« Comment les stratégies du low cost à la française ont intensifié et abîmé le travail ? »

« Comment les stratégies du low cost à la française ont intensifié et abîmé le travail ? »

[Pour une entreprise et encore plus pour l’Etat, le travail devrait toujours être considéré comme un investissement. Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS au Centre d’études européennes de politique comparée de Sciences Po, explique pourquoi, en revenant sur les dégâts produits par des années de stratégies de low cost. Docteur en sciences politiques, agrégé de sciences sociales, il travaille sur les réformes des systèmes de protection sociale. Il est l’auteur de Réformer les retraites (Presses de Sciences Po, 2021) et coauteur, en 2022, avec Clément Carbonnier de l’ouvrage Les Femmes, les jeunes et les enfants d’abord (PUF). II a codirigé le Liepp de 2014 à 2020.]

Depuis plus de trente ans, le travail en France n’est pas conçu comme un atout sur lequel les entreprises et les services publics pourraient s’appuyer pour améliorer leurs produits ou leurs services, mais comme un coût qu’il faut réduire par tous les moyens.

C’est ce à quoi s’attellent les politiques économiques françaises, principalement fondées sur des exonérations de cotisations sociales et des aides aux entreprises pour alléger le poids des « charges sociales ». Réduire le coût du travail à tout prix constitue aussi l’essentiel des stratégies des entreprises françaises. L’ensemble a eu pour effet de dévaloriser, d’intensifier et d’abîmer le travail en France.

Comme le montrent de nombreux travaux, le travail en France est devenu pour beaucoup de personnes de plus en plus dur, intense, en perte de sens. A l’instar des infirmières et des aides-soignantes, beaucoup de Françaises et de Français disent aujourd’hui ne plus pouvoir bien faire leur travail. Plusieurs enquêtes soulignent que le travail s’est fortement intensifié depuis trente ans, et que les conditions de travail se sont dégradées en France et en Europe (cf. la contribution au projet Liepp de Maëlezig Bigi et de Dominique Méda). Il faut analyser la logique dominante des politiques gouvernementales de lutte contre le chômage et des stratégies de compétitivité des entreprises françaises pour comprendre cette évolution.

L’ensemble de ces stratégies repose sur une idée martelée en France depuis les années 1980 : le chômage tout comme la faible compétitivité des entreprises françaises seraient dus au coût du travail trop élevé, du fait en particulier d’un Etat-providence lui-même trop coûteux, les cotisations sociales qui le financent représentant près de la moitié de la masse salariale.

Pourtant, avec des coûts du travail équivalents, voire supérieurs, les Allemands ou les Suédois, qui ont su investir dans la qualification et la qualité des emplois, arrivent à produire et à exporter des produits et des services de meilleure qualité ou plus innovants, qu’ils vendent donc plus cher que les nôtres. Le manque de compétitivité de l’économie française est surtout lié à son positionnement en milieu de gamme : nous sommes trop chers pour ce que nous produisons (Maria Bas et al., 2015).

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LJD

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