Que fait-on du travail ? : « Le refus de l’hyper-fragmentation, c’est un choix d’entreprise »

Proposition 1 de François-Xavier Devetter et Julie Valentin : Encadrer le temps partiel et réduire la fragmentation des journées de travail

Quel est le problème à résoudre ?

Aujourd’hui, plus d’un salarié (entre 25 et 65 ans) sur sept gagne moins que le smic chaque mois. Si une partie d’entre eux peut avoir partiellement choisi d’exercer une activité réduite, la majorité n’est pas en mesure de vivre décemment de son travail.

Cette situation résulte d’un salaire horaire faible, mais surtout d’un temps de travail réduit. Or, le temps partiel dans de nombreux métiers (nettoyage, services à la personne, commerce, restauration, logistique, etc.) s’accompagne paradoxalement d’une emprise importante du travail sur la vie quotidienne : horaires flexibles et décalés, journées fragmentées, amplitudes longues, imprévisibilité des emplois du temps, etc. (François-Xavier Devetter et Julie Valentin, 2024).

En 2014, le gouvernement a cherché à encadrer le recours au temps partiel en fixant un minimum de vingt-quatre heures par semaine, mais les nombreuses dérogations possibles ont rendu cette mesure largement inopérante (Rachel Silvera 2020) : près de la moitié des emplois à temps partiel affichent des durées inférieures à ce seuil (Lisa Mourlot et Hatice Yildiz, 2020).

En outre, le problème ne se situe pas uniquement dans la durée hebdomadaire, mais s’enracine dans l’organisation de la journée de travail. Comment mieux protéger les salariés de temps de travail occupant une place très large dans la journée tout en étant très peu rémunérateurs ?

La proposition

Fixer une durée minimale pour toute plage de travail (par exemple trois heures) et ajouter du temps rémunéré (par exemple une demi-heure) à toute « prise de poste ».

Comment ça marche ?

Commencer un poste de travail implique des coûts fixes (temps de déplacement et de vestiaire, par exemple) qui rendent les durées très courtes pénibles pour les salariés qui doivent répéter ces opérations plusieurs fois dans la journée. La multiplication de ces temps périphériques à l’activité, non rémunérés, peut se traduire par une emprise du travail d’une demi-journée pour une seule heure de travail rémunérée.

Deux types de mesures permettraient de décourager l’offre d’horaires de travail fortement fragmentés. La première consiste à fixer une durée minimale de toute plage de travail, comme cela s’observe déjà dans certaines branches (comme la sécurité ou l’audiovisuel).

La seconde pourrait consister à ajouter du temps rémunéré lié à toute « prise de poste » (par exemple trente minutes). Ainsi, une période de travail d’une heure serait rémunérée une heure trente et une durée de travail de trois heures serait rémunérée trois heures trente. Ce coût fixe par période de travail inciterait les employeurs à éviter de multiplier des séquences courtes au cours d’une même journée en transférant le risque des fluctuations d’activité sur les salariés.

Sur quels travaux de recherche la proposition est-elle fondée ?

L’importance de réguler davantage le recours aux temps partiels est soulignée par de nombreuses recherches sur la croissance des horaires atypiques, notamment en raison du développement des activités de services (François-Xavier Devetter et Julie Valentin, 2024).

Depuis quelques années, différentes expérimentations sont menées, notamment dans des Etats ou des municipalités aux Etats-Unis (Charlotte Alexander et Anna Haley-Lock, 2015 ; Susan Lambert et Anna Haley, 2021). En Europe, certains pays connaissent des régulations de ce type au niveau sectoriel : par exemple, en Islande la branche de la propreté exige une durée minimale de travail de trois heures (https://efling.is/en/job_titles/cleaning-workers/), contre une heure en France.

Comment mettre en œuvre ?

L’adaptation de ce type de mesures nécessite des négociations au niveau des conventions collectives. Cependant, les inégalités entre partenaires sociaux dans de nombreuses branches des services rendent nécessaires un socle légal d’ordre public exigeant (par exemple, des périodes rémunérées minimales de trois heures). Les risques de contournement sont également importants et peuvent requérir un accompagnement des employeurs et un renforcement des contrôles, comme l’ont montré les analyses des expérimentations de dispositifs proches aux Etats-Unis (Larissa Petrucci et al, 2021).

Les candidats attendent plus de rapidité et de transparence de la part des recruteurs

Ça ne va pas assez vite à leur goût. Les cadres souhaitent des délais de recrutement plus resserrés. C’est ce qui ressort d’une étude de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) sur les attentes des cadres en matière de recrutement, publiée le 28 mai. Plus de la moitié attendent une réponse à leur candidature sous moins de trois semaines et espèrent un retour, même succinct, de la part du recruteur quinze jours après un entretien d’embauche.

C’est loin d’être le cas. « La durée moyenne du processus de recrutement est de douze semaines, précise Pierre Lamblin, directeur des études de l’APEC. Elle était de neuf semaines en 2019 avant la crise sanitaire. Ce qui s’explique par les tensions sur le marché du travail, les entreprises ayant des difficultés à trouver des candidats. Ce que souhaitent ces derniers, c’est avant tout de la transparence et de la lisibilité. »

Ils veulent avoir le plus d’informations possible en amont de l’entretien (la description du poste, le salaire – cette mention sera obligatoire à compter de 2026 –, les différentes étapes du processus de recrutement, le nombre d’entretiens, leurs interlocuteurs, le suivi de la candidature…). Or, souvent, ils ne les obtiennent qu’à l’issue d’une première rencontre, ce qui peut se révéler une perte de temps tant pour le candidat que pour l’entreprise.

Pourtant, « les mentalités évoluent. Les entreprises ont pris conscience de ce besoin de transparence et elles y travaillent, affirme Flavien Chantrel, directeur éditorial d’HelloWork, acteur numérique de l’emploi et du recrutement, car, pour les candidats, naviguer dans l’inconnu est inconfortable, et, moins on est informé, plus le temps paraît long ».

D’après les chiffres d’HelloWork, en 2024, un postulant sur deux dit recevoir une réponse à sa candidature, alors qu’ils n’étaient que 26 % en 2016. D’autre part, en 2022, seuls 16 % des recruteurs envoyaient systématiquement le déroulé du processus de recrutement aux candidats. Ils sont 28 % à le faire cette année.

Une nouvelle recommandation

Alors comment gagner du temps ? Quand Emeline Brice, 27 ans, travaillant dans un service des ressources humaines (RH), a souhaité quitter Lyon pour revenir à Paris, elle a fait appel au « recrutement circulaire », moyen qu’elle utilisait déjà dans son poste lyonnais. Résultat : elle a été embauchée comme responsable RH en un mois chez Dipeeo (délégation à la protection des données externalisée), « et ce en plein mois d’août, précise-t-elle. J’ai eu deux visios puis une rencontre physique avec les équipes. Quarante-huit heures après, je recevais une proposition ».

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Harcèlements : les embarras de l’employeur enquêteur

Droits social. La mécanique de la preuve du harcèlement moral ou sexuel est décrite dans l’article L. 1154-1 du code du travail. Ce texte indique que le salarié doit présenter des faits pouvant laisser supposer l’existence d’un harcèlement. La jurisprudence vient d’ajouter que des éléments obtenus par le salarié par des moyens déloyaux, tel un enregistrement clandestin, sont admissibles (Cass. soc. 17 janvier 2024, n° 22-17.474).

Il incombe alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement. Le plus souvent, une enquête interne à l’entreprise est ouverte, même si la Cour de cassation vient de juger que ce n’est pas une obligation et qu’il suffit que l’employeur ait « pris les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité de la salariée » (Cass. soc. 12 juin 2024, n° 23-13.975).

Il n’existe pas de cadre normatif strict pour conduire une telle enquête. L’employeur dispose seulement d’un guide du ministère du travail, « Harcèlement sexuel et agissements sexistes au travail : prévenir, agir, sanctionner », qui date de mars 2019 et d’un autre guide, celui du Défenseur des droits, intitulé « Le harcèlement discriminatoire au travail ».

Parfois des normes internes complétant le règlement intérieur, dénommées chartes d’éthique, codes de déontologie ou codes de bonne conduite, peuvent donner des indications pour organiser l’enquête. Le plus souvent, toutefois, ces textes ne font qu’énumérer des préceptes qui miment ceux, légaux, qui gouvernent l’enquête judiciaire : impartialité, indépendance, neutralité, confidentialité et loyauté.

Mission impossible ?

Et ces ressources peuvent être contredites. Ainsi, le guide ministériel indique que le rapport d’enquête interne n’a pas à être transmis au salarié. Cette solution a été reprise par certaines juridictions (CA Toulouse, 19 janvier 2024 RG n° 23/02401 et CA Versailles, 8 février 2024 RG n° 22/02170), quand d’autres considèrent que la communication de ce rapport [au salarié] était nécessaire (CA Paris, pôle 1 ch. 5, 18 janvier 2024, n° 23/15208).

Pas de cadre non plus pour le choix des témoins. Les enquêteurs déterminent quels salariés il leur faudra auditionner pour conduire l’enquête. Mais ils ne sont pas dans l’obligation de mener des investigations auprès de l’ensemble des collaborateurs témoins ou intéressés par les faits (Cass. soc. 8 janvier 2020, n° 18-20151 ; Cass. soc. 29 juin 2022, n° 21-11437). Il n’y a même pas d’obligation à faire connaître les critères objectifs selon lesquels les témoins ont été sélectionnés (Cass. soc. 1er juin 2022, n° 20-22058).

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« On est payé comme dans le conseil, sauf qu’on ne bosse pas jusqu’à 21 heures » : la vie rêvée des jeunes commerciaux dans le secteur de la tech

Le bâtiment de Google Europe, à Dublin, en mai 2022.

Hugo (son prénom a été changé), 28 ans, ne tient pas en place. Il pratique le judo tous les trois jours, nage une fois par semaine et rentabilise son abonnement à la salle de sport. En parallèle, le Bordelais entretient une vie sociale « débordante ». Il a même le temps d’avoir une copine. Hugo n’est pas un étudiant privilégié, mais bien un salarié… Avec des horaires souples et un télétravail illimité. Il débauche à 18 h 30 tous les soirs tout en étant payé rubis sur ongle : « Je gagne entre 90 000 et 115 000 euros par an. J’aurais dû attendre quinze ans avant d’espérer une telle rémunération dans le secteur des achats ! »

Le vingtenaire est account executive chez HubSpot, une firme américaine de logiciels clients. Traduction : il gère le cycle de vente « de la prospection au closing ». Et pour le jeune diplômé de la Kedge Business School, ça valait le coup de passer les cinq entretiens d’embauche : « J’ai une mutuelle en béton, du matériel dernier cri et des formations équivalentes à 5 000 euros par an. »

Pourtant, la tech n’a pas toujours fait partie de ses plans. « Comme tous mes camarades, j’aspirais à un poste de directeur d’achat pour un gros groupe. C’est ça le Graal pour les plus carriéristes ! », confie ce fils de chef d’entreprise. Une façon de rendre fiers ses parents, pour lesquels réussite et grands groupes du CAC 40 sont indissociables. Sauf que, en stage dans une prestigieuse maison de luxe, Hugo se heurte à « une culture rigide » et à des missions « peu stimulantes ». Rien à voir avec son job actuel où il s’attaque à des ventes « complexes » et gagne en autonomie.

Moins de concurrence

Pendant longtemps, les diplômés d’école de commerce faisaient profil bas dans la tech. Dans ces entreprises fondées par des ingénieurs, les marketeurs et les sales (commerciaux) y occupaient souvent des rôles peu valorisés. « Dans les boîtes de tech, les rock stars, ce sont les ingénieurs, pas les commerciaux », tance le sociologue Olivier Alexandre, auteur de La Tech. Quand la Silicon Valley refait le monde (Seuil, 2023). Contrairement à Coca-Cola ou L’Oréal, le secteur de la tech était loin de faire rêver les élèves de la filière commerce.

Mais cette tendance évolue. A HEC, première école de commerce de France, la tech est devenue le troisième secteur de prédilection des diplômés, derrière la finance et le conseil, alors qu’elle ne représentait que 2,5 % des emplois des diplômés il y a dix ans. « Les sales sont très recherchés dans la tech. C’est une aubaine, car il y a moins de concurrence ! », assure Jean-Michel Moutot, professeur de management à Audencia Business School, à Nantes.

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Accidents du travail : lancement de la deuxième campagne de sensibilisation

Sur le chantier de construction de la tour Triangle, à Paris, en mai 2024, où un ouvrier est mort en septembre 2024.

Faire du sujet un véritable phénomène de société. Pour la deuxième année d’affilée, le gouvernement lance, lundi 14 octobre, une grande campagne de lutte et de prévention contre les accidents du travail graves et mortels. Comme en 2023, le projet s’inspire des campagnes de communication pour la sécurité routière. Spots à la radio et à la télévision, affiches dans la presse généraliste et spécialisée, présence sur les réseaux sociaux, les efforts sont menés un peu partout pour sensibiliser les Français à la question. Avec cette année, un élément nouveau, la mention d’un centre de ressources en ligne où trouver des informations en cas d’accident.

Lire l’enquête | Article réservé à nos abonnés Les morts au travail, une hécatombe silencieuse en France

Cette deuxième campagne, qui va durer un peu moins de deux mois, confirme que la France sort peu à peu de la léthargie sur le sujet. « Il y a une sorte d’accommodement de la société, regrette la ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet. On voit ça comme une statistique, comme ce fut le cas pour les accidents de la route. Il faut en sortir. » Le phénomène est un véritable fléau en France, qui fait office de mauvaise élève en Europe, même si les comparaisons internationales sont à manier avec précaution, tous les pays ne comptabilisant pas les accidents de la même façon.

Selon les derniers chiffres disponibles, la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) a recensé 564 189 accidents du travail en 2022, dont 738 mortels, et 44 217 maladies professionnelles. « C’est une tragédie pour les familles, évidemment, mais ça l’est souvent pour tout le monde, pour les collègues, mais aussi parfois aussi pour les chefs d’entreprise qui peuvent être dévastés », précise Astrid Panosyan-Bouvet.

« Pas une fatalité »

Les accidents du travail sont toutefois souvent relégués au rang de faits divers, causés par la malchance ou par un risque inévitable. C’est l’objet de cette nouvelle campagne : poursuivre la prise de conscience générale. « Deux morts par jour, ce n’est pas une fatalité, lance Astrid Panosyan-Bouvet. Il y a un ressaisissement collectif à avoir, avec les syndicats, les entreprises, l’Etat. Tout le monde doit prendre sa part. »

Si elle affirme vouloir faire de ce sujet une priorité de son action au ministère du travail, Astrid Panosyan-Bouvet n’a pas attendu d’arriver Rue de Grenelle pour s’y intéresser. En tant que députée (Renaissance) de Paris, elle avait ainsi fait le lien entre le collectif Familles. Stop à la mort au travail et le gouvernement, en aidant les représentants des familles de victimes à rencontrer les conseillers sociaux de Matignon et de l’Elysée en 2023. Logiquement, son arrivée au ministère du travail a été vue d’un bon œil par le collectif. « C’est plutôt une bonne nouvelle, car elle est venue vers nous quand elle était députée et on la sait réellement engagée sur le sujet et sensible à notre cause », considère sa coprésidente, Fabienne Bérard.

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Les formations en relations internationales portées par l’actualité : guerres, conflits, attentats…

Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, en août 2023.

Guerre en Ukraine, conflits au Proche-Orient, lutte contre le terrorisme… en 2024, les mêmes sujets d’actualité internationale sont systématiquement revenus dans les lettres de motivation pour accéder au master Géostratégie, défense et sécurité internationale de Sciences Po Aix. Mais Nicolas Badalassi, qui dirige cette formation, est habitué. Les étudiants dissertaient peu ou prou sur les mêmes sujets un an plus tôt… « Dans ces lettres, ils racontent tous leur besoin de comprendre ces événements récents, de s’impliquer dans la stratégie, la négociation et la sécurité internationale ou nationale, face à ce qu’ils perçoivent comme des menaces », explique le professeur en histoire contemporaine.

Et selon lui cette « évolution récente du contexte international a un impact très concret sur l’attractivité de nos formations ». Comprenez : des formations « en relations internationales ». Parmi les multiples disciplines entrant dans le champ des sciences politiques, celles-ci ont en effet le vent en poupe ces dernières années.

Son master, qui propose une approche interdisciplinaire (histoire, science politique, droit, économie) pour comprendre les phénomènes géopolitiques, est ainsi passé de 15 places il y a une petite dizaine d’années à 80 en 2024, pour lesquelles postulent entre 600 et 700 étudiants. Mais la dynamique s’était déjà amorcée dans la foulée des attentats de 2015, qui avait aussi été précédée, rappelle le chercheur, par l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014…

Un « effet Bataclan »

A l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, au sein du master Conflits et crises internationales, on parle aussi d’un « effet Bataclan » ayant créé des vocations. Une dynamique renouvelée ces dernières années par les récents conflits internationaux. Avec, en 2024, 23 places pour 2 400 candidatures (contre 1 900 un an plus tôt), la sélectivité devient extrême. « Je n’aurais probablement jamais été pris dans ce master que je dirige actuellement », raconte dans un sourire crispé Grégory Daho, maître de conférences en sciences politiques.

Le master Relations internationales de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne connaît un succès similaire. « Dans les années 2000, les étudiants se politisaient ou s’intéressaient aux sciences politiques avant tout par le prisme de la politique intérieure, explique l’enseignant. Aujourd’hui, ils y entrent directement à travers les enjeux mondiaux qui les touchent, les guerres parfois proches géographiquement, le drame écologique, les attentats, etc. C’est ce qui les fait frapper aux portes de nos formations… »

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De trop nombreuses « affaires devraient conduire Nestlé à s’intéresser à sa gestion du risque éthique »

La rentrée de Laurent Freixe, le nouveau PDG du géant de l’agroalimentaire Nestlé, est chargée : un environnement économique menaçant, une croissance en berne et… une image fragilisée, voire dégradée. La stratégie annoncée d’un « retour aux fondamentaux » ne suffira pas à restaurer la croissance. Elle doit s’accompagner d’une réflexion sur le risque éthique, actuellement trop fréquent et coûteux pour l’entreprise.

L’éthique est la mise en pratique quotidienne des valeurs de l’entreprise et plus largement le respect des valeurs humaines et sociétales. Elle se décline en deux dimensions : d’une part le développement durable – le risque éthique est alors proche du risque environnemental –, d’autre part la gouvernance – il s’agit alors du respect des engagements de transparence, de prise en compte des parties prenantes et d’ouverture aux besoins de l’environnement global (concurrentiel, réglementaire, sociétal…) dans lequel opère l’organisation.

La contribution au déficit de la nappe phréatique de la commune de Vittel (Vosges), qui se retrouve à importer de l’eau potable des centres voisins, relève du risque éthique dans sa première dimension : elle porte atteinte à l’environnement.

Réaction tardive

La contamination des pizzas Buitoni est un risque opérationnel, mais aussi éthique, cette fois dans sa dimension gouvernance : la réaction de l’entreprise a été tardive ; la direction générale du groupe s’est cachée derrière la marque Buitoni ; d’abord absente, sa communication lors des cas de contamination grave et du décès de deux enfants a ensuite été minimaliste ; les parties prenantes n’ont pas été prises en compte.

Le non-respect de la réglementation européenne interdisant la désinfection des eaux minérales, l’aveu de traitements tels que les ultraviolets et les filtres au charbon actif, la mise en doute de la qualité sanitaire des sources Vittel, Contrex, Hépar et Perrier (bactéries, matières fécales, pesticides…) par l’Agence nationale de sécurité sanitaire et l’Agence régionale de santé Occitanie relèvent de cette même dimension ; il s’agit dans les deux cas de fraudes avérées.

Les « affaires » sont décidément trop fréquentes chez Nestlé : Buitoni et les pizzas contaminées (2022, 2024), la contribution au déficit de la nappe phréatique (2024), les traitements interdits (2024), la contamination de sources d’eau minérale naturelle en France (2024).

L’impact économique des trois dernières est fort. Le groupe a fermé deux puits dans les Vosges qui alimentaient Hépar, dont la production est de ce fait réduite de moitié. Il a également fermé plusieurs des huit puits dans le Gard utilisés pour Perrier ; la production de Perrier, qui tournait autour de 1,7 milliard de bouteilles par an, est tombée à 1,2 milliard depuis l’arrêt du recours aux solutions techniques de filtrage illégales ; Perrier a vu sa part du marché des eaux gazeuses tomber de 45 % à 40 % en 2023. Pour se mettre en conformité, le groupe a investi une cinquantaine de millions d’euros, réalisé dix-huit mois de travaux sur deux sites et a lancé un plan social sur son site des Vosges.

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« Qu’est-il arrivé au management pour qu’il soit presque devenu un gros mot ? »

Les hôpitaux, l’éducation, la justice, les services publics en général… rien ne va plus ! Ce n’est pourtant pas faute d’avoir appliqué depuis les années 1990 les supposées bonnes recettes du management privé à la gestion publique. Et si le management se porte mal dans le public, il ne se porte pas beaucoup mieux dans les entreprises, où le désengagement des collaborateurs est l’une des priorités des DRH et où la perte de sens est régulièrement évoquée.

Les entreprises elles-mêmes cherchent des dérivatifs au management sclérosant en tentant de « libérer les énergies » ou de revivifier la « culture entrepreneuriale », synonyme d’initiative. Qu’est-il arrivé au management pour qu’il soit presque devenu pour certains un gros mot ?

On aime dire que les Français sont nuls en économie, ce qui est discutable. Il est en revanche certain qu’on ne se comprend plus quand on parle de management, alors qu’il est désormais partout. Quel paradoxe !

En réalité, le management est très difficile à cerner, car c’est à la fois un art, une industrie et une science.

A l’école et sur le tas

Comme tout art, il s’agit d’une pratique qui s’est professionnalisée en mélangeant des techniques, des pratiques et de la créativité. Il s’enseigne à l’école, mais surtout sur le tas. Comme dans la restauration, on y trouve des apprentis, des chefs de brigade, des chefs plus ou moins haut de gamme, et des stars.

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L’industrie est celle du consulting, qui a connu une croissance spectaculaire. Elle pratique des diagnostics, des comparaisons, la standardisation et l’industrialisation des pratiques. On y trouve des consultants juniors sortis des meilleures écoles, des seniors et des manageurs associés qui ont l’oreille des dirigeants d’entreprise.

La science, appelée d’abord science administrative, puis sciences commerciales, est devenue depuis plus de cinquante ans « sciences de gestion et du management ». Elle recouvre des disciplines nombreuses, comme la comptabilité, les théories de l’organisation, la stratégie, la gestion des ressources humaines, la finance, le marketing, la logistique, les systèmes d’information… Ses chercheurs produisent des connaissances à travers des entretiens, des études de cas, des analyses statistiques, sous forme de modèles, de descriptions… Etonnamment, quand les politiques ou les journalistes veulent un avis sur l’entreprise, ils persistent à interroger des économistes dont ce n’est pourtant pas le sujet d’étude. Cherchez l’erreur !

En réalité, ces différents types d’acteurs sont à la fois des spécialistes de la manière de s’organiser en vue d’une finalité, ce que les Anglo-Saxons nomment organizing, mais aussi des spécialistes des organisations, c’est-à-dire des entreprises, des associations, des services publics, etc. Ce double sens du mot organisation ne facilite pas la compréhension collective.

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Santé, frais de garde des enfants… Au Royaume-Uni, la défaillance des services publics constitue un frein à l’emploi

Zoya ne travaille pas, n’étudie pas et a abandonné sa quête d’un emploi. La jeune fille de 19 ans [elle n’a pas souhaité donner son nom de famille], qui vit dans le Lancashire, une région défavorisée du nord de l’Angleterre, a décroché au moment de passer de l’école au monde du travail. « J’ai postulé à quelques emplois mais je n’ai reçu que des réponses négatives. Depuis, je n’ose plus me lancer », relate-t-elle, fragilisée par les longs confinements durant la pandémie de Covid-19.

Le manque de possibilités dans sa région la handicape. « Si je voulais décrocher un emploi, il me faudrait sans doute déménager à Londres, mais je n’en ai pas les moyens, le coût de la vie y est beaucoup plus élevé », raconte-t-elle. Elle se sent « désemparée, à la dérive » et a vu sa santé mentale se détériorer. « Je ne sais pas si je parviendrai un jour à rejoindre le monde du travail », soupire-t-elle.

Au Royaume-Uni, 872 000 jeunes de moins de 25 ans sont dans la même situation que Zoya, et catégorisés comme sans emploi, ni étude ni formation (NEET), soit 12,2 % des 16 à 24 ans. Et, globalement, le pays comptait 9,4 millions d’adultes inactifs fin juillet, soit 21,9 % de cette population, selon l’Office national de la statistique. « Cela représente environ un million de personnes de plus qu’en 2019, avant la pandémie, essentiellement des jeunes qui ne sont pas parvenus à intégrer le monde du travail », relève Ashley Webb, économiste auprès de la société de conseil Capital Economics.

Mauvaise santé

Comparé au reste de l’Europe, où les taux d’inactivité ont retrouvé leurs niveaux d’avant la crise sanitaire, le Royaume-Uni fait office d’exception. En cause, notamment, la mauvaise santé de sa population : 30 % des inactifs souffrent d’une maladie au long cours. Le nombre de personnes bénéficiant de prestations d’invalidité a crû de 39 % depuis 2020, selon l’Institute for Fiscal Studies, un think tank.

Chez les jeunes, ce sont les problèmes de santé mentale qui ont le plus augmenté ; chez les seniors, ce sont les maladies musculo-squelettiques (mal de dos, arthrite). « Les longues listes d’attente dans le système de santé public empêchent la population d’accéder aux soins dont elle a besoin, note Tony Wilson, directeur de l’Institute for Employment Studies. Le soutien aux personnes souffrant de maladies mentales est également inadéquat après des années de sous-investissement. »

Parmi les inactifs, on trouve en outre 1,1 million de personnes – dans leur immense majorité des femmes – qui ne travaillent pas car elles doivent s’occuper d’un proche. « Dans certaines cultures, notamment celles d’Asie du Sud, l’une des filles doit rester à la maison pour prendre soin des aînés et des autres membres de la fratrie », détaille Andrea Barry, économiste pour l’ONG Youth Futures Foundation.

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Accidents du travail et maladies professionnelles : davantage d’entreprises concernées, mais des accidents de trajet en baisse

La neuvième édition du Baromètre de la gestion des accidents du travail et des maladies professionnelles BDO/OpinionWay, publiée le 3 octobre, montre des résultats contrastés pour l’année 2023 : plus de sinistres, mais près de 50 % de diminution des déclarations de maladies professionnelles et d’accidents de trajet.

Ce sondage suit la sinistralité de 400 entreprises de plus de 50 salariés, des secteurs les plus accidentogènes du secteur privé (industrie, transports, BTP…), en interrogeant les fonctions dirigeantes et des ressources humaines (PDG, DRH, préventeur…) : 97 % des entreprises consultées du 10 au 28 juin ont ainsi déclaré avoir eu au moins une fois dans l’année 2023 un sinistre affectant un salarié (accident de travail, accident de trajet ou maladie professionnelle), contre 83 % en 2022.

Mais ce recul de la performance globale s’accompagne de progrès par catégorie de sinistre. Parmi les 97 % qui ont déclaré un sinistre, 69 % ont été confrontées à au moins un accident du travail (contre 80 % en 2022), 24 % à une maladie professionnelle (contre 44 % en 2022), 25 % à un accident de trajet (contre 42 % en 2022).

Un retard sur les accords de prévention

Reste à savoir pourquoi : « L’essor du télétravail a certainement réduit les accidents de trajet. La sortie du Covid a allégé les risques psychosociaux. Mais, à vrai dire, on manque d’explications », reconnaît Xavier Bontout, avocat associé chez BDO et spécialiste du droit du travail. Ces progrès découlent aussi du renforcement des campagnes de prévention sur la sécurité dans les entreprises, surtout les grandes.

C’est ce qu’affirme le groupe Suez qui se targue d’avoir réduit la fréquence des accidents du travail de 35 % de 2019 à 2023 sur l’ensemble de ses sites dans le monde. Selon le spécialiste du traitement des eaux et déchets, cette réduction est le résultat de plans d’action menés sur l’ensemble de ses sites mobilisant tant ses manageurs que des équipes de « préventeurs ». Cela dit, beaucoup reste à faire.

Le baromètre relève que 59 % des entreprises du panel n’ont pas d’accord de prévention, un chiffre qui stagne (58 % en 2022). Or, depuis 2019, les employeurs d’au moins 50 salariés ont l’obligation de négocier un accord de prévention des risques professionnels si 25 % des salariés sont exposés au-delà des seuils réglementaires ou si l’indice de sinistralité est supérieur à 0,25. C’est le cas des entreprises du panel, assure le cabinet BDO, qui pointe chez les employeurs « un manque de proactivité en matière de sécurité au travail, mais aussi une méconnaissance des conséquences et sanctions associées à ce défaut ».

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