Archive dans 2021

A bout de souffle, les accompagnants d’élèves en situation de handicap se mobilisent

« Nous sommes les pions invisibles de l’éducation nationale », enrage Elisabeth Garnica, présidente du collectif AESH France. Ecartés de la revalorisation salariale pour les enseignants et personnels annoncée par le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, en novembre 2020, les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) veulent se faire entendre du gouvernement. Après une première journée de manifestation locale organisée à Bobibny, mardi 9 février, à l’initiative du SNES-93, les AESH se mobilisent à nouveau jeudi 11 février à l’appel de la CGT Educ’action, à l’occasion des 16 ans de la loi sur le handicap.

Tous les AESH que Le Monde a interrogés ont le même mot à la bouche : les PIAL. Ces « pôles inclusifs d’accompagnement localisés » constituent un point de crispation majeur depuis leur mise en place en 2019. L’objectif initial, explique la chercheuse en éducation inclusive à l’Institut catholique de Paris, Fabienne Serina-Karsky : apporter un dispositif qui puisse regrouper les professionnels qui travaillent autour de l’école inclusive. Mais dans les faits, la mise en place s’avère compliquée. Selon elle, « l’idée est bonne mais ça complexifie beaucoup les choses d’un point de vue administratif ».

Création massive de postes

Le fonctionnement des PIAL correspond à une stratégie gouvernementale de mutualisation des professionnels qui consiste à répartir les AESH sur les établissements d’un même secteur. Une démarche particulièrement contestée par le personnel : « Nous devons faire preuve d’une forte capacité d’adaptation avec des emplois du temps qui changent du jour au lendemain », explique Perrine Crinquette, AESH dans un lycée de Lomme, dans le Nord.

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Sans cesse transférés d’un établissement à l’autre, les AESH déplorent un accompagnement qui ne peut être individualisé. « Certains AESH doivent parfois jongler entre sept ou huit élèves par semaine, raconte Elisabeth Garnica. C’est l’horreur, les enfants ont besoin de repères. » Cette gestion des AESH a également un impact néfaste sur la scolarisation des enfants. « C’est le monde à l’envers. Nos enfants n’ont pas assez d’heures notifiées auprès d’accompagnants, alors que sur les réseaux sociaux, nous voyons que beaucoup d’AESH sont en recherche d’un poste », remarque Adeline Drapeau, mère d’un enfant reconnu en situation de handicap il y a un an.

Les besoins sont là. Jean-Michel Blanquer a même annoncé, en septembre 2020, la création massive de 4 000 nouveaux postes d’AESH, dans le cadre du projet de loi de finances 2021, qui s’ajouteraient aux 8 000 postes déjà annoncés pour répondre à des besoins croissants de scolarisation des élèves en situation de handicap. Une annonce qui ne satisfait pas les personnels mobilisés : « Déjà faudrait-il faire quelque chose pour les postes existants et précarisés », souligne Sébastien Cazaubon, AESH depuis janvier 2019 dans les Landes et membre de la CGT Educ’action.

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La crise sanitaire a élargi les compétences des directeurs de la sécurité en entreprise

« Les directeurs de la sécurité dans les entreprises ont dû gérer les conséquences d’une pandémie d’une ampleur inédite. »

Habituellement, ils préfèrent œuvrer dans l’ombre. La crise les a mis sur le devant de la scène. En plus d’une hausse rampante de la cybercriminalité et d’un risque terroriste qui reste d’actualité, les directeurs de la sécurité dans les entreprises ont dû gérer les conséquences d’une pandémie d’une ampleur inédite.

Devant la complexification des menaces pesant sur les entreprises et leurs salariés, les responsables sécurité se doivent d’avoir des compétences de plus en plus transverses. Le Club des directeurs de sécurité en entreprise (CDSE) a tenté de présenter un tableau de la filière de la sécurité-sûreté en entreprise, dont la deuxième partie est publiée ce 11 février.

Une filière difficile à appréhender, tant la profession se révèle protéiforme. Selon l’activité de l’entreprise et son organisation, les prérogatives des directeurs de la sécurité peuvent varier du tout au tout. « Sur les plates-formes pétrolières, qui sont souvent dans des pays à haut risque, la sécurité des personnes prédomine. Dans le secteur bancaire, ce sont plutôt les enjeux de cybersécurité. Les OIV [opérateurs d’importance vitale] doivent par exemple s’assurer que les communications avec le SAMU fonctionnent en cas de crise, et faire passer les messages gouvernementaux », témoigne un spécialiste, sous le couvert de l’anonymat. La culture du secret prédomine chez ces professionnels, qui sont peu enclins à discourir sur leur métier.

Assurer la sécurité à l’international

Lors du premier confinement, notre spécialiste anonyme a assisté au branle-bas de combat des responsables sécurité dans sa société. Tandis que les pays fermaient leurs frontières et que l’affolement général gagnait les populations, il a fallu assurer la sécurité des collaborateurs à l’international.

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La question sanitaire relevant habituellement des ressources humaines, les responsables sécurité ont dû œuvrer main dans la main avec les autres services : « On a travaillé avec un médecin rattaché aux ressources humaines pour publier des fiches sanitaires sur le site Intranet et on a pu mettre en lien des salariés avec le centre de crise du ministère des affaires étrangères, qui organisait les rapatriements. »

« La crise a renforcé le côté stratégique de cette fonction », tente de faire valoir Fabienne Louvet, présidente de la commission carrière, emploi et formation du CDSE. D’après l’étude du Club des directeurs de sécurité en entreprise, 45 % de ses membres ont eu la charge de piloter la gestion de crise sanitaire dans leur organisation.

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Amazon prévoit 3 000 embauches en CDI en France en 2021

Ce n’est pas une surprise, le géant américain du commerce en ligne Amazon ne craint pas la crise économique actuelle. Au contraire, l’entreprise poursuit son développement en France et prévoit de recruter 3 000 personnes en contrat à durée indéterminée (CDI) sur l’année 2021, portant ses effectifs totaux à 14 500 salariés en CDI d’ici à la fin de l’année, selon un communiqué diffusé mercredi 10 février.

Ces nouveaux salariés seront « préparateurs de commandes mais aussi ingénieurs, jeunes diplômés, chargés de ressources humaines, informaticiens, spécialistes de la santé et de la sécurité », explique l’entreprise, qui précise que « les recrutements réalisés au sein du réseau logistique d’Amazon s’inscriront dans le cadre d’une convention nationale avec Pôle emploi ».

Au début de novembre, le directeur général d’Amazon France, Frédéric Duval, revendiquait « 9 300 employés directs » en France, auxquels s’ajoutent 2 200 postes en CDI créés en 2020 et 3 000 en 2021, selon une annonce mercredi. D’où un total de 14 500 salariés en CDI à la fin de 2021.

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Une dizaine de nouveaux sites cette année

Les régions où les recrutements seront les plus importants sont, par ordre d’importance, l’Ile-de-France, les Hauts-de-France, le Centre-Val-de-Loire, l’Auvergne-Rhône-Alpes et le Grand-Est, précise l’entreprise, qui « réitère son engagement en faveur de la diversité et de l’égalité des chances dans le recrutement, notamment pour contribuer à l’insertion des jeunes des quartiers prioritaires ».

Interrogé par l’Agence France-Presse (AFP) sur ces créations d’emplois, Laurent Degousée, codélégué de la fédération SUD-Commerce, première organisation syndicale chez Amazon, s’est dit « plutôt heureux ». « Chez Amazon, il y a beaucoup trop d’intérimaires, c’est une hérésie, alors que la norme de l’emploi, ça reste le CDI », a-t-il réagi, imaginant « qu’ils vont donner la priorité aux anciens intérimaires ».

Amazon, qui revendique 5,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France en 2019, prévoit en outre l’ouverture d’une dizaine de sites dans le pays en 2021, notamment un projet de centre de distribution – site d’environ 50 000 m2 au sol – « du côté de Metz ». Des implantations de moindre taille sont envisagées à Rivesaltes, près de Perpignan, Briec près de Quimper, ou encore en Normandie.

Lire le reportage : « Ce n’est pas dégradant de bosser pour Amazon » : à Lauwin-Planque, les salariés amers contre les critiques visant le géant américain

Le Monde avec AFP

Le PDG du studio de jeux vidéo Riot Games attaqué pour harcèlement sexuel par une ancienne employée

Sharon O’Donnell, ancienne employée de Riot Games, attaque en justice le studio de jeux vidéo et Nicolas Laurent, son président-directeur général. L’ex-assistante de direction reproche à ce dernier des faits de harcèlement sexuel et de discrimination dans une plainte déposée devant la cour de Los Angeles, le 7 janvier 2021 – le siège de Riot Games se situant dans la ville californienne.

Dans le document, publié sur le site d’information Vice le 9 février, les avocats de la plaignante rapportent des comportements et des remarques sexistes attribués à Nicolas Laurent. L’ancienne employée a détaillé une série de phrases inappropriées que le PDG de Riot Games lui aurait adressées. Par exemple, un commentaire à propos de ses employées qui devraient « gérer le stress de l’épidémie de Covid-19 en faisant des enfants », des allusions aux dimensions « extra-larges » de ses propres sous-vêtements ou l’utilisation du verbe « jouir » (cum, en anglais) à la place du mot « venir » (come) lors d’une invitation à venir travailler à son domicile.

La plainte donne aussi des exemples d’attitudes sexistes que le PDG aurait eu envers son employée. « Ce comportement (…) a créé un climat de travail intimidant et hostile en raison du sexe et du genre » de Sharon O’Donnell, explique le texte. Les faits décrits se seraient déroulés à partir de son embauche, en octobre 2017, jusqu’à son licenciement, en juillet 2020. L’entreprise Riot Games Inc. est également attaquée au motif de « son échec à anticiper et sanctionner le harcèlement et la discrimination » ainsi que pour des défauts de paiement d’heures supplémentaires.

Contactée par Le Monde, Riot Games a réagi dans un communiqué en déclarant « prendre les accusations de harcèlement et de discrimination très au sérieux ». Une enquête interne relative à ces accusations, menée par un organisme extérieur, est en cours. Nicolas Laurent, qui poursuit ses fonctions à la tête du studio, « a assuré sa pleine coopération » à cette procédure, poursuit Riot Games dans son communiqué. Sollicitée par Le Monde, l’entreprise a précisé que Nicolas Laurent ne s’exprimerait pas publiquement sur le sujet pour le moment. Le Français, qui a rejoint l’entreprise en 2009, en avait été promu président-directeur général en 2017.

Une « culture du sexisme » déjà dénoncée

Le géant du jeu en ligne, qui développe notamment League of Legends, Valorant et Teamfight Tactics, s’est déjà vu reprocher une « culture du sexisme » dans une enquête du site spécialisé Kotaku. En 2019, une centaine d’employés avaient aussi manifesté pour dénoncer la gestion des situations de harcèlement par Riot Games.

Dans une tribune publiée en juillet 2020 sur le site Gamesindustry, Nicolas Laurent s’était excusé auprès des salariés qui avaient souffert de comportements sexistes ou de discriminations. Il décrivait également ses efforts pour « changer de culture » au sein de l’entreprise tout en ajoutant que « cela doit être réparé plus largement au sein de l’industrie [du jeu vidéo]. »

« Historiquement, Riot est une entreprise dont les dirigeants ne sont redevables de personne », peut-on lire sur une déclaration publiée le 10 février, après la révélation de la plainte de Sharon O’Donnell, par un compte Twitter qui se présente comme un collectif d’employés du studio.

En réponse, Riot Games a déclaré, dans son communiqué sur cette affaire, que la culture d’entreprise « était l’une de ses premières priorités depuis plusieurs années » et qu’elle se montre soucieuse « de la confiance des Rioters [surnom donné aux employés] dans son action pour la transformer ».

En dépit de la crise, un RSA élargi aux jeunes soulève toujours les réticences

A 18 ans, Lisa Saez, étudiante en première année de licence de biologie à Montpellier, vit encore chez ses parents. Ceux-ci habitant dans un petit village à plusieurs heures de transport de la métropole héraultaise, elle est régulièrement hébergée chez des amis afin d’économiser un loyer.

« Ce n’est pas exactement ce dont je rêvais pour l’année de mes 20 ans », confie-t-elle. Pour garder le moral malgré tout, Manon, qui n’a pas souhaité donner son nom, ne se connecte plus aux réseaux sociaux et marche beaucoup, pour se « vider la tête ». En novembre 2020, quelques mois après la fin de son BTS tourisme, elle devait entamer un CDD dans un hôtel des Alpes. « Mais, avec le Covid19, tout est tombé à l’eau. » A défaut de la mettre au chômage partiel, l’employeur a promis de l’embaucher dès que les stations rouvriront. En attendant, Manon loge chez son grand frère, en région lyonnaise. « Je n’ai pas le choix : comme je n’ai pas travaillé assez et que je ne suis plus étudiante, je n’ai droit à rien. »

Comme elle, des milliers de jeunes sans emploi, sortis du système éducatif avec ou sans diplôme, se retrouvent aujourd’hui en difficulté en raison de la pandémie, avec un accès limité aux aides sociales. « Et pour cause : il n’existe pas, en France, de filet de sécurité universel pour les moins de 25 ans, alors qu’il y en a un au-delà, avec le revenu de solidarité active [RSA] », souligne Guillaume Allègre, de l’Observatoire français des conjonctures économiques.

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Certes, quelques milliers de jeunes peuvent malgré tout accéder au RSA, à des conditions strictes – s’ils ont déjà travaillé durant deux ans ou s’ils sont déjà parents. Certes, encore, ceux qui sont en emploi peuvent toucher les allocations logement et la prime d’activité, et 100 000 jeunes en difficulté bénéficient de la garantie jeunes (497 euros par mois), versée dans le cadre d’un accompagnement vers l’emploi.

« Les divers dispositifs forment un mille-feuille peu efficace »

Mais cela reste peu au regard des 963 000 personnes de 16 à 25 ans ni en études, ni en emploi, ni en formation recensées en France (les « NEET » en anglais, « not in education, employment or training »), et à qui la garantie jeunes est destinée. « Les divers dispositifs français forment un mille-feuille peu efficace, et la crise rappelle avec brutalité que des milliers de jeunes n’y ont pas droit », explique Elise Huillery, professeure à Paris-Dauphine et membre du Comité d’évaluation de la stratégie nationale contre la pauvreté. Elle rappelle que la garantie jeunes ne dure que douze à dix-huit mois, que seul un tiers des étudiants touchent une bourse de 60 à 500 euros par mois, et que le salaire moyen des moins de 25 ans qui travaillent est de 7 500 euros par an. « Ce sont littéralement des travailleurs pauvres. »

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Sur les réseaux sociaux ou au pied des immeubles, repérer et accompagner les jeunes « invisibles »

On les appelle les « invisibles ». Ou les NEET, comme Not in Education, Employment or Training, selon la définition d’Eurostat. Il y a deux ans, en France, on recensait 963 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans qui n’étaient ni en études, ni en emploi, ni en formation. Un chiffre en baisse depuis quelques années – ils étaient 1 025 000 en 2015 – mais la crise sanitaire risque de regonfler ces statistiques d’autant qu’il n’y a pas de profil type au sein de cette jeunesse difficile à identifier. Mais plutôt « des réalités très diverses allant de l’extrême précarité à des situations de transition ponctuelle, voire de vacances », explique Quentin Francou, auteur d’une étude sur les NEET pour l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep).

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Depuis 2015, dans les Hauts-de-France, un appel à projets à été lancé, avec le soutien de fonds européens, pour repérer et accompagner ces jeunes. Comme d’autres structures d’insertion, le centre de formation d’apprentis régional Jean-Bosco a répondu présent. « On a créé un dispositif à partir d’une page blanche, explique Jean-François Desbonnet, directeur de l’établissement basé à Villeneuve-d’Ascq. Le plus dur, c’était de les trouver car, souvent, ils se recroquevillent sur eux-mêmes et le groupe leur fait peur. » En 2020, 217 jeunes sont entrés dans ce dispositif. Parmi eux, 69 ont signé un contrat d’apprentissage, dix un CDD, trois un CDI et une vingtaine ont repris le chemin de l’école ou d’une formation.

Bouche-à-oreille et réseaux sociaux

En plus du bouche-à-oreille, les associations de quartier, les missions locales, les établissements scolaires et les associations sportives aident à repérer ces jeunes. Chez Essteam, un groupement d’associations solidaires, le dispositif financé par les fonds européens et régionaux a permis la création d’un poste d’« animateur de captation ». Sa mission ? Aller dans les quartiers prioritaires, au pied des immeubles, dans les lieux culturels ou même dans les kebabs, pour donner envie aux jeunes de reprendre une activité.

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« Il y a eu une période de creux lors du premier confinement », note Julien Dubois, directeur du développement d’Essteam, basé à Tourcoing. Environ 150 jeunes ont été accompagnés en 2020 contre 192 en 2019. La faute à la crise sanitaire. « Il ne faut pas attendre qu’ils franchissent le pas de la porte, surtout en ce moment. C’est pourquoi on s’est tournés vers les réseaux sociaux pour entrer en contact avec eux. » Une community manager a fait appel à des influenceurs, dont deux rappeurs locaux, pour promouvoir les aides proposées par Essteam sur Snapchat, Instagram et Facebook.

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« Total veut faire l’emploi sans l’écologie, nous, on veut faire les deux » : la CGT et les défenseurs de l’environnement unis pour la raffinerie de Grandpuits

Employés de la raffinerie Total de Grandpuits (Seine-et-Marne), devant le siège du groupe à La Défense, le 9 février 2021.

« Que des raffineurs et des écolos manifestent ensemble ne va pas de soi, mais on voit bien qu’on a besoin d’être là ensemble contre ce projet. » Dans le froid de février, au pied de l’une des tours Total de la Défense (Hauts-de-Seine), le directeur général de Greenpeace France, Jean-François Julliard, sait bien ce que sa présence a d’incongru. A ses côtés, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, est lui aussi venu apporter, mardi 9 février, son soutien aux salariés de la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne), en grève depuis début janvier contre le plan de transformation porté par Total. Présentes aussi l’ancienne ministre écologiste Cécile Duflot, désormais patronne de l’ONG Oxfam France, et la députée LFI Clémentine Autain. Un attelage rouge-vert qui détonne, aux côtés de syndicalistes de l’industrie chimique qui ont appris à découvrir ces nouveaux alliés.

Le groupe Total a décidé en septembre de fermer sa raffinerie de Grandpuits pour la transformer en « plate-forme zéro pétrole ». Au passage, le géant français des hydrocarbures prévoit de réduire sérieusement la voilure, en passant de 400 à 250 salariés dans l’effectif – sans compter les sous-traitants.

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L’ambition de Total est d’installer sur le site une unité de production d’agrocarburants destinés à l’aviation et une usine de production de bioplastique. A l’origine de cette reconversion, un problème de sécurité sur le pipeline qui dessert la raffinerie. Total estime que sa réparation est trop coûteuse, et privilégie l’option d’une transformation du site, pour un peu plus de 500 millions d’euros. La nouvelle unité est prévue pour fonctionner en 2023.

Dernier round

La CGT, majoritaire sur le site, conteste tant le coût social de la transition de l’usine que l’argument écologique de la direction. « Les salariés sont conscients de la nécessité de sortir des hydrocarbures », assure Adrien Cornet, délégué syndical CGT de Grandpuits. « Mais Total fait preuve d’un cynisme sans nom en se servant d’arguments faussement écologiques pour détruire l’emploi, sans que cela ne profite au climat. » Depuis début janvier, les raffineurs bloquent les opérations de dégazage qui doivent mettre la raffinerie totalement à l’arrêt. Mardi, un dernier round de discussions entre les syndicats et la direction se tenait pour connaître les conditions du plan social.

« Il n’y a aucun licenciement, aucune mutation forcée. Je ne nie pas l’impact individuel, mais il y aura un accompagnement pour chaque salarié », déclare au Monde Jean-Marc Durand, le directeur du site, qui explique que pour calibrer les besoins humains, Total s’est inspiré d’autres usines similaires, notamment en Thaïlande et en Espagne. « On propose un projet industriel et ensuite on regarde quels sont les besoins. On ne fait pas les choses à l’envers. »

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Les entreprises confrontées au défi de la remotivation des salariés

Chaque jour, à 17 heures, Coline, cadre dans l’industrie, quitte son entreprise et entame une course contre la montre : les transports en commun, quelques courses avant la fermeture de 18 heures, le retour à son domicile. « Et l’histoire se répète perpétuellement depuis la mise en place du couvre-feu », soupire-t-elle. Un rythme qu’elle juge épuisant et qui ronge progressivement sa motivation à aller au bureau. Cyril, pour sa part, télétravaille dans son salon. Il est attaché au service financier d’une grande entreprise. S’il évite les affres du couvre-feu, il concède s’interroger, depuis quelques semaines, sur ses missions : « J’ai du mal à trouver du sens à mon métier tous les jours. »

La crise due au Covid-19 et ses conséquences rythment depuis près d’un an le quotidien des salariés. Et comme Coline et Cyril, nombre d’entre eux témoignent d’une difficulté croissante à s’impliquer pleinement dans leurs tâches professionnelles. Le constat est confirmé par un baromètre OpinionWay réalisé fin octobre 2020 pour le cabinet Empreinte humaine : 42 % des salariés interrogés expliquent que leur travail leur plaît moins qu’auparavant, 35 % que la crise leur a fait comprendre qu’il n’a pas de sens pour eux et 49 % indiquent rester dans leur entreprise faute de trouver mieux.

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Des salariés en quête de sens ? « C’était déjà le cas avant la crise, note Jérôme Chemin, secrétaire général adjoint CFDT Cadres. Mais le télétravail a agi comme un miroir grossissant. » De fait, le travail à la maison doublé du contexte de crise sanitaire exceptionnel ont amené nombre d’entre eux à s’interroger sur l’intérêt de leurs missions et leur propre utilité sociale.

Causes multiples

Dans le même temps, l’isolement des télétravailleurs a rendu plus complexes les interactions au sein de l’entreprise avec collègues et manageurs. Conséquence : les salariés ont eu plus de difficultés à « se sentir reconnus pour les efforts fournis, estime le sociologue Marc Loriol, chercheur au CNRS. Lorsqu’on est privé de socialisation, il est plus dur de ressentir que ce que l’on fait est utile, intéressant et d’en être fier ».

Cette perte de motivation d’une partie des équipes met aujourd’hui les entreprises au défi. Avec une première difficulté : elle n’est pas toujours facile à repérer. Des manageurs parviennent, certes, à détecter des baisses d’implication, voire la présence de « décrocheurs » qui ne donnent plus de nouvelles. Mais « à distance, il est plus compliqué de détecter les signaux faibles, résume Christophe Nguyen, président du cabinet Empreinte humaine. En outre, de nombreux salariés cachent leurs problèmes ».

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Drame de Valence: pas de « prête-nom » pour le DRH

Carnet de bureau. Au départ, il y a un profil Viadeo présentant en tête des compétences d ’ une DRH : « Prête-nom devant le tribunal des prud’hommes pour protéger le DRH ». La page est celle d’Estelle Luce, 39 ans, assassinée le 26 janvier à Wolfgantzen (Haut-Rhin) sur le parking de son entreprise, probablement par le meurtrier du drame de Valence, selon les premiers éléments de l’enquête pénale. Et ce drame a braqué les projecteurs sur ce type de pratique.

Les entreprises enverraient donc des hommes ou des femmes de paille au tribunal pour endosser le rôle du « méchant » ? Autant le dire tout de suite, ce profil Viadeo se révélera être un « fake » qui circule depuis la campagne Twitter #balance ton DRH.

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Si la fonction de « prête-nom » se retrouve dans l’article 1201 du code civil, qui définit la possibilité de déléguer par contrat l’exécution d’un accord occulte, elle n’a pas sa place dans le code du travail, et encore moins dans la résolution de conflit aux prud’hommes.

La délégation de pouvoirs existe, certes, en entreprise pour décharger une fonction, une mission, ou certaines tâches. Le chef d’entreprise peut, par écrit, permettre à une personne qui en a les compétences et les moyens, de représenter la société en son nom. Dans les entreprises qui comptent plusieurs établissements, l’employeur peut difficilement être partout. Cette personne doit avoir un lien de subordination avec le dirigeant. La clause de délégation implique la responsabilité juridique de celui qui la signe et peut s’accompagner d’une hausse de salaire.

« Trois types de délégations »

« Mais c’est seulement pour la représenter au pénal, que l’entreprise délègue sa responsabilité à un tiers. Dans une action au pénal, il faut toujours une personne physique pour représenter l’entreprise. Dans le cas d’un accident du travail, le délégataire est généralement le directeur ou la directrice des ressources humaines. Il y a trois types de délégations : financières, en matière d’hygiène et de sécurité, et commerciales concernant par exemple les pratiques concurrentielles », explique Aymeric Hamon, avocat associé en droit du travail du cabinet Fidal. C’est sans doute par amalgame avec cette possible délégation de pouvoirs que les créateurs du faux profil Viadeo ont inventé – sous une appellation erronée en droit – la compétence de « prête-nom devant le tribunal des prud’hommes pour protéger le DRH ».

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Aux prud’hommes, où sont traités les licenciements et les litiges individuels notamment dans le cadre des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), « que le DRH soit là ou pas, ça n’a pas d’importance, puisque c’est l’entreprise qui peut être condamnée », souligne Me Hamon. « La procédure est orale, un représentant de l’entreprise, DRH ou salarié dûment mandaté, peut éventuellement être présent pour parler à l’audience, mais la décision concerne l’entreprise », décrit Yan-Eric Logeais, avocat en droit du travail du cabinet Gide. Aux prud’hommes, le représentant de l’entreprise est souvent un avocat.

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