L’attractivité par le prix, une hypothèse risquée pour attirer les étudiants étrangers

Le but du gouvernement d’avoir plus d’étudiants étrangers en augmentant les frais d’inscription relève d’une approche « marketing » qui pourrait entraîner « un désastre scientifique, culturel et diplomatique », analyse Matthieu Gallou, président de l’université de Bretagne occidentale.

Il faut reconnaître au gouvernement actuel le souci digne de se pencher sur des questions qui préoccupent depuis des années le monde de l’enseignement supérieur. Ainsi la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants a-t-elle opportunément mis fin, en 2017, au dramatique et peu glorieux casse-tête du tirage au sort à l’entrée des licences. De même, le débat sur les droits d’inscription des étudiants extracommunautaires occupait depuis des années les cercles universitaires. Le gouvernement prétend aujourd’hui le trancher d’autorité, sans avoir apparemment consulté qui que ce soit.

Le programme Bienvenue en France comporte diverses dispositions, dont certaines, réclamées depuis longtemps, faciliteront sans doute en pratique l’accueil des étudiants étrangers. C’est cependant la spectaculaire augmentation du montant réglementaire des droits d’inscription qui en constitue l’aspect le plus significatif et aussi le plus problématique.
Le but affichée par le gouvernement – passer de 343 000 à 500 000 étudiants internationaux en huit ans – est tout à fait estimable : elle correspond à l’objectif de rayonnement de la science et de la culture françaises à travers le monde. Cette ambition consiste cependant sur une approche « marketing » très particulière, qui, pour avoir été essayée dans d’autres pays avec des fortunes diverses, ne présente ni toutes les garanties d’efficacité ni tous les gages de conformité avec les valeurs de l’enseignement supérieur français.

Nouvelle politique

La France risque en effet de perdre, au bénéfice de l’Allemagne ou de la Russie, son actuelle quatrième place mondiale parmi les pays « importateurs d’étudiants », et ce en raison de son déficit d’attractivité par rapport aux pays d’Asie, dont on connaît le dynamisme aussi bien démographique qu’économique. C’est donc en vertu de cette seule cible que semble construite la nouvelle politique, qui trouve là argument à la hausse très remarquable du montant des droits. En effet, habitués à mesurer la valeur d’une formation à l’aune du tarif qu’elle pratique, les étudiants asiatiques jugeraient fort mal aujourd’hui les diplômes français, trop bon marché pour paraître de bonne qualité. Il suffirait ainsi de multiplier les droits par quinze ou vingt pour redorer d’un coup l’image des formations françaises : c’est facile, et en plus ça peut rapporter gros.

« L’étiolement programmé du CNRS est un symptôme du dédain pour la recherche publique »

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Tribune. La campagne annuelle de recrutement de chercheurs et chercheuses au CNRS est lancée ce mardi 4 décembre. Le nombre de recrutements proposés est en net recul : 250 postes au lieu de 300 lors des campagnes précédentes. L’année même où l’on entend célébrer les 80 ans du CNRS, c’est un bien funeste signal qui est adressé aux jeunes scientifiques, à la nation et au reste du monde sur l’importance accordée en France, aujourd’hui, à la recherche ; et le traitement réservé par le gouvernement aux universités et autres établissements de recherche n’est pas plus favorable.

Cette diminution des recrutements est calibrée, nous dit-on, pour assurer un strict remplacement des départs en retraite prévus. Compte tenu des autres départs permanents de l’organisme (notamment du fait de recrutements par des universités ou d’autres employeurs académiques en France ou à l’étranger), elle conduira à une diminution des effectifs de chercheurs et chercheuses au CNRS de l’ordre de 80 par an, comme l’a d’ailleurs admis Antoine Petit, PDG de l’organisme, lors d’une rencontre récente avec les présidentes et présidents des instances d’évaluation.

Chaque année, un quart des départs (80 sur 330 environ) ne seraient donc pas compensés par l’arrivée de nouvelles recrues. Or, depuis dix ans, les effectifs du CNRS ont déjà diminué de plus de 1 200 (– 5 %). Les directions précédentes de l’organisme avaient limité la baisse des effectifs de chercheurs et chercheuses à 350 personnes « seulement » au cours de cette période, mais au détriment des emplois d’accompagnement et d’appui à la recherche (–850 personnes) et des autres domaines d’action de l’organisme : soutien aux laboratoires, programmes de recherche, grands équipements, ou encore financements de thèses et de postdoctorats. Et ce qui est proposé au CNRS, dans ce contexte, c’est de réduire ses effectifs de chercheurs et chercheuses à un rythme deux fois plus rapide.

« Le gouvernement prétend considérer la recherche comme un investissement d’avenir. Pourtant, il la traite exclusivement comme une source de dépenses à optimiser »

Cette politique désastreuse organise l’étiolement progressif de la recherche publique française. Pire : en pénalisant de manière ciblée les jeunes chercheuses et chercheurs, elle entame d’autant plus fortement la capacité de la communauté scientifique nationale à explorer des domaines de recherche nouveaux, à « dépasser les frontières » des savoirs établis — comme le proclame avec enthousiasme le logo du CNRS ! — et à apporter sa pleine contribution aux défis de connaissance auxquels sont confrontées les sociétés contemporaines en matière technologique, environnementale, politique ou sanitaire… Ajoutons qu’à l’ère de la « post-vérité » et de la prolifération des « faits alternatifs » et autre fake news, le moins que l’on puisse dire est que l’Etat pourrait être mieux inspiré que de persister à affaiblir la recherche publique.

Air France devrait bientôt sceller le sort de sa jeune filiale Joon

Joon avait été lancée par Jean-Marc Janaillac, ancien patron d’Air France, pour rentabiliser les lignes déficitaires de la compagnie.
Joon avait été lancée par Jean-Marc Janaillac, ancien patron d’Air France, pour rentabiliser les lignes déficitaires de la compagnie. TIZIANA FABI / AFP

C’est la bouteille à l’encre autour du sort réservé à Joon, la filiale mi-low cost mi-compagnie classique d’Air France. Annoncé, jeudi 29 novembre par le Figaro, l’arrêt de Joon a été nié, vendredi 30 novembre, par Air France. Par un communiqué de deux phrases, Air France a tenu à démentir « les informations selon lesquelles il aurait été décidé d’arrêter l’activité de la compagnie Joon ».

Selon nos sources, la situation de la filiale devrait pourtant évoluer à court terme. Benjamin Smith, directeur général d’Air France-KLM et aussi patron d’Air France a annoncé, jeudi, au cours d’une réunion, des changements à venir pour Joon. En interne, il est de notoriété publique que M. Smith n’est pas, loin s’en faut, un fan du nom de la compagnie. Il la verrait comme « une verrue », plaide un administrateur. Il trouverait le nom trop éloigné d’Air France, confie un cadre de la compagnie.

En pratique, le patron n’apprécie pas la multiplication des marques au sein du groupe. Autour du navire amiral Air France gravitent désormais Transavia, Hop ! Air France et Joon. C’est beaucoup trop pour le Canadien, qui plaiderait « pour une simplification des marques ». In fine, Hop !, la marque ombrelle qui réunit les anciennes compagnies Airlinair, Brit Air et Regional, et Joon devraient disparaître.

Hésitations de la direction

Le futur de cette dernière n’est pas encore fixé. Elle avait été lancée par son prédécesseur, Jean-Marc Janaillac, pour rentabiliser les lignes déficitaires d’Air France. A l’époque, ce sont les personnels navigants commerciaux (PNC), les hôtesses et les stewards, qui avaient servi de variables d’ajustement. Joon, filiale d’Air France, peut recruter des PNC avec des contrats bien moins intéressants que ceux proposés par sa maison mère. A l’heure, une hôtesse de Joon coûte 40 % moins cher qu’un PNC d’Air France. Une aubaine pour la compagnie, qui s’était fixée de parvenir à des coûts de fonctionnement inférieurs de 14 % à 18 % à ceux d’Air France. La méthode a porté ses fruits. « Joon rapporte beaucoup d’argent sur les routes sur lesquelles elle a été lancée », indique-t-on chez Air France. Ce succès explique les hésitations de la direction à mettre un terme brutal à Joon. De plus, la compagnie continue à recruter des PNC pour assurer son développement. Les 500 hôtesses et stewards seront bientôt 700.

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Outre son poids économique, Joon pourrait aussi jouer un rôle dans les négociations catégorielles menées par la direction avec les représentants syndicaux des PNC d’Air France. Ces derniers n’avaient pas apprécié le lancement de cette compagnie hybride qui réduisait le périmètre d’activité d’Air France et donc les perspectives d’évolution de ses hôtesses et stewards. Pour parvenir à un accord avec les syndicats, M. Smith pourrait proposer d’en finir avec Joon. Plusieurs hypothèses sont sur la table. L’une d’elles verrait Joon retourner dans le giron d’Air France mais elle coûterait cher car la compagnie ne pourrait pas faire cohabiter des personnels embauchés avec des contrats différents. Un autre scénario, moins onéreux, inviterait à reverser Joon dans Transavia, la filiale low cost d’Air France. Rien n’est encore tranché.

« Tout le monde espère qu’il détruit pour tout reconstruire »

Avec la remise en cause de Joon, « Benjamin Smith solde l’époque [Jean-Marc] Janaillac », pointe Philippe Evain, président du syndicat national des pilotes de ligne (SNPL). Nommé en août à la tête d’Air France-KLM, le Canadien, ex-numéro deux d’Air Canada, n’aura pas tardé à faire le ménage. A peine arrivé, il a fait partir deux des figures emblématiques décriées du temps de son prédécesseur. Coup sur coup, il a ainsi débarqué, à la rentrée, Franck Terner et Gilles Gateau, respectivement directeur général et directeur des ressources humaines d’Air France. « Tout le monde espère qu’il détruit pour tout reconstruire », indique M. Evain. Toutefois, « nous attendons encore qu’il présente son projet », regrette le président du SNPL.

S’il n’a pas encore détaillé son plan de développement d’Air France, M. Smith a déjà posé sa marque sur la compagnie. Il a décidé de réduire progressivement de moitié la flotte d’A380, pourtant le navire amiral de la compagnie et l’avion préféré des passagers du monde entier. Les pilotes redoutent d’autres décisions de cette nature. Ils craignent que leur nouveau patron décide une rationalisation des flottes d’Air France et de KLM. Dans cette optique, les futurs A350 commandés chez Airbus seraient réservés à Air France tandis que les long-courriers 787 de Boeing iraient chez KLM. Une manière pour la compagnie franco-néerlandaise de faire des économies dans la gestion de ses appareils et de ses équipages.

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Guy Dutheil

Uber, Deliveroo… Cet arrêt de la Cour de cassation qui inquiète les plates-formes numériques

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Un coursier de la plate-forme Uber Eats, dans les rues de Lille, en septembre 2017.
Un coursier de la plate-forme Uber Eats, dans les rues de Lille, en septembre 2017. PHILIPPE HUGUEN / AFP

L’angoisse est en train de gagner les Deliveroo, Uber, Heetch et autres Stuart. Ces plates-formes numériques craignent que leur modèle économique ne soit remis en cause en France par un arrêt de la Cour de cassation, publié mercredi 28 novembre. La plus haute juridiction française a, en effet, décidé de requalifier le contrat commercial d’un ancien livreur de Take Eat Easy, société aujourd’hui liquidée, en contrat de travail.

Un potentiel big bang pour un secteur qui emploie 200 000 indépendants, selon la Fédération nationale des autoentrepreneurs. « En s’attachant à vouloir appliquer des règles établies bien antérieurement au développement de nouveaux secteurs économiques et désormais inadéquates, la Cour de cassation fait fi des évolutions non seulement économiques, mais également sociales que la transformation numérique induit, s’indigne l’Observatoire du travail indépendant. Pire encore, elle prend le risque d’ébranler tout le modèle économique du secteur des plates-formes numériques et, donc, l’activité directe des travailleurs indépendants. »

En établissant que « le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné », au moyen d’un système de géolocalisation et d’un régime de sanctions, la Cour de cassation vise, en théorie, toutes les plates-formes, puisqu’elles fonctionnent ainsi.

Requalification du contrat commercial

A la suite de cet arrêt, tous leurs chauffeurs ou livreurs sous le statut d’autoentrepreneur pourront demander une requalification de leur contrat commercial en CDI. Or, jusqu’à présent, toutes ces demandes avaient échoué devant les tribunaux. « Les conséquences financières sont potentiellement énormes, notamment au profit de l’Urssaf », considère Jean-Marc Morel, expert-comptable au cabinet RSM.

« Cet arrêt de principe donne un signal fort aux plates-formes numériques. La justice ne fermera plus les yeux sur leur activité, même si ces sociétés revendiquent la création de milliers d’emplois », souligne Kevin Mention, l’avocat de dizaines de livreurs.

Pour l’instant, les start-up temporisent. « L’impact médiatique de cet arrêt est important, car il s’agit de la première décision de la Cour de cassation sur la question. Mais ses conséquences devraient être néanmoins limitées, car peu ont les mêmes modalités de fonctionnement que Take Eat Easy », veut-on croire au sein d’une société concernée.

Arrêts maladie : l’hypothèse sensible du jour de carence non indemnisé pour tous

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C’est une piste qui, si elle était retenue par l’exécutif, pourrait alimenter le mécontentement actuel autour de la question du pouvoir d’achat. L’hypothèse en question, très récemment évoquée dans le cadre d’une mission de réflexion sur les arrêts maladie, consiste à appliquer un jour de carence non indemnisé à tous les travailleurs, en cas d’absence pour raison de santé. Un tel dispositif n’aurait aucune incidence pour les fonctionnaires et une fraction – minoritaire – de salariés du privé ; en revanche, des millions de personnes employées dans des entreprises du secteur marchand seraient pénalisées.

L’idée a émergé à la faveur de la concertation pilotée par Jean-Luc Bérard, directeur des ressources humaines du groupe industriel Safran, Stéphane Oustric, professeur de médecine à l’université de Toulouse, et Stéphane Seiller, magistrat à la Cour des comptes. Désignées en septembre par Matignon, ces trois personnalités sont chargées de formuler des recommandations dans le but de réguler les indemnités journalières versées par la Sécu en cas d’arrêt maladie. Mercredi 28 et jeudi 29 novembre, MM. Bérard, Oustric et Seiller ont, à nouveau, fait le point sur le dossier en recevant plusieurs organisations (syndicats de salariés, de médecins, mouvements patronaux…). C’est à cette occasion qu’a été développée – entre autres – l’option d’un jour de carence non pris en charge pour tout le monde.

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« Fausse bonne idée »

A l’heure actuelle, les règles sont disparates. Les fonctionnaires, lorsqu’ils se voient prescrire un arrêt maladie, ne sont pas indemnisés le premier jour. Dans le privé, le délai de carence s’élève à trois jours ; mais environ les deux tiers des salariés sont couverts par des accords de branche ou d’entreprise qui leur permettent de ne pas subir de perte de rémunération trop importante. Ce sont donc eux qui y perdraient si un jour de carence non compensé était instauré.

Une telle disposition figure parmi celles que MM. Bérard, Oustric et Seiller étudient afin de rendre « le système plus simple, plus équitable et responsabilisant », comme le mentionne un document remis aux organisations qu’ils ont consultées. Si le projet état mis à exécution, « nous nous en féliciterions », confie Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Ce mouvement d’employeurs est partisan d’« un nombre de jours de carence identique entre tous les salariés, quels qu’ils soient », public et privé confondus.

Pénalisé par le rachat de Monsanto, Bayer va supprimer 12 000 emplois d’ici à 2021

Werner Baumann, PDG de Bayer, lors de l’assemblée générale annuelle des actionnaires du groupe, à Bonn (ouest de l’Allemagne), en mai.
Werner Baumann, PDG de Bayer, lors de l’assemblée générale annuelle des actionnaires du groupe, à Bonn (ouest de l’Allemagne), en mai. Wolfgang Rattay / REUTERS

Monsanto va-t-il faire couler le groupe Bayer ? Moins de six mois après avoir racheté le semencier américain, le chimiste allemand, confronté à une baisse spectaculaire de son cours de Bourse, a annoncé une saignée dans ses effectifs. Ainsi, 12 000 postes seront supprimés d’ici à 2021, dont « une partie significative en Allemagne », a précisé le chimiste allemand dans un communiqué publié jeudi 29 novembre.

Bayer présente la mesure comme un plan de restructuration destiné à renforcer la rentabilité de l’entreprise. Outre les suppressions d’emploi, qui représentent presque 10 % des effectifs, le groupe prévoit de vendre son département de santé animale, ainsi que deux marques de médicaments vendus sans ordonnance. Il espère ainsi économiser 2,6 milliards d’euros par an d’ici à 2022. Tous les départements sont touchés par ces coupes claires. La plus grande partie concernera des fonctions administratives et de services, où 5 500 postes disparaîtront.

« Les mesures que nous prenons aujourd’hui doivent augmenter les performances de l’entreprise de façon durable. Elles ne sont pas une réaction à la reprise de Monsanto et ne dépendent pas de la plainte glyphosate », a précisé le PDG du groupe, Werner Baumann. Si l’annonce du plan de restructuration a entraîné un léger redressement du cours en séance, jeudi, celui-ci a terminé en très légère baisse (– 0,72 %), à 63,77 euros, son plus bas niveau depuis 2012. Car, depuis trois mois, l’action est plombée par l’affaire du glyphosate.

Les investisseurs redoutent une explosion du risque judiciaire lié au glyphosate

Le 10 août, un jardinier américain, Dewayne Johnson, avait obtenu gain de cause dans son procès contre Monsanto, dont il accusait le produit phare – le Roundup, à base de glyphosate – d’avoir causé son cancer. La firme américaine avait alors été condamnée par un jury populaire à lui verser 289,2 millions de dollars (248 millions d’euros) de dommages et intérêts. Le montant avait été ensuite réduit en appel à 78 millions de dollars par une magistrate californienne, sans que le jugement soit remis en question sur le fond. Fin novembre, Bayer a de nouveau contesté la décision. Il soutient qu’il n’existe aucun lien entre cancer et glyphosate, si le produit est utilisé correctement.

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Quelle que soit l’issue du procès, le mal est déjà considérable. Les deux décisions américaines, qui augurent mal de l’issue des 9 300 plaintes déposées contre Monsanto, ont fait perdre à Bayer 30 milliards d’euros de valeur boursière en trois mois. Les investisseurs redoutent une explosion du risque judiciaire lié au glyphosate.

Signes de faiblesse

Le pesticide controversé n’est pas le seul problème du chimiste allemand. Chez Bayer, le département de médicaments sans ordonnance montre des signes de faiblesse depuis trois ans. En 2014, Bayer avait racheté certaines activités de l’américain Merck & Co afin de devenir un leader mondial de cette spécialité. Mais les produits n’ont pas tenu leurs promesses sur un marché hautement concurrentiel, où les consommateurs préfèrent acheter leurs produits du quotidien sur Internet que dans les pharmacies.

Plus grave, le département de pharmacie classique sur ordonnance, qui assure presque la moitié du chiffre d’affaires du groupe, est également en difficulté. Les deux molécules phares de Bayer, qui assurent actuellement le gros des ventes et de la croissance du département, voient leur brevet arriver à échéance en 2023.

A partir de cette date, le groupe pourrait avoir à compenser une baisse de chiffre d’affaires de plus de 6 milliards d’euros. Le temps presse, donc. Bayer prévoit de réorganiser son département pharmaceutique et de faire appel à des prestataires extérieurs pour la recherche et le développement. Outre la baisse des coûts, l’objectif est d’accélérer le modèle d’innovation, en renforçant les partenariats avec la recherche académique et les start-up spécialisées en biotechnologie.

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Toutefois, le plus gros défi demeure l’intégration de Monsanto. Bayer promet que le mariage avec le semencier devra dégager des synergies de 1,2 milliard d’euros, ce qui se traduit notamment par la suppression de 4 200 postes dans le département. De nouveaux produits devront également arriver sur le marché. Sur ce dossier, le groupe n’a pas le droit à l’erreur.

Bayer doit non seulement réussir sur le plan opérationnel, mais aussi faire oublier l’image désastreuse de Monsanto dans l’opinion publique, en montrant que les pratiques du semencier appartiennent au passé. La valeur du cours montre que les investisseurs sont pour l’instant réservés sur ces perspectives.

Cécile Boutelet (Berlin, correspondance)

« PDG égocentriques : attention danger !

Chronique « Ma vie en boîte ». « Si les personnes humbles font de meilleurs dirigeants, pourquoi nomme-t-on tant de personnalités narcissiques ? », demandait Margarita Mayo, professeure en comportement des organisations, dans un article de la Harvard Business Review du 7 avril 2017. D’autant que ces personnalités décrites comme ayant un fort besoin d’attirer l’attention, d’être admirées, confortées dans leurs décisions, outre qu’elles ne sont donc pas des patrons hors pair, sont aussi, en moyenne, plus malhonnêtes, plus susceptibles de frauder, selon une équipe de chercheurs commandé par Alex Frino, doyen de la Macquarie Graduate School of Management, école de commerce australienne.

A cet égard, Carlos Ghosn ne serait donc pas une exception. Loin de là.

Certes, ces dirigeants font, durant un certain temps, de bons résultats financiers. Kari Joseph Olsen, actuellement professeur à l’université de l’Utah (Etats-Unis), l’a démontré dans de nombreux travaux de recherche. Plus un dirigeant est narcissique, plus le résultat par action du groupe qu’il dirige augmente, a-t-il ainsi publié en 2011. Pour arriver à cette conclusion, il a examiné les résultats par action des 500 plus grandes entreprises américaines entre 1992 et 2009, le nombre de photos du PDG figurant dans les rapports annuels étant l’instrument utilisé pour quantifier le narcissisme du dirigeant.

Plusieurs autres chercheurs se sont aussi penchés sur les avantages et inconvénients de ces personnalités étincelantes, en s’appuyant sur d’autres critères pour les qualifier, telle la fréquence de l’utilisation du « je » plutôt que du « nous » dans leurs discours. Susanne Braun, professeur de leadership à l’université de Durham (Royaume-Uni), en a fait la synthèse. Ce type de patron se distingue par le nombre de mesures radicales qu’il n’hésite pas à prendre pour développer rapidement son groupe. Opérations de fusion-acquisition, investissements à l’international, dans les nouvelles technologies, s’enchaînent à vive allure.

L’accord égalité hommes-femmes dans la fonction publique sera signé, mais pas appliqué

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Tout le monde a gagné, sauf les femmes. Le protocole d’accord sur l’égalité hommes-femmes dans la fonction publique sera bien signé, vendredi 30 novembre, mais il ne sera pas appliqué. C’est le drôle d’épilogue auquel aboutit la guerre des nerfs engagée, il y a quelques jours, entre Olivier Dussopt et trois syndicats de fonctionnaires – la CGT, FO et Solidaires –, qui refusent de signer le projet de texte dans le temps imparti par le gouvernement.

Le secrétaire d’Etat de Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, a toujours prévenu qu’il n’appliquerait pas un accord minoritaire, considérant que ce n’était pas un bon signal à envoyer en matière de négociation sociale. Or, CGT, FO et Solidaires représentent 51 % des fonctionnaires. L’accord ficelé le 24 octobre sera donc signé avec les six organisations sur les neuf qui sont prêtes à le faire. Mais il ne sera pas appliqué tant qu’il ne sera pas majoritaire.

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Situation incongrue

Cette situation fera une première victime collatérale. Un amendement au projet de loi de finances pour 2019, qui entame sa dernière ligne droite au Parlement, ne pourra y figurer : il prévoyait de dégager des fonds pour créer 3 000 places de crèche en trois ans. Une dizaine de mesures que le gouvernement envisageait d’introduire dans le projet de loi sur la fonction publique, début 2019, pourraient également faire les frais de cette épreuve de force.

La situation est incongrue. Car, sur le fond, le projet d’accord convient peu ou prou à tout le monde, même si FO est nettement plus réservée sur le sujet. Le compromis établi après plusieurs semaines de négociations entre Olivier Dussopt et huit des neuf organisations représentatives de la fonction publique a pour objectif de « franchir un nouveau cap en matière d’égalité entre les femmes et les hommes ». Plan d’action, nominations équilibrées, lutte contre les écarts de rémunération entre hommes et femmes… Selon de nombreux acteurs, le projet va dans le bon sens et s’appuie « sur des dispositifs obligatoires et contraignants, pouvant donner lieu à des sanctions financières en cas de non-respect des obligations fixées ».

Mais le délai d’un mois accordé, à la demande de la CGT, aux syndicats pour consulter leur base s’est révélé insuffisant, selon les trois réfractaires. « Nos équipes n’ont pas eu suffisamment de temps pour mener le débat démocratique » sur le protocole, a justifié Gaëlle Martinez, déléguée générale de Solidaires, le 27 novembre. La signature, prévue le 26 novembre, a été repoussée d’une journée, puis de trois jours supplémentaires. En vain, sauf improbable surprise.

Zones de langage surveillé dans les universités américaines

Créé pour décrire les marques conscientes ou inconscientes de dénigrement racial, le terme « microagression » a essaimé sur les campus américains, donnant lieu à toutes sortes de recommandations. Quête légitime de respect pour les uns, remise en cause de la liberté d’expression pour les autres, que dit ce concept des nouvelles sensibilités ?

Un mot nouveau est apparu aux Etats-Unis : « microagression ». Il est notamment populaire sur les campus, alimentant encore le débat sur la considération à accorder à chacun, la politique de l’identité et la liberté d’expression. Il qualifie les blessures subtiles qui affectent les individus exposés à une forme de dévalorisation par l’intermédiaire du langage. Des phénomènes indissociables de la vie en société mais qui ­atteignent particulièrement les minorités en les renvoyant à leur altérité.

Grossièretés ou attitudes

Le terme a été apparu dans les années 1970 par le professeur de psychiatrie Chester Pierce, de la faculté de médecine d’Harvard, pour qualifier le dénigrement racial qui, à long terme, menace la santé des individus. Il a été développé à partir de 2007 par le psychologue Derald Wing Sue, de l’université Columbia, à New York. Dans un livre publié en 2010, Microaggressions in Everyday Life. Race, Gender, and Sexual Orientation(John Wiley & Sons), le chercheur définit ainsi les microagressions : des insultes ou attitudes « intentionnelles ou non » qui « communiquent des messages hostiles ou méprisants ­ciblant des personnes sur la seule base de leur appartenance à un groupe marginalisé ».

Le phénomène n’était pas récent, mais le fait de lui donner un nom a « fait résonner une corde », explique Yolanda Flores Niemann, ­directrice du département de psychologie de l’université du Texas du Nord. « Cela nous a donné un langage commun pour qualifier ces expériences dont nous nous sommes rendu compte que nous les avions en commun. » ­Depuis, les « microagressions » sont partout : colloques, tribunes de presse et bien sûr ­amphis, plébiscitées par les étudiants issus de minorités raciales et tous ceux qui contestent la domination des « mâles blancs » dans l’enseignement supérieur.