Rétablissement de Notre-Dame : « La charité des grandes firmes n’est pas une absurdité économique »
La rapide bonté financière du secteur privé débarqué au secours de Notre-Dame ouvre un débat sur la nature du contrat social persistant entre les entreprises et la société, et sur le pouvoir de certaines logiques (morales ou économiques) dans l’action des firmes.
L’idée d’implication sociale est présentée au milieu du XXe siècle, parallèlement au développement de la « grande entreprise ». Cette notion fait référence à la fois à des objectifs extra-financiers, et aux engagements morales de l’entreprise vis-à-vis de la société, notamment celle d’assurer son bien-être. C’est dans cette perspective qu’il convient de situer les actuelles discussions sur « le rôle social de l’entreprise » invoqué par la loi Pacte et la polémique sur les dons pour la rétablissement de la cathédrale.
L’ardeur des donateurs est-il le signe d’une authentique prise en compte de cette responsabilité sociale, ou un effet d’aubaine ? Cet incident n’est-il pas in fine aussi, voire surtout, une pertinence économique ?
Intentions philanthropiques et altruistes
Dès le début, le fort et rapide appel des donateurs peut se développer par des motivations charitables et altruistes. Selon le moine bouddhiste Matthieu Ricard, l’altruisme suppose d’accorder de la valeur à l’autre et d’être intéressé par sa situation, sans pour autant que cela exige un sacrifice (Plaidoyer pour l’altruisme, Nil, 2013). L’exemple de Notre-Dame recouvre ces deux dimensions : l’élan de solidarité de la part des entreprises certifie de leur volonté de préserver un bien commun, sans risquer de mettre en péril leur viabilité financière. En comparaison avec des catastrophes environnementales ou humanitaires, c’est bien parce que Notre-Dame a une valeur forte aux yeux des donateurs que son feu a suscité un tel émoi et un tel altruisme.
Les entreprises peuvent s’attendre à des effets positifs pour leur image, surtout dans la vision des JO de Paris
Pour faire taire toute amphibologie sur la possible diminution des sommes versées, certains ont d’emblée destiné qu’ils renonçaient à celle-ci. D’autres entreprises ont avisé privilégier, non pas le don financier, mais le don du temps de leurs salariés dit « mécénat de compétences ». Pour autant, l’exonération ne signifierait pas une absence pure et simple de dépense. Les régimes de diminution sont nombreux et complexes, mais dans ce cadre précis, les dons, même défiscalisés, augmenteraient en réalité les paies de l’entreprise. Il y a donc bien une forme de générosité.
Un ravissement pour Delphine Ernotte, la présidente du groupe public, à la veille d’un conseil d’administration où elle réaffirmera sa détermination de changer France Télévisions, confrontée à la concurrence des plates-formes comme Netflix et aux impératifs d’économies de l’Etat (entre 350 millions et 400 millions d’euros de moins d’ici à 2022). « Cet accord, indispensable au déploiement du projet d’entreprise de France Télévisions, fait la preuve, une nouvelle fois, de l’importance du dialogue social au sein de notre entreprise et de la promesse de tous au service de l’avenir de la télévision publique », a-t-elle déclaré dans un communiqué.
La CGT avait refusé de participer aux premières discussions sur ce qu’elle qualifiait de « plan destructeur »
Cet accord-cadre, lié de deux annexes, fixe à la fois la méthode et rappelle les objectifs accompagnants le plan de départs volontaires que Mme Ernotte souhaite mettre en œuvre d’ici à 2022 sous forme d’une rupture conventionnelle collective, avec un objectif de 900 suppressions de postes (2 000 départs et 1 100 embauches).
L’accord de la CGT est d’autant plus sérieux qu’elle avait refusé de participer aux premières discussions sur ce qu’elle qualifiait de « plan destructeur ». Une fois l’échec acté, la direction s’était troublée dans le silence, se contentant d’une déclaration laconique, dans lequel elle se affirmait « favorable à une poursuite des échanges ».
En coulisse, Mme Ernotte et deux proches collaborateurs, Stéphane Sitbon-Gomez, directeur du changement, et Arnaud Lesaunier, directeur général délégué des ressources humaines, ont repris langue avec tous les syndicats. La patronne de France Télévisions a « été hyperprésente », relève une source syndicale, ce qui a participé à l’avancée des discussions.
Rafraîchir la pyramide des âges
La direction a pris en compte à la fois le résultat réussi depuis janvier au cours de ses contestations avec la CFDT, FO et le SNJ, qui montrent respectivement 23,5 %, 19,6 % et 15,9 % des voix, et les requêtes de la CGT. L’accord intègre en particulier la demande de cette dernière, lors du dernier comité social et économique central des 17 et 18 avril, d’ajouter au processus un volet GPEC (gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences).
Cela acceptera de permuter par projet et de faire le point sur les besoins en ressources humaines de l’entreprise, soucieuse de rajeunir sa pyramide des âges (la moyenne actuelle est de 50 ans) et de faire entrer des profils plus tournés vers le numérique, en tenant compte de la réalité du terrain.
Cette concession de la part de la direction lui permet de faire revenir dans le jeu la CGT, acteur incontournable à France Télévisions. « Cela redonne du grain à moudre », déclare-t-on à la tête du groupe public. Direction et syndicats ont aussi couché sur le papier leur trouble au sujet de l’objectif de 900 abandons de postes. « En avançant projet par projet, nous montrerons à la direction que ce n’est pas possible », mentionne Pierre Mouchel, délégué syndical central CGT, qui enregistre aussi la prise en compte de « la qualité de vie au travail ».
L’accord recense les six grands projets de Delphine Ernotte jusqu’en 2022 : l’affermissement de l’information nationale, la décentralisation des antennes (avec notamment le rapprochement entre France 3 et France Bleu), la production de contenus pour le pôle outre-mer, qui a subi la suppression programmée en programmation linéaire de France Ô, la fabrication de « contenus innovants en lien avec l’activité numérique », l’évolution des fonctions support et le renforcement de l’innovation technologique. La direction s’est engagée à investir dans le numérique près de 120 millions d’euros qui n’étaient pas prévus dans la trajectoire budgétaire. « Le texte consacre également le principe de l’expérimentation », déclare-t-on à France Télévisions.
Eric Vial, secrétaire général de FO Médias, s’est réjoui d’avoir « trouvé une majorité pour sortir par le haut ». Son inquiétude était de se voir exiger des départs contraints. A France Télévisions, on aime aussi les fins bienheureuses. Avant, peut-être, le prochain coup de théâtre…