Déménagement, aménagement d’espace : avancées et reculades du « flex office »
Les années 1970 ont été celles d’un grand mouvement des entreprises vers les open spaces. « Nous sommes aujourd’hui à nouveau dans un grand mouvement de réorganisation des espaces, qui touche à l’identité professionnelle, au rapport au métier. Plus qu’un simple déplacement d’un point A à un point B, il s’agit d’un chaos produit par les modalités d’appropriation », explique Jean-Marie Charpentier, docteur en sciences de l’information et grand témoin des rencontres RH qui se sont tenues, mardi 15 octobre, à la Maison de l’Amérique latine, à Paris.
Ce rendez-vous mensuel, organisé par Le Monde en partenariat avec Leboncoin, a réuni une dizaine de responsables des ressources humaines pour échanger sur les expériences et les problèmes posés par les déménagements et l’aménagement de l’espace de travail. Une nouvelle stratégie, des contraintes économiques, un regroupement de toutes les entités avec le siège historique : les raisons de déménager une entreprise sont diverses. Mais une telle réorganisation ne s’improvise pas. Les open spaces ont leurs détracteurs, les « flex offices [pas de bureau attitré] », qui ont le vent en poupe, aussi. Les retours d’expérience des responsables des ressources humaines révèlent la nécessité de bien connaître les besoins des salariés selon leur activité avant de réorganiser.
Chez AXA, « en open space, les collaborateurs souffraient des nuisances sonores. On a identifié des usages, puis, le mode d’organisation a été repensé pour créer des espaces de convivialité et des espaces de silence, des salles de réunion hyperconnectées. Les collaborateurs qui sont passés en mode “agile”, ne veulent plus revenir à l’open space classique », assure Sibylle Quéré-Becker, directrice des relations sociales d’AXA France.
Au Club Med, en plein projet de réaménagement pour gagner en efficacité, la RH veut avancer progressivement sans négliger l’accompagnement. « Le décloisonnement total est déjà un énorme changement, raconte Linda Froment, DRH mobilité internationale du Club Med. Pour ceux qui étaient en bureau fermé, le monde ne vient plus à eux. Et il a fallu organiser des ateliers d’expression sur ce qu’un manageur peut ou ne peut pas dire en open space. »
Chez Devoteam, une entreprise de conseil en technologies numériques, il ne s’agit plus de critiquer mais de revenir en arrière : « Le côté open space pour faciliter la communication n’a plus vraiment d’utilité. Avec les nouvelles technologies, on échange très bien à distance. Aujourd’hui, l’entreprise est répartie dans cinq bâtiments. Mais, sur les grands plateaux, ça devient très dense. On réfléchit à recréer de petits espaces », témoigne Matthieu Rivière, directeur du recrutement.
Besoin de repères
Les vingt dernières années ont été marquées par « une amélioration de la compréhension des relations interpersonnelles et de leurs conséquences sur l’organisation du travail, notamment grâce à l’apport de plusieurs disciplines comme la sociologie, la psychologie, le droit et les sciences cognitives. Les connaissances actuelles, bien que partielles, montrent que les individus au travail restent attachés aux lieux », indique Bertrand Sergot, maître de conférences en sciences de gestion de l’université Paris-Sud.
Le flex office, au même titre que l’open space, est tentant pour gagner des mètres carrés, même s’il impose de créer de nouveaux espaces d’isolement et de réunion. En effet, « le déménagement peut substantiellement modifier les modes de communication lorsqu’il éloigne les manageurs, les RH ou les syndicats du travail réel. Ce qui se traduit par des salles de réunion supplémentaires », explique M. Charpentier.
Mais le principal bémol est que les salariés ont besoin de repères. « Tout le monde a besoin de repères, de savoir qui est où. Dans les flex offices, au fil du temps, on s’aperçoit que tout le monde s’assoit toujours à la même place », explique Matthieu Rivière. Chez AXA, où l’on ne parle pas de flex office, car on a maintenu une identité de service par étage, les bureaux sont « non attribués », en « clean desk », avec des casiers.
Le flex office, présent sous différentes formes dans la plupart des organisations des entreprises représentées ce mardi 15 octobre, a révélé un fort besoin d’appropriation des lieux par les salariés, quelle que soit la génération. « Les jeunes s’approprient leur bureau. On a beau déménager tous les six mois, ils affichent leurs souvenirs de soirée. Il y a un stress du bureau blanc, » remarque Matthieu Rivière. « Au Boncoin, on a dû rapidement mettre en place des points d’ancrage, des espaces collectifs que peuvent s’approprier les équipes », explique la DRH groupe, Laetitia Bonnefoy.
Baptisés « lounges », ces nouveaux espaces accompagnent ainsi les flex offices au Boncoin, chez AXA, à l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes). « Il y a des changements et des invariants, comme des espaces de travail portables ou des espaces par destination. La question étant : jusqu’où peut-on individualiser ? », interroge Bertrand Sergot. Le Club Med, dans sa démarche « précautionneuse », met en place le flex office petit à petit, « sur certaines activités, pour des équipes qui fonctionnaient déjà en mode projet, car il faut que ça ait du sens », explique Linda Froment. Dans l’entreprise, les besoins doivent être différenciés, analyse M. Charpentier. Lorsque Accenture a commencé le flex office dans les années 1990, cela concernait un effectif de consultants. Mais « toutes les fonctions et tous les individus ne sont pas égaux face à l’organisation flexible », prévient-il.
Enfin, l’optimisation de l’espace est unanimement saluée par les DRH comme une source d’économies significatives. « En bureau classique, il fallait compter 9 à 10 m² par salarié, en open space, on gagne 20 à 30 % de densification des espaces », remarque Matthieu Rivière. « L’autre économie, considérable, est celle du temps de déplacement, surtout à l’international », renchérit Linda Froment. En conclusion, le professeur Sergot rappelle qu’« on a parfois tendance à reproduire des modèles qui ont une ambition universaliste et des présupposés qui ne se révèlent pas toujours justes ». Un sage appel à la prudence.
Les invités du 15 octobre
Ont participé aux Rencontres RH du 15 octobre : Laetitia Bonnefoy, DRH Groupe Leboncoin ; Jean-Marie Charpentier, coauteur de Communiquer en entreprise (Vuibert, 2019) ; Julien Danquigny, juriste du groupe Agrica ; Caroline Delpey, responsable de l’accompagnement RH d’ADP ; Mickaël Dubois, responsable RH d’Unicef France ; Dominique Florent, directrice de formation d’Allianz ; Linda Froment, DRH mobilité internationale du Club Med ; Catherine Gallet-Rybak, secrétaire générale de l’Arcep ; Caroline Haquet, DRH GroupM ; Céline Parrot, responsable du développement RH international d’Yves Rocher ; Sibylle Quéré-Becker, directrice des relations sociales d’AXA France ; Matthieu Rivière, directeur du recrutement de Devoteam ; Anne Rodier, journaliste, Le Monde ; Bertrand Sergot, professeur en sciences de gestion à l’université Paris-Sud ; Gilles van Kote, directeur délégué, Le Monde.