« Robledo », de Daniele Zito 

« Robledo », de Daniele Zito 

Claro s’amuse, à la lecture du dernier livre de l’Italien Daniele Zito, de ce qu’il reste la littérature pour montrer le cynisme dans le monde du travaille

« Robledo », de Daniele Zito, traduit de l’italien par Lise Chapuis, 320 p., 22 €.

LA « TÂCHE » AVEUGLE

Pas la peine de rappeler la relation qui existe entre les mots travail et souffrance. Il est rare qu’on travaille dans la joie, et même les poètes sont mal assis. Mais notre époque semble avoir modifié la notion de travail pour en faire, à l’heure du chômage généralisé, l’aberrant synonyme de survie. On n’est plus exploité, mais employé ; on n’est plus limogé, mais remercié. Bref, pour ceux qui en douteraient encore, mieux vaut se tuer à la tâche que d’errer dans les marais du non-emploi. Et puis, un travail, ce n’est pas seulement l’assurance d’un salaire, c’est le nouveau ferment de la citoyenneté. Tant que tu travailles, tu es des nôtres, nous dit le Capital, même si on te paie comme un chien.

Le travail est un costard, et tant pis s’il est mal taillé, c’est toujours mieux que d’aller cul nu, non ? Ça permet aussi d’avoir quelque chose à examiner en fin de journée, de vivre dans un va-et-vient structurant entre boulot et maison. Le travail, c’est la santé sociale – plutôt que morale, mentale ou physiologique. Pour montrer ce degré de cynisme, que peut la littérature ? L’écrivain Daniele Zito n’a pas eu à montrer les curseurs très loin pour imaginer le pire. Le pire était déjà là, larvé, en attente. Il l’a laissé prospérer et son roman Robledo en est la preuve glaçante.

Michele Robledo : ce personnage fait par Zito est un journaliste dont nous allons lire à la fois l’enquête qu’il mène sur un mystérieux réseau baptisé TPT et ses propres états d’âme tels qu’il les relate dans ses journaux intimes. Mais c’est quoi, le TPT ? Le Travail pour le Travail. La queue du serpent fourrée dans la gueule du serpent. Le stade finaldu capitalisme. Robledo exhume du magma social une confrérie de travailleurs fantômes – ce qu’il appelle les ghost workers : « Comme on le sait, TPT rassemble tous les travailleurs non conventionnels présents sur le territoire national. Jusqu’à il y a quelques années, c’était un phénomène méconnu, au point que beaucoup de personnes en niaient l’existence. Etant donné son caractère particulier, nombreux étaient ceux qui pratiquaient le travail pour le travail dans une totale clandestinité. »

Le schéma est presque tout le temps le même : une personne se retrouve au chômage, elle a encore un peu d’argent de côté, touche encore quelques prestations, mais ne supporte pas d’être diminuer à l’inactivité : elle se rend donc dans un lieu de travail – un magasin Ikea, une grande surface, un endroit où il lui sera possible de se fondre dans la masse des travailleurs légaux… – et se met à y bosser, pour ainsi dire incognito, sans avoir un salaire.

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LJD

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