« La visio m’a tuer » : Avec l’essor du télétravail, « on ne se voit plus, on se visionne »
Livre. « Ce jeudi va être un enfer. » Sébastien, consultant dans le secteur du numérique, commence sa journée en télétravail. Pas moins de douze réunions au programme, avec certains rendez-vous sur le même créneau. De 9 heures à 19 h 30, c’est un véritable marathon face caméra.
Il doit s’accommoder du « management infantilisant » d’une supérieure (« quelle est votre météo du jour ? »), régler en temps réel des problèmes de connexion, garder tant bien que mal son « self-control », apporter son expertise à un client tout en lisant les consignes de son supérieur dans un tchat, faire face à la défection soudaine d’un collègue… et trouver quelques instants pour déjeuner.
Tout s’enchaîne à vive allure. Sébastien semble parfois en apnée dans sa chambre. Il termine la journée « nerveusement à bout », « regrett[ant] presque le cahotement du RER pour se vider la tête ». Le récit de la journée de ce consultant s’intègre à une suite de saynètes directement inspirées de faits réels, proposées par Alexandre des Isnards dans son dernier ouvrage, La visio m’a tuer (Allary Editions).
Après L’Open space m’a tuer (Le Livre de Poche, 2009) et Facebook m’a tuer (NiL, 2011), l’auteur entraîne son lecteur dans le monde du travail post-Covid-19, où le télétravail a progressé de façon exponentielle et où la visioconférence s’est imposée comme le mode de réunion par défaut. Le travail à domicile est-il la panacée ? M. des Isnards modère l’enthousiasme de ses promoteurs. Si ses protagonistes se satisfont de l’augmentation de leur temps de sommeil, ils voient s’entremêler à leur domicile vies professionnelle et personnelle.
Les multiples failles du travail en visioconférence
Les conjoints deviennent des « coworkers », dont on découvre parfois avec une certaine déception la façon d’être au travail. De même, la pression est toujours là, plus insidieuse. « Travailler hors bureau suscite la suspicion », résume l’auteur. Il faut mettre en scène son investissement et s’accommoder de la « pastille verte », cette « pointeuse des cadres » qui, sur les applications collaboratives, témoignent de votre présence.
M. des Isnards met en lumière les multiples failles du travail en visioconférence, une version désincarnée des réunions. « Les brainstormings ne sont plus, comme en présentiel, des orages de pensées. Les idées ne fusent plus (…). Les débats, eux, sont policés. » La capacité de persuasion, parfois, s’étiole. L’absence de debriefs de visu, après la réunion, apparaît également dommageable.
On devine, au fil des pages, que l’inconfort des équipes est également partagé par nombre d’entreprises. Elles peinent à trouver une organisation pertinente, adaptée à l’univers numérique et au travail à distance. Comment maintenir une cohésion entre des salariés ne se parlant plus que par écrans interposés, alors que certains sièges sont désertés ? Comme dans l’entreprise de ce jeune alternant qui, arrivant au travail, cherche désespérément un membre de son équipe pour l’épauler.
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