« Paroles de lecteurs » – Attention, ces licenciements peuvent en cacher d’autres
Le gros titre du Monde en date du jeudi 3 décembre 2020 (« La France des licenciements ») et son sous-titre dénonçant la destruction de 35 000 emplois en trois mois dénotent un manque de sérieux surprenant de la part d’un journal comme Le Monde. Il y a belle lurette que les licenciements pour motif économique ne témoignent plus que de façon très lointaine des suppressions d’emplois en France et que les ajustements d’emplois se font par d’autres canaux.
La crise économique déclenchée par les décisions prises en réaction à la crise sanitaire ne fait pas exception. Ce sont d’abord les salariés précaires – travailleurs temporaires et en contrat à durée déterminée (CDD) – qui servent de variable d’ajustement et les suppressions d’emploi se comptent alors en centaines de milliers : de près de 800 000 début février, le nombre d’intérimaires est passé à 470 000 début mars puis à 360 000 début avril. Il était remonté à 710 000 début septembre, mais l’écart avec l’avant-crise est encore de 90 000, soit 2,5 fois le nombre des licenciements annoncés en Une. Et bien sûr le second confinement aura fait croître ce chiffre.
Du côté des contrats courts, la DARES (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail) indique que leur nombre a été divisé par deux au second trimestre 2020, passant d’un peu plus de 6 millions à 3 millions en rythme trimestriel. Enfin, si l’on tient à ne s’intéresser qu’à l’emploi sous contrat à durée indéterminée (CDI), rappelons que les ruptures conventionnelles s’établissaient à 37 000 par mois environ avant la crise sanitaire. Elles sont tombées à 15 000 au cours du second semestre, mais elles sont remontées à environ 45 000 par mois au troisième trimestre.
Les licenciements pour motif économique témoignent bien, comme l’illustrent les deux articles de ce numéro, des problèmes économiques et sociaux d’une France engoncée dans une mauvaise spécialisation internationale et handicapée par une absence désastreuse de politique industrielle depuis plusieurs décennies. Ils sont dramatiques pour ceux qui les subissent mais ne constituent que la part émergée et médiatisée de l’iceberg. Ils ne disent vraiment pas grand-chose de l’emploi et occupent une place marginale dans les ajustements sur le marché du travail.
Bernard Gazier et Frédéric Bruggeman, Paris