Archive dans février 2022

Ces adolescents immigrés qui voudraient travailler

Khaled, venu d’Afghanistan), en cours de mathématiques avec Dominique Le Coron professeur pour des mineurs isolés étrangers à Lorient (56), en 2015.

« Ils veulent être footballeur, médecin. Comme tout adolescent, la plupart arrivent avec des rêves en tête. » A Paris, au service Oscar Romero consacré aux mineurs non accompagnés (MNA) étrangers (fondation Apprentis d’Auteuil), les travailleurs sociaux accompagnent 39 garçons, âgés de 15 à 17 ans, pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. « Notre objectif est de retravailler avec eux leur projet afin de les protéger, car ils doivent en priorité trouver un employeur et avoir un titre de séjour », insiste Xavier David, le directeur du service.

Venus du Mali, de Guinée, de Côte d’Ivoire mais aussi d’Afghanistan et d’Irak, ces adolescents sont formés à des métiers en tension comme la poissonnerie, la boucherie, le bâtiment, la grande distribution. « Ces jeunes sont courageux, résilients, avec la volonté de s’en sortir, soulignent Xavier David, le directeur du service et sa collaboratrice Mariam Sy. Ils arrivent à faire cet apprentissage sur des durées de plus en plus courtes, malgré les traumatismes qu’ils ont subis et le barrage de la langue. »

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Reste qu’une fois majeurs, ils n’en ont pas fini avec les galères, cette fois d’ordre plus administratives. S’ils veulent rester sur le territoire, il leur faut un titre de séjour et une autorisation de travail que doivent réclamer leurs employeurs. S’ensuivent alors de longues périodes d’attente, surtout depuis l’arrêté du 1er avril 2021 sur les autorisations de travail.

« Selon les préfectures, les papiers demandés ne sont pas les mêmes, détaille la juriste Egidia Pichon-Leng, chargée de projets MNA. Et certaines personnes en demandent plus que ce qui est requis par les textes de loi. Pour que les jeunes n’aient pas de problèmes, nous nous plions à leurs exigences. » La dématérialisation des démarches accentue les difficultés pour des adolescents qui n’ont plus la possibilité de rencontrer leurs interlocuteurs.

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A l’échelle nationale, le rythme des obligations de quitter le territoire (OQTF) – 23 746 en 2019 – s’est fortement accéléré. « A Paris, cela arrive de plus en plus souvent, il y a un an, nous avions trois OQTF à gérer, aujourd’hui, c’est vingt », confirme Mariam Sy, qui précise que ces procédures sont longues à contester, ce qui favorise l’errance du jeune.

Face à ces difficultés, des employeurs s’engagent en faveur de leurs apprentis, en se regroupant parfois devant les préfectures. « Ils se rendent compte de la valeur de leur parcours, se révoltent face aux complications administratives », ajoute-t-elle. En témoigne l’histoire de cet apprenti boulanger qui, en dépit des cinq lettres de soutien rédigées par son employeur, s’est vu refuser un titre de séjour pour une erreur administrative. « Il est resté cinq mois sans pouvoir travailler malgré un OQTF annulé », déplore Mariam Sy. Une logique jugée improductive. « Ils ont envie de travailler et on a besoin d’eux, on investit des fonds publics sur eux et lorsqu’ils sont prêts à travailler, à être autonomes et à ne plus percevoir d’aides, on freine leur insertion », regrette le directeur.

« L’immigration permet de “mettre de l’huile” dans les rouages du marché du travail »

Jean-Christophe Dumont, directeur de la division des migration des migrations internationales à la direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales à l’OCDE, le 29 May 2018 à Paris, au forum de l’OCDE.

Jean-Christophe Dumont dirige la division des migrations internationales à la direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales à l’OCDE, depuis 2011.

Les pays de l’OCDE sont confrontés à des pénuries de main-d’œuvre, et tentent pour certains comme l’Allemagne d’y remédier en attirant des étrangers. Quelle est la situation de la France ?

En France, l’enjeu démographique est moins marqué qu’en Allemagne ou au Japon. Néanmoins, l’inadéquation entre l’offre et la demande de main-d’œuvre reste un problème dans de nombreux métiers. Des progrès ont été entrepris, notamment dans l’apprentissage. Mais il ne suffit pas d’accroître l’offre de formation pour que les Français les choisissent. Ensuite, nombreux sont les secteurs à faire face à des besoins conjoncturels, en lien avec le plan de relance. Dans ce contexte, comme le dit l’économiste américain George Borjas, l’immigration permet de « mettre de l’huile » dans les rouages du marché du travail. Faire venir des cohortes d’immigrés n’est évidemment pas la solution à des déséquilibres structurels, mais l’immigration fait partie de la solution.

Certains avancent justement qu’avec son taux de chômage la France pourrait se passer d’une grande partie de ces travailleurs étrangers. Que leur répondez-vous ?

Qu’il y ait un taux de chômage élevé ou pas, près de 190 000 personnes arrivent de plein droit en France chaque année, dont 90 000 pour motifs familiaux. L’enjeu essentiel, donc, est de savoir comment faire en sorte qu’elles s’intègrent. Seuls 59 % des immigrés dans l’Hexagone sont en emploi. Or, des études montrent que cet échec relatif de l’intégration a un coût. Avec un taux d’emploi similaire au reste de la population, les immigrés pourraient générer 0,2 % de PIB supplémentaire par an pour les comptes publics.

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Quelles sont les pistes d’amélioration à suivre ?

Il faut poursuivre et amplifier les efforts entrepris en matière d’intégration des primo-arrivants aux niveaux national et local. Il faut s’assurer que les immigrés, y compris ceux récemment arrivés, aient accès à la formation professionnelle et améliorer le système d’évaluation et de reconnaissance des compétences. Il est également nécessaire de favoriser l’intégration des femmes immigrées, notamment celles arrivées au travers de l’immigration familiale, dont le taux d’emploi est en moyenne de 15 points de pourcentage inférieur à celui des leurs homologues nées en France. Et puis nous devons penser au long terme, créer des pôles d’excellence et attirer des chercheurs étrangers et les Français expatriés par exemple.

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Travail des immigrés, l’hypocrisie française

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Publié le 13 février 2022 à 17h00, mis à jour hier à 09h46

Ils sont artisans, boulangers, restaurateurs, bouchers, soignants. Et toujours un peu plus nombreux à se mobiliser pour empêcher l’expulsion d’un employé immigré sur lequel ils savent compter. Ils sont aussi étrangers mais diplômés en France, parfois chercheurs dans des laboratoires prestigieux, sans pour autant parvenir à renouveler leur titre de séjour condition sine qua non pour pouvoir travailler.

A quelques semaines de l’élection présidentielle, quand les questions identitaires et sécuritaires se mélangent et hystérisent les débats sur l’immigration, ces récits disent une autre histoire : celle de la pénurie de main-d’œuvre, des freins administratifs kafkaïens et de la contribution des immigrés – qu’ils soient diplômés ou pas – à l’économie. Ils racontent leur présence essentielle, comme ces aides-soignantes en « première ligne » applaudies au début de la pandémie. Ils montrent, en creux, à l’autre bout du spectre, la faible affluence des étrangers plus qualifiés. « Ainsi la France, 6puissance économique mondiale, n’est que 19e au classement mondial “compétitivité et talents” élaboré par [l’école privée de management] l’Insead, qui mesure la capacité d’un pays à attirer, produire et retenir des talents », constatent des économistes dans une note du Conseil d’analyse économique de novembre 2021.

Main-d’œuvre peu qualifiée

L’immigration a toujours rempli un rôle de compensation là où il y avait un vide, où les besoins n’étaient pas satisfaits par la population locale. A la fois sur les métiers pour lesquels la demande s’accroît brusquement et sur ceux qui sont en déclin comme l’artisanat en voie d’être mécanisé ou délocalisé. Certes, depuis l’époque des ouvriers spécialisés (OS) de Renault à Boulogne-Billancourt décrits par le sociologue Abdelmalek Sayad en 1986, le profil des immigrés de travail s’est diversifié. De plus en plus exercent une profession qualifiée, à l’instar des 11,5 % de médecins formés à l’étranger, ou des nombreux ingénieurs informatiques tunisiens.

Mais les étrangers restent surreprésentés dans les métiers les plus difficiles : la moitié d’entre eux travaillent dans le bâtiment et les travaux publics ou dans les services aux particuliers et aux collectivités. Ce sont ces emplois précaires qui ont le plus de mal à recruter à l’heure de la reprise. Exemple, dans les emplois de maison où un poste sur cinq est occupé par une personne étrangère non originaire de l’Union européenne. Et où près de la moitié des employés devrait partir à la retraite avant 2030. « Il ne faudra pas moins de 600 000 recrutements pour compenser ces cessations d’activités », prévenait Marie-Béatrice Levaux, présidente de la Fédération des particuliers employeurs de France (Fepem), dans le cadre de l’enquête parlementaire sur les migrations, en juillet 2021.

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Mobilités : le vélo, tout un métier

« Le poste est au carrefour de la politique et de la technique. On touche à tout, on ne s’ennuie jamais. » Secrétaire générale du Club des villes et territoires cyclables et marchables (CVTCM), qui réunit 220 collectivités, Catherine Pilon, urbaniste de formation, a fait de sa passion, « les déplacements à vélo », son métier. Elue à Montreuil (Seine-Saint-Denis) jusqu’en 2020, écologiste, elle a été recrutée quelques mois plus tard à ce poste stratégique.

Florian Le Villain, vice-président de l’association rennaise Rayons d’action jusqu’en 2021, est désormais salarié de Solcy, une société de conseil en aménagement créée par Charles Maguin, qui a lui-même fondé puis présidé l’association Paris en selle. Et Samy Guyet, ancien coordinateur pour l’Ademe (Agence de la transition écologique) et pilier de l’association nantaise Place au vélo, a créé il y a deux ans RésilienCités.

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La forte hausse de la pratique du vélo, confirmée depuis le début de la pandémie, suscite des vocations. Les militants qui, il y a une dizaine d’années, peinaient à obtenir un rendez-vous auprès d’un adjoint aux transports déterminent désormais la stratégie cyclable des collectivités.

« Reconversion éthique »

Certains d’entre eux, d’Annecy à Périgueux, de Meylan (Isère) à Faches-Thumesnil (Nord), ont même pris la place des élus qu’ils cherchaient à convaincre autrefois. Cette tendance atteint son paroxysme dans la métropole de Lyon, où de nombreux élus écologistes chargés des mobilités, à commencer par le vice-président de la métropole, Fabien Bagnon, militaient jusqu’en 2020 au sein de l’association La Ville à vélo.

« Le secteur du vélo attire car il répond à un besoin de sens, d’engagement. » Sébastien Marrec, doctorant en urbanisme et aménagement

Les associations provélo fonctionnent comme des réservoirs. Les militants, à force d’arpenter les rues de leur ville et d’échanger avec leurs pairs, ont développé une connaissance en matière d’aménagements cyclables qui surpasse celle des techniciens en place. « Observer les usages, comprendre les aménagements ou les cartographier, ce sont des choses que l’on fait naturellement quand on milite dans une association », témoigne Samy Guyet, à Nantes. « Le métier d’aménageur cyclable, pour lequel il n’existe aucune formation, est en train de se créer de manière empirique », résume Roman Ville, urbaniste et consultant en « modes actifs » (marche et vélo) chez Inddigo, l’un des cabinets leaders du secteur.

« Aux Pays-Bas, les allers et retours entre le milieu associatif provélo et le monde professionnel ou politique sont fréquents », signale Sébastien Marrec, doctorant en urbanisme et aménagement. En outre, « le secteur du vélo attire car il répond à un besoin de sens, d’engagement », poursuit-il. Parmi les nombreuses candidatures qu’il reçoit, Roman Ville, chez Inddigo, note cette envie de « reconversion éthique ».

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Les offres d’emploi non pourvues restent, selon une étude, un phénomène « marginal »

La reprise économique s’accompagnerait de difficultés de recrutement particulièrement aiguës. Une note de la Banque de France alertait à l’automne sur les pénuries de main-d’œuvre. « Je ne rencontre que des chefs d’entreprise qui ont des problèmes de recrutement », témoignait en janvier le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux. « Tous les entrepreneurs me disent peiner à recruter. Au moment où trois millions de nos compatriotes se trouvent encore au chômage, cette situation heurte le bon sens », disait encore le président de la République, Emmanuel Macron, lors de son discours télévisé de novembre 2021.

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Alors que cet étonnement anime régulièrement le débat public, une étude publiée jeudi 10 février par Pôle emploi permet de redonner à la discussion une base chiffrée et de battre en brèche les raccourcis trop rapides : la part des offres non pourvues faute de candidats reste « limitée », leur nombre n’a augmenté que très légèrement depuis la dernière enquête similaire en 2018, et les raisons pour lesquelles elles n’ont pas été pourvues sont complexes.

Près de six entreprises sur dix ont cherché à recruter entre avril et septembre 2021, et 16 % ont cherché à recruter plus qu’avant la crise, précise d’emblée Pôle emploi. Pour son enquête, l’agence publique s’est intéressée au devenir des offres « clôturées », c’est-à-dire qui ont été retirées de ses listes, quel qu’en soit le motif, entre juin et septembre 2021.

« Une question de ressenti »

Il en ressort d’abord que 85,9 % de ces offres ont été pourvues. Même si les employeurs sont plus nombreux (68 %) qu’en 2018 (57 %) à déclarer avoir rencontré des « difficultés ». « Mais c’est aussi une question de ressenti, d’appréciation de l’employeur, précise Stéphane Ducatez, directeur des études de la performance à Pôle emploi. Si vous êtes chef d’une TPE [très petite entreprise], vous manquez d’expérience et de temps pour recruter, cela ne se fait pas du jour au lendemain. »

Les freins sont d’origines diverses. Manque de qualification ou de formations spécifiques, fort turn-over nécessitant des recherches permanentes pour compenser les départs, conditions de travail peu attractives, inadéquation géographique (le demandeur d’emploi est à Bordeaux, l’offre à Marseille).

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Pour trouver, deux tiers des employeurs interrogés indiquent avoir élargi leur recherche à des profils différents, en réduisant leurs exigences en termes d’expérience, de niveau ou de champ de formation. Un tiers a augmenté la rémunération proposée, un tiers a proposé de meilleures conditions de travail. Au bout du compte, 781 000 offres ont ainsi été satisfaites au 3e trimestre 2021. « En aucun cas une difficulté ne préjuge de l’issue du recrutement, souligne M. Ducatez. L’embauche finit par se faire et dans les bons délais mais pas dans les conditions imaginées au départ ». Dans la moitié des cas le poste a été pourvu en moins de 45 jours; dans les trois quarts des cas, en moins de trois mois (92 jours), plus rapidement qu’en 2018 (105 jours).

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La CPME présente ses doléances à deux mois du scrutin présidentiel

Le président de la Confédération française des petites et moyennes entreprises, François Asselin arrive pour une réunion avec les syndicats et le président français, à l’Elysée, à Paris, le 6 juillet 2021.

Le patronat ne ménage pas ses efforts pour remplir le cahier de doléances, à deux mois du scrutin présidentiel des 10 et 24 avril. Après le Medef et l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), c’est la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) qui s’est prêtée à cet exercice, jeudi 10 février. Son président, François Asselin, a dévoilé, lors d’une conférence de presse, des propositions pour défendre cette catégorie de sociétés au sein desquelles travaillent un peu plus de 6 millions de personnes.

Sans surprise, ses revendications recoupent, pour une large part, celles des autres mouvements d’employeurs, même si les solutions préconisées peuvent différer sur le plan des modalités. Pour stimuler l’investissement, M. Asselin recommande une nouvelle réduction des impôts de production – en ciblant la fiscalité locale.

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Le coût du travail représente une autre préoccupation centrale de la CPME : à ses yeux, il convient de le diminuer. Dans cette optique, les exonérations de cotisations sociales devraient être repensées, notamment parce qu’elles sont insuffisantes ou nulles, s’agissant des rémunérations les plus élevées : il faudrait donc alléger les contributions jusqu’à 3,5 smic, afin que la main-d’œuvre qualifiée soit moins onéreuse.

Reculer à 65 ans l’âge légal de départ à la retraite

Jugeant le niveau de prélèvements obligatoires trop haut, la CPME suggère une cure d’amaigrissement à la « sphère publique ». Plusieurs options sont avancées : baisse de 120 000 postes dans les administrations, limitation de l’accès au statut de fonctionnaire en le réservant au champ du régalien (justice, police, défense), élagage du « mille-feuille territorial » par la redistribution des compétences entre échelons de collectivités, etc.

Sur la question du pouvoir d’achat – omniprésente depuis quelques mois avec l’emballement de l’inflation –, M. Asselin a une mesure prioritaire en tête : le recours accru aux heures supplémentaires. A cette fin, il ne faudrait ni cotisation patronale ni impôt à partir de la 36e heure de travail. Le leader patronal réclame, par ailleurs, la pérennisation de la « prime Macron », cette gratification exempte de prélèvements fiscaux et sociaux qui connaît un gros succès depuis sa mise en place, fin 2018.

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C’est, peut-être, sur la protection sociale que la CPME porte les idées les plus détonantes. Tout comme le Medef, elle juge indispensable de reculer à 65 ans l’âge légal de départ à la retraite. Mais l’organisation de M. Asselin pense qu’il faut aller plus loin en fondant « un dispositif de capitalisation (…) inclus dans les cotisations obligatoires ». Les individus pourraient l’alimenter de façon volontaire afin de se constituer des droits uniquement pour eux en vue de leurs vieux jours, les sommes ponctionnées faisant l’objet de placements sur les marchés. Ainsi serait créé un fonds de pension, dont les ressources serviraient à financer les entreprises françaises et qui aurait vocation à être géré par les partenaires sociaux.

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« Le principal frein à la croissance est l’insuffisance de main-d’œuvre dans certains secteurs »

Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, dans Le Lab, l’incubateur de l’institution, à Paris, en juin 2019.

Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, se dit confiant sur la vigueur de la reprise, mais souligne les difficultés structurelles auxquelles l’économie nationale est confrontée, notamment en matière d’emploi. Il se montre rassurant sur la poussée inflationniste, tout en prévenant que l’endettement public devra être résorbé.

Comment l’économie française a-t-elle amorcé 2022 ?

Notre enquête de conjoncture, début février, confirme que la reprise est solide et résiste [au variant] Omicron. Elle conforte notre prévision de croissance, qui devrait être d’au moins 3,6 % en 2022. Elle souligne aussi la persistance des difficultés d’approvisionnement, qui devraient, selon les entreprises, se résorber d’ici à la fin de l’année. Mais, surtout, 52 % des sociétés connaissent des difficultés de recrutement. Dans la durée, le principal frein à la croissance est cette insuffisance de main-d’œuvre, qualifiée et non qualifiée, dans certains secteurs.

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Peut-on néanmoins espérer un retour au plein-emploi ?

Oui, si nous sommes tenaces et que nous regardons enfin au-delà de la seule urgence Covid. Aujourd’hui, l’économie française connaît une croissance élevée et une inflation trop forte, mais, d’ici à deux ans, cette image devrait s’inverser. En 2024, l’inflation sera probablement revenue autour de 2 % et la croissance aura retrouvé, à 1,4 %, sa trajectoire pré-Covid. Un rythme trop faible pour nous ramener vers le plein-emploi. Il est souhaitable et possible de se fixer un objectif plus ambitieux, autour de 0,5 % de croissance potentielle supplémentaire par an. Alors, le plein-emploi et le désendettement peuvent enfin se profiler, mais plutôt d’ici à dix ans qu’à l’horizon d’une année.

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Comment atteindre cet objectif ?

Ces deux dernières années, la vitesse du « véhicule France » venait du fait qu’on appuyait à fond sur la pédale d’accélérateur, budgétaire et monétaire. Et il le fallait. Mais on ne peut pas appuyer indéfiniment sur l’accélérateur parce qu’il se heurte à deux limites : la dette publique pour le budget, et l’inflation pour la monnaie. Aujourd’hui, le sujet est donc différent : c’est celui de l’efficacité du moteur. Il faut lever les freins à la vitesse de croisière de notre économie et, ce, par les réformes.

La France ne manque évidemment pas de dépenses publiques ni même, globalement, d’investissements, même si l’on doit investir davantage dans l’innovation et les deux transitions, numérique et écologique. Le pays manque en revanche d’offre de travail. En 2004, le taux d’emploi, c’est-à-dire la part de la population des 15-64 ans effectivement en emploi, était au même niveau en France et en Allemagne. Depuis, nous avons un peu progressé, mais beaucoup moins que notre voisin : le taux d’emploi y est de 75 %, contre seulement 67 % chez nous. Si nous étions au même niveau, nous aurions 3 millions de personnes de plus en emploi et beaucoup moins de chômage.

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Formation : les préconisations-chocs de l’ancienne équipe de Pénicaud

Bien qu’il ne soit plus au service du gouvernement depuis juillet 2020, Antoine Foucher continue de porter des idées dérangeantes de réformes. Directeur du cabinet de Muriel Pénicaud lorsque celle-ci était ministre du travail, il a présenté, mercredi 9 février, une douzaine de préconisations qui esquissent « une politique nationale des compétences » pour les dix prochaines années. Sa démarche suit un fil directeur : si la France veut se réindustrialiser, « réussir » la transition énergétique et tendre vers le plein-emploi, il faut que les qualifications de la main-d’œuvre collent mieux aux attentes des entreprises. Cela implique une action très « volontariste », avec de substantiels moyens budgétaires et une obligation de résultats synonyme d’électrochoc pour l’éducation nationale.

Après son départ de la Rue de Grenelle, M. Foucher a fondé Quintet, un « cabinet de conseil en stratégie sociale », avec plusieurs anciens collaborateurs de Mme Pénicaud, dont Alain Druelles. Les deux hommes ont joué un rôle central dans plusieurs gros chantiers du quinquennat, dont la loi « avenir professionnel » de septembre 2018, qui a chamboulé le monde de l’apprentissage et de la formation continue.

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Les propositions dévoilées mercredi sont leur œuvre. Elles « n’engagent que Quintet », selon M. Foucher, mais s’inscrivent dans le prolongement de l’action du ministère du travail depuis mai 2017 et sont susceptibles de retenir l’attention d’Emmanuel Macron, au moment où se construit son programme pour l’élection présidentielle.

Aide de 8 000 euros sur le CPF

L’une des recommandations les plus frappantes concerne l’univers scolaire et l’apprentissage. Il est temps de « dire la vérité » aux jeunes ainsi qu’à leurs familles, au sujet des performances du système. Cette opération transparence passe par la publication d’une batterie d’indicateurs, dont le « taux d’insertion dans l’emploi » de tous les lycées professionnels et centres de formation d’apprentis (CFA). Cette mesure avait déjà été évoquée en février 2018, mais sans se concrétiser réellement.

Aujourd’hui, les fondateurs de Quintet la reprennent mais estiment qu’il faut aller encore plus loin. Comment ? En fermant les classes de lycée professionnel et en supprimant les financements des sections de CFA dont le taux d’insertion dans l’emploi est inférieur à 50 %, deux années consécutives. Une disposition synonyme de tremblement de terre si elle était appliquée. MM. Druelles et Foucher sont convaincus que la collectivité doit cesser de subventionner des formations conduisant « majoritairement au chômage » – leur propos valant aussi pour les stages offerts aux demandeurs d’emploi. La situation actuelle, disent-ils, ne peut plus durer, pour des raisons d’efficience, mais aussi de justice sociale, car ceux qui en pâtissent le plus sont les ménages pauvres.

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Tesla accusé de « ségrégation raciale » dans une usine californienne

« Toute la journée, tous les jours, les employés noirs ou afro-américains entendent des insultes raciales sur les travailleurs noirs, de la part d’autres salariés, de chefs et managers », indique la plainte.

« Après avoir reçu des centaines de plaintes des travailleurs », une agence d’Etat californienne s’est chargée d’enquêter sur les affaires civiles a porté plainte, mercredi 9 février, contre le constructeur automobile américain Tesla pour « ségrégation raciale ».

« (…) La DFEH (California Departement of Fair Employement and Housing) a trouvé des preuves que l’usine Tesla de Fremont est un lieu de travail soumis à la ségrégation raciale, a déclaré Kevin Fish, le directeur de cette agence, dans un communiqué. « Les travailleurs noirs [y] subissent des insultes raciales et des discriminations en termes de tâches, de discipline, de rémunérations et de promotion, ce qui crée un environnement de travail hostile. Les faits dans cette affaire parlent d’eux-mêmes », a-t-il ajouté.

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Le DFEH a envoyé par courriel des extraits de la plainte déposée mercredi après-midi dans un tribunal californien, alors que Tesla avait déjà communiqué le matin sur ses poursuites, avant qu’elles soient confirmées. « Tesla s’oppose fermement à toute forme de discrimination et de harcèlement et a une équipe dévolue aux relations entre employés pour répondre et enquêter sur toutes les plaintes », a assuré le groupe dans un communiqué, qui mentionne une enquête de trois ans, portant sur des faits s’étant supposément déroulés dans l’usine de Fremont entre 2015 et 2019.

« Toute la journée, tous les jours, les employés noirs ou afro-américains entendent des insultes raciales sur les travailleurs noirs, de la part d’autres salariés, de chefs et manageurs », fait savoir la plainte. Elle cite de nombreux exemples d’une rare violence verbale, y compris le « n-word » [le mot qui commence par n], pour « nigger » (« négro »), un terme proscrit pour les personnes blanches aux Etats-Unis.

« Harcèlement racial généralisé »

« Comme l’usine est racialement ségréguée, les employés de l’usine appelaient les zones où de nombreux Afro-Américains travaillaient la porch monkey station [qu’on peut traduire par “la zone des singes qui ne foutent rien”], mentionne la plainte. Une employée s’est entendu dire par des collaborateurs et des chefs ferme ta gueule, négresse et tous les Noirs se ressemblent”, continuent les avocats. Un travailleur noir a entendu ce genre d’insultes jusqu’à 50 à 100 fois par jour. »

La plainte souligne que les salariés noirs étaient affectés à des tâches physiquement plus difficile que les autres dans les usines Tesla, qu’ils étaient plus facilement licenciés pour des infractions mineures et beaucoup moins fréquemment promus. « Pour beaucoup de travailleurs noirs, le stress du harcèlement racial généralisé, le risque d’altercations physiques avec les harceleurs, la discrimination flagrante, la discipline disproportionnée et l’inaction en cas de plainte ont rendu leurs conditions de travail tellement intolérables qu’ils ont démissionné », précise la plainte.

Plusieurs salariés et ex-salariés du groupe dirigé par le milliardaire Elon Musk ont déposé des plaintes ces derniers mois pour dénoncer des cas de harcèlement sexuel ou de discrimination raciale au sein de l’entreprise.

En octobre, un jury californien avait condamné Tesla à verser 137 millions de dollars (118 millions d’euros environ) de dommages et intérêts à un ancien employé noir pour avoir fermé les yeux sur le racisme qu’il subissait dans cette même usine du groupe.

« Tesla a toujours pris des actions disciplinaires et licencié des employés pour faute professionnelle, y compris ceux qui profèrent des injures raciales ou harcèlent les autres de différentes manières », a assuré le groupe dans son communiqué mercredi, qui mentionne aussi son équipe chargée de la diversité, de l’équité et de l’inclusion. L’entreprise compte demander au tribunal de suspendre les poursuites pour s’assurer que l’ensemble des faits et des preuves soient pris en compte. Le constructeur automobile, qui insiste aussi sur le fait qu’il est le dernier encore installé en Californie, dit regretter que le DFEH ne lui ait pas transmis les détails des accusations sur lesquelles s’appuient ses poursuites.

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Le Monde avec AFP