« Travailler aux chantiers » : les ressorts d’une culture professionnelle
Le chantier ? Un « rêve de sociologue », assure l’universitaire François Vatin. « Contrairement aux activités de bureau masquées derrière l’écran, le travail de chantier se donne en spectacle », confirme Gwenaële Rot, professeure des universités à Sciences Po. Afin de percer ses singularités et ce qu’elles impliquent pour ses acteurs, un collectif de chercheurs a mené l’enquête, au plus près du terrain. Dans les entrailles du métro parisien, au cœur de forêts vosgiennes ou aux côtés de scaphandriers des travaux publics, ils ont suivi le quotidien de ces travailleurs. Des études de cas restituées dans Travailler aux chantiers (Hermann), un ouvrage richement illustré dirigé par la sociologue Gwenaële Rot.
C’est un univers professionnel atypique, assurent les auteurs, par son caractère éphémère, par l’importance de l’apprentissage sur le tas et par la part donnée à l’improvisation (« la décision s’opère souvent dans l’action »). Ses acteurs en ont pleinement conscience. Certains s’en félicitent, saluant un quotidien fait de débrouille et d’adaptation permanente, jugé bien plus varié que celui de l’usine. « C’est pas toujours la même chose. J’aimerais pas travailler dans une fabrique où tu mets toujours la même vis. Alors là, moi, ça me plaît, faut bricoler », explique Augusto, moniteur sur le chantier d’un paquebot.
Ils tendent aussi à entretenir une culture commune – la permanence des traditions de métier compte parmi les spécificités des chantiers. Elle peut prendre des formes symboliques. Les équipes des chantiers de métro s’identifient au monde du travail souterrain incarné par les mineurs : « A chaque entrée de tunnel, une alvéole accueille une statuette représentant la patronne des mineurs [sainte Barbe] pour rappeler la présence du danger dans l’activité souterraine », indiquent Gwenaële Rot et Elsa Gisquet dans leur enquête sur le prolongement de la ligne 14 du métro parisien.
Un univers exigeant
Les chantiers ont aussi leurs rituels. Dans le bâtiment, Marie Ngo Nguene, docteure en sociologie, évoque ainsi la place de l’alcool. Sa consommation n’est pas généralisée, mais « ne peut pour autant être considérée comme marginale ». Le nouvel arrivant – encadrants compris – doit « payer sa bouteille ». Boire est alors une « obligation implicite ». Cette consommation n’a pas que des visées fédératrices ; elle doit aussi permettre aux ouvriers de tenir face à des conditions de travail difficiles (froid…) ou d’être suffisamment désinhibés « pour “braver” les hauteurs sur des échafaudages ».
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