A Bourges, le missilier MBDA augmente ses cadences, pousse les murs et recrute à tout-va

Un missile Exocet dans l’usine MBDA de Bourges, le 20 mars 2023.

Le bar L’Arc-en-ciel, avenue Marcel-Haegelen, à Bourges, est un repaire d’anciens salariés du premier missilier d’Europe. Ce samedi 13 avril, les souvenirs se partagent autour d’un quart de rosé. « Il n’y avait pas meilleur comité d’entreprise qu’à MBDA. J’ai fait quatre fois le tour du monde avec eux. Et puis la cantine… Faut voir les casse-croûte qu’ils nous faisaient, c’était du bon et pour pas cher ! », lance l’un. Son voisin de comptoir commente : « J’ai travaillé la poudre, de gros blocs de poudre qu’on découpait à la scie à bois en veillant à ce que la lame ne soit jamais chaude. Rien à voir avec aujourd’hui. On faisait des semaines de soixante heures. On appelait notre atelier “le palais de la sueur”. » L’homme a pris sa retraite en 2001. « Je suis entré à 22 ans. Ils m’ont viré à 57 ans au lieu de 60, parce qu’il n’y avait pas assez de boulot à l’époque. »

Entre 1991 et 2001, 3 000 emplois industriels ont disparu à Bourges. Ville d’armement et de garnison depuis le XIXe siècle, la capitale du Berry a subi la baisse sans fin du budget de la défense. GIAT Industries, qui y fabrique obus et canons, a vu ses commandes résiliées par l’état-major, et la fin du programme du char Leclerc, en 2007, pour ventes insuffisantes, n’a rien arrangé. « J’ai été député du Cher une première fois entre 1997 et 2002, et membre de la commission de la défense nationale. A cette époque, on se demandait aussi si le site de MBDA allait fermer. Quasiment toutes les familles de Bourges avaient un de leurs membres dans l’armement », souligne le maire, Yann Galut. La population est passée de 71 000 habitants en 2005 à 64 000 en 2020.

Et puis tout a changé. En 2018, la France modernise les missiles de ses avions de chasse, les Emirats arabes unis et le Qatar enchaînent les commandes record et le chiffre d’affaires de MBDA grimpe de 40 % en cinq ans. L’entreprise profite enfin du vote, en juillet 2023, d’une ambitieuse loi de programmation militaire et doit répondre aux besoins urgents de l’Ukraine. Il lui faut réduire de quarante-deux à dix-huit mois le délai entre la commande et la livraison de ses missiles antiaériens et antibalistiques Aster. Ceux-là mêmes qui ont été tirés en mer Rouge par une frégate de la marine française pour intercepter des missiles en provenance du Yémen. Autant d’efforts nécessitent davantage de bras et de place.

Le missilier recrute donc à tout-va : « responsable du service essais spéciaux », « opérateur de fraisage nuit »… Au total, 183 offres d’emploi sont actuellement disponibles rien que sur le site de Bourges Aéroport, qui compte déjà 2 000 CDI. Cent postes seront à pourvoir lors de deux journées de « job dating », à l’usine, les samedi 20 et dimanche 21 avril. « Une réponse positive ou négative sera donnée aux candidats trois jours après. Et, concernant les opérateurs, nous ne recherchons pas de profils nécessairement expérimentés », précise-t-on chez MBDA, qui assure la formation en interne. L’école d’ingénieurs INSA Bourges-Blois travaille déjà main dans la main avec le missilier.

Il vous reste 46.63% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Take-Two, éditeur du jeu vidéo « Grand Theft Auto », va licencier 5 % de ses effectifs

Il s’agit d’un énième plan social dans le secteur du jeu vidéo. Malgré le succès de ses jeux, l’éditeur américain Take-Two – qui détient notamment les très populaires Grand Theft Auto (GTA) et NBA 2K – a annoncé, mardi 16 avril, le licenciement de 5 % de son personnel, c’est-à-dire plusieurs centaines de personnes.

Le groupe prévoit de supprimer des projets en cours. De cette manière, l’éditeur compte réaliser des économies et augmenter ses marges, a-t-il expliqué dans un document déposé auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC), l’organisme américain de contrôle des marchés financiers.

Le conseil d’administration de Take-Two « a approuvé un plan de réduction des coûts visant à identifier des gains d’efficacité dans l’ensemble de ses activités et à améliorer les marges de la société, tout en continuant à investir pour la croissance », explique l’entreprise. Selon le même document, la société estime que ce plan social devrait coûter entre 160 et 200 millions de dollars (entre 150 et 188 millions d’euros environ).

Des succès planétaires

Take-Two, qui comptait 11 580 employés en 2023, est la dernière entreprise d’une longue liste de sociétés technologiques, notamment Sony, Microsoft, Electronic Arts et Riot Games, à mettre en place un plan de licenciements en 2024, après une année 2023 déjà marquée par les réductions d’effectifs dans ce secteur. Selon le site Layoffs.fyi, 255 entreprises technologiques ont licencié environ 74,000 personnes depuis le début de l’année.

Ce plan social est annoncé alors que Take-Two vient de racheter Gearbox Entertainment, connu pour sa série Borderlands, à Embracer, géant suédois du jeu vidéo en pleine restructuration financière, pour 460 millions de dollars en mars.

Il intervient surtout peu avant la sortie du très attendu GTA VI, nouvel opus du jeu d’action détenu par le studio, prévue pour 2025. Le titre devrait être l’un des produits les plus rentables de tous les temps – le précédent jeu, GTA V, s’est écoulé à 190 millions d’exemplaires, selon l’éditeur Take-Two. Il s’agit du deuxième jeu le plus vendu du monde, derrière Minecraft et ses plus de 300 millions de ventes. La bande-annonce de GTA VI, sortie en décembre, montrant des courses-poursuites, des fêtes sur des yachts et, pour la première fois, un personnage principal féminin, a été vue plus de 42 millions de fois sur YouTube en seulement sept heures après sa mise en ligne.

Le Monde avec AFP

Réutiliser ce contenu

Compte épargne-temps universel : l’U2P et les syndicats s’entendent sur un texte

Jean-Christophe Repon et Pierre Burban de l’U2P, à Matignon, à Paris, le 23 mai 2023.

Les prolongations jouées par l’Union des entreprises de proximité (U2P) et les syndicats ont porté leurs fruits. L’organisation patronale – qui défend les commerçants, les artisans et les professions libérales – et les organisations de salariés se sont entendues sur un projet d’accord au sujet du compte épargne-temps universel (CETU) à l’issue d’une séance de négociation, mardi 16 avril après-midi. La rencontre avait été organisée à la demande de l’U2P après l’échec des discussions entre partenaires sociaux « pour un nouveau pacte de la vie au travail », qui se sont terminées mardi 9 avril.

Alors que le CETU figurait à l’ordre du jour des tractations, le dispositif avait été d’emblée écarté par le Medef et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), le jugeant comme une usine à gaz qui poserait de nouvelles contraintes aux entreprises. Les deux organisations ont d’ailleurs refusé de participer au rendez-vous de mardi.

Le CETU, réclamé de longue date par la CFDT et promesse de campagne d’Emmanuel Macron, vise à accorder des temps de pause aux travailleurs au cours de leur carrière. Chaque salarié aurait un compte ouvert qu’il pourrait abonder de jours de congés payés, dans la limite d’une semaine par an. Et l’U2P considère qu’il peut jouer en faveur de l’attractivité des sociétés de petite taille.

« Le projet d’accord ne bougera plus »

Le compromis avec les syndicats était attendu puisqu’un premier texte avait déjà été discuté. Il fallait cependant revoir certains détails, notamment à la demande de la CFDT. Le sujet a été réglé en à peine trois heures, signe que les positions n’étaient pas très divergentes. « Les modifications qu’on demandait ont été apportées, s’est félicité Isabelle Mercier. On a été plutôt entendu. » Selon la négociatrice de la centrale cédétiste, « le projet d’accord ne bougera plus ».

Anne Chatain, de la Confédération française des travailleurs chrétiens, a également fait part de sa « satisfaction à l’égard de cette négociation, alors qu’on n’avait pas eu l’occasion d’en discuter » lors des pourparlers « pour un nouveau pacte de la vie au travail ». Bien que Force ouvrière ait souvent exprimé son scepticisme sur le sujet, sa représentante, Hélène Fauvel, estime que « du moment que ça ne détruit pas des droits existants, pourquoi pas ». « Certains y tiennent absolument, nous n’avons pas l’intention de les gêner », a-t-elle ajouté.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Emploi des seniors : la négociation patine

Les changements apportés au texte concernent principalement la durée d’ancienneté nécessaire pour pouvoir utiliser son CETU. Il n’y en a aucune s’il est mobilisé pour aider un proche, mais elle a été fixée à douze mois dans le cas d’un engagement citoyen ou d’une reconversion, et trente-six mois pour toutes les autres raisons.

Il vous reste 37.41% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Transparence des rémunérations : un énorme chantier s’ouvre pour les entreprises

Plus de transparence pour plus d’équité, tel est l’objectif d’une directive européenne sur la transparence des rémunérations qui doit être transposée en droit français, d’ici au 7 juin 2026. Les entreprises auront ensuite au minimum un an pour se mettre en conformité. Seront-elles prêtes ? « Le chantier est énorme, avertit Arnauld Fourniol, associé au sein du département transformation et gestion des talents de Mercer France. Pour le moment, elles découvrent le sujet. »

« Plus que d’une simple évolution, il s’agit d’une révolution, estime Laura Grouberman, directrice de l’activité Work, Rewards & Careers chez WTW, ex-Willis Towers Watson, en France, qui conseille aux entreprises de s’y mettre dès maintenant, car le chemin peut être long – plusieurs mois, voire plusieurs années – pour celles qui vont devoir revoir ou construire les fondations de leurs politiques de rémunération. »

La première modification concerne le recrutement : les candidats devront être informés, dès le début du processus d’embauche, du salaire du poste ou pour le moins d’une fourchette salariale. « Cela répond à une très forte demande des salariés », constate Eric Gras, spécialiste du marché du travail chez Indeed France.

Pour Stéphanie Lecerf, DRH de PageGroup France, spécialiste du recrutement et de l’intérim : « L’effet est positif, car cette transparence permet d’attirer plus de candidats et ils vont se projeter davantage dans le poste. Cela va dans le sens des pratiques. » Ainsi, « fin 2023, plus de la moitié des offres d’emploi publiées sur Indeed en France affichaient des informations sur le salaire, explique M. Gras, les entreprises les plus transparentes étant les PME et les offres pour les cols bleus étant les plus concernées ». Autre mesure prévue dans la directive : le recruteur ne pourra plus demander les antécédents salariaux.

Des sanctions

Ensuite, les entreprises devront fournir des informations précises sur les écarts de rémunération entre hommes et femmes. Selon une étude de l’Insee publiée en mars, le salaire moyen des femmes – pour un temps de travail identique – était encore inférieur de 14,9 % à celui des hommes en 2022. Si, au sein des entreprises, cet écart est d’au moins 5 %, elles devront prendre des mesures.

« Les entreprises françaises ne partent pas de zéro. Par le biais de l’index de l’égalité professionnelle femmes-hommes, elles sont déjà sensibilisées au sujet, mais on va un cran plus loin », note Mme Grouberman. Tout salarié pourra avoir accès à la rémunération moyenne de sa catégorie. Une indemnisation sera versée aux victimes de discrimination salariale, et ce sera désormais à l’employeur que reviendra la charge de la preuve.

Il vous reste 55.43% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Les TPE n’ont pas profité du recul général de l’absentéisme

Carnet de bureau. Covid-19, télétravail, vieillissement de la population active : il y a deux ans, plus de la moitié des chefs d’entreprise pensaient que les arrêts maladie allaient continuer d’augmenter. Ils avaient raison, mais seulement pour les petites entreprises. Avec 42 % des salariés arrêtés au moins une fois dans l’année, en moyenne nationale, l’absentéisme pour maladie est revenu en 2023 au-dessous de son niveau d’avant Covid-19 (44 % en 2019).

La neuvième édition du baromètre annuel de l’absentéisme de Malakoff Humanis, à paraître mercredi 17 avril, confirme ainsi le recul général des absences pour maladie, révélé quelques jours plus tôt par l’observatoire de la performance sociale Diot-Siaci, mais pour mieux souligner le cas particulier des très petites entreprises (TPE) qui, elles, n’en profitent pas.

Tandis que les entreprises de plus de 1 000 salariés ne comptent plus que 33 % de personnes arrêtées au moins une fois dans l’année 2023 (contre 49 % en 2021), celles de moins de 10 salariés sont passées de 30 % à 38 % puis à 40 % entre 2021 et 2023. En hausse de 10 points de pourcentage en deux ans, les nuages s’amoncellent chez les plus petits, pendant que la situation s’améliore chez les plus grands, indique le baromètre Malakoff Humanis, réalisé du 2 au 24 janvier en interrogeant plus de 2 800 salariés et 400 dirigeants ou DRH du secteur privé.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés L’absentéisme et le turnover reculent en 2023

Les conditions de travail dans les TPE se seraient-elles dégradées au point de rendre les collaborateurs malades ? « Les arrêts pour troubles psychologiques (…) représentent toujours 15 % des arrêts maladie, et un quart des arrêts longs », mais pour l’ensemble des entreprises. Y aurait-il une nouvelle vague de désengagement qui ne concernerait que les TPE ?

Respect des arrêts prescrits

Les salariés qui se disent engagés y sont effectivement moins nombreux qu’auparavant. Mais les réponses de fond sont à chercher ailleurs. « La question des TPE est un vrai sujet que l’on n’avait pas forcément vu. On commence à avoir une vision plus homogène du rôle du télétravail sur les arrêts maladie », analyse Anne-Sophie Godon, directrice des services de Malakoff Humanis.

Le télétravail généralisé dans les grandes organisations reproduit le phénomène qui, durant les confinements, avait provoqué une chute de l’absentéisme pour maladie. En télétravail, les salariés ont tendance à ne pas déclarer les maladies ordinaires et à continuer à travailler tant bien que mal en restant chez eux. Au cours des douze derniers mois, 45 % des salariés éligibles ont ainsi pris un ou plusieurs jours de télétravail plutôt que d’aller consulter un médecin lorsqu’ils étaient malades, précise le baromètre.

Il vous reste 25.61% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Le verrier Duralex, en difficulté financière depuis la crise énergétique, demande son placement en redressement judiciaire

Verres en cours de fabrication dans l'usine Duralex de La Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret), en 2005.

En difficulté depuis la crise énergétique de 2022, le verrier français Duralex « a sollicité l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à son bénéfice auprès du tribunal de commerce d’Orléans », a annoncé la société New Duralex International (NDI) exploitante de la célèbre marque, mardi 16 avril.

« L’objectif est de chercher un repreneur pour NDI, visant ainsi à trouver la meilleure solution pour l’entreprise », qui emploie 230 personnes dans son usine historique de la Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret), fait savoir la société. Avant d’ajouter qu’« un administrateur et un mandataire judiciaire devraient être nommés par le tribunal pour assister l’entreprise durant la période d’observation qui devrait s’ouvrir ».

Duralex avait subi de plein fouet la flambée des prix du gaz consécutive à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022, et avait été sauvé temporairement par un prêt de l’Etat de 15 millions d’euros, qui lui avait permis de rouvrir son four verrier et de relancer sa production après cinq mois de fermeture.

« De nouvelles difficultés ont émergé » l’an passé

Cependant, au cours de l’exercice 2023, « de nouvelles difficultés ont émergé », attribuables à l’inflation, à un environnement de consommation « en fort retrait » et à une « concurrence exacerbée », précise la société, ajoutant que, « malgré les efforts opérationnels et les investissements continus, les pertes n’ont pu être endiguées ».

En parallèle, NDI dit avoir « été confrontée à une décision du tribunal administratif d’Orléans concernant les droits à polluer de l’ancien propriétaire de Duralex », considérant qu’elle était « redevable des quotas dus par l’ancien exploitant ». Ce jugement « rendu mi-mars », contre lequel la société a annoncé son intention de faire appel, « compromet sérieusement la santé financière de NDI et sa capacité à maintenir ses activités de manière durable », affirme le communiqué.

« C’est toujours un peu désolant », a regretté auprès de l’Agence France-Presse (AFP) l’élu CGT, François Dufranne, qui assure que les salariés « ne s’y attendaient pas ».
« Il y a trois semaines, un mois, on nous faisait une présentation en nous disant les objectifs, les produits qu’on allait développer, etc. Tout un speech et, un mois après, on fait une réunion extraordinaire de CSE pour nous dire qu’on va mettre l’entreprise en redressement judiciaire », se désole encore le syndicaliste, avant d’ajouter : « Maintenant, on va croiser les doigts pour qu’il y ait un repreneur. »

A Bercy, le ministre de l’industrie, Roland Lescure, qui s’était déplacé pour la réouverture des fours, a déclaré que l’Etat « mettrait tout en œuvre pour essayer de faire émerger des solutions de reprise ». « Nous comptons sur les acteurs du territoire pour se mobiliser à nos côtés dans cette recherche », a-t-il réagi auprès de l’AFP dans un bref communiqué.

Duralex, fondée en 1945, a inventé le verre trempé et les verres utilisés aussi bien dans les cantines d’écoles que par des restaurants branchés. La société a réalisé un chiffre d’affaires annuel de 29,4 millions d’euros en 2022. Pyrex, entité distincte de Duralex exploitée conjointement au sein de la Maison française du verre, « poursuit ses activités comme à l’accoutumée », est-il précisé dans le communiqué.

Le Monde avec AFP

Réutiliser ce contenu

« Aujourd’hui, tout est “dette” comme il y a vingt ans, tout fut “capital” »

Gouvernance. Après l’éclipse des années « start-up nation » puis du « quoi qu’il en coûte », le montant de la dette publique de la France est revenu au centre de l’actualité politique. Il dépasse 3 000 milliards d’euros, soit désormais 110 % du produit intérieur brut (PIB). Plus inquiétant, le coût de cette dette exige chaque année un besoin de financement équivalent à 2 % du PIB, ce qui creuse encore la dette.

Au-delà des appréciations techniques et des nuances que l’on peut apporter sur cette réalité économique, la dimension symbolique de l’endettement entretient l’idée d’un déclassement de la France, voire un sentiment d’inquiétude à l’égard de l’avenir de notre monde.

Les années 2000, celles de la financiarisation, apparaissent, par contraste, comme animées de légèreté optimiste et marquées par l’omniprésence de la rhétorique de « capital » à valoriser : capital humain, capital social ou relationnel, capital santé ou capital sommeil… Tout était traduit en termes de capital. La vision était résolument spéculative.

L’avenir allait produire des innovations aux rendements si élevés que les dettes présentes seraient mécaniquement effacées par l’accroissement de la valeur marchande des choses. La hausse constante du prix de l’immobilier était le signe patent du triomphe du capital. Dans l’esprit néolibéral dominant, se considérer soi-même comme un « capital » permettait de se valoriser comme une ressource – dès lors, bien entendu, que cette ressource rencontrait un marché.

La logique financière et l’ordre politique

Dans les derniers temps de cette euphorie, le penseur anarchiste David Graeber (1961-2020) popularisait l’idée que la notion de dette est l’expression du pouvoir des dominants sur les dominés (Dette. 5 000 ans d’histoire, Actes Sud, 2016). Selon lui, la logique financière est au service d’un ordre politique qui place les débiteurs en position de servitude à l’égard des créanciers, et les soumet à l’obligation juridique de rembourser quoi qu’il leur en coûte. Reconnaître une dette, c’est donc reconnaître un rapport de force favorable aux plus fortunés.

Vingt ans plus tard, le rêve spéculatif d’une croissance infinie de la richesse s’évanouit devant la réalité triviale de l’accumulation des emprunts de toutes sortes. La rhétorique se renouvelle mais elle reste financière, en se déplaçant du capital à valoriser vers les dettes à assumer : dette publique certes, mais aussi dette des ménages, dette sociale, dette écologique, dette climatique, dette à l’égard des générations futures…, tout est « dette » comme tout fut « capital ». L’attente des lendemains profitables fait place au souci anxieux des factures qui s’amoncellent. Qui les paiera et comment ?

Il vous reste 25.28% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

A la BBC, coupes budgétaires et crise de la transition numérique

A Londres, en 2012.

Les bars situés autour du siège de la BBC, à Oxford Circus, dans le centre de Londres, sont en pleine activité en ce moment, multipliant les pots de départ organisés par des journalistes de longue date quittant la corporation. Voilà trois ans que les plans de restructuration se succèdent, et le nombre de salariés a déjà été réduit de 1 800 personnes (portant le total à 17 700, dont 5 500 journalistes). A l’automne 2023, même des programmes phares autrefois intouchables ont été frappés, avec des économies imposées au grand journal du soir, « Newsnight », et à l’émission d’enquêtes « Panorama », l’équivalent de notre « Envoyé spécial ».

Le 26 mars, Tim Davie, le directeur général du média britannique public (télévision, radio et site Internet), a rappelé dans un grand discours la crise financière de son groupe. « Le budget a été réduit de 30 % en termes réels entre 2010 et 2020. »

Pendant cette décennie, les gouvernements conservateurs qui se sont succédé ont imposé soit un gel de la redevance, soit une augmentation inférieure à l’inflation, tout en supprimant des enveloppes spécifiques consacrées notamment au World Service (les programmes à l’international) et à l’aide aux personnes âgées pour payer la redevance. Un plan d’économies de 500 millions de livres sterling (585 millions d’euros) par an est en cours, et M. Davie annonce qu’il faudra y ajouter 200 millions de livres.

« Une approche à courte vue »

En temps normal, une telle réduction budgétaire aurait déjà été douloureuse. Mais elle se déroule alors que le monde de la télévision vit une transformation historique, avec la concurrence des plates-formes de streaming, comme Netflix, et des réseaux sociaux. En 2022, selon l’Ofcom, le régulateur des télécoms du Royaume-Uni, les Britanniques regardaient en moyenne quatre heures et demie de vidéos par jour, dont seulement deux heures de télévision en direct.

Pour les moins de 25 ans, le temps passé devant la télévision a été divisé par trois en une décennie, pour atteindre environ quarante minutes par jour en 2022. Chez les personnes âgées, la tendance à la baisse a également commencé il y a deux ans. « Retirer de l’argent à la BBC pendant cette période était une approche particulièrement à courte vue », critique M. Davie.

Dans ces circonstances, la Corporation fait de la résistance. Elle reste, de loin, le média le plus lu, écouté ou regardé au Royaume-Uni, avec près de 90 % des adultes britanniques qui l’utilisent chaque semaine. A travers le monde, 450 millions de personnes font de même (y compris dans ses déclinaisons en 41 langues étrangères), ce qui en fait la première marque de média anglophone au monde. « Le public britannique passe plus de temps à regarder la BBC et iPlayer [sa plate-forme de vidéo à la demande] que l’ensemble des plates-formes de streaming combinées », souligne M. Davie.

Il vous reste 49.46% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’argot de bureau : les « KPI », à consommer avec mesure

« Qui dit reporting dit rewarding », pourrait énoncer très caricaturalement un spécialiste du marketing digital un brin agaçant. Comprendre : si les salariés nous remontent les bons chiffres conformément aux objectifs, ils seront récompensés sur leur fiche de paie.

C’est le drame qui est arrivé à la banque américaine Wells Fargo, lorsqu’elle a défini au début des années 2010 des objectifs irréalistes d’ouvertures de comptes et de ventes de produits (une vingtaine par jour !) pour ses commerciaux.

Résultat ? Des millions de comptes ont été ouverts frauduleusement par les salariés jusqu’en 2016, sans l’accord des clients. Malin. Sauf que cette course à l’échalote a fini par se constater. L’entreprise a préféré licencier 5 300 « fraudeurs », et perdre quelques milliards de dollars, plutôt que de remettre en question la méthode : la faute était sans doute à de mauvais KPI (prononcer képi-aïe).

Robots exécutants

Les KPI – key performance indicators, ou indicateurs-clés de performance – sont un serpent de mer du management. A la base, un indicateur se veut très concret : c’est un chiffre-clé qui permet d’évaluer la performance d’une entreprise, au regard de ses objectifs. Par exemple, le coût par unité produite dans une usine, ou le taux de clics sur un mail. On le retrouve sur des tableaux de bord prospectifs, il y a des paliers à atteindre, et au gré des performances, il doit aiguiller les décisions en conséquence.

Malheureusement, les KPI se sont multipliés avec le temps, et concernent plus ou moins tout ce qui a un lien avec la productivité. Performance technique ? On mesurera le nombre de dossiers traités chaque jour par un salarié. Performance sociale ? Le taux de satisfaction des clients. Performance interne ? Le taux de collègues qui vous trouvent sympathique et bienveillant. Performance physique ? Le temps que vous êtes capable de passer à votre bureau sans vous rendre aux toilettes, ou sans prendre de pause. Performance mentale ? La part de salariés qui s’estiment « en détresse psychologique » devant leur manageur… Celui-là même qui leur a communiqué toutes ces mesures à avoir en tête.

A force, la to do list (liste de choses à faire, dans le jargon) s’allonge, et les travailleurs ne peuvent plus composer avec tous ces KPI, à moins de poser leur cerveau et de se transformer en robots exécutants. Au risque de disjoncter quand les objectifs sont inatteignables.

Parfois, ils sont même incompatibles : c’est le cas dans les métiers recevant du public, qui doivent à la fois satisfaire des clients exigeants, aux demandes individualisées, et remplir des quotas fixés par l’organisation. Pour reprendre l’expression des ergonomes Corinne Gaudart et Serge Volkoff dans leur ouvrage Le Travail pressé. Pour une écologie des temps du travail (Les Petits Matins, 2022), ils doivent « se dépêcher tout en prenant leur temps ».

Il vous reste 31.31% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

La Belgique confrontée à une flambée de l’absentéisme au travail en 2023

Ils ne sont sans doute pas tous paresseux ou en mauvaise santé, mais ils sont peut-être finauds : les travailleurs belges savent apparemment profiter de tous les avantages que leur octroie la loi. Leurs patrons, eux, sont un peu moins satisfaits ; c’est ce que vient de révéler une étude de Securex, une société spécialisée dans les ressources humaines.

La grande enquête, menée auprès d’environ 24 000 employeurs et 198 000 travailleurs, confirme une flambée de l’absentéisme en 2023, à la suite d’une réforme adoptée l’année précédente. Elle prévoyait une dispense de certificat médical pour une première journée d’absence. Résultat : une augmentation spectaculaire (+ 44,2 %) de ces défections d’un jour. Et une hausse importante aussi (+ 16 %) du nombre de ceux qui se sont déclarés malades pendant un jour trois fois dans l’année, en conformité avec les nouvelles dispositions.

« Certains semblent considérer tout cela comme une nouvelle forme de congé », déplore le Voka, la principale organisation d’employeurs flamande. « Les entreprises nous indiquent que des employés estiment avoir droit à ces arrêts de travail et les planifient, parfois des semaines à l’avance. C’était le risque. Aujourd’hui, il est démontré », explique Matthieu Dewèvre, conseiller à l’Union des classes moyennes.

Réorganisation des tâches

Les syndicats, en revanche, refusent d’évoquer un quelconque abus. « Un jour d’absence, c’est un signal d’alarme. [Le patron] qui investit dans son personnel et assure un bon équilibre entre travail et vie privée sera, lui, récompensé », affirme, dans le quotidien De Morgen, Raf De Weerdt, secrétaire général du syndicat socialiste ABVV.

Du côté de Securex, on préfère parler de « proactivité » et de prévention. Détecter un malaise au travail, la fatigue ou les erreurs éventuelles commises par un employé permet souvent d’éviter les absences, commente la société. Qui souligne aussi qu’impliquer les collègues d’un absent dans la recherche de solutions est une démarche à privilégier.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La Belgique, un « paradis social » menacé

Les spécialistes observent par ailleurs que les absences d’un jour, même répétées et forçant à une réorganisation des tâches, sont, en définitive, moins pénalisantes pour les entreprises que celles, souvent plus longues, prescrites par un certificat médical.

Il est à noter que, dans les sociétés de moins de 50 personnes, pour lesquelles la loi ne s’applique pas, donc où les travailleurs doivent justifier toute absence, les défections d’un jour ont progressé trois fois moins vite (+ 15 %). Et le pourcentage des employés se disant malades trois fois par an, ou plus, a, lui, baissé de 3,9 %.