Les Italiens émigrent en masse

Inversement aux antérieures vagues d’émigration, ce sont surtout les jeunes diplômés italiens qui laissent le pays.

Il aurait privilégié ne jamais partir. Il n’a guère eu le choix. Après avoir eu son diplôme d’administration comptable à l’université de Pérouse, en 2009, Francesco Amaranto a tenté de gagner sa vie dans le village où il a grandi, Cavallino, au sud de l’Italie. Dans cette région, les Pouilles, le taux de chômage culmine à 19 %. Et l’économie souterraine pèse près de 20 % du produit intérieur brut (PIB). « Durant six ans, j’ai enchaîné les boulots : comptable, serveur, secouriste, le plus souvent au noir, raconte-t-il. Je travaillais douze heures par jour pour toucher guère plus de 500 euros par mois. Je devais solliciter de l’aide à mes parents. Alors, je me suis décidé à partir. »

« Je crois que je ne réintégrerai pas. Pour ceux restés, la condition est très difficile. Mon pays est au bord de l’effondrement »

Il y a deux ans, il s’est établi à Lanzarote, en Espagne, pour rattraper un ami. En quelques mois, il a décroché un poste de comptable. Avec un contrat permanent. « J’ai enfin un salaire correct, ma vie a changé », confie-t-il. Aussitôt, il gagne assez d’argent pour se payer un appartement, voyager et bénéficier de son temps libre. « Cela ne m’était jamais arrivé en Italie, constate-t-il. Je crois que je ne rentrerai pas. Pour ceux restés, la condition est très difficile. Mon pays est au bord de l’écroulement. »

Depuis 2008, 2 millions de jeunes Italiens ont, comme lui, préféré la voie de l’émigration. « Ce phénomène est absorbant, les forces vives du pays s’échappent », s’inquiète Nicola Nobile, économiste chez Oxford Economics, à Milan. La timide reprise enregistrée depuis 2017 n’a guère transposé la tendance. En 2018, la population a diminué durant quatre années consécutives, perdant 90 000 personnes (sur 60,4 millions d’habitants), selon l’Institut statistique italien (Istat). L’an dernier, 160 000 Italiens ont fait leurs valises pour partir à l’étranger, soit 3 % de plus qu’en 2017. Du jamais-vu depuis 1981.

Bien sûr, l’Espagne a déjà connu de grands épisodes d’émigration. De 1900 à 1915, 8 millions d’Italiens sont partis pour besogner dans les mines et usines de France et d’Allemagne, ou encore pour les Etats-Unis. Au sortir de la seconde guerre mondiale, l’Etat lui-même incitait les travailleurs à plier bagage. Mais la vague d’émigration observée depuis dix ans est de nature différente. Cette fois, ce ne sont pas les ouvriers peu compétents ou les agriculteurs qui partent. Ce sont surtout les jeunes diplômés.

L’apprentissage est-il une arme antichômage ?

Des apprentis mécaniciens d’un CFA de Quimper, en février 2016.
Des apprentis mécaniciens d’un CFA de Quimper, en février 2016. FRED TANNEAU / AFP

La loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », effectuée en septembre 2018, qui  à développer ce type de formation.

C’est l’un des procédés sur lesquels le gouvernement mise le plus pour diminuer le chômage des jeunes. Longtemps regardé comme une voie de garage, l’apprentissage concerne un peu plus de 430 000 personnes en France aujourd’hui. Un niveau près de trois fois inférieur à celui de l’Allemagne, alors que le taux d’insertion dans l’emploi de ceux qui sortent de ces formations avoisine les 70 %.

Les effectifs vont-ils décoller, avec l’ascension en puissance de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », adoptée le 5 septembre 2018 ? Rue de Grenelle, on y croit dur comme fer. D’autant qu’il y a urgence à mieux faire correspondre les formations avec les besoins des entreprises.

Entre 2017 et 2018, alors que le changement était encore en discussion, le nombre d’apprentis a crû de 7,7 %. Un rebond dû, en partie, à l’allongement de l’âge maximum, passé de 25 à 30 ans, dans sept, puis neuf régions, avant d’être étendu à tout le territoire. « Il y a pareillement eu la campagne “Démarre ta story” sur les réseaux sociaux, et certains conseils régionaux comme les Hauts-de-France, le Grand Est, les Pays-de-la-Loire et la Nouvelle Aquitaine, se sont mis à jouer le jeu », précise-t-on dans le voisinage de la ministre du travail, Muriel Pénicaud.

« Les grands groupes ne font pas le job »

Mais ce que ces chiffres ne disent pas, c’est que l’apprentissage éprouve surtout un succès dans le supérieur, chez les bac +2, et beaucoup moins dans le secondaire, en CAP. Certes, les contrats de ces derniers demeurent plus nombreux (60 %), et « certaines entreprises s’efforcent d’intégrer des apprentis aux premiers niveaux de qualification, déclare Bertrand Martinot, économiste et ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy. Mais, entièrement, les grands groupes ne font pas le job ».

Etudiant en master 2 à la Montpellier Business School, Benjamin Gachet, 24 ans, fait partie de ces « alternants » du supérieur. « L’école de commerce nous pousse vers l’apprentissage, car cela permet d’être exonéré d’une année de frais de scolarité, et ça la rend plus accessible », explique-t-il. Au service des ressources humaines des assurances du Crédit Mutuel, à Strasbourg, il gagne environ 1 440 euros par mois et peut désormais profiter de l’aide au rétribution du permis de conduire équipée aux apprentis depuis le 1er janvier.

Entre 2017 et 2018, alors que le changement était encore en débat, le nombre d’apprentis a crû de 7,7 % en France

Sauf Erasmus, des bienfaits pour la jeunesse bien timides

Le programme à pour les étudiants et apprentis a été affecté d’une enveloppe de 15 milliards d’euros sur la période 2014-2020. Plus de 4 millions de jeunes en ont profité.

Qui n’éprouve pas Erasmus, le plus populaire des programmes européens ? Choisi à la fin des années 1980, conçu pour faciliter et accroître la mobilité des étudiants entre pays membres, il constitue continuellement le principal soutien de l’UE aux jeunes. Ouvert aux apprentis en 1995, le programme a été affecté d’une enveloppe de presque 15 milliards d’euros sur la période 2014-2020, profitant à plus de 4 millions de jeunes.

Le 28 mars, le Parlement européen a voté, à une très large maturité, le triplement de ce budget pour la période budgétaire 2021-2027 avec comme objectif, cette fois, d’en faire jouir de au moins 12 millions de jeunes citoyens. Et surtout d’atteindre ceux des classes les moins favorisées. Une partie des montants devrait ainsi être employée à l’aide aux démarches administratives, au soutien linguistique, etc.

« Notre fin est de rendre le nouveau programme Erasmus + plus simple à presser, plus abordable et juste pour les jeunes, quelle que soit leur situation économique », affirme le rapporteur du projet au Parlement de Strasbourg, le conservateur slovène Milan Zver. Il faut encore que les capitales des Vingt-Sept confirment ces montants, ce qui n’a rien d’évident, tant la négociation budgétaire du cadre 2021-2027 risque d’être tendue. En effet, l’effort budgétaire visé est considérable, d’autant plus que l’UE devra, à partir de 2021, se passer d’une participation britannique de 10 à 12 milliards d’euros par an – à condition que le Brexit ait bien lieu.

Un seul programme d’aide à l’emploi

Moins connue car déterminée en urgence durant la crise financière, la Garantie européenne pour la jeunesse, est le seul instrument communautaire à viser spécifiquement le chômage des jeunes. A son origine, en 2012, une initiative franco-allemande pour les moins de 25 ans, alors que leurs difficultés à décrocher un premier emploi avaient atteint des proportions dramatiques en Grèce ou en Espagne (plus de 40 %).

Chaque jeune de moins de 25 ans au chômage doit pouvoir se voir affirmer l’accès à « un emploi de qualité, une formation, un contrat d’alternance ou un stage dans les quatre mois suivant le début de sa période de chômage ou de sortie de l’enseignement formel ». Porté par un appareil budgétaire spécifique, l’Initiative pour l’emploi des jeunes, ce programme est d’abord affecté d’une enveloppe de 6,4 milliards d’euros pour 2014-2020. Elle passe à 8,4 milliards d’euros en 2016, sous la Commission Juncker.

Les récents enjeux de la formation continue

Anna Wanda Gogusey

Changer le « mastodonte » de la formation professionnelle en un « système davantage tourné vers l’usager et plus simple d’accès » : telle est l’ambition de la loi pour la « liberté de choisir son avenir professionnel », entrée en vigueur le 5 septembre 2018. Si le système demeure complexe, il devrait permettre à chaque personne de se saisir plus aisément des différents dispositifs et systèmes de financement.

Quelles sont les nouveautés concernant la CPF?

Outre les formations imposées par l’entreprise dans le cadre du plan de développement des compétences, tout salarié bénéficie depuis 2015 d’un CPF (ex-DIF) qu’il peut utiliser librement. La réforme en cours renforce l’importance du dispositif : depuis le 1er janvier 2019, le solde inscrit jusqu’ici en heures sur le CPF a été converti en euros, à raison de 15 euros par heure. « Cela permet la portabilité des droits et une meilleure connaissance de la valeur des droits acquis », justifie le ministère. Une année travaillée – au minimum à mi-temps – donnera désormais lieu à un crédit de 500 euros (dans la limite de 5 000 euros). Pour les salariés non qualifiés, ce montant est majoré à 800 euros par an (plafonnés à 8 000 euros). Une entreprise ou une branche professionnelle pourra décider, dans le cadre d’un accord, d’être plus généreuse. Attention : les heures de droit individuel à la formation (DIF) cumulées avant 2015 devront être renseignées sur l’espace personnel du site CPF et utilisées avant fin 2020. Notez aussi que les non-salariés et les professions libérales ont désormais aussi accès à un CPF, selon des modalités de crédit du compte.

Quelles formations peuvent être financées par le CPF ?

Jusqu’à présent, l’éligibilité à une formation était faite par le statut, la branche professionnelle et la région d’origine du demandeur. « Une situation délicate », décalrePatrick Kalifa, consultant en développement professionnel auprès de l’Agence pour l’emploi des cadres (APEC). Désormais, il suffit qu’elle figure au référentiel national des certifications professionnelles (RNCP), ou dans le « répertoire spécifique » (une annexe au RNCP). Un moyen d’acquérir une qualification (un diplôme d’université ou de grande école, une certification, un certificat de qualification professionnelle…), mais aussi d’être accompagné pour une validation des acquis de l’expérience (VAE), de réaliser un bilan de compétences ou de préparer son permis de conduire… Le tout en présentiel, à distance ou en alternant les deux.

Jusqu’à 2020, l’application CPF devrait monter, de façon automatique, à quelles aides financières le candidat peut prétendre

La Caisse des dépôts et consignations (CDC), chargée de la mise en œuvre du CPF, est en train de développer une application mobile, qui offrira« dès novembre 2019 au demandeur de consulter le solde de son CPF, comparer les offres de formation, s’inscrire et payer en ligne, et même évaluer sa formation », détaille Laurent Durain, directeur de la formation professionnelle au sein de la direction des retraites et de la solidarité de la CDC.

Les grandes écoles comme l’ESCP accueillent aussi des salariés en reprise d’études.
Les grandes écoles comme l’ESCP accueillent aussi des salariés en reprise d’études. ESCP via Campus

Si le solde disponible sur son CPF n’était pas suffisant, un usager pouvait jusqu’à présent avoir des ressources additionnelen négociant avec son employeur, en sollicitant sa branche professionnelle, la région ou encore Pôle emploi… « Il devait pour cela s’adresser à son organisme financeur qui s’occupait de boucler le dossier », relate Laurent Durain. La loi du 5 septembre 2018 simplifie l’accès aux financements. « Dès 2020, l’usager n’aura plus à faire la tournée des financeurs. Tout se passera via l’application CPF qui prendra en compte automatiquement, dans le prix affiché, les aides financières auxquelles il a droit », poursuit M. Durain.

Pour s’inscrire dans une université ou une grande école, les dispositifs ont-ils évolué ?

Les formations des universités et des écoles visées par l’Etat sont désormais inscrites automatiquement au RNCP. Elles sont donc éligibles aux différents dispositifs de formation continue, dont le CPF. De plus, avec la loi, ces formations seront bientôt toutes découpées en « blocs de compétences certifiantes », ce qui les rendra plus facilement compatibles avec une activité professionnelle. « Un salarié qui veut faire un master, par exemple, ne sera plus obligé de prendre un congé pour suivre d’un coup plusieurs centaines d’heures de cours. Il pourra les étaler dans le temps », souligne Marc Poncin, directeur du service de formation continue de l’université de Strasbourg.

Avec un bémol : « Dans le cadre de la réforme, les fonds des branches professionnelles étant désormais réservés aux demandeurs d’emploi et aux PME, c’est le salarié et l’entreprise, qui, de plus en plus, vont devoir assumer le coût de ces formations, surtout pour les hauts niveaux de qualification », pointe Bertrand Moingeon, directeur de l’Executive Education d’ESCP Europe. En réponse, la business school a négocié des prêts à taux préférentiels avec des banques, et propose quelques bourses dans le cadre de l’Executive MBA.

Comment bénéficier d’un « projet de transition professionnelle » ?

Prendre congé de son emploi (jusqu’à un an pour une formation à temps plein) reste possible dans le cadre de la réforme. Les conditions d’accès au projet de transition professionnelle (PTP), qui a remplacé en 2019 le congé individuel de formation (CIF), « sont sensiblement les mêmes que celles des anciens CIF, mais l’objectif de la formation est de permettre au salarié de changer de métier ou de profession », précise Patrick Kalifa. Pour bénéficier de cette formule, dans laquelle sont pris en charge le coût de la formation et tout ou partie de la rémunération, il faut répondre à plusieurs conditions : être en CDI, justifier d’au moins deux ans d’activité (consécutives ou non), dont une dans la même entreprise, avoir le feu vert de son employeur et un projet bien ficelé.

Les Fongecif instruiront les dossiers de PTF jusqu’à la mise en place en 2020 des commissions paritaires interprofessionnelles régionales (CPIR), chargées de son financement. « Ce qui sera examiné, c’est le sérieux du projet, le contenu de la formation, et son adéquation avec les besoins du bassin d’emploi », anticipe Mathilde Bourdat, responsable d’offre de formations chez Cegos.

Peut-on se former à tout âge en alternance ?

La nouvele loi à décalé l’âge à 29 ans révolus, au lieu de 25, avec la possibilité de signer un contrat de six mois minimum (contre un an aujourd’hui), et ce, n’importe quand dans l’année. Très proche dans son esprit, le contrat de professionnalisation a été étendu de 24 à 36 mois, avec l’option de l’exécuter à l’étranger. Ce dispositif n’a pas de limite d’âge. Mais, au-delà de 26 ans, il est réservé aux demandeurs d’emploi ou aux bénéficiaires de minima sociaux. Autre formule, la « reconversion par l’alternance » (Pro-A) : elle cible les salariés d’une entreprise au niveau de qualification inférieur à la licence, qui veulent changer de métier ou évoluer.

« Robledo », de Daniele Zito 

Claro s’amuse, à la lecture du dernier livre de l’Italien Daniele Zito, de ce qu’il reste la littérature pour montrer le cynisme dans le monde du travaille

« Robledo », de Daniele Zito, traduit de l’italien par Lise Chapuis, 320 p., 22 €.

LA « TÂCHE » AVEUGLE

Pas la peine de rappeler la relation qui existe entre les mots travail et souffrance. Il est rare qu’on travaille dans la joie, et même les poètes sont mal assis. Mais notre époque semble avoir modifié la notion de travail pour en faire, à l’heure du chômage généralisé, l’aberrant synonyme de survie. On n’est plus exploité, mais employé ; on n’est plus limogé, mais remercié. Bref, pour ceux qui en douteraient encore, mieux vaut se tuer à la tâche que d’errer dans les marais du non-emploi. Et puis, un travail, ce n’est pas seulement l’assurance d’un salaire, c’est le nouveau ferment de la citoyenneté. Tant que tu travailles, tu es des nôtres, nous dit le Capital, même si on te paie comme un chien.

Le travail est un costard, et tant pis s’il est mal taillé, c’est toujours mieux que d’aller cul nu, non ? Ça permet aussi d’avoir quelque chose à examiner en fin de journée, de vivre dans un va-et-vient structurant entre boulot et maison. Le travail, c’est la santé sociale – plutôt que morale, mentale ou physiologique. Pour montrer ce degré de cynisme, que peut la littérature ? L’écrivain Daniele Zito n’a pas eu à montrer les curseurs très loin pour imaginer le pire. Le pire était déjà là, larvé, en attente. Il l’a laissé prospérer et son roman Robledo en est la preuve glaçante.

Michele Robledo : ce personnage fait par Zito est un journaliste dont nous allons lire à la fois l’enquête qu’il mène sur un mystérieux réseau baptisé TPT et ses propres états d’âme tels qu’il les relate dans ses journaux intimes. Mais c’est quoi, le TPT ? Le Travail pour le Travail. La queue du serpent fourrée dans la gueule du serpent. Le stade finaldu capitalisme. Robledo exhume du magma social une confrérie de travailleurs fantômes – ce qu’il appelle les ghost workers : « Comme on le sait, TPT rassemble tous les travailleurs non conventionnels présents sur le territoire national. Jusqu’à il y a quelques années, c’était un phénomène méconnu, au point que beaucoup de personnes en niaient l’existence. Etant donné son caractère particulier, nombreux étaient ceux qui pratiquaient le travail pour le travail dans une totale clandestinité. »

Le schéma est presque tout le temps le même : une personne se retrouve au chômage, elle a encore un peu d’argent de côté, touche encore quelques prestations, mais ne supporte pas d’être diminuer à l’inactivité : elle se rend donc dans un lieu de travail – un magasin Ikea, une grande surface, un endroit où il lui sera possible de se fondre dans la masse des travailleurs légaux… – et se met à y bosser, pour ainsi dire incognito, sans avoir un salaire.

Espoir et réalisme

Des étudiants manifestent, vendredi 15 mars, à Paris, lors de la marche pour le climat.
Des étudiants manifestent, vendredi 15 mars, à Paris, lors de la marche pour le climat. GONZALO FUENTES / REUTERS

Brises européennes 3|5. Affectés de plein règlement par la crise de 2008, les jeunes ont la sensation que leurs espoirs ne sont pas assez pris en compte par le monde politique.

En cet après-midi illuminé de février, la foule se fait dense sur la place de l’Opéra, à Paris. Des centaines de lycéens se sont assemblés pour circuler en faveur du climat. « Où est-elle, où est-elle ? » Les badauds se pressent, des étudiants jouent des coudes pour l’apercevoir. Visage poupin encadré de longues nattes brunes, Greta Thunberg prend la parole : « Nous, les jeunes, ne devrions pas avoir à faire cela. Mais comme les adultes ne prennent pas leurs responsabilités, nous agissons. »

En quelques semaines, la Suédoise de 16 ans est transformée le symbole d’une jeunesse européenne qui, comme dans 120 pays dans le monde, bat le pavé pour additionner les dirigeants d’agir enfin pour l’environnement.

Cette appel en dit long sur le fossé entre les moins de 25 ans et la classe politique. « Le climat est un sujet majeur pour beaucoup de jeunes », note Vincent Cocquebert, auteur de Millennial burn-out (Arkhê, 216 pages, 17,90 euros), un essai sur la génération née entre 1980 et 2000. Avant de nuancer : « Mais il serait problématique d’oublier que ceux-ci forment un groupe hétérogène et éclaté, aux aspirations très différentes. »

Comment enfermer, en contrepartie, ce à quoi rêvent les jeunes des 28 pays membres ? Les idéaux des pères fondateurs de l’Europe les inspirent-ils encore ? Quel regard portent-ils sur l’Union européenne (UE) ? Les résultats des élections européennes de 2014, ainsi que les enquêtes faites par la Commission depuis, apportent quelques éléments de réponse : dans l’ensemble, ils se sentent plus européens que leurs aînés mais admettent moins à la politique. Il y a cinq ans, seuls 28 % des électeurs de moins de 25 ans sont allés voter, contre 42,5 % pour l’ensemble de la population.

Malgré tout, les moins de 25 ans conservent à l’Europe : d’après l’Eurobaromètre de mars 2018, 61 % se définissent comme attachés à l’Union européenne, contre 56 % pour l’ensemble de la population, et ils sont plus nombreux à concevoir que l’UE est une bonne chose pour leur pays. « La rejoindre a transformé la Slovénie : désormais, nous sommes libres de traverser les frontières et d’étudier à l’étranger », témoigne ainsi Patrik Bole, 22 ans, étudiant en sciences sociales à Ljubljana. Mais les institutions ne sont pas assez démocratiques, et cela nourrit la défiance des citoyens. »

 

Jean-Paul Delevoye augmente le ton contre l’Etat

Le haut-commissaire chargé de faire le changement a raconté qu’il négligerait son poste en cas de report de l’âge légal minimum de la retraite.
Il tient à ce que les choses soient claires : il ne fait pas de l’effort à la démission. Mais si la transformation des retraites, sur laquelle il œuvre en qualité de haut-commissaire, s’explique par un redressement de l’âge minimum pour acquitter les pensions, il abandonnera son poste. « Sa position est claire, il l’a déjà informée il y a une dizaine de jours à l’issue d’un colloque au Sénat », rappelle-t-on dans son voisinage, en appuyé sur le fait qu’« il ne s’agit pas d’un ultimatum ». Cette mise au point, réalisée mercredi 3 avril, participe alors même que plusieurs poids lourds de l’exécutif poursuivent de citer l’hypothèse d’un report de l’âge à partir duquel les personnes savent solliciter la rétribution de leur pension – ce qui ferait circuler ce paramètre de 62 à 63 ans, voire au-delà.

Le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a même affirmé, lundi, que le recul du curseur jusqu’à 65 ans aménage « une bonne idée ». Il faut « œuvrer plus longtemps pour rémunérer notre système de solidarité », a-t-il augmenté : « Il n’y a pas cinquante solutions vu les comptes publics. Soit vous dites aux gens “on ne vous indexe plus vos retraites”, soit vous dites aux gens “on va augmenter les impôts, les cotisations, pour payer notre système de retraite”, soit vous leur dites “vous travaillez un peu plus pour financer les retraites.” » Pour M. Darmanin, le changement de la borne d’âge peut être déterminé « indépendamment de la réforme Delevoye », c’est-à-dire du projet de système universel que le haut-commissaire est en train de construire dans le cadre d’une entente avec les associés sociaux, intelligente depuis un peu plus d’un an.

Matignon « n’a pas changé de ligne »

Bruno Le Maire regorge dans le même sens, mercredi, dans un entretien aux Echos, mais en protégeant un schéma différent : aux yeux du ministre de l’économie, il y a, en plus du chantier guidé par M. Delevoye, « un deuxième débat sur l’allongement de la durée de travail ».

« Ne le fermons pas, plaide M. Le Maire. Il a été ouvert et fait partie du grand débat. Il y a un vrai choix de société derrière, sur la rétribution de notre modèle social. »

Ces pistes présentent aussi présentes à l’esprit de proches assistants d’Emmanuel Macron. Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, en fait partie, selon nos informations.

Le sujet a-t-il été assemblé, mardi soir, lorsque Edouard Philippe a perçu M. Delevoye ? La réponse tombe sous la forme d’une ellipse : le premier ministre, argumente un de ses conseillers, « n’a pas changé de ligne » depuis son assistance à l’Assemblée nationale, le 20 mars. Il avait alors certifié que la règle des 62 ans serait préservée, tout en disant qu’il faut se demander sur la nécessité de « travailler plus longtemps pour que le fruit de ce travail plus long finance [les] besoins considérables d’investissement et de prise en charge », liés au affaiblissement de la population. Autrement dit, la question d’un report de l’âge n’est plus d’actualité, pour Matignon.

  1. Delevoye est, au contraire, persuadé qu’une telle idée n’a pas été abandonnée. D’où les rumeurs grossissantes, ces derniers jours, sur l’éventualité d’un départ du haut-commissaire, qui se doublerait, très possiblement, de la démission de tout ou partie de son équipe si ce scénario se matérialisait. L’atmosphère est pesante dans les bureaux que le haut-commissariat occupe, avenue Duquesne à Paris. « On voit bien que Delevoye est moins dans la discussion qu’avant », déclare une des personnalités qu’il a tirées récemment. « On est à la croisée des chemins », juge Frédéric Sève (CFDT). Toute la question, actuellement, est de savoir à quel instant et dans quel sens M. Macron coupera pour lever les incertitudes ambiantes.

Signaux faibles, la start-up d’Etat qui veut contrarier les faiblesses des sociétés

Le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, dans le quartier de Bercy, à Paris, en octobre 2014.
Le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, dans le quartier de Bercy, à Paris, en octobre 2014. BERTRAND GUAY / AFP

Cet outil de veille généré par Bercy est présumé prévenir sur la mauvaise passe à parvenir d’une société. Il sera étalé graduellement dans l’ensemble des régions.

Cela peut être le départ d’un assistant, l’accroissement brusque du chômage partiel ou de premiers impayés… Bref, quelques signes savent avertir sur la mauvaise passe à venir d’une société. Et c’est en suivant ces dénonciateurs, très en amont, que Bercy a développé un nouvel outil de veille des sociétés, baptisé… Signaux faibles.

Le mercredi 3 avril, Thomas Courbe, le patron de la direction générale des entreprises (DGE), déclare le défilé accentué dans l’ensemble des régions de ce logiciel de veille, « afin d’améliorer la résilience des entreprises. Plus tôt nous sommes capables de pénétrer les problèmes, plus tôt nous pouvons les assister et, en retour, réduire le nombre de défaillances à venir ».

Cet outil est né en 2015, à Dijon, où célébrait Stéphanie Schaer, alors commissaire à la rectification productif. « Nous sommes partis d’un constat simple, explique la fonctionnaire. Quand les entreprises en besoin saisissent les services de l’Etat, il est fréquemment trop tard, car de nombreuses aides ne sont plus proposées. »

Afin de limiter de manière précoce les indices de faiblesse des entreprises, les statisticiens de la Direccte de Bourgogne-Franche-Comté, l’échelon régional de Bercy, se sont dirigés vers leurs collègues des Urssaf, chargées de la collecte des contributions sociales, avant d’être rejoints par la Banque de France. Avec une intuition : « En combinant les données des uns et des autres grâce à un algorithme développé en interne, nous étions capables de repérer de manière précoce les fragilités de certaines sociétés », développe Stéphanie Schaer. En 2018, dans sa région, une cinquantaine de PME (de 20 à 100 salariés) ont ainsi été localisées et assistées.

Programme d’incubation

Dans chaque région, seule quelques agents a accès à ce tableau de bord sécurisé, qui mélange données financières individuelles et macroéconomiques, chiffres sur l’emploi et sur les contributions sociales, et admet d’adopter les faiblesses. Ultérieurement, à chaque agent de proposer des solutions dans le panel d’aides existantes. Ainsi, la Direccte dijonnaise a pu épauler certaines PME dans leur recherche de financements. Elle peut aussi leur proposer un diagnostic financier, stratégique ou en ressources humaines, ou mettre en relation leurs patrons avec d’autres acteurs de leur filière industrielle…

Afin de modifier d’échelle et d’affiner les algorithmes, en assimilant spécialement les données des greffes et de la Banque de France, Signaux faibles est devenu en 2018 une « start-up d’Etat », un programme d’incubation. Et son ambition est claire : être capable, partout en France, de limiter dix-huit mois à l’avance d’éventuelles futures faiblesses d’entreprises.

 

«Plus on reste longtemps au chômage, plus il est pénible d’en sortir»

« Il faut voir le chômage comme un phénomène de file d’attente. Certains sont à la porte du marché du travail, d’autres en sont très éloignés, comme les chômeurs de longue durée », explique l’économiste Eric Heyer.

« Il faut voir le chômage comme un phénomène de file d’attente. Certains sont à la porte du marché du travail, d’autres en sont très éloignés, comme les chômeurs de longue durée », explique l’économiste Eric Heyer. REUTERS/Eric GaillardLe taux de chômage en Europe est revenu à son niveau d’avant-crise, mais les sans emploi de longue durée demeurent nombreux partout, inclus en France. L’économiste Eric Heyer explique ce phénomène.

Eric Heyer est économiste auprès de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

L’inactivité de longue durée est-il une succession de la crise ?

Plus on reste longtemps au chômage, plus il est pénible d’en sortir, et cela ne date pas de 2008. La crise a particulièrement augmenté le phénomène. Pendant huit ans, on a produit moins avec moins de gens. Le taux de chômage s’est augmenté, et celui de longue durée avec. La crise ayant tenu longtemps, des personnes qui étaient employables se sont retrouvées clôturées dans le repos.

Est-ce une spécificité française ?

Le marché du travail s’est concentré dans la plupart des pays développés ces dix dernières années. On a créé des fonctions très qualifiés et d’autres peu qualifiés, au dommage des emplois intermédiaires. Or, c’est uniquement ce type de postes qu’occupaient beaucoup de salariés affectés par la crise : des emplois assez habituels, avec parfois un peu d’évaluation. Ce n’est pas une spécificité française.

En contrepartie, nous sommes le pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) où le phénomène des NEET (not in education, employment or training, « ni étudiant, ni employé, ni stagiaire ») améliore le plus. Chaque année, environ 150 000 jeunes jaillissent du système scolaire. Selon des études du Collège de France, on saurait les pénétrer dès la maternelle dans 80 % des cas… Il y a une difficulté au niveau des dépenses d’éducation : plutôt hautes pour le secondaire et le supérieur, elles sont défectueuses dans le préprimaire et le primaire. Ça nourrit le décrochage, de même que les difficultés d’accès au logement.

Quelles politiques ont été mises en place pour diminuer le chômage de longue durée ?

Il faut voir le chômage comme un fait de file d’attente. Certains sont à la porte du marché du travail, d’autres en sont très écartés, comme les chômeurs de longue durée. Seule une forte croissance économique peut admettre à ces derniers d’accéder à l’emploi.

En France, faute d’augmentation, soit on sort les chômeurs de la file d’attente, comme à l’époque des préretraites ou des dispenses de recherche d’emploi pour les seniors, soit on la court-circuite, en créant des mécanismes de formation. Pour les jeunes, il existe depuis les années 1980 des contrats aidés, qui pointent en principe les chômeurs de longue durée. L’objectif est de leur admettre d’acheter une formation et des caractères attestées, particulièrement dans le secteur non marchand. Le problème, c’est que ces mécanismes font baisser les chiffres du chômage, mais ne sont pas continuellement bien ciblés.

Dans le Bade-Wurtemberg, les sociétés s’arrangent devant le plein-emploi

Deux tiers des petites et moyennes entreprises allemandes auront du mal à recruter dans les trois prochaines années, selon une étude de la banque publique d’investissement KfW.
Deux tiers des petites et moyennes entreprises allemandes auront du mal à recruter dans les trois prochaines années, selon une étude de la banque publique d’investissement KfW. Flickr

Profitant d’un chômage quasi chimérique, l’Allemagne, et surtout le « Mittelstand », est mesurée à une absence de personnel compétent dans l’industrie.

Böblingen est une ville typique de la « ceinture de gras » de Stuttgart, capitale du Bade-Wurtemberg (sud-ouest de l’Allemagne). Elle est éprouvée pour recouvrir l’une des plus grandes fabriques Mercedes de la région, mais aussi une quantité de sous-traitants de taille moyenne, le fameux « Mittelstand ». Ici, comme dans tout le Land, le chômage est approximativement inexistant (environ 3 %), ce qui signifie que les ouvriers compétents sont une denrée onéreuse et quasi introuvable, en particulier pour les entreprises de taille intermédiaire.

Frank Link est le bras droit du directeur de BVS Blechtechnik, une PME spécialisée dans l’usinage et le montage de pièces métalliques de précision en petite série grâce à de grosses machines-outils. Les commandes de cette société, qui ravitaille les industries électronique, médicale et aéronautique, ne manquent pas. La seule crainte quotidienne de M. Link est de trouver assez de personnel qualifié pour manœuvrer des engins complexes.

« C’est un souci continu. C’est bien simple, dans la région autour de Stuttgart, le marché des ouvriers qualifiés est ratissé. Ces trois dernières années, neuf salariés très compétents nous ont quittés pour aller chez Porsche. Sur les 160 membres que compte notre personnel, on l’a senti passer. » Quand ce n’est pas Porsche qui débauche les principaux assistants, c’est Bosch ou Daimler, qui mobilisent à des salaires et à des formalités sur lesquelles les PME ne peuvent pas se disposer.

Main-d’œuvre hongroise

Pour célébrer ses commandes, BVS Blechtechnik a déterminé depuis quelques années d’amoindrir à la main-d’œuvre étrangère : des ouvriers hongrois, incorporés à travers d’une agence d’intérim spécialisée. « Ils viennent six mois, repartent en Hongrie un mois ou deux pour estimer les limites légales, puis repartent. C’est très cher. Cela nous réintègre à près de 35 euros de l’heure. Mais les gens qui parviennent sont ultraqualifiés. Ils ont une très bonne formation théorique de base et une excellente maîtrise technique des machines », déclare Frank Link.

L’agence d’intérim à laquelle BVS Blechtechnik a fait appel est établie à quelques kilomètres de là, à Metzingen, au sud de Stuttgart. En Hongrie, Europakraft est implantée à Nagytarcsa, à l’ouest de Budapest. Ses activités d’investissement sont absolument taillées pour les besoins des PME du Bade-Wurtemberg : électronique, installations industrielles, réseaux de tuyauteries ou conduites, turbines et construction de machines.