Un manifeste pour un changement de modèle économique
Livre. A l’origine ce devait être une simple tribune signée par Julie Battilana, Isabelle Ferreras et Dominique Méda (respectivement chercheuses à Harvard, Louvain et Paris-Dauphine) dans les pages opinions du Monde, sur le thème du « jour d’après » souhaitable à l’issue du (premier) confinement… La tribune s’est transformée en manifeste signé par plus de 3 000 scientifiques dans le monde et publié dans 43 journaux de cinq continents, les 16 et 17 mai. Et désormais en livre, où il est complété par douze textes.
La plupart développent les thèses du manifeste : nous devons changer de modèle économique pour échapper aux catastrophes environnementales, sociales et finalement politiques avec l’avènement de régimes autoritaires, auxquelles mène inévitablement le processus actuel d’extraction de la richesse, de maximisation des profits et de concentration des revenus.
Mais plutôt qu’un horizon social-démocrate de redistribution par l’impôt et l’Etat, les autrices proposent de prendre le mal à la racine en « démocratisant » l’entreprise. Les « apporteurs en travail » doivent participer à égalité avec les « apporteurs en capital » à toutes les décisions : choix de production, stratégie, investissements, nomination des dirigeants, partage des profits…
Ce principe de codécision – à l’œuvre dans les pays du nord de l’Europe ou les entreprises de l’économie sociale, et étendu aux travailleurs tout au long de la chaîne de valeur des firmes multinationales dans les pays du Sud comme l’explique la chercheuse indienne Neera Chandhoke – permettra de réduire les inégalités de revenus et les tensions sociales fatales aux démocraties.
La création d’une « garantie d’emploi »
Pour cela, il faut inverser le rapport des forces entre capital et travail, en ne considérant plus ce dernier comme une ressource que se procurent les entreprises sur le « marché ». Cette « démarchandisation » passe par la création, proposée par la chercheuse américaine Pavlina Tcherneva, d’une « garantie d’emploi », c’est-à-dire d’appliquer effectivement le droit « au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes » et au bénéfice d’une « rémunération équitable et suffisante » assurant « une existence conforme à la dignité humaine » (article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme).
C’est à la puissance publique d’assurer l’effectivité de ce droit, en créant les emplois répondant aux besoins sociaux – éducation, santé, culture, écologie, bien-être – que ne peuvent satisfaire les « règles du marché ».
Il vous reste 24.98% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.