Archive dans décembre 2021

Le passe sanitaire en entreprise fait débat

Le gouvernement sait désormais à quoi s’en tenir : ni les syndicats ni le patronat ne sont favorables à la généralisation du passe sanitaire dans les entreprises. Envisagée pour contenir la nouvelle flambée de l’épidémie de Covid-19, cette hypothèse a été mise sur la table, lundi 20 décembre, lors d’une réunion en visioconférence entre les partenaires sociaux et Elisabeth Borne. La ministre du travail a indiqué, à l’issue de ce temps d’échange, que « rien n’[était] acté », les consultations devant se poursuivre avec les organisations de fonctionnaires et les forces politiques représentées au Parlement.

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A l’heure actuelle, quelque deux à trois millions de salariés, en contact avec le public, sont tenus de fournir un justificatif sur leur état de santé pour pouvoir travailler (certificat de vaccination ou test virologique négatif ou attestation de guérison s’ils ont contracté le coronavirus). Mais avec l’emballement des contaminations, qui risque de s’amplifier avec la diffusion du variant Omicron, l’exécutif se demande, depuis plusieurs jours, s’il ne faut pas étendre cette obligation à l’ensemble du monde du travail. Il s’agit d’une « question légitime », comme l’a expliqué, samedi 18 décembre sur France Inter, Olivier Véran, en faisant référence à certains Etats européens, dont l’Allemagne, qui ont pris des dispositions allant dans ce sens. « On ne peut pas empêcher les gens de travailler s’ils ne sont pas vaccinés, mais on peut exiger d’eux qu’ils passent un test, par exemple », a ajouté le ministre de la santé.

Les syndicats ne sont guère séduits. « Nous ne sommes pas du tout persuadés que ce soit la bonne solution, confie Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT. C’est un foyer potentiel de conflits dans les entreprises dont nous n’avons pas besoin dans la période. » « Nous sommes très réservés », renchérit Cyril Chabanier, le président de la CFTC, en énumérant les « difficultés » que la mesure engendrerait si elle était appliquée : « Qui va contrôler ? A quelle fréquence ? Quelles seront les sanctions en cas de non-respect des textes ? Ce sera un casse-tête. »

« Inutile et contre-productif »

Secrétaire confédéral de Force ouvrière, Michel Beaugas est encore plus direct : « Nous sommes opposés, dit-il. Ça va tendre les relations de travail. » Catherine Perret, la numéro deux de la CGT, explique, elle aussi, que sa confédération est contre : « C’est inopérant, inefficace », considère-t-elle, y voyant surtout une « usine à gaz » qui sera « source d’inquiétude pour les salariés ». Quant à François Hommeril, le leader de la CFE-CGC, il trouve qu’un passe sanitaire imposé à tous, sur le lieu de travail, serait « inutile et contre-productif » : « Il viendrait solliciter les entreprises sur une problématique qui ne relève pas de leur rôle. »

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« Pour nous, ce sont les cent derniers mètres » : chez Whirlpool Amiens, cinq ans après, une friche, trois ouvriers et un DRH

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Publié aujourd’hui à 10h32, mis à jour à 10h35

Lundi, filet de poulet au comté et au bacon. Mardi, crépinette de porc aux herbes. Mercredi, assiette barbecue. Le menu de la semaine est là, punaisé devant la cantine. Ce vendredi 17 décembre, les rangées de tables et de chaises en bois n’ont pas bougé, on dirait que le service vient de s’achever. Mais l’air est glacé, le chauffage ne fonctionne plus ni la lumière. Cela fait longtemps que plus personne ne vient déjeuner. Les centaines d’ouvriers qui fabriquaient des sèche-linge « made in France », sur ce site du nord-ouest d’Amiens, pour le groupe américain Whirlpool, ont tous quitté les lieux, à mesure que les repreneurs ont fait faillite, les uns après les autres.

Un hangar vide de l’ancienne usine Whirlpool d’Amiens, le 17 décembre 2021.

Ici, le temps s’est arrêté. Dans les bureaux abandonnés, des graphiques dessinés au feutre sur un tableau racontent une histoire d’informatique, vestige possible d’une réunion avec des consultants de passage. Les portes vitrées de l’entrée sont bloquées en position entrouverte, laissant entrer le froid humide de l’hiver. Le carrelage du hall est en piteux état. Tout autour, des herbes envahissent et font craquer les chemins en pierre, au milieu desquels fuit parfois un chat ou un oiseau. Le parking est vide et silencieux. Celui-là même où s’est joué le second tour de l’élection présidentielle de 2017, a-t-on dit, lorsque Marine Le Pen et Emmanuel Macron s’y sont affrontés par caméras interposées, peu après que Whirlpool a annoncé délocaliser toute l’activité en Pologne.

Dans l’ancienne usine Whirlpool d’Amiens, le 17 décembre 2021.

Un tableau de fin du monde

Dans ce tableau de fin du monde, un bureau est allumé. Un seul, au premier étage. Une tache de lumière dans ce site de 17 hectares battu par les vents, où travaillaient près de 1 500 ouvriers il y a vingt ans. C’est le local où se retrouvent, chaque jour, les trois derniers salariés de Whirlpool, dans une odeur de café réchauffé. Trois délégués syndicaux, qui cohabitent avec un responsable des ressources humaines, à l’étage inférieur, chargé, depuis 2016, de fermer le site. Lui aussi, tout seul. Comme les trois élus, sa présence est obligatoire pour organiser le reclassement des derniers ouvriers. Il partira d’ici à quelques semaines. Ce jour-là, son bureau avec vue sur la friche est éteint. « Il vit à Paris », assure François Gorlia, délégué CGT, qui a grandi sur le site, son père en était le gardien. « Toi, ta maison, c’est ici, tu ne partiras jamais », lui dit en le taquinant Frédéric Chantrelle, son collègue de la CFDT.

Frédéric Chantrelle et François Gloria, dans l’ancienne usine Whirlpool d’Amiens, le 17 décembre 2021.

Depuis que leur licenciement économique a été annulé par le tribunal administratif, en mars, les trois élus ont dû être réintégrés dans l’entreprise, qui n’a pourtant plus aucune activité à Amiens. Derniers rescapés de la tempête, ils continuent à venir quotidiennement sur ce site totalement déserté. La métropole d’Amiens, qui en a récupéré l’essentiel, les y a autorisés.

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Travailleurs sans papiers : une enquête vise une entreprise de collecte de déchets

Ils payaient pour travailler. Un mois et demi après le mouvement de grève de quelque 200 travailleurs sans papiers lancé par la CGT dans une dizaine d’entreprises d’Ile-de-France, une enquête pour « emploi d’étrangers en situation irrégulière » est en cours. Cette procédure vise l’entreprise de collecte des déchets Sepur et est conduite par l’inspection du travail, sous la supervision du parquet de Versailles. « Des contrôles de l’inspection du travail ont mis en évidence plusieurs infractions sur l’emploi d’étrangers sans titre, confirme le ministère de l’intérieur. Il y a des conditions de travail qui frisent l’exploitation. Il y aura des conséquences pour les employeurs, des sanctions administratives, des poursuites judiciaires. »

Du 25 octobre au 17 novembre, 59 éboueurs sans papiers, embauchés par le biais des sociétés d’intérim Mistertemp’et Drop Intérim, s’étaient mis en grève pour réclamer leur régularisation.

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En parallèle de l’enquête en cours, au moins huit éboueurs sans papiers, maliens et mauritaniens, ont déposé plainte fin octobre et début novembre pour « extorsion ». D’après les procès-verbaux d’auditions que Le Monde a consultés, la plupart d’entre eux accusent deux chefs d’équipe du dépôt Sepur de Villejust (Essonne) de leur avoir soutiré de l’argent, en échange de quoi ils pouvaient travailler malgré leur situation administrative. Certains travaillaient à temps plein comme « ripeurs » depuis 2019, dans les Hauts-de-Seine, l’Essonne, en Seine-et-Marne, en Seine-Saint-Denis ou encore dans le Val-d’Oise.

« Racketté » par ses supérieurs

Ainsi, Ousmane, un éboueur mauritanien sans papiers, explique dans son audition qu’à partir de décembre 2020 il devait donner « 100 euros par mois » à ces deux chefs. « Si je ne les payais pas, ils ne m’appelaient plus », assure-t-il. Pour pouvoir être déclarés en dépit de leur situation irrégulière, la plupart des plaignants recouraient à des « alias », procédé courant qui consiste à travailler en utilisant les documents d’identité d’une autre personne, en situation régulière, à l’insu ou avec la complicité de l’employeur.

« [Mes supérieurs] m’ont dit de payer 200 euros chaque mois sinon ils mettaient fin à mon contrat », raconte Moussa.

Certains ont aussi eu recours à des faux documents d’identité, à l’instar de Moussa, qui rapporte avoir été « racketté » par ses supérieurs à partir du mois de janvier : « Au début, quand j’ai commencé à travailler avec eux, je leur ai remis une fausse carte nationale d’identité française. Ils se sont aperçus que c’était un faux document, et à partir de ce moment-là ils ont commencé à me faire du chantage en me disant de payer 200 euros chaque mois sinon ils mettaient fin à mon contrat. »

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A l’approche de la présidentielle, l’exécutif renforce sa vigilance sur les restructurations industrielles

Le site de l’ancienne usine Whirlpool d'Amiens, le 17 décembre 2021.

Emmanuel Macron avait prévenu qu’il ne « monterait pas sur un camion ». En pleine campagne pour l’élection présidentielle de 2017, face aux salariés de Whirlpool qui venaient d’apprendre la délocalisation en Pologne de l’usine d’Amiens, il avait préféré ne pas imiter son prédécesseur François Hollande qui, cinq ans plus tôt, avait harangué les ouvriers des hauts-fourneaux de Florange (Moselle), nourrissant des espoirs de sauvetage qu’il n’avait même pas formulés.

Flairant le piège, le candidat Emmanuel Macron avait évité une mise en scène trop spectaculaire. « Je ne suis pas en train de dire que je vais sauver vos emplois, avait-il expliqué aux ouvriers qui fabriquaient des sèche-linge. Mais je serai là pour protéger vos intérêts dans ce plan social. »

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Cinq ans plus tard, le chef de l’Etat se veut toujours aussi réaliste. Mais son gouvernement surveille quand même de près les sites industriels en difficulté. Pas question que la campagne soit polluée par un nouveau Whirlpool ou un nouveau Florange. « Dès qu’il y a un site qui est menacé de fermeture, nous nous battons pour essayer de trouver un repreneur, nous faisons à chaque fois le maximum », a insisté le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, sur Franceinfo, le 24 novembre, alors que la liquidation de la SAM, un sous-traitant de Renault, venait d’être annoncée.

Le gouvernement sait combien la fermeture d’un site industriel ou une délocalisation peuvent coûter cher politiquement. « Un dossier de restructuration mal géré, ça entache une campagne, décrypte Brice Teinturier, directeur général délégué de l’institut Ipsos. On a vu avec François Hollande combien c’était difficile, il avait défendu le site de Florange, sauvé des emplois, mais n’en a pas eu le crédit. »

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En témoigne la mobilisation autour de l’aciérie Ascoval (Nord), dont la menace de délocalisation partielle a été stoppée net par les pouvoirs publics en novembre. L’opération, saluée comme une démonstration de la détermination de Bercy à défendre les usines françaises, s’est faite au prix de contreparties – il est question d’une baisse des tarifs de l’électricité par EDF et, en aval, d’une hausse des prix des rails, fabriqués avec l’acier d’Ascoval et vendus à la SNCF, tandis que la région aurait effacé une partie de la dette de l’entreprise.

Un énième sauvetage pour cette entreprise, devenu un beau symbole : l’usine, dont les carnets de commandes sont pleins pour le premier trimestre 2022, a embauché trente personnes en septembre, passant à 300 salariés. « Ça n’était pas arrivé depuis des années », rappelle Nicolas Lethellier, délégué CGT et secrétaire du comité social et économique, qui savoure ces bonnes nouvelles après des années d’instabilité industrielle depuis 2015, et la mise en vente du site par Vallourec.

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Covid-19 : négociations entre le gouvernement et les partenaires sociaux sur un passe vaccinal en entreprises

Le passe sanitaire va-t-il être généralisé aux salariés dans toutes les entreprises ? C’est le menu des discussions, lundi 20 décembre, entre la ministre du travail, Elisabeth Borne, les syndicats et le patronat, alors que la France est plongée dans une cinquième vague épidémique due au Covid-19. Les discussions commencent alors que le gouvernement espère une adoption de la loi transformant le passe sanitaire en passe vaccinal par le Parlement d’ici fin janvier pour une entrée en vigueur « dans la foulée », a fait savoir dimanche le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal.

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La question du passe dans les entreprises n’est ainsi pas encore tranchée. « Les représentants du patronat et des salariés et les syndicats pourront faire état de leurs propositions, de leurs doutes, de leurs critiques auprès du gouvernement puisque dès demain il y a des concertations » avec Mme Borne, a ainsi expliqué M. Attal. « Il y a ensuite une hypothèse, une possibilité, d’extension du passe à d’autres lieux de travail mais ce n’est pas aujourd’hui dans notre scenario de travail », a-t-il dit en rappelant la « discussion parlementaire » à venir.

Mais cette idée d’un passe sanitaire étendu à l’ensemble des entreprises suscite de fortes réticences chez les partenaires sociaux. Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, a ainsi fustigé lundi matin une mesure « absurde et totalement inefficace ». « Nous y sommes opposés parce que ça correspond à une obligation vaccinale. Nous préférons (…) renforcer les gestes barrière, inciter plus à la vaccination plutôt que l’instauration de ce passe », a-t-il insisté sur Franceinfo. « Mieux vaut convaincre et inciter que contraindre », a également déclaré à l’Agence France-Presse Michel Beaugas, de Force ouvrière (FO), tandis que Cyril Chabanier (CFTC) s’est dit « assez réservé » sur cette mesure.

« Il ne faut pas que ce soit punitif »

En revanche, le patronat se montre plutôt enclin à cette généralisation. La Confédération des petites et moyennes entreprises est ainsi « plutôt favorable au passe sanitaire dans la mesure où ça permet d’éviter un confinement, ce qui est le pire du pire. Après, il y a des questions pratiques qui peuvent poser problème ». Pour l’Union des entreprises de proximité, « il faut mettre la priorité sur la continuité de l’activité. Donc si ça doit passer par un passe, pourquoi pas. Mais il ne faut pas que ce soit punitif », souligne l’organisation patronale en allusion à la pénalité de 45 000 euros pour non-vérification de passe actuellement en vigueur.

Les candidats à l’élection présidentielle commencent également à se positionner sur le sujet. Yannick Jadot s’est notamment dit opposé à un tel élargissement. « J’entends tous les responsables des entreprises dire “ça va être la galère de mettre ça en place, donc je n’y suis pas favorable », a-t-il fait savoir lundi matin sur BFM-TV et RMC. Autre candidat, l’ex-PS Arnaud Montebourg a, lui, plaidé pour l’ouverture de négociations. « Cette question doit être posée avec les partenaires sociaux : est-ce qu’elle est praticable (…) ? Les entreprises ont-elles les moyens de le faire ? », a-t-il demandé sur LCI, en relevant qu’elle existe déjà pour un certain nombre de professions au contact du public.

Le Monde avec AFP

L’argot de bureau : l’infinie famille des « chief officers »

Jean-Patrick, cadre souvent missionné sur le management des risques, peut parader ce matin : il vient d’être auréolé du titre de « chief Covid officer ». Bon, son salaire et ses perspectives d’évolution ne bougent pas d’un iota, mais son sens du devoir n’en sera que plus grand lorsqu’il devra gérer le bal des cas contacts tout en sécurisant les affaires de la boîte.

C’est d’ailleurs Martine, la chief human resources officer (CHRO, à lire si-ètch-èr-o, car se faire appeler « l’accro » n’augure rien de bon), qui a décidé cette révolution des titres. Soucieuse du bonheur des salariés comme Jean-Patrick, elle vient de recruter le champion des métiers saugrenus : Gaétan, un chief happiness officer (CHO) qui viendra donner le sourire à des gens qui ne l’avaient pas forcément demandé, à grand renfort d’ateliers bien-être et de thé au jasmin.

La dénomination « chief officer » a envahi le monde du travail, en France comme ailleurs. A l’origine, un chief officer est un chef d’équipe, mais le terme connote plus précisément une fonction managériale. Les précurseurs sont les CEO (exécutif), qui peut désigner en France le DG ou PDG, ses bras droits les CFO (financier) et CTO (technique), encore secondés par les CMO (marketing) ou CPO (produits). L’alphabet entier y passe, et les innovations peuvent aller loin : découvrez par exemple le chief evangelist officer, un formateur chargé de prêcher la bonne parole managériale comme un nouveau culte.

Influence des entreprises américaines

Quant au chief happiness officer, ainsi chargé de veiller aux conditions de travail des salariés en remettant l’humain au centre, on attribue sa genèse à Chade-Meng Tan, ingénieur américain chez Google. Ce dernier a abandonné son métier pour devenir « jolly good fellow », un bon camarade au service de ses amis.

Au fil des années 2000, le CHO a essaimé dans la Silicon Valley. Son arrivée en France il y a quelques années fait débat, alors même que de nombreux « chefs du bonheur » sont recrutés en… stage. Philosophes ou sociologues voient dans cette préoccupation pour le bonheur l’arbre qui cache la forêt du malaise et de l’hyperproductivisme en entreprise. « Il y a une dérive nominaliste sur l’injonction au bonheur des salariés, note par exemple la philosophe Julia de Funès. Or, la plupart des gens sont heureux parce qu’ils accomplissent quelque chose, pas parce qu’ils travaillent de manière fun et cool. »

Plus largement, cette « chiefofficerisation » des titres de fonction managériale témoigne de l’influence des entreprises américaines. Leur usage est bien sûr justifié lorsque des multinationales recrutent dans plusieurs pays : elles ont tout intérêt à garder leurs titres maison, pour uniformiser leur management.

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« Nerveusement, c’est très dur » : dans l’Indre, les ouvriers de la fonderie Alvance Wheels attendent un repreneur avant Noël

L'entreprise Alvance Wheels de Diors, dans l’Indre (ici le 30 avril 2021), est le dernier fabriquant de jantes en aluminium en France.

De la charcuterie, des cigarettes et du café bien serré sont alignés sur une table de camping dressée entre deux fourgons blancs. Ce jeudi 9 décembre, ceux qui débauchent et rejoignent le parking y font halte. « On fête Noël avant l’heure, car, demain, personne ne sera là, on va démarrer une nouvelle période de chômage partiel », dit l’un des 287 ouvriers (les personnes citées dont le nom n’apparaît pas ont souhaité garder l’anonymat) de l’unique usine de jantes en aluminium de France, installée à Diors (Indre), sur le site d’une ancienne base militaire américaine, au cœur de la Champagne berrichonne.

Depuis avril, Alvance Wheels – ex-Liberty Wheels, ex-F2R, et ex-Montupet – est de nouveau en redressement judiciaire. L’événement intervient après la faillite, en mars, de la banque britannique Greensill, partenaire du groupe de Sanjeev Gupta, GFG Alliance, auquel appartient Alvance Wheels.

Deux lettres d’intention de repreneurs potentiels avaient été adressées au tribunal de commerce de Paris, en juin : « Mais soit le projet n’était pas financé, soit le repreneur était extérieur au milieu automobile. Bref, tout pour se casser la gueule. On avait plus peur pour eux que pour nous », se rappelle un vétéran de la fonderie. Puis un candidat plus crédible, soutenu par Bercy, s’est manifesté : l’équipementier français Saint-Jean Industries, aux 1 900 salariés et huit sites de production répartis à travers le monde.

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« A une époque, Saint-Jean a eu dans son giron la Fonderie du Poitou Fonte [fermée cet été], qui, à l’origine, appartenait à Renault. Les deux ont toujours travaillé ensemble depuis ! C’est plutôt bon signe », assure Christophe Bouvet, délégué CFDT de l’entreprise et opérateur d’usinage depuis vingt et un ans.

En cas de reprise par Saint-Jean, le constructeur historique promet d’être au rendez-vous : « Renault s’engage à consulter la nouvelle société (…), lui permettant ainsi d’accéder à un volume de production pouvant atteindre 500 000 roues annuelles au bénéfice de Renault », disait un communiqué datant du 23 novembre. Lequel indiquait, plus loin, renoncer à soutenir le projet de reprise d’un autre sous-traitant, la Société aveyronnaise de métallurgie de Decazeville, à Viviez (Aveyron), qui a, depuis, été liquidée…

« Cet effort doit beaucoup à la dignité des salariés »

Le 19 novembre, la région Centre s’est engagée à débloquer 5 millions d’euros pour soutenir la reprise d’Alvance Wheels : 3 millions sous la forme d’un prêt, 2 millions directement injectés dans la trésorerie. L’agglomération Châteauroux Métropole abondera à hauteur de 150 000 euros. « Cet effort doit beaucoup à la dignité des salariés », estime Gil Avérous, son président, et par ailleurs maire LR de Châteauroux. « Ces derniers mois, tous les élus, les représentants des collectivités publiques ont pu faire des visites sur place et prendre la parole librement. Il n’y a eu aucune tension et même aucune menace d’abîmer l’outil de travail. Ce n’est pas la mentalité des gens de chez nous. On voulait vraiment que les repreneurs potentiels comprennent que les salariés n’étaient pas des ennemis ou des opposants, bien au contraire. »

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Capitalisme : « Mettre l’intérêt général au centre du monde des affaires »

Tribune. Le capitalisme est sur le banc des accusés. La liste des griefs n’est pas nouvelle. Les actionnaires accaparent une part trop importante de la valeur créée par les entreprises. Les salariés bénéficient insuffisamment de cette valeur. Les entreprises ont un impact fort sur l’environnement et ne s’engagent pas assez pour le protéger…

Ces critiques, il faut le dire, ont joué un rôle d’aiguillon. Mais elles comportent un biais. Elles utilisent souvent une approche de type « jeu à somme nulle » qui présuppose que la richesse créée par les entreprises est finie. Plus la part accaparée par les actionnaires est élevée, plus celle des autres parties prenantes sera réduite à la portion congrue.

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Dans l’approche « jeu à somme nulle », les intérêts entre les différentes parties prenantes ne peuvent pas être réconciliés. Pour accroître la part des autres parties prenantes, il faut impérativement réduire celle des actionnaires. Mais il existe une autre approche du capitalisme (Grow the Pie, Alex Edmans, Cambridge University Press, 2020).

Le principe d’obliquité

Elle part du postulat que la valeur créée par les entreprises n’est pas finie. Plus une entreprise crée de valeur, plus l’ensemble des parties prenantes finira par en bénéficier. La véritable question n’est donc pas : comment mieux répartir la valeur créée par les entreprises ? Ce serait plutôt : comment accroître la création de valeur par les entreprises ?

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Paradoxalement, le meilleur moyen de créer de la valeur est de viser… un autre objectif. C’est le principe d’obliquité (Obliquity, John Kay, Profile Books, 2011). Ce principe suggère qu’on est plus susceptible d’atteindre un objectif lorsqu’on ne le vise pas directement. Il est très général. Il explique notamment que les gens les plus heureux ne sont pas ceux qui cherchent le bonheur à tout prix.

Dans le monde des affaires, il implique que les entreprises qui créent le plus de valeur pour leurs actionnaires sont celles qui donnent la priorité à d’autres parties prenantes.

La valeur pour l’actionnaire

L’exemple de Boeing est bien connu. Bill Allen a été PDG de Boeing jusqu’à la fin des années 1970. La raison d’être de Boeing était alors de « manger, respirer et dormir pour l’aéronautique ». Lorsqu’un membre non exécutif du conseil d’administration lui a demandé quel retour sur investissement, en anglais return on investment (ROI), le 747 était censé générer, Bill Allen lui aurait répondu que le calcul avait été fait… mais que personne ne se souvenait du résultat !

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