, une et indivisible.

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A l’heure où certains souhaiteraient opposer les Français les uns aux autres, sur la base de différences qui sont pourtant notre richesse, je réponds : égalité des chances. Une égalité des chances qui constitue aussi une égalité de choix dont tous nos concitoyens devraient pouvoir disposer.

Je suis intimement convaincue que ce principe constitue la condition sine qua non d’une société sereine et apaisée ; un principe qui doit désormais devenir une réalité concrète pour toutes et tous, et qui nécessite, indubitablement, de renforcer notre lutte contre les discriminations.

Les défis qui nous attendent aujourd’hui sont immenses.

Proposition de loi

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Entre inquiétude et enthousiasme, les villes confrontées à l’arrivée des data centers

Le toit du data center MRS3 d’Interxion, installé dans une ancienne base de sous-marins construite dans le port de Marseille, en juillet 2020.

A moins de six mois d’écart, la scène se répète. Marseille, le 27 mai : le gratin politique local se presse pour une visite du chantier du futur data center (« centre de données ») d’Interxion, son quatrième dans la ville. Même parterre d’élus, le 5 octobre, à Bruges (Gironde), en périphérie de Bordeaux, pour l’inauguration du data center d’Equinix. A 600 kilomètres de distance, les édiles affichent leur satisfaction, voyant dans ces infrastructures un atout pour se positionner aux avant-postes de la révolution numérique. « Ici, les entreprises auront des capacités technologiques qu’elles n’auraient pas ailleurs », se réjouit Alain Anziani, président PS de la Bordeaux Métropole.

Pas de hasard à ce que deux villes du littoral soient candidates à devenir les grands pôles régionaux de l’économie de la donnée. Marseille se trouve à l’arrivée d’une quinzaine de câbles sous-marins, ces infrastructures critiques par lesquelles transitent 90 % du trafic Internet mondial. Le 19 octobre, Orange a finalisé l’atterrissement du plus important d’entre eux, le Pakistan and East Africa Connecting Europe (Peace), qui reliera, à partir de 2022, l’Europe à l’Asie, en passant par l’Afrique de l’Est. Selon le site spécialisé TeleGeography, la cité phocéenne se situe déjà au 9e rang mondial des villes offrant la plus grande capacité de transit de données (derrière Paris, 4e). En Gironde, le câble Amitié doit être mis en service dans les prochains mois, pour permettre de faire transiter au plus vite les données entre les Etats-Unis et le Vieux Continent.

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L’objectif est de créer un écosystème de sociétés pour lesquelles la circulation de la donnée, en gros volumes et à très grande vitesse, est nécessaire, comme les opérateurs télécoms ou ceux du cloud (informatique dématérialisée). Régis Castagné, le directeur général d’Equinix pour la France, décrit aussi toute une série de cas d’usage, encore balbutiants, pour lesquels la proximité de tels équipements représente un atout : « Les smart cities [villes intelligentes], la télémédecine, la 5G. »

Des implantations prometteuses en matière d’emploi

A l’échelle locale, la maire divers gauche de Bruges souligne que l’arrivée de ces nouveaux acteurs participe à la politique d’aménagement du territoire : « Dans le nord de Bordeaux, on a des zones d’activité vieillissantes, qui ne demandent qu’à être modernisées », explique Brigitte Terraza. Dans sa commune, Equinix a investi une zone de fret. A Marseille, Interxion a construit ses installations sur le site de l’ancienne base sous-marine allemande à l’abandon.

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Egalité femmes-hommes : les pères nordiques incités à pouponner

Jonas Jarl a pris six mois de congé paternité pour son troisième enfant, et huit mois pour ses deux premiers. A Malmö (Suède), en juillet 2015.

Responsable environnement et climat auprès du laboratoire danois Novo Nordisk, Emil Linnet a repris le travail mi-septembre, après quatre mois de congé paternité. Deux semaines plus tard, il s’absentait de nouveau : son fils de 14 mois est tombé malade et, avec sa femme, ils se sont relayés à la maison jusqu’à ce qu’il puisse retourner à la crèche. Rien de plus normal pour le trentenaire, qui se décrit comme « féministe » et explique : « Ma compagne et moi nous partagions les tâches avant d’avoir des enfants. Il n’y a pas de raisons que ça change maintenant. »

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Comme d’autres entreprises danoises, Novo Nordisk complète les indemnités versées par l’Etat, pour permettre à ses salariés de partir douze semaines avec 100 % de leur revenu. Emil Linnet assure que même sans, il aurait pris quatre mois de congé parental : « Pour moi, c’était important de passer du temps avec mon bébé. J’ai fait la même chose avec ma fille, qui a 3 ans. » Mais il reconnaît que si le dispositif n’avait pas existé, il aurait « eu des doutes sur l’entreprise » et peut-être même « hésité à y travailler ».

Autour de lui, les hommes – surtout quand ils sont diplômés, avec de hauts salaires et de bons postes – conçoivent de plus en plus le congé paternité comme une évidence. Les Danois, pourtant, ne prennent toujours qu’une petite partie des trente-deux semaines que les couples peuvent se partager (en plus des quatorze semaines réservées à la mère et deux semaines au père après la naissance). En 2019, les pères ne sont restés en moyenne que 34,2 jours à la maison avec leur bébé, contre 280,3 pour les mères.

Système de quotas

C’est pour tenter de réduire le déséquilibre – et parce qu’une directive européenne, votée par le parlement, à Strasbourg, en avril 2019, impose aux Etats membres de réserver deux mois de congé parental aux pères à compter de 2022 – que les partenaires sociaux ont présenté un projet de réforme, le 13 septembre, instaurant l’individualisation des congés. En plus des deux semaines à la naissance de l’enfant, ils proposent que les deux parents aient droit à vingt-deux semaines de congé parental chacun, dont treize qu’ils pourront transférer à l’autre.

La Confédération des employeurs danois (Dansk Arbejdsgiverforening) s’est longtemps opposée à ce système de quotas, avant de changer d’avis. Sa vice-présidente, Pernille Knudsen, explique : « Nous pensions pouvoir transformer les mentalités en faisant de l’information, mais nous avons réalisé que cela ne fonctionnait pas. La preuve : même quand ils peuvent partir avec 100 % de leur salaire, certains pères ne le font pas. » Pour les entreprises, poursuit-elle, c’est un problème : « Elles embauchent des femmes compétentes et celles-ci disparaissent presque un an à chaque maternité, quand les hommes ne sont absents que quelques semaines, ce qui constitue une perte considérable pour les compagnies. »

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