Réformer l’implication de l’entreprise
Blanche Segrestin et Kevin Levillain nous offrent une nouvelle approche de la mission des entreprises et de nouveaux schémas de responsabilité de leurs dirigeants. Ils expliquent que la notion de norme de gestion, loin de s’objecter à la liberté d’entreprendre, est au fondement de la légitimité de l’entreprise.
En janvier 2018, le groupe britannique de BTP Carillion subit une brutale liquidation. Une chute éclair pour un groupe de 43 000 personnes qui laisse, outre de nombreux sans-emploi, une dette pour les caisses de retraite de 2,6 milliards de livres qui obligera à réduire les pensions de quelque 27 000 membres, et paralyse de nombreux secteurs. Ce cas illustre des dérives abusives d’une gestion actionnariale : la comptabilité était présentée de manière à camoufler la situation et, quelques mois seulement avant, les comptes de la compagnie permettaient un dividende exceptionnel en 2017 de 79 millions de livres.
Peut-on mettre en cause la gestion actionnariale au motif que la rétribution de dividendes élevés et systématiques était insoutenable pour le groupe ? Au Royaume-Uni, c’est désormais possible en s’appuyant sur le Company Act de 2006, une loi qui a étendu les obligations des dirigeants, désormais supposés gérer l’entreprise de manière à promouvoir l’intérêt de la société, en tenant compte des conséquences à long terme de leurs décisions et pour les différentes parties prenantes.
Quelle que soit la manière dont le cas Carillion sera traité par la justice anglaise, il pose la question de l’implication des dirigeants. Qu’est-ce que bien diriger ? Sur quelle base mettre en cause une décision de gestion ? Peut-on poser les règles d’une gestion responsable ? Comment concilier création collective et responsabilité sociale et environnementale ?, s’interrogent les chercheurs de Mines ParisTech et du Collège des Bernardins dans La Mission de l’entreprise responsable.
Une action volontaire
La puissance créatrice de l’entreprise modifie le monde qui l’accueille. « Cette puissance est à la fois indispensable pour répondre aux défis contemporains mais aussi potentiellement dangereuse », souligne Blanche Segrestin, codirectrice de l’ouvrage, avec Kevin Levillain. Jusqu’à présent, deux schémas classiques de responsabilité prévalaient : les décisions volontaires de responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) et les obligations fixées par l’Etat. Ces mécanismes de responsabilité de l’entreprise ont atteint leurs limites : « L’Etat ne peut canaliser les capacités d’innovation des entreprises, ni innover à leur place ; et les initiatives volontaires de RSE sont insuffisantes face aux défis de notre siècle », tranche la professeure à Mines ParisTech. Pour sortir de cette impasse, ce livre propose une nouvelle approche de la mission des entreprises et de nouveaux schémas de responsabilité