Des manifestants se tiennent devant l’entrée de la Fonderie de Bretagne, filiale du Groupe Renault, le 28 mai 2020, à Caudan (Morbihan). FRED TANNEAU / AFP
Le plan de quelque 8 milliards d’euros annoncé par Emmanuel Macron pour relancer l’automobile n’empêchera pas les suppressions de postes massives attendues dans ce secteur. Le constructeur automobile français Renault compte supprimer environ 15 000 emplois dans le monde, dont 4 600 en France, dans le cadre d’un plan d’économies de 2 milliards d’euros sur trois ans, a-t-on appris jeudi soir de sources concordantes.
Le projet, qui doit être rendu public vendredi matin, a été présenté jeudi soir aux organisations syndicales, lors d’un comité central social et économique (CCSE) du groupe. Il prévoit de réduire les effectifs « sans licenciement sec », via des départs volontaires, des départs à la retraite non remplacés et des mesures de mobilité interne ou de reconversion, ont fait savoir ces sources à l’Agence France-Presse (AFP).
Les capacités de production du groupe au niveau mondial devraient être réduites, passant de 4 millions de véhicules actuellement à quelque 3,3 millions, sur une base de deux équipes (ce qui correspond à une production réelle potentielle plus élevée en ajoutant une troisième équipe).
Renault va suspendre des projets d’extension d’usines au Maroc et en Roumanie, envisage de réduire ses capacités de production en Russie, et de réduire également les activités mécaniques en Corée du sud et la fabrication de boîtes de vitesse en Turquie.
Le projet inclut en France l’arrêt de la production automobile à Flins (Yvelines), après la fin de la Zoe, d’ici quelques années. L’usine, qui emploie actuellement de 2 600 salariés, sera cependant reconvertie et récupérera l’activité du site de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), qui emploie 260 personnes dans la réparation de moteurs et boîtes de vitesse utilisés comme pièces de réemploi.
L’avenir de la Fonderie de Bretagne, avec près de 400 salariés à Caudan (Morbihan), reste en suspens avec une « revue stratégique » annoncée. Même chose pour l’usine de Dieppe (Seine-Maritime), où une réflexion sera engagée pour « un projet de reconversion à la fin de la production de l’Alpine 110 ».
Enfin, la fusion des sites de Douai et Maubeuge, dans le Nord, est envisagée pour créer un centre d’excellence des véhicules électriques et utilitaires légers.
« Tout est déjà décidé »
En France, une procédure d’« information-consultation » des représentants du personnel commencera « à partir de la mi-juin », selon une source syndicale. Un conseil d’administration du groupe a été convoqué jeudi soir.
De sources concordantes, le plan d’économies de 2 milliards d’euros est réparti pour environ un tiers sur la production, un tiers sur l’ingénierie et un tiers sur les frais de structure, marketing et réseau.
Interrogé par l’AFP à l’issue du CCSE, Franck Daoût, délégué syndical central de la CFDT, a souhaité « un accord de méthode » pour la mise en œuvre du plan, « avec des expertises sur les sites, localement, commençant le plus tôt possible ». Concernant l’impact social des suppressions de postes, M. Daoût a souligné qu’il s’agira de « départs naturels à la retraite et de départs volontaires ».
« Ils sont malins. Ils présentent ça comme des hypothèses de travail, disent on le fera avec vous” alors que tout est déjà décidé », a cependant critiqué un autre responsable syndical, sous couvert de l’anonymat.
La librairie Gibert Joseph de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) a été mise en liquidation judiciaire, jeudi 28 mai, par le tribunal de commerce de la ville avec maintien en activité afin de susciter des offres de reprise. Ces dernières devront être déposées le 22 juin au plus tard et une nouvelle audience se tiendra le 25 juin.
Deux autres magasins du groupe, qui a bâti sa réputation sur le livre d’occasion ainsi que sur les manuels scolaires et universitaires, doivent connaître le même sort : celui d’Aubergenville (Yvelines), dont le dossier devait être examiné jeudi après-midi, et celui de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), pour lequel l’audience doit avoir lieu mardi 2 juin.
« Ces magasins sont depuis longtemps en situation déficitaire et, aucune perspective de retour à une situation d’équilibre n’étant possible pour ces points de vente, la direction du groupe Gibert a sollicité la mise en liquidation judiciaire de ces trois librairies », explique au Monde la holding de l’enseigne.
« C’est très violent »
Fermées en raison de la crise sanitaire, les trois librairies n’ont pas rouvert leurs portes le 11 mai. « Nous avons vu le directeur des ressources humaines le 22 mai, témoigne Cécile Le Maire, de la librairie de Chalon-sur-Saône. En moins de deux heures, il nous a expliqué que le magasin allait être liquidé, et les huit salariés licenciés. C’est très violent. » Un scénario identique s’est reproduit à Clermont-Ferrand. « Cela a été un choc », avoue Jean-Philippe Baré, le représentant des quatorze salariés au conseil économique et social (CSE) de cette libraire ouverte en 1942, véritable institution auvergnate. Pour autant, la décision n’a pas été une surprise totale. « Il y a une érosion qui date de plus de dix ans. Les salariés en étaient conscients. »
La situation du magasin clermontois illustre les mutations rapides du marché du livre d’occasion et de celui du livre scolaire et universitaire. « Le vrai sujet, c’est celui des marketplaces [plates-formes numériques] », explique au Monde Vincent Monadé, le président du Centre national du livre (CNL). Le secteur du livre d’occasion connaît une croissance importante – 15 % du marché du livre en volume, selon M. Monadé –, mais elle est en majorité captée par de grandes plates-formes, comme eBay ou Priceminister-Rakuten. « Faire reposer l’économie d’une librairie physique sur le livre d’occasion, c’est compliqué. Ce type d’activité ne peut être que complémentaire », juge le président du CNL.
« Un changement de modèle »
L’autre pilier du groupe est également attaqué. « Le marché du livre scolaire et universitaire a été très impacté ces dernières années, autant par la gratuité mise en place par vagues successives dans les régions que par la modification du rythme auquel les programmes changent », constate la direction. « L’essor des cours sur tablettes numériques est un facteur supplémentaire impactant de manière négative ce marché », souligne-t-elle encore.
Le sort réservé aux trois librairies de province inquiète la Confédération générale du travail (CGT) des magasins parisiens. « Nous entrons dans un processus qui va concerner tout le monde, y compris à Paris, où il y a des magasins qui coexistent en vivotant », redoute Rémy Frey, de la CGT-Gibert Joseph. « Au-delà des liquidations actuellement en cours se pose la question d’un changement de modèle, d’une réorientation du groupe. »
Espace de coworking dans un café, à Berlin. picture alliance / Robert Schlesinger /DPA / Photononstop
Pas plus de trois personnes à la fois dans la cuisine commune quand elle n’est pas carrément condamnée. Fini les grandes tablées d’ordinateurs, terminé les mugs qui traînent comme les conversations entre « colocs ». Les espaces de coworking, promesses d’échanges et d’ouverture entre professionnels en mode « cool », ont pris des allures de cliniques aseptisées sous le coup de la distanciation physique, des gestes barrières et du repli vers le domicile.
« Le Désert des Tartares », soupire Sandrine, ancienne cadre dans l’industrie pharmaceutique, reconvertie dans une start-up, qui regrette « l’ambiance loft » de son centre partagé lillois. Après un après-midi passé sans voisin de travail à l’horizon et avec port du masque encouragé, la quinquagénaire « préfère rester bosser chez [elle] avec sa tasse de thé ».
Nouvelles normes sanitaires
Il y a encore quelques mois, l’idée de partager un bout de table, une cafetière ou un frigo, mais aussi du lien social avec des inconnus, avait le vent en poupe. En témoigne le nombre de centres de coworking ouverts un peu partout en France depuis leur apparition, en 2008 : 1 700, selon les estimations, dont près de la moitié en Ile-de-France. Mais la crise sanitaire est passée par là. Ces lieux collectifs, basés sur le modèle de la circulation des idées, des personnes et donc des microbes, survivront-ils à la pandémie ? Une inquiétude renforcée par la situation d’une grande partie de leur clientèle, celle des indépendants, premiers fragilisés par la dégringolade de l’activité économique.
Pour récupérer un semblant d’activité, il a fallu d’abord se conformer aux nouvelles normes sanitaires. En plein cœur de Nice, à deux pas de la plage (encore interdite), le Labo Coworking a rouvert le 11 mai, après avoir revu aménagement intérieur et habitudes. Postes de travail distancés, litres de gel hydroalcoolique, lingettes à disposition, machines à café installées hors de la cuisine pour éviter les attroupements… Géraldine Zermati, la cofondatrice, a dû s’adapter pour faire redémarrer son espace de 250 m2, qui propose 25 postes de travail en open space et deux grandes salles de réunion fermées.
« Sur la vingtaine de “résidents”, ceux qui louent au mois l’utilisation de l’espace,deux ont résilié ou suspendu leur abonnement », constate la responsable, qui anticipe néanmoins une baisse de moitié de son chiffre d’affaires. Car les « expats » qui paient à la journée ou à l’heure se font encore attendre. Quant à la réservation pour des événements d’entreprise, elle a carrément plongé.
Il vous reste 57.93% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Dans une agence Pôle emploi, le 18 mai. ÉRIC GAILLARD / REUTERS
Le marché du travail n’en finit pas de souffrir. En avril, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) s’est accru dans des proportions sidérantes : + 843 000 par rapport au mois précédent, sur l’ensemble du territoire (outre-mer compris, sauf Mayotte), d’après les données publiées jeudi par Pôle emploi et par la Dares – la direction des études statistiques du ministère du travail.
Il s’agit, depuis la mise en place en 1996 de ces séries statistiques, d’une hausse sans aucun équivalent : elle s’avère bien plus forte (+ 22,6 %) que celle relevée en mars – laquelle dépassait déjà tous les records (+ 7,1 %). Sur trois mois, les personnes à la recherche d’un poste avaient vu leurs effectifs s’envoler de 1,065 million (+ 30,3 % depuis la fin de janvier) : elles sont désormais un peu plus de 4,575 millions dans cette situation – un niveau, là encore, inédit, puisque le chiffre de 4 millions n’avait jamais été atteint.
Toutes les tranches d’âges sont concernées, à commencer par les moins de 25 ans (+ 29,4 %). La progression est moindre, mais toutefois considérable, pour les personnes plus âgées : + 24 % pour les 25-49 ans et + 16,1 % chez ceux ayant au moins 50 ans. L’augmentation touche également toutes les régions, avec une intensité un peu moins marquée dans les territoires d’outre-mer.
Commerce, services à la personne, hôtellerie…
La tendance est portée notamment par les personnes « qui recherchent un métier » dans de multiples secteurs, selon la Dares : commerce, services à la personne, hôtellerie et tourisme, transport et logistique, construction, travaux publics, industrie du spectacle…
A l’inverse, les demandeurs d’emploi ayant exercé une activité réduite (catégories B et C) sont nettement moins nombreux (− 30 % par rapport à mars), car les opportunités d’embauche se sont évaporées. Ils sont venus grossir les rangs des personnes sans aucun travail, ce phénomène de vases communicants étant à l’origine des trois quarts de la hausse des effectifs dans la catégorie A. Le nombre d’individus dans les catégories A, B et C fait ainsi un bond de 209 000 en avril.
Les entrées à Pôle emploi ont pourtant baissé en avril (− 19,1 %). Mais dans le même temps, les sorties du dispositif se sont écroulées (− 35 %) : autrement dit, les personnes concernées restent inscrites dans les fichiers, notamment parce qu’elles ne trouvent pas de poste ou de stage de formation.
Et un train de mesures supplémentaires destinées à assouplir, temporairement, le droit du travail… Mercredi 27 mai, une ordonnance « portant diverses dispositions sociales pour faire face à l’épidémie de Covid-19 » a été présentée en conseil des ministres. Elle réduit les délais de consultation d’une instance représentative du personnel (IRP) à La Poste, afin d’agir aussi promptement que possible contre les « conséquences économiques, financières et sociales de la propagation » de la maladie. Dans le flot de décisions prises depuis la mi-mars par l’exécutif pour « aménager » provisoirement la loi, ce texte pourrait sembler anecdotique. Son objet est toutefois susceptible de fournir un argument de plus à tous ceux qui reprochent au gouvernement de sacrifier le dialogue social sur l’autel de la crise sanitaire.
L’ordonnance, dévoilée mercredi, s’ajoute à celles adoptées durant la deuxième quinzaine d’avril et début mai. Toutes ont pour effet de diminuer – momentanément – les laps de temps prévus pour informer et recueillir l’avis des représentants des salariés dans les entreprises. Précision importante : les patrons ne peuvent pas faire jouer ces dérogations à tout instant, les règles habituelles continuant de s’appliquer, par exemple, s’ils veulent engager un plan social.
Ces changements ont été diversement accueillis par les syndicats. « Nous avons compris qu’il pouvait y avoir des cas spécifiques nécessitant des réponses très rapides, durant la période d’urgence sanitaire, confie Cyril Chabanier, le président de la CFTC. En même temps, il est dommage d’en passer par là, et je crois que nous aurions pu nous dispenser de telles dispositions, les discussions entre employeurs et élus du personnel devant être privilégiées pour trouver des solutions. »
Des « facilités juridiques exceptionnelles »
Les circonstances hors du commun, auxquelles la France est confrontée, « sont trop souvent invoquées pour faire passer des mesures dérogatoires », enchaîne Yves Veyrier. Le secrétaire général de Force ouvrière le regrette d’autant plus que les modifications en question assimilent, selon lui, les syndicats à des obstacles qu’il faudrait contourner. « Raccourcir les délais de consultation amoindrit le rôle des IRP, voire ne leur permet pas de remplir leurs prérogatives en matière d’expertise, d’évaluation des risques, de proposition de mesures pour préserver la santé des travailleurs », s’indigne Céline Verzeletti, membre du bureau confédéral de la CGT.
Il vous reste 48.51% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Entrée de l’usine Renault de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) Xavier POPY/REA
Il y a ceux qui ne veulent pas y penser − « pour l’instant je reste la tête dans mon boulot » −, ceux qui accusent déjà le coup − « c’est dur, je viens d’être embauché » −, les résignés − « la vie n’est pas un long fleuve tranquille » −, et ceux qui bouillonnent : « Comment l’Etat peut mettre 5 milliards pour fermer des usines ? »
Voilà une semaine que les 263 salariés de Renault à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) ont lu dans la presse que le constructeur automobile pourrait annoncer la fermeture de trois sites, dont le leur. Si leurs réactions divergeaient dans l’attente des annonces officielles du groupe, prévues vendredi 29 mai, tous partageaient la même incompréhension : pourquoi eux ? « On dirait qu’ils ont choisi des petits sites au hasard, sans penser à la stratégie globale. Choisy-le-Roi n’a peut-être l’air de rien dans le maillage de Renault, mais son activité particulière en fait l’une des vitrines de l’engagement environnemental du groupe », souligne Brahim Hachouche, délégué central adjoint FO chez Renault et salarié à Choisy.
Ce site est en effet spécialisé dans la rénovation et le reconditionnement de pièces mécaniques : moteurs et boîtes de vitesses usagés y connaissent une seconde vie. Ils sont démontés, nettoyés, des pièces sont remplacées puis ils sont remontés et repartent pour le service après-vente, ce qui permet de proposer à l’automobiliste un « échange standard » à moindre coût, pour lui comme pour l’environnement.
Une activité unique
Dans ses « documents de référence » de 2018 et 2019, Renault soulignait l’activité unique de « remanufacturing » du site de Choisy-le-Roi au chapitre « Une entreprise responsable ». Et précisait : « Chaque organe remplacé en échange standard représente une réduction significative des impacts environnementaux comparé à la fabrication d’un organe neuf (jusqu’à − 80 % d’énergie, − 88 % d’eau, − 92 % de produits chimiques et − 70 % de déchets). » En 2014, le site a reçu le Trophée de l’économie circulaire. Le directeur de l’usine s’était alors félicité d’être « le porte-drapeau de l’engagement du groupe » dans ce domaine.
Au moment où le président de la République plaide pour que la transition écologique soit au cœur de la relance de la filière automobile, l’hypothèse de la fermeture de Choisy apparaît, pour beaucoup, comme un « non-sens », selon les mots du maire communiste (PCF) de la ville, Didier Guillaume : « Que ce soit par rapport à la démarche de développement durable de Renault ou sur le plan financier, car ce site rapporte de l’argent, on ne comprend pas. »
Il vous reste 55.19% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Tribune. L’idée de « taxer les robots », popularisée en France par Benoît Hamon lors de la dernière campagne présidentielle, réapparaît dans le débat public (« La taxe robot est une des réponses pour que l’automatisation de l’économie contribue au progrès social », Dominique Bertinotti et Mehdi Ouraoui, Le Monde du 17 mai). Une telle taxe serait justifiée par la croyance que la robotisation aurait un impact négatif de grande ampleur sur l’emploi.
Certes, les robots détruisent des emplois, c’est même leur raison d’être. Ces destructions seront vraisemblablement massives.Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la robotisation pourrait faire disparaître environ 16 % des emplois en France d’ici 20 ans. Mais est-ce la fin de l’histoire ? La robotisation ne favorise-t-elle pas aussi l’éclosion de nouveaux emplois ?
Pour évaluer l’effet de la robotisation, les chercheurs comparent le devenir d’un groupe test, affecté par la robotisation du fait de changements technologiques, avec un groupe témoin qui ne l’est pas.Certaines études qui adoptent cette démarche trouvent effectivement que la robotisation a détruit des emplois aux Etats-Unis. Mais des études récentes s’appuyant sur de très riches bases de données trouvent des résultats différents pour l’Europe.
Un effet sur la productivité
Ainsi, en Espagne, la comparaison des trajectoires des firmes qui ont intégré des robots dès la fin des années 1990 (le groupe test) à celles qui n’en ont jamais utilisé (le groupe de contrôle) montre que l’emploi a augmenté dans les entreprises « robotisées », tandis qu’il a diminuédans les autres (« Robots and firms », par Michael Koch, Ilya Manuylov et Marcel Smolka, VOX – CEPR Policy Portal, 1er juillet 2019).
Une étude aboutit à la même conclusion sur la France en utilisant une méthodologie analogue (« What Are the Labor and Product Market Effects of Automation ? New Evidence from France », par Philippe Aghion, Céline Antonin, Simon Bunel et Xavier Jaravel, Sciences Po OFCE, Working Paper n° 1, 2020). Elle montre que l’automatisation a augmenté l’emploi dans le secteur manufacturier, y compris l’emploi des non-qualifiés.
De tels résultats ont été confirmés avec des données couvrant toute l’Europe (« Don’t blame it on the machines : Robots and employment in Europe », par David Klenert, Enrique Fernández-Macías et José-Ignacio Antón, VOX, CEPR Policy Portal, 24 février 2020). Il a été ainsi estimé que l’ajout d’un robot pour 1 000 travailleurs augmentait l’emploi total de 1,3 %, sans effet négatif sur l’emploi non qualifié.
Il vous reste 35.42% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
« S’agissant de la maladie virale contractée au travail, la jurisprudence a commencé par l’exclure. » Philippe Turpin / Photononstop
Droit social. Avec le déconfinement, de nombreux Français ont repris le chemin du travail, avec des organisations souvent aménagées pour assurer le respect des gestes barrières. Si l’actualité récente a montré des exemples d’entreprises condamnées à fermer des sites faute d’avoir procédé à une évaluation suffisante des risques, une question particulièrement sensible demeure en suspens : l’employeur peut-il être inquiété en cas de contamination d’un salarié dans l’exercice de son activité professionnelle ?
La recherche de responsabilité pénale de l’employeur dans le cas de la contamination d’un salarié par le Covid-19 est un tel sujet d’inquiétude que la loi du 11 mai 2020 ajoute un article (L 3136-2) au code de la santé publique.
Il précise que, pour appliquer l’article 121-3 du code pénal relatif à la négligence, il faut tenir compte «… des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ».
Cette précaution ne bouleverse pas le fond des débats portant sur la mise en danger de la vie d’autrui, homicides et blessures involontaires. Le juge pénal vérifiera toujours les mesures mises en place dans l’entreprise et leur réactualisation régulière au gré de l’évolution des données scientifiques.
La question la plus délicate, au pénal comme en droit social, est celle de la preuve que la maladie a été contractée dans l’entreprise.
Prouver la date précise de contraction du virus
Un salarié contaminé, avec une forme sévère de la maladie, pourrait-il demander à être pris en charge au titre de la législation sur les accidents de travail ? Question majeure car, si tel est le cas, il pourrait alors solliciter une majoration de rente et la réparation de son entier préjudice en faisant juger que l’employeur a commis une faute inexcusable, car il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Par exemple, s’il y a absence d’évaluation des risques ou d’organisation du travail permettant de respecter les gestes barrières.
Selon l’article L 411-1 du code de la Sécurité sociale, « est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ». L’employeur ou la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) peuvent combattre cette présomption d’accident de travail en prouvant qu’il est étranger à l’activité professionnelle.
Il vous reste 43.22% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Un employé de l’entreprise Valeo porte un masque dans l’usine du groupe, à Etaples (Pas-de-Calais), le mardi 26 mai. Emmanuel Macron visitait le site le même jour. POOL / REUTERS
En 2019, la France s’installait à la première place en Europe, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne, ses deux principaux concurrents, sur le podium de l’attractivité aux yeux des investisseurs étrangers. Qu’en sera-t-il en 2020, maintenant que le Covid-19 a plongé le Vieux Continent et le reste du monde dans la récession ? Et alors que les entreprises mondialisées tirent les conséquences de la crise sur leurs chaînes d’approvisionnement et de production pour diminuer leur dépendance à la Chine et leur vulnérabilité face aux chocs planétaires ?
« Aujourd’hui, toutes les cartes sont rebattues », constate Marc Lhermitte, associé chez EY, alors que ce cabinet de conseil publie, jeudi 28 mai, l’édition 2020 du Baromètre de l’attractivité. « Il y a une vraie compétition de la relance qui s’installe, dans laquelle la France doit absolument s’inscrire pour conserver ses parts de marchés européens. »
La tendance du « nearshoring »
L’enjeu est de taille : les entreprises étrangères en France emploient 2 millions de salariés, représentent 21 % des dépenses privées en recherche et développement (R&D) et 31 % des exportations. En forte progression en 2017 et 2018 dans le classement européen, l’Hexagone a confirmé son attractivité en 2019, avec 1 197 projets d’investissements annoncés. Juste avant que ne se déclenche la crise sanitaire, elle était encore en progression, malgré les « remous sociaux » liés aux manifestations des « gilets jaunes » et à la réforme des retraites, comme le confirme le sondage mené en février 2020 : 32 % des dirigeants estimaient, à cette date, que l’attractivité de la France était en amélioration, et 50 % la voyaient se stabiliser. « La France a un momentum supérieur à celui de ses concurrents, à elle d’en tirer parti », note M. Lhermitte.
Elle a l’occasion de le faire, puisque la crise liée au coronavirus n’a pas totalement réduit à néant les projets d’investissements des entreprises étrangères. Selon l’analyse d’EY, environ 65 % des investissements annoncés en 2019 seraient maintenus, 25 % reportés ou fortement révisés et 10 % seulement annulés. A noter que ces chiffres sont comparables dans tous les grands pays européens, à l’exception notable de la Pologne et du Portugal où huit projets sur dix sont confirmés, compte tenu des « conditions de compétitivité » de ces deux pays, précise le baromètre.
Il vous reste 59.76% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Manifestation du personnel soignant devant l’hôpital de La Timone, à Marseille, le 26 mai. CHRISTOPHE SIMON / AFP
Deux jours après l’ouverture, lundi 25 mai, d’une concertation avec le gouvernement visant à « refonder » le système de soins français, François Salachas, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, et membre du Collectif inter-hôpitaux (CIH), a répondu à vos questions lors de notre direct du 27 mai. Il avait interpellé Emmanuel Macron le 27 février, alors que ce dernier visitait l’hôpital.
Un soutient de l’hôpital : Le gouvernement avait déjà annoncé un grand plan pour l’hôpital à l’automne dernier, qu’attendre de plus avec ce « Ségur de la santé » ?
François Salachas : Il faut en attendre que les actes soient à la hauteur des promesses ! Le président a affirmé avoir sous-estimé le problème de l’hôpital public et être conscient de l’urgence d’intervenir, notamment sur les salaires les plus bas des personnels hospitaliers.
TCHAT : Si vous deviez n’en garder qu’une, quelle serait la revendication du Collectif inter-hôpitaux ?
Il y a deux revendications équivalentes en importance : la revalorisation salariale et des carrières ET le moratoire sur les suppressions de lits programmées, tant qu’il n’y a pas eu de réévaluation des besoins en termes de santé publique.
Vive les infirmiers : Comment expliquer le retard de salaire des infirmières et aides-soignantes en France par rapport aux autres pays de l’OCDE ?
Cela s’explique essentiellement en raison du sous-investissement dans l’hôpital public depuis dix ans, et peut-être aussi en raison d’un diagnostic des gouvernements successifs tablant sur le dévouement et l’abnégation des personnels leur permettant de faire l’économie d’une revalorisation : constat cynique et inadapté.
Argent : Est-ce qu’une revalorisation des salaires des soignants permettrait vraiment d’ouvrir des lits d’hôpitaux ?
Sans aucun doute. A ce stade, nous n’avons aucune garantie de pouvoir retrouver la capacité d’hospitalisation « pré-Covid » : il faut embaucher massivement des personnels qui auront été attirés à l’hôpital public par des revenus dignement réévalués et la garantie d’être en effectif suffisant pour pouvoir soigner dans de bonnes conditions.
A Marseille, le 26 mai. CHRISTOPHE SIMON / AFP
Orion : A combien se chiffre le budget annuel de l’Etat consacré à l’hôpital public et quelle hausse les professionnels de la santé espèrent-ils ?
L’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (Ondam) se situe autour de 85 milliards d’euros, et la différence entre le pourcentage d’augmentation accordé cette année (2,3 %) et le « tendanciel des charges » (4 %) impose de nouvelles économies à l’hôpital et majore sa dette… Donc un minimum serait de coller aux 4 % d’augmentation. Tout cela, c’est « hors dépenses Covid ».
Un usager comme les autres : Le premier ministre a encore parlé du temps de travail à l’hôpital. Cela permettra-t-il réellement une meilleure rémunération du personnel soignant ?
Il s’agit d’un écran de fumée : ce type de communication accrédite l’idée qu’il faut se libérer du carcan des 35 heures, source de la paupérisation des soignants… En fait, il faut d’abord augmenter le salaire horaire et permettre à ceux qui veulent faire des heures supplémentaires de le faire… sans contrainte de leur hiérarchie. Sinon, c’est la vieille antienne du « travailler plus pour gagner plus ».
Fang : Comment nous, usagers de l’hôpital public, pouvons-nous soutenir le mouvement des soignants du Collectif inter-hôpitaux ?
Votre soutien est crucial et doit aller au-delà des applaudissements, qui ont fait beaucoup de bien. Il faut signer la pétition de soutien sur Change.org, répondre aux travaux du Conseil économique, social et environnemental (CESE), contacter vos élus présents et à venir en leur demandant de se positionner sur la question de la rémunération mais aussi de la capacité en lits et de la gouvernance, qui doit être plurielle. Les différentes composantes d’une gouvernance de qualité doivent être les suivantes : médecins, personnels non médicaux et usagers. Il faudra également descendre dans la rue quand ce sera possible : c’est toujours nécessaire.
Florent : Les mesures qui vont être prises semblent porter essentiellement sur les carrières. Un autre problème est le changement dans la façon de travailler : logique comptable, méthodes managériales. Ce point de vue sera-t-il pris en compte lors des discussions ?
C’est notre souhait le plus cher, une fois le socle des revendications accepté. Ce sont les effets combinés du concept de l’« hôpital-entreprise », faisant de l’équilibre budgétaire l’élément de pilotage de l’hôpital et du soin de qualité la variable d’ajustement, qui sont en cause dans le péril actuel.
Pour ce faire, les directions hospitalières ont exercé des pressions sur les soignants qui s’apparentent à une forme de maltraitance institutionnelle : ce système doit disparaître. Ce n’est pas un mauvais management avec des règles de gouvernance adaptées (comme l’a évoqué le premier ministre à l’ouverture du « Ségur de la santé ») mais bien une refonte des modalités de gouvernance qu’il faut envisager.
Gregoire : On ne parle jamais du secteur libéral ou privé, qui ne semble pas vraiment concerné par la crise. Est-il raisonnable de dire qu’il bénéficie de cette crise de l’hôpital public, ce qui explique son silence ?
Le concept de l’« hôpital-entreprise » appliqué au secteur public met de fait en concurrence le public, les établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic) et les cliniques privées. Nos directions hospitalières n’hésitent pas à parler de« parts de marché ». La concurrence n’est pas loyale et le débauchage est de plus en plus la règle, soit grâce à une attractivité salariale, soit – et c’est plus grave – en raison de la déception des soignants qui n’acceptent plus la« double peine » liée à la dégradation des conditions de travail et des niveaux de rémunération…
La perte de sens, c’est-à-dire l’impossibilité de continuer à exercer un métier de soin dans des conditions compatibles avec les valeurs qui sont à l’origine de leur« vocation »,conduit ces soignants dépités à quitter l’hôpital public.
Devant l’hôpital Robert-Debré, à Paris, le 21 mai. STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
#CIH : Pensez-vous que la réévaluation éventuelle des salaires sera globale, sans distinction, ou plutôt graduelle et se concentrant sur les bas échelons et débuts de carrière ? Quel est l’impact attendu sur les échelons des praticiens hospitaliers ?
C’est difficile à anticiper : il faut un geste global suffisant pour instaurer un climat de confiance et travailler sur un profil de carrière attractif en fonction de ce que chacun développe. Le risque est de tout contractualiser, car cela reviendrait à un paiement à l’acte inflationniste et « obligeant » à ne plus prendre en charge les actes ou les patients aux terrains complexes car non rentables.
Doc76 : Je suis médecin urgentiste et effaré de la dépense publique accrue et le temps perdu parce que les systèmes informatiques en lien avec la santé sont disparates et non communicants entre eux. Ne pensez-vous pas que cela soit un des thèmes important de cette mise à plat de notre système ?
C’est un domaine où les systèmes sont vite frappés de péremption. Il y a cependant beaucoup de progrès à faire pour améliorer les compatibilités et il faut être conscient du risque de glissement de tâches qui pèsent de plus en plus sur les soignants qui sont de plus en plus postés devant leurs écrans au détriment du contact physique, qui est la base des métiers du soin. A cet égard, la téléconsultation, très utile dans certains cas, devrait être utilisée avec discernement.
Romain : Est-il possible de comparer les systèmes français et allemand ?
Cette comparaison est souvent spécieuse : les Allemands dépensent plus que les Français en dollars par habitant mais moins en pourcentage du PIB (qui est supérieur à celui de la France). Le nombre de lits doit être analysé Land par Land, et il y a une structure hospitalière particulière, avec une part plus importante du privé et des hôpitaux communautaires. Leur meilleure gestion de la crise sanitaire s’explique par leur politique de tests massive et non par un nombre de lits de réanimation supérieur.
Pimppipi : Dans une émission télévisée, a été donné l’exemple du Quebec, qui a réévalué le métier d’infirmière grâce à un questionnaire standardisé produit conjointement par le gouvernement et les syndicats. Peut-on imaginer un tel mécanisme en France ?
C’est une piste possible : obtenir un consensus sur les métiers « vitaux » pour lesquels le pays est prêt à dégager des financements supérieurs, mais on touche là à des questions de choix et de politique générale qui dépassent l’objectif de ce tchat.
Il y a certainement une majorité de Français qui sont favorables à une revalorisation substantielle des salaires des soignants. La balle est dans le camp du gouvernement, mais le soutien actif des usagers, notamment par l’intermédiaire de la saisie des assemblées par le Conseil économique social et environnemental (CESE) qui est en cours, sera crucial.