Entreprise et bien commun : il faut « sortir de l’opportunisme simpliste »
Tribune. Etre rentable ne suffit plus. Il faut aussi être juste, vert, éthique. Aujourd’hui, qui ne l’est pas, ou qui ne prétend pas l’être ? La question est de savoir où commence le for good bashing.
Les crises sociale et écologique ont peu à peu obligé les entreprises à justifier d’un intérêt collectif. Elles ont fait feu de tout bois, précédées ou suivies par les pouvoirs publics : les labels privés se sont multipliés, tout comme les statuts, tels que « l’entreprise à mission » du rapport Notat-Senard, le statut ESUS [entreprise solidaire d’utilité sociale] pour les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) ou encore le label privé américain B Corp, dont l’obtention est officiellement visée par Danone. La « raison d’être » et le for good [« au service du bien commun »] hantent les entrepreneurs.
Et pourtant, le for good pour tous est une calamité dans cette légitime quête de sens. S’accrochant à leurs activités, certaines entreprises ne peuvent que se limiter à un affichage. D’autres peuvent être good pour le client, mais ni pour les salariés ni pour les fournisseurs. D’autres encore peuvent l’être pour l’humanité, mais pas pour la planète. On savait que l’enfer était pavé de bonnes intentions, on en découvre la version 4.0.
La palme du bien paradoxal revient sans conteste aux géants du Web, comme Facebook, régulièrement épinglé pour des collectes de données illégales, ou Google, champion dans la catégorie « Big Brother », mais dont la maxime est « Do not evil » (« Ne faites pas le mal »)…
Un produit de plus en plus suspect
Le cas d’Amazon est encore plus parlant. Sa raison d’être ? « Etre l’entreprise la plus orientée client ». Proposer le plus de marchandises possible, livrées le plus vite possible. Amazon prétend en plus atteindre la neutralité carbone avec dix ans d’avance sur l’accord de Paris. L’envers du décor ? Des centres-villes désertés, une hypercroissance pour doper la valeur boursière, une relation salariée supplantée par une relation commerciale comme on le voit avec ses « travailleurs du clic » qui œuvrent pour 3,30 dollars l’heure, ou avec ses livreurs poussés à bout.
Pis encore, le quasi-monopole physique et technologique visé avec son activité d’hébergeur Amazon Web Services, de loin la plus stratégique et la plus rentable. La privatisation rampante d’un bien commun n’est pas l’exacte définition de l’intérêt général… Le pluralisme économique et démocratique, la vision citoyenne exigeraient le démantèlement d’un tel géant.