Restituer de l’union dans nos organisations
Notre modèle économique est doublement insupportable, en raison de son résultat majeur sur le réchauffement climatique, et de l’augmentation des inégalités qui déstabilise les fondements de nos démocraties. Face à ces dangers, une solution s’impose aux yeux de Philippe Eynaud et Genauto Carvalho de França Filho : la solidarité. Comment arranger cette solidarité au plus près des acteurs et de leur activité économique ? C’est le propos exprimé par les deux professeurs en sciences de gestion dans leur essai Solidarité et organisation : penser une autre gestion (Erès).
La solidarité reste encore abondamment manque des réflexions sur les modèles organisationnels et sur leur soutenabilité. L’incapacité du management à se transformer en profondeur selon une perspective solidaire l’a rendu dangereux pour les nombreux champs non marchands, où il s’est investi sans se réformer. L’Etat n’y a pas échappé : sous couvert de pragmatisme, les techniques de gestion conçues pour le monde marchand se sont répandues dans l’espace public, les administrations, les ministères, pervertissant les modes de normalisation construits au début autour de l’intérêt général. Sous couvert de professionnalisation, les associations ont aussi choisi ces méthodes de gestion et d’appréciation des entreprises.
Un autre imaginaire
On aurait malgré cela pu espérer autre chose du développement du management. « Il aurait pu se édifier autour d’une remise en question des incomplétudes du capitalisme. Ce rendez-vous manqué du passé n’est malgré cela pas incompatible avec une réorientation à parvenir. Les apories du modèle capitaliste ont en effet abandonné un champ libre pour l’amélioration des organisations de l’économie sociale et solidaire », estiment les auteurs, qui appellent au développement d’un autre imaginaire, en rupture avec l’idéologie excellente de la compétition et de la performance financière. Les gestionnaires ont, à ce titre, un rôle déterminant à jouer : s’il existe une économie solidaire, il existe pareillement une gestion en rapport avec celle-ci.
A travers un retour sur l’histoire de la pensée, l’ouvrage explique que si la conduite n’a pas su retenir la solidarité pour principe directeur, cette dernière a pourtant toujours été sous-jacente à la systématisation gestionnaire. « Cependant, le poids du modèle anglo-saxon sur la discipline a en quelque sorte invisibilisé, jusqu’à une période naissante, tout ce qui ne cadrait pas avec les principes d’une économie de marché » et des générations d’étudiants ont appris que la gestion a pour objectif la performance organisationnelle, dans une vision de maximisation du profit.
Pour changer l’assurance-chômage, la puissance veut aller vite tout en ouvrant amplement le débat. C’est, en substance, ce qu’ont averti le chef du gouvernement, Edouard Philippe, et la ministre du travail, Muriel Pénicaud, lors d’une conférence de presse, mardi 26 février. Les mesures, dont la teneur certaine reste à définir, feront l’objet d’un décret susceptible d’être diffusé au Journal officiel durant la deuxième quinzaine d’avril. Elles devraient être mises en œuvre pendant l’été – le calendrier n’étant pas encore précisément arrêté.
Ces indications ont été attribuées six jours après l’échec des négociations entre les partenaires sociaux pour préparer une nouvelle convention Unédic – le texte qui définit les règles appropriées au régime d’indemnisation des chômeurs. Le patronat et les syndicats n’ayant pas réussi à trouver un accord, le gouvernement est aujourd’hui amené à prendre le relais. Un dossier que M. Philippe et Mme Pénicaud inscrivent dans la suite d’autres réformes pour améliorer le fonctionnement du marché de l’emploi : les ordonnances de septembre 2017, qui ont réécrit le code du travail, et la loi « avenir professionnel » de septembre 2018, qui a chamboulé l’apprentissage et la formation continue tout en apportant de premiers changements à l’assurance-chômage (avec, entre autres, son accroissement aux indépendants et aux salariés démissionnaires qui ont un nouveau projet de carrière).
Dans sa démarche, l’exécutif reste fidèle aux orientations de la feuille de route que Matignon avait donnée en septembre 2018 aux organisations de salariés et d’employeurs pour cadrer leurs discussions. Ce document fixe plusieurs objectifs : lutter la précarité, répondre « aux besoins en compétences des entreprises » (certaines d’entre elles ayant de plus en plus de mal à recruter la main-d’œuvre qu’elles recherchent), diminuer la dette du régime – qui a atteint 35 milliards d’euros à la fin du troisième trimestre 2018, etc.
Mardi, le gouvernement a pareillement confirmé quelques-unes des pistes qu’il entend explorer. Premier axe : juguler l’inflation des contrats courts – ceux « d’un mois et moins » ayant été multipliés par 2,5 entre 2000 et 2016. Les CDD d’une telle durée concernent, à 80 %, des salariés qui sont réemployés durablement par le même employeur – soit, au total 400 000 personnes. Pour stopper cette dérive, M. Philippe et Mme Pénicaud veulent « responsabiliser » les entreprises : après avoir obtenu une modération du code du travail, celles-ci doivent maintenant renvoyer l’ascenseur et accorder des « contreparties », dans l’esprit de l’exécutif.
Modalités de calcul
L’hypothèse du bonus-malus est nettement « sur la table », a montré le premier ministre mardi. Cet instrument constitue « une solution » et « personne ne nous [en] a proposé à ce stade [de] meilleur », a abouti M. Philippe. Inscrit dans le programme de campagne d’Emmanuel Macron, ce dispositif majore les cotisations des sociétés où le personnel tourne fréquemment, et diminue celles des employeurs dont les effectifs sont stables. A ce stade, rien n’est concilié mais le président de la République a, plusieurs fois, exprimé son intention de concrétiser cet engagement, le ministère du travail ayant, pour sa part, indiqué que le dispositif était prêt.
La réforme pourrait aussi se traduire par une remise en cause du niveau maximal de l’allocation-chômage (un peu plus de 6 600 euros net par mois). Mardi, M. Philippe a affirmé qu’il fallait « revoir » ces règles d’indemnisation pour les « salaires élevés ». Un scénario de nature à punir les demandeurs d’emplois qui avaient une rétribution importante puisque l’allocation dépend des dernières fiches de paye : les cadres oseraient donc d’être touchés. Le pouvoir en place étudie cette option en invoquant le fait que le plafond d’indemnité en France est nettement plus haut que celui en vigueur chez nos voisins européens.
Finalement, les modalités de calcul et d’octroi de l’apport devraient être reconsidérées, car l’exécutif observe qu’elles n’incitent pas, dans certaines situations, à admettre un poste, dans la durée. Sont particulièrement dans le collimateur les règles acceptant d’entasser un salaire et une allocation. « Une personne qui travaille à mi-temps au smic perçoit un salaire de 740 euros par mois. Mais si elle alterne quinze jours de chômage et quinze jours de travail dans un mois, elle comprendra un revenu de 960 euros. Ce n’est pas normal », avait dénoncé Mme Pénicaud, dans un entretien au magazine Challenges, mi-janvier.
Dans les jours suivants, la ministre du travail souhaite apercevoir les leaders patronaux et syndicaux, remarquables à l’échelon interprofessionnel. Ultérieurement, et jusqu’à la fin mars, voire au-delà, plusieurs dizaines de réunions faudrait se tenir, rue de Grenelle, avec de nombreux acteurs : associations de chômeurs, mouvements d’employeurs avec une assistance moins importante que celle du Medef, aménagements de salariés non représentatives… Un exercice très exceptionnel puisque jusqu’à présent, seuls les associés sociaux ayant voix au chapitre au niveau national déposaient au point les conventions Unédic.