Démissionner après une formation peut coûter cher aux salariés

C’est un serpent de mer qui vient de refaire surface dans le cadre des négociations sur le « pacte de la vie au travail ». Le syndicat patronal Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) a exprimé le souhait que les employeurs puissent avoir plus facilement recours au dédit-formation.

Ce dispositif, qui intervient sous forme de clause dans le cadre d’un accord entre l’employeur et le salarié, prévoit que ce dernier s’engage à demeurer un certain temps dans l’entreprise au retour de la formation qui lui a été financée, sous peine de devoir la rembourser.

Une obligation que justifie Eric Chevée, le vice-président chargé des affaires sociales de la CPME : « Quand les salariés acquièrent par une formation des compétences qu’ils peuvent monnayer immédiatement ailleurs, cela peut dissuader les entreprises de les financer. Au lieu de former leurs propres collaborateurs, les employeurs, faute de garantie, sont tentés de recruter à l’extérieur, ce qui est dommage. »

En réduisant le risque de départ anticipé, ce dispositif inciterait les entreprises, surtout celles qui exercent leur activité dans des métiers en tension, à investir davantage dans la formation interne. Et Eric Chevée de rappeler, à titre d’exemple, qu’un permis de conduire pour un poids lourd de 40 tonnes avoisine les 4 000 euros, une somme considérable pour une TPE.

Les clauses de dédit-formation concernent aussi des cadres, qui peuvent être envoyés en écoles de commerce pour suivre des séminaires de plusieurs dizaines de milliers d’euros, à condition qu’ils s’engagent à demeurer entre deux et cinq ans chez leur employeur.

Les syndicats de salariés partagés

Actuellement, la clause de dédit-formation est essentiellement « régie par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui définit ses conditions de validité en fonction du coût et de la durée de la formation précisés dans l’accord signé au préalable entre le salarié et l’employeur », expliquent Pauline Miranda et Christophe Girard du cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats à Lyon. Il ne s’agit donc pas d’un droit inscrit dans le code du travail : en reprenant les acquis de la jurisprudence et en détaillant les possibilités, son inscription dans la loi conférerait, selon ces avocats, une meilleure visibilité à ce dispositif peu utilisé car méconnu.

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Convaincu de ses atouts, Franck Morel, avocat en droit social du cabinet Flichy Grangé, a pour sa part promu dès 2020 le dédit-formation dans une note publiée sous l’égide de l’Institut Montaigne, un cercle de réflexion d’inspiration libérale. Il y proposait la mise en œuvre par voie contractuelle d’une telle clause lorsque l’entreprise met des moyens supplémentaires en œuvre à ses obligations légales, limitée dans le temps et à l’exercice par le salarié d’activités concurrentes. Dans cette perspective, « l’employeur profite du gain de productivité découlant de son investissement sécurisé dans la formation d’un collaborateur. Et ce dernier améliore son employabilité et ses espérances de gain sur le marché du travail. Tout le monde est gagnant », détaille Franck Morel.

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Michelin promet un salaire décent, mais pas la pérennité des sites

C’est une innovation sociale comme Michelin les aime. Le fabricant français de pneumatiques annonce « le déploiement du salaire décent à l’échelle mondiale ». Pour son président, Florent Menegaux, dans beaucoup de pays, le salaire minimum ne suffit pas à faire vivre une famille. Il faut donc prendre une autre référence. Michelin a décidé de retenir celle que propose l’ONG Fair Wage Network. Le salaire décent d’un employé doit lui permettre de payer l’eau, l’alimentation, l’habillement, l’hébergement, l’éducation pour une famille de quatre personnes et lui laisser la possibilité de se constituer une petite épargne de précaution.

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En France, où le smic est à 21 203 euros brut par an, le salaire décent calculé par Fair Wage s’élèverait à 39 639 euros à Paris. Il serait moins haut à Clermont-Ferrand : 25 356 euros, soit 20 % de plus que le minimum légal. A Greenville, en Caroline du Sud (Etats-Unis), il se monterait à 42 235 dollars (environ 40 000 euros), contre un salaire minimum de 14 790 dollars. En Chine, il serait de 69 312 yuans (près de 9 000 euros) au lieu de 29 040 yuans pour le minimum légal.

Sur les 132 000 salariés de Michelin dans 175 pays, environ 5 % n’atteignaient pas ce niveau de salaire décent. Environ 7 000 personnes bénéficient donc d’un rattrapage. Le salaire décent est réévalué chaque année par Fair Wage Network, parfois plus fréquemment dans les pays où l’inflation explose. Michelin ne dit pas combien cette décision va lui coûter. « Ce n’était pas le sujet et cela n’a pas été évalué », explique Florianne Viala, directrice rémunérations et avantages sociaux du groupe. Florent Menegaux, lui, est certain de s’y retrouver : « Les salariés, lorsqu’ils sortent du mode survie, améliorent leur performance. » Il songe à étendre la pratique à ses fournisseurs, comme les planteurs d’hévéas.

Ce « salaire décent » est complété par un « socle universel de protection sociale », qui accorde un congé maternité-adoption de quatorze semaines minimum et un congé paternité de quatre semaines, rémunérés à 100 %, à tous les salariés qui ne sont pas protégés par les lois françaises. L’entreprise s’engage aussi à verser à la famille, en cas de décès d’un salarié, un capital d’au moins un an de salaire et une rente d’éducation.

Investissement dans la formation des salariés

Le directeur du personnel, Jean-Claude Pats, table sur sa politique sociale pour obtenir des salariés « un niveau d’engagement maximal ». Car la pandémie de Covid-19 a marqué une vraie rupture : en 2020 et 2021, le taux d’attrition (taux de départ des salariés) a doublé, jusqu’à 13,2 %, sous l’effet des démissions. Et les besoins de transformation du groupe demandent une grande capacité d’adaptation.

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« Le Chantier » : une vie de chantier en BD drôle, décalée… et juste

« Pensez à devenir dingue », dit un vieux monsieur à la jeune architecte Flora del Sol, dans Le Chantier, de Fabien Grolleau et Clément C. Fabre (Dargaud). Le personnage principal de cette bande dessinée déplore ainsi que l’architecture soit désormais entre les mains de gens sérieux. La scène se passe sur les hauteurs de Barcelone (Espagne), dans le parc Güell conçu par Antoni Gaudi. Faut-il y voir un message du scénariste Fabien Grolleau, lui-même ancien architecte et qui, en préface, dédie son livre aux jeunes professionnels, non sans évoquer les enjeux de durabilité qui pèsent sur le secteur ? Voici en tout cas une BD qui pose un regard tendre et lucide sur un métier au croisement des sciences et de l’art.

Flora del Sol, jeune architecte de talent, vient donc d’intégrer un cabinet prestigieux. Celui d’El Rodrigo, un professionnel reconnu à l’audace sans bornes, dont l’imprévisibilité est redoutée par ses équipes mi-fascinées, mi-terrifiées. En matière de management toxique, il se situerait au sommet de l’échelle.

D’emblée, on pense à Quai d’Orsay, la bande dessinée d’Abel Lanzac et de Christophe Blain (Dargaud, 2010-2011), et à la relation entre le jeune conseiller ministériel Arthur Vlaminck et son tourbillonnant ministre des affaires étrangères, Alexandre Taillard de Worms.

Architecte presque par accident

Quand El Rodrigo débarque à son cabinet, la même tornade traverse les pièces : les nuages de « scritch », lorsqu’il dessine frénétiquement, remplaçant les « tacatacatac » des moulinets du ministre du Quai d’Orsay en plein raisonnement. Une agitation du personnage qui donne aussi le ton de l’album, mi-amusé, mi-distancié, à l’image du scénariste qui explique être devenu architecte presque par accident.

Pour Flora, c’est le premier grand projet postétudes qui se concrétise à travers la commande d’une cliente exigeante. Sur un terrain vierge au bord de la mer, la voici qui projette ses idées, comme sur une feuille blanche. Des premières esquisses à la livraison de chantier, nous la suivons à chaque étape, tandis qu’elle surmonte les embûches et affine son projet.

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C’est aussi drôle et décalé que juste pour traduire les petits tracas quotidiens d’une vie de chantier. Ainsi, la survie d’un estimable pin de Monterey se joue avec la complicité d’un grand chef étoilé qui, lors d’un dîner avec les clients, vient opportunément raconter une légende émouvante – totalement fantaisiste – autour de cet arbre « sacré », qui « porte chance » et qu’il ne faudrait surtout pas abattre…

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A Bourges, le missilier MBDA augmente ses cadences, pousse les murs et recrute à tout-va

Un missile Exocet dans l’usine MBDA de Bourges, le 20 mars 2023.

Le bar L’Arc-en-ciel, avenue Marcel-Haegelen, à Bourges, est un repaire d’anciens salariés du premier missilier d’Europe. Ce samedi 13 avril, les souvenirs se partagent autour d’un quart de rosé. « Il n’y avait pas meilleur comité d’entreprise qu’à MBDA. J’ai fait quatre fois le tour du monde avec eux. Et puis la cantine… Faut voir les casse-croûte qu’ils nous faisaient, c’était du bon et pour pas cher ! », lance l’un. Son voisin de comptoir commente : « J’ai travaillé la poudre, de gros blocs de poudre qu’on découpait à la scie à bois en veillant à ce que la lame ne soit jamais chaude. Rien à voir avec aujourd’hui. On faisait des semaines de soixante heures. On appelait notre atelier “le palais de la sueur”. » L’homme a pris sa retraite en 2001. « Je suis entré à 22 ans. Ils m’ont viré à 57 ans au lieu de 60, parce qu’il n’y avait pas assez de boulot à l’époque. »

Entre 1991 et 2001, 3 000 emplois industriels ont disparu à Bourges. Ville d’armement et de garnison depuis le XIXe siècle, la capitale du Berry a subi la baisse sans fin du budget de la défense. GIAT Industries, qui y fabrique obus et canons, a vu ses commandes résiliées par l’état-major, et la fin du programme du char Leclerc, en 2007, pour ventes insuffisantes, n’a rien arrangé. « J’ai été député du Cher une première fois entre 1997 et 2002, et membre de la commission de la défense nationale. A cette époque, on se demandait aussi si le site de MBDA allait fermer. Quasiment toutes les familles de Bourges avaient un de leurs membres dans l’armement », souligne le maire, Yann Galut. La population est passée de 71 000 habitants en 2005 à 64 000 en 2020.

Et puis tout a changé. En 2018, la France modernise les missiles de ses avions de chasse, les Emirats arabes unis et le Qatar enchaînent les commandes record et le chiffre d’affaires de MBDA grimpe de 40 % en cinq ans. L’entreprise profite enfin du vote, en juillet 2023, d’une ambitieuse loi de programmation militaire et doit répondre aux besoins urgents de l’Ukraine. Il lui faut réduire de quarante-deux à dix-huit mois le délai entre la commande et la livraison de ses missiles antiaériens et antibalistiques Aster. Ceux-là mêmes qui ont été tirés en mer Rouge par une frégate de la marine française pour intercepter des missiles en provenance du Yémen. Autant d’efforts nécessitent davantage de bras et de place.

Le missilier recrute donc à tout-va : « responsable du service essais spéciaux », « opérateur de fraisage nuit »… Au total, 183 offres d’emploi sont actuellement disponibles rien que sur le site de Bourges Aéroport, qui compte déjà 2 000 CDI. Cent postes seront à pourvoir lors de deux journées de « job dating », à l’usine, les samedi 20 et dimanche 21 avril. « Une réponse positive ou négative sera donnée aux candidats trois jours après. Et, concernant les opérateurs, nous ne recherchons pas de profils nécessairement expérimentés », précise-t-on chez MBDA, qui assure la formation en interne. L’école d’ingénieurs INSA Bourges-Blois travaille déjà main dans la main avec le missilier.

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Take-Two, éditeur du jeu vidéo « Grand Theft Auto », va licencier 5 % de ses effectifs

Il s’agit d’un énième plan social dans le secteur du jeu vidéo. Malgré le succès de ses jeux, l’éditeur américain Take-Two – qui détient notamment les très populaires Grand Theft Auto (GTA) et NBA 2K – a annoncé, mardi 16 avril, le licenciement de 5 % de son personnel, c’est-à-dire plusieurs centaines de personnes.

Le groupe prévoit de supprimer des projets en cours. De cette manière, l’éditeur compte réaliser des économies et augmenter ses marges, a-t-il expliqué dans un document déposé auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC), l’organisme américain de contrôle des marchés financiers.

Le conseil d’administration de Take-Two « a approuvé un plan de réduction des coûts visant à identifier des gains d’efficacité dans l’ensemble de ses activités et à améliorer les marges de la société, tout en continuant à investir pour la croissance », explique l’entreprise. Selon le même document, la société estime que ce plan social devrait coûter entre 160 et 200 millions de dollars (entre 150 et 188 millions d’euros environ).

Des succès planétaires

Take-Two, qui comptait 11 580 employés en 2023, est la dernière entreprise d’une longue liste de sociétés technologiques, notamment Sony, Microsoft, Electronic Arts et Riot Games, à mettre en place un plan de licenciements en 2024, après une année 2023 déjà marquée par les réductions d’effectifs dans ce secteur. Selon le site Layoffs.fyi, 255 entreprises technologiques ont licencié environ 74,000 personnes depuis le début de l’année.

Ce plan social est annoncé alors que Take-Two vient de racheter Gearbox Entertainment, connu pour sa série Borderlands, à Embracer, géant suédois du jeu vidéo en pleine restructuration financière, pour 460 millions de dollars en mars.

Il intervient surtout peu avant la sortie du très attendu GTA VI, nouvel opus du jeu d’action détenu par le studio, prévue pour 2025. Le titre devrait être l’un des produits les plus rentables de tous les temps – le précédent jeu, GTA V, s’est écoulé à 190 millions d’exemplaires, selon l’éditeur Take-Two. Il s’agit du deuxième jeu le plus vendu du monde, derrière Minecraft et ses plus de 300 millions de ventes. La bande-annonce de GTA VI, sortie en décembre, montrant des courses-poursuites, des fêtes sur des yachts et, pour la première fois, un personnage principal féminin, a été vue plus de 42 millions de fois sur YouTube en seulement sept heures après sa mise en ligne.

Le Monde avec AFP

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Compte épargne-temps universel : l’U2P et les syndicats s’entendent sur un texte

Jean-Christophe Repon et Pierre Burban de l’U2P, à Matignon, à Paris, le 23 mai 2023.

Les prolongations jouées par l’Union des entreprises de proximité (U2P) et les syndicats ont porté leurs fruits. L’organisation patronale – qui défend les commerçants, les artisans et les professions libérales – et les organisations de salariés se sont entendues sur un projet d’accord au sujet du compte épargne-temps universel (CETU) à l’issue d’une séance de négociation, mardi 16 avril après-midi. La rencontre avait été organisée à la demande de l’U2P après l’échec des discussions entre partenaires sociaux « pour un nouveau pacte de la vie au travail », qui se sont terminées mardi 9 avril.

Alors que le CETU figurait à l’ordre du jour des tractations, le dispositif avait été d’emblée écarté par le Medef et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), le jugeant comme une usine à gaz qui poserait de nouvelles contraintes aux entreprises. Les deux organisations ont d’ailleurs refusé de participer au rendez-vous de mardi.

Le CETU, réclamé de longue date par la CFDT et promesse de campagne d’Emmanuel Macron, vise à accorder des temps de pause aux travailleurs au cours de leur carrière. Chaque salarié aurait un compte ouvert qu’il pourrait abonder de jours de congés payés, dans la limite d’une semaine par an. Et l’U2P considère qu’il peut jouer en faveur de l’attractivité des sociétés de petite taille.

« Le projet d’accord ne bougera plus »

Le compromis avec les syndicats était attendu puisqu’un premier texte avait déjà été discuté. Il fallait cependant revoir certains détails, notamment à la demande de la CFDT. Le sujet a été réglé en à peine trois heures, signe que les positions n’étaient pas très divergentes. « Les modifications qu’on demandait ont été apportées, s’est félicité Isabelle Mercier. On a été plutôt entendu. » Selon la négociatrice de la centrale cédétiste, « le projet d’accord ne bougera plus ».

Anne Chatain, de la Confédération française des travailleurs chrétiens, a également fait part de sa « satisfaction à l’égard de cette négociation, alors qu’on n’avait pas eu l’occasion d’en discuter » lors des pourparlers « pour un nouveau pacte de la vie au travail ». Bien que Force ouvrière ait souvent exprimé son scepticisme sur le sujet, sa représentante, Hélène Fauvel, estime que « du moment que ça ne détruit pas des droits existants, pourquoi pas ». « Certains y tiennent absolument, nous n’avons pas l’intention de les gêner », a-t-elle ajouté.

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Les changements apportés au texte concernent principalement la durée d’ancienneté nécessaire pour pouvoir utiliser son CETU. Il n’y en a aucune s’il est mobilisé pour aider un proche, mais elle a été fixée à douze mois dans le cas d’un engagement citoyen ou d’une reconversion, et trente-six mois pour toutes les autres raisons.

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Transparence des rémunérations : un énorme chantier s’ouvre pour les entreprises

Plus de transparence pour plus d’équité, tel est l’objectif d’une directive européenne sur la transparence des rémunérations qui doit être transposée en droit français, d’ici au 7 juin 2026. Les entreprises auront ensuite au minimum un an pour se mettre en conformité. Seront-elles prêtes ? « Le chantier est énorme, avertit Arnauld Fourniol, associé au sein du département transformation et gestion des talents de Mercer France. Pour le moment, elles découvrent le sujet. »

« Plus que d’une simple évolution, il s’agit d’une révolution, estime Laura Grouberman, directrice de l’activité Work, Rewards & Careers chez WTW, ex-Willis Towers Watson, en France, qui conseille aux entreprises de s’y mettre dès maintenant, car le chemin peut être long – plusieurs mois, voire plusieurs années – pour celles qui vont devoir revoir ou construire les fondations de leurs politiques de rémunération. »

La première modification concerne le recrutement : les candidats devront être informés, dès le début du processus d’embauche, du salaire du poste ou pour le moins d’une fourchette salariale. « Cela répond à une très forte demande des salariés », constate Eric Gras, spécialiste du marché du travail chez Indeed France.

Pour Stéphanie Lecerf, DRH de PageGroup France, spécialiste du recrutement et de l’intérim : « L’effet est positif, car cette transparence permet d’attirer plus de candidats et ils vont se projeter davantage dans le poste. Cela va dans le sens des pratiques. » Ainsi, « fin 2023, plus de la moitié des offres d’emploi publiées sur Indeed en France affichaient des informations sur le salaire, explique M. Gras, les entreprises les plus transparentes étant les PME et les offres pour les cols bleus étant les plus concernées ». Autre mesure prévue dans la directive : le recruteur ne pourra plus demander les antécédents salariaux.

Des sanctions

Ensuite, les entreprises devront fournir des informations précises sur les écarts de rémunération entre hommes et femmes. Selon une étude de l’Insee publiée en mars, le salaire moyen des femmes – pour un temps de travail identique – était encore inférieur de 14,9 % à celui des hommes en 2022. Si, au sein des entreprises, cet écart est d’au moins 5 %, elles devront prendre des mesures.

« Les entreprises françaises ne partent pas de zéro. Par le biais de l’index de l’égalité professionnelle femmes-hommes, elles sont déjà sensibilisées au sujet, mais on va un cran plus loin », note Mme Grouberman. Tout salarié pourra avoir accès à la rémunération moyenne de sa catégorie. Une indemnisation sera versée aux victimes de discrimination salariale, et ce sera désormais à l’employeur que reviendra la charge de la preuve.

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Les TPE n’ont pas profité du recul général de l’absentéisme

Carnet de bureau. Covid-19, télétravail, vieillissement de la population active : il y a deux ans, plus de la moitié des chefs d’entreprise pensaient que les arrêts maladie allaient continuer d’augmenter. Ils avaient raison, mais seulement pour les petites entreprises. Avec 42 % des salariés arrêtés au moins une fois dans l’année, en moyenne nationale, l’absentéisme pour maladie est revenu en 2023 au-dessous de son niveau d’avant Covid-19 (44 % en 2019).

La neuvième édition du baromètre annuel de l’absentéisme de Malakoff Humanis, à paraître mercredi 17 avril, confirme ainsi le recul général des absences pour maladie, révélé quelques jours plus tôt par l’observatoire de la performance sociale Diot-Siaci, mais pour mieux souligner le cas particulier des très petites entreprises (TPE) qui, elles, n’en profitent pas.

Tandis que les entreprises de plus de 1 000 salariés ne comptent plus que 33 % de personnes arrêtées au moins une fois dans l’année 2023 (contre 49 % en 2021), celles de moins de 10 salariés sont passées de 30 % à 38 % puis à 40 % entre 2021 et 2023. En hausse de 10 points de pourcentage en deux ans, les nuages s’amoncellent chez les plus petits, pendant que la situation s’améliore chez les plus grands, indique le baromètre Malakoff Humanis, réalisé du 2 au 24 janvier en interrogeant plus de 2 800 salariés et 400 dirigeants ou DRH du secteur privé.

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Les conditions de travail dans les TPE se seraient-elles dégradées au point de rendre les collaborateurs malades ? « Les arrêts pour troubles psychologiques (…) représentent toujours 15 % des arrêts maladie, et un quart des arrêts longs », mais pour l’ensemble des entreprises. Y aurait-il une nouvelle vague de désengagement qui ne concernerait que les TPE ?

Respect des arrêts prescrits

Les salariés qui se disent engagés y sont effectivement moins nombreux qu’auparavant. Mais les réponses de fond sont à chercher ailleurs. « La question des TPE est un vrai sujet que l’on n’avait pas forcément vu. On commence à avoir une vision plus homogène du rôle du télétravail sur les arrêts maladie », analyse Anne-Sophie Godon, directrice des services de Malakoff Humanis.

Le télétravail généralisé dans les grandes organisations reproduit le phénomène qui, durant les confinements, avait provoqué une chute de l’absentéisme pour maladie. En télétravail, les salariés ont tendance à ne pas déclarer les maladies ordinaires et à continuer à travailler tant bien que mal en restant chez eux. Au cours des douze derniers mois, 45 % des salariés éligibles ont ainsi pris un ou plusieurs jours de télétravail plutôt que d’aller consulter un médecin lorsqu’ils étaient malades, précise le baromètre.

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Le verrier Duralex, en difficulté financière depuis la crise énergétique, demande son placement en redressement judiciaire

Verres en cours de fabrication dans l'usine Duralex de La Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret), en 2005.

En difficulté depuis la crise énergétique de 2022, le verrier français Duralex « a sollicité l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à son bénéfice auprès du tribunal de commerce d’Orléans », a annoncé la société New Duralex International (NDI) exploitante de la célèbre marque, mardi 16 avril.

« L’objectif est de chercher un repreneur pour NDI, visant ainsi à trouver la meilleure solution pour l’entreprise », qui emploie 230 personnes dans son usine historique de la Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret), fait savoir la société. Avant d’ajouter qu’« un administrateur et un mandataire judiciaire devraient être nommés par le tribunal pour assister l’entreprise durant la période d’observation qui devrait s’ouvrir ».

Duralex avait subi de plein fouet la flambée des prix du gaz consécutive à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022, et avait été sauvé temporairement par un prêt de l’Etat de 15 millions d’euros, qui lui avait permis de rouvrir son four verrier et de relancer sa production après cinq mois de fermeture.

« De nouvelles difficultés ont émergé » l’an passé

Cependant, au cours de l’exercice 2023, « de nouvelles difficultés ont émergé », attribuables à l’inflation, à un environnement de consommation « en fort retrait » et à une « concurrence exacerbée », précise la société, ajoutant que, « malgré les efforts opérationnels et les investissements continus, les pertes n’ont pu être endiguées ».

En parallèle, NDI dit avoir « été confrontée à une décision du tribunal administratif d’Orléans concernant les droits à polluer de l’ancien propriétaire de Duralex », considérant qu’elle était « redevable des quotas dus par l’ancien exploitant ». Ce jugement « rendu mi-mars », contre lequel la société a annoncé son intention de faire appel, « compromet sérieusement la santé financière de NDI et sa capacité à maintenir ses activités de manière durable », affirme le communiqué.

« C’est toujours un peu désolant », a regretté auprès de l’Agence France-Presse (AFP) l’élu CGT, François Dufranne, qui assure que les salariés « ne s’y attendaient pas ».
« Il y a trois semaines, un mois, on nous faisait une présentation en nous disant les objectifs, les produits qu’on allait développer, etc. Tout un speech et, un mois après, on fait une réunion extraordinaire de CSE pour nous dire qu’on va mettre l’entreprise en redressement judiciaire », se désole encore le syndicaliste, avant d’ajouter : « Maintenant, on va croiser les doigts pour qu’il y ait un repreneur. »

A Bercy, le ministre de l’industrie, Roland Lescure, qui s’était déplacé pour la réouverture des fours, a déclaré que l’Etat « mettrait tout en œuvre pour essayer de faire émerger des solutions de reprise ». « Nous comptons sur les acteurs du territoire pour se mobiliser à nos côtés dans cette recherche », a-t-il réagi auprès de l’AFP dans un bref communiqué.

Duralex, fondée en 1945, a inventé le verre trempé et les verres utilisés aussi bien dans les cantines d’écoles que par des restaurants branchés. La société a réalisé un chiffre d’affaires annuel de 29,4 millions d’euros en 2022. Pyrex, entité distincte de Duralex exploitée conjointement au sein de la Maison française du verre, « poursuit ses activités comme à l’accoutumée », est-il précisé dans le communiqué.

Le Monde avec AFP

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« Aujourd’hui, tout est “dette” comme il y a vingt ans, tout fut “capital” »

Gouvernance. Après l’éclipse des années « start-up nation » puis du « quoi qu’il en coûte », le montant de la dette publique de la France est revenu au centre de l’actualité politique. Il dépasse 3 000 milliards d’euros, soit désormais 110 % du produit intérieur brut (PIB). Plus inquiétant, le coût de cette dette exige chaque année un besoin de financement équivalent à 2 % du PIB, ce qui creuse encore la dette.

Au-delà des appréciations techniques et des nuances que l’on peut apporter sur cette réalité économique, la dimension symbolique de l’endettement entretient l’idée d’un déclassement de la France, voire un sentiment d’inquiétude à l’égard de l’avenir de notre monde.

Les années 2000, celles de la financiarisation, apparaissent, par contraste, comme animées de légèreté optimiste et marquées par l’omniprésence de la rhétorique de « capital » à valoriser : capital humain, capital social ou relationnel, capital santé ou capital sommeil… Tout était traduit en termes de capital. La vision était résolument spéculative.

L’avenir allait produire des innovations aux rendements si élevés que les dettes présentes seraient mécaniquement effacées par l’accroissement de la valeur marchande des choses. La hausse constante du prix de l’immobilier était le signe patent du triomphe du capital. Dans l’esprit néolibéral dominant, se considérer soi-même comme un « capital » permettait de se valoriser comme une ressource – dès lors, bien entendu, que cette ressource rencontrait un marché.

La logique financière et l’ordre politique

Dans les derniers temps de cette euphorie, le penseur anarchiste David Graeber (1961-2020) popularisait l’idée que la notion de dette est l’expression du pouvoir des dominants sur les dominés (Dette. 5 000 ans d’histoire, Actes Sud, 2016). Selon lui, la logique financière est au service d’un ordre politique qui place les débiteurs en position de servitude à l’égard des créanciers, et les soumet à l’obligation juridique de rembourser quoi qu’il leur en coûte. Reconnaître une dette, c’est donc reconnaître un rapport de force favorable aux plus fortunés.

Vingt ans plus tard, le rêve spéculatif d’une croissance infinie de la richesse s’évanouit devant la réalité triviale de l’accumulation des emprunts de toutes sortes. La rhétorique se renouvelle mais elle reste financière, en se déplaçant du capital à valoriser vers les dettes à assumer : dette publique certes, mais aussi dette des ménages, dette sociale, dette écologique, dette climatique, dette à l’égard des générations futures…, tout est « dette » comme tout fut « capital ». L’attente des lendemains profitables fait place au souci anxieux des factures qui s’amoncellent. Qui les paiera et comment ?

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