Restituer de l’union dans nos organisations

Deux professeurs en sciences de gestion invitent à repenser le management dans une perspective solidaire, en se libérant du poids du modèle anglo-saxon.
« Solidarité et organisation : penser une autre gestion », de Philippe Eynaud et Genauto Carvalho de França Filho, Erès, 252 pages, 25 euros.
« Solidarité et organisation : penser une autre gestion », de Philippe Eynaud et Genauto Carvalho de França Filho, Erès, 252 pages, 25 euros.

Notre modèle économique est doublement insupportable, en raison de son résultat majeur sur le réchauffement climatique, et de l’augmentation des inégalités qui déstabilise les fondements de nos démocraties. Face à ces dangers, une solution s’impose aux yeux de Philippe Eynaud et Genauto Carvalho de França Filho : la solidarité. Comment arranger cette solidarité au plus près des acteurs et de leur activité économique ? C’est le propos exprimé par les deux professeurs en sciences de gestion dans leur essai Solidarité et organisation : penser une autre gestion (Erès).

La solidarité reste encore abondamment manque des réflexions sur les modèles organisationnels et sur leur soutenabilité. L’incapacité du management à se transformer en profondeur selon une perspective solidaire l’a rendu dangereux pour les nombreux champs non marchands, où il s’est investi sans se réformer. L’Etat n’y a pas échappé : sous couvert de pragmatisme, les techniques de gestion conçues pour le monde marchand se sont répandues dans l’espace public, les administrations, les ministères, pervertissant les modes de normalisation construits au début autour de l’intérêt général. Sous couvert de professionnalisation, les associations ont aussi choisi ces méthodes de gestion et d’appréciation des entreprises.

Un autre imaginaire

On aurait malgré cela pu espérer autre chose du développement du management. « Il aurait pu se édifier autour d’une remise en question des incomplétudes du capitalisme. Ce rendez-vous manqué du passé n’est malgré cela pas incompatible avec une réorientation à parvenir. Les apories du modèle capitaliste ont en effet abandonné un champ libre pour l’amélioration des organisations de l’économie sociale et solidaire », estiment les auteurs, qui appellent au développement d’un autre imaginaire, en rupture avec l’idéologie excellente de la compétition et de la performance financière. Les gestionnaires ont, à ce titre, un rôle déterminant à jouer : s’il existe une économie solidaire, il existe pareillement une gestion en rapport avec celle-ci.

A travers un retour sur l’histoire de la pensée, l’ouvrage explique  que si la conduite n’a pas su retenir la solidarité pour principe directeur, cette dernière a pourtant toujours été sous-jacente à la systématisation gestionnaire. « Cependant, le poids du modèle anglo-saxon sur la discipline a en quelque sorte invisibilisé, jusqu’à une période naissante, tout ce qui ne cadrait pas avec les principes d’une économie de marché » et des générations d’étudiants ont appris que la gestion a pour objectif la performance organisationnelle, dans une vision de maximisation du profit.

Le travail préserve la dignité de l’être humain

Dans une agence de Pôle Emploi à Montpellier, le 3 janvier.
Dans une agence de Pôle Emploi à Montpellier, le 3 janvier. PASCAL GUYOT / AFP

En recommençant le débat sur les réponses à l’octroi des aides sociales et en ciblant les allocataires, le premier ministre, Edouard Philippe, cherche d’abord à chasser aux individus la responsabilité de leur emplacement, déchargeant ainsi le reste du corps social – Etat, collectivités, entreprises – de ses propres responsabilités dans cette situation.

Le chômeur de longue durée, de fin de droit, le aléatoire au bord de l’exclusion que nous croisons tous les jours veut avant tout s’introduire, trouver un travail, un vrai travail salarié, qui lui offre une vie digne. Pour lui, ce produit est devenu extrêmement rare. Rappelons-le : la baisse globale – mais limitée – du chômage en France ne se conduit pas d’une baisse du chômage de longue durée qui frappe toujours plus de 2,5 millions de personnes.

Au fil du temps, on sort des radars

Plus la condition des personnes exclues du travail dure, plus la relance est difficile. Au fil du temps, on sort des radars, on perd non uniquement du savoir-faire, mais jusqu’au rythme qu’impose une activité régulière, et surtout, on coupe peu à peu le lien social. Nos expériences le démontrent ; c’est un accompagnement ajusté à la situation individuelle qui acceptera à la personne de reprendre pied.

Quand on est en fin de droit, on bascule dans la rétribution de solidarité active (RSA). Rappelons que l’ancêtre du RSA, la rétribution minimum d’insertion (RMI), instaurait avec le « I » de l’insertion un contrat qui imposait à tous de s’inscrire dans une démarche. Ne pas le faire formulait la personne à une suspension de ce revenu. Le RSA a été créé dans cet esprit en mettant un cran de plus avec une prime à la reprise d’activité. La contrepartie « Insertion » existe donc bien !

En réalité, que constatons-nous ? Les contrats d’insertion varient selon les départements, chargés de la mise en place de ce volet, et l’Etat n’estime pas l’abondement prévu au profit des départements limitant ainsi l’accompagnement des personnes. Les départements eux-mêmes ne jouent pas toujours le jeu.

« Des solutions existent pourtant : elles séparent toutes trois composantes : la mise à l’emploi, la formation et l’accompagnement »

Des solutions existantes : elles articulent toutes trois composantes : la mise à l’emploi, la formation et le complément. L’insertion par l’activité économique, bien sûr, est un outil vigoureux. La Cour des comptes vient d’en tirer un bilan transparent et il est essentiel de faire croître et de joindre des entreprises. Des expérimentations sont porteuses d’espoir, particulièrement celle des territoires zéro chômeur qui, en dix-huit mois, a permis à un millier de chômeurs de longue durée d’avoirun emploi, c’est-à-dire un pouvoir d’achat, un statut social, une estime de soi et le lien social.

Travaillant en s’amusant

« Il faudrait savoir se faire violence et quitter son clavier d’ordinateur pour dessiner, jouer du piano, faire du théâtre, courir. »
« Il faudrait savoir se faire violence et quitter son clavier d’ordinateur pour dessiner, jouer du piano, faire du théâtre, courir. » Ingram / Photononstop

« Il ne faut jamais courir deux lièvres à la fois », dit le proverbe. Erreur fatale ! Des travaux récents de experts en neurosciences et en sciences humaines – psychologie et comportement des organisations – conseillent au contraire d’offrir du temps à diverses activités – point trop n’en faut, certes – pour être plus performant professionnellement. Un brin provocateur, Gaetano DiNardi, directeur chez Nextiva, une société d’informatique américaine, déclare « pourquoi vous devriez moins travailler et consacrez plus de temps à vos loisirs », dans un article paru le 7 février par la Harvard Business Review.

Dans le temps où chacun éprouve du manque de temps pour mieux rapprocher vie professionnelle et vie familiale, l’appui peut paraître irréaliste. N’a-t-on pas déjà fort à faire pour accéder à ses objectifs de travail, sans manquer sa descendance ou ses aînés pour autant ? Et pourtant, il faudrait savoir se faire violence et quitter son clavier d’ordinateur pour dessiner, jouer du piano, faire du théâtre, courir dans les bois, évaluent les spécialistes. Les employeurs devraient même en donner les moyens. Car « quand les gens manquent de loisirs, les entreprises en payent le prix », explique M. DiNardi.

De fait, dédier une fraction substantielle de son temps à des activités ludiques ou sportives est indispensable pour se déconnecter constamment de ses préoccupations professionnelles. Trois chercheuses en organisation de l’université Vrije d’Amsterdam (Pays-Bas) l’ont prouvé en analysant les profils des PDG des 500 plus grandes entreprises américaines.

Humilité

Leurs résultats, diffusés dans la Harvard Business Review, divulguent qu’un peu plus de 10 % de ces dirigeants ont une activité annexe sérieuse. Avec pour effet de pouvoir mettre à distance leur travail, et ainsi lutter contre le stress, donner le meilleur d’eux-mêmes, à l’instar de ce qui leur est sollicité sur un terrain de basket, par exemple, pour ceux qui y jouent véritablement. Et il y en a !

Plongés dans un autre contexte, sportif ou culturel, ces directeurs doivent faire preuve d’humilité, car il arrive habituellement qu’ils n’y soient pas, et de loin, les meilleurs de l’équipe. Ce qui imprègne la vision qu’ils ont d’eux-mêmes – et pas seulement de façon fugace – influe sur leur comportement, arrêtant d’autant un éventuel sentiment de supériorité préjudiciable aux bonnes relations de travail.

Des courriers de menaces envoyés à des doctorants de Sciences Po

L’université parisienne a porté plainte contre ce message malveillant reçu par vingt-cinq de ses étudiants le 21 février.

« La France sera vidée de son élitocratie par le fer et le sang dans les délais les meilleurs », « la colère du peuple est intégrale et irrévocable »… Jeudi 21 février, vingt-cinq doctorants du Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po, ont obtenu dans leur boîte e-mail ces propos haineux et menaçants.

L’établissement a connu, mardi 26 février, l’existence de ce message, certifiant un Tweet de Louis de Raguenel publié la veille sur le Tweeter. L’un des rédacteurs en chef de l’hebdomadaire Valeurs actuelles rappelait des « menaces de morts » reçues par ces chercheurs de Sciences Po.

« La haine de ce que vous incarnez est incommensurable. Mettre le feu à votre école admettrait au peuple de s’affranchir intellectuellement », averti l’auteur dans fin de son e-mail.

L’institut d’études politiques parisien a aussitôt répondu et il a pris la décision  de porter plainte, contre X au commissariat de police du VIIe arrondissement de Paris, vendredi 22 février.

Il avérerait que ce courriel n’ait pas pointé uniquement les doctorants du Cevipof : « D’autres messages similaires ont été signalés ces dernièrement, d’après la police, au-delà de l’institution Sciences Po », indique-t-on au sein de l’établissement parisien.

Pertes & profits du géant américain General Electric

Au siège de General Electric, à Fairfield, dans le Connecticut (nord-est des Etats-Unis), en septembre 2003.
Au siège de General Electric, à Fairfield, dans le Connecticut (nord-est des Etats-Unis), en septembre 2003. STAN HONDA / AFP

GE a donné au groupe Danaher son activité de matériel de biotechnologies pour plus de 20 milliards de dollars. Un ballon d’oxygène pour l’ex-empire américain, qui n’a pas fini sa cure d’amaigrissement.

Ce devait être un beau campus sur le front de mer, près de Boston. La crème de la crème des dirigeants de la plus grande réunion mondiale allait abandonner du Connecticut dans un ensemble moderne de 28 000 mètres carrés abritant 800 personnes. La ville s’était ouverte d’une aide généreuse pour recevoir l’icône de l’industrie américaine. En 2016, Jeff Immelt, le PDG de GE, pose la première pierre, puis quitte la scène brusquement.

Son successeur, John Flannery, aperçoit un emplacement financière catastrophique, tente le redressement, puis cède la place à son tour. Le nouveau venu, Larry Culp, n’aime pas les grosses dépenses. Alors adieu le campus et son front de mer. General Electric décide de revendre le terrain et de rembourser les subventions. Un petit immeuble en briques, qui abritait une ancienne confiserie sur le même campus, suffira amplement à empocher les 250 personnes finalement prévues.

L’industrie la plus connu du monde, l’héritière du génial Edison, le roi des locomotives, des moteurs d’avion, des centrales électriques, des machines en tout type, dans une confiserie ! Plutôt amer comme bonbon. Ce lundi, le groupe a achevé la vente de ses légendaires locomotives à son imitateur Wabtec, et éclairci la cession de son activité de matériel de biotechnologies. Une pépite vendue à un prix extraordinairement avantageux : 21,4 milliards de dollars (18,9 milliards d’euros) pour une division qui ne réalise que 3 milliards de chiffre d’affaires. Mais un joyau dans un secteur en pleine extension.

Un ballon d’oxygène pour une entreprise épuisée par une dette de plus de 120 milliards de dollars, suite de ses mauvaises affaires dans la finance et de ses placements exposés dans l’énergie (dont le français Alstom). La firme recouvre une marge de manœuvre exceptionnelle et la Bourse applaudit. La valeur de l’entreprise, qui avait fondu de 200 milliards en deux ans, a escaladé de plus de 40 % depuis le début de cette année.

Plasticité du capitalisme américain

Et l’heureux acheteur n’est autre que Danaher, l’entreprise que conduisait le nouveau patron de GE jusqu’en 2015. Avec cette prise, le groupe consolide ses positions dans les sciences de la vie. Etonnante flexibilité du capitalisme américain. Dans son incursion aux enfers, GE croise une comète qui fait le chemin inverse.

En 2001, quand Jack Welch, le patron le plus connu du monde, celui dont les règles ont emporté tous les jeunes entrepreneurs chinois, prend son recul, Danaher n’est qu’une modeste société d’investissement immobilier modifiée, par acquisitions successives, en un petit conglomérat hétéroclite. En quatorze ans, Larry Culp va bâtir un groupe de 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires, le cadrant graduellement sur les sciences de la santé et de l’environnement.

l’hypothèse du bonus-malus nettement« sur la table »

Le gouvernement a attribué mardi des définitions de calendrier et de méthode sur la suite du changement de l’assurance chômage, rétribution entre les mains de l’exécutif après l’échec du débat entre les partenaires sociaux.

Pour changer l’assurance-chômage, la puissance veut aller vite tout en ouvrant amplement le débat. C’est, en substance, ce qu’ont averti le chef du gouvernement, Edouard Philippe, et la ministre du travail, Muriel Pénicaud, lors d’une conférence de presse, mardi 26 février. Les mesures, dont la teneur certaine reste à définir, feront l’objet d’un décret susceptible d’être diffusé au Journal officiel durant la deuxième quinzaine d’avril. Elles devraient être mises en œuvre pendant l’été – le calendrier n’étant pas encore précisément arrêté.

Ces indications ont été attribuées six jours après l’échec des négociations entre les partenaires sociaux pour préparer une nouvelle convention Unédic – le texte qui définit les règles appropriées au régime d’indemnisation des chômeurs. Le patronat et les syndicats n’ayant pas réussi à trouver un accord, le gouvernement est aujourd’hui amené à prendre le relais. Un dossier que M. Philippe et Mme Pénicaud inscrivent dans la suite d’autres réformes pour améliorer le fonctionnement du marché de l’emploi : les ordonnances de septembre 2017, qui ont réécrit le code du travail, et la loi « avenir professionnel » de septembre 2018, qui a chamboulé l’apprentissage et la formation continue tout en apportant de premiers changements à l’assurance-chômage (avec, entre autres, son accroissement aux indépendants et aux salariés démissionnaires qui ont un nouveau projet de carrière).

Dans sa démarche, l’exécutif reste fidèle aux orientations de la feuille de route que Matignon avait donnée en septembre 2018 aux organisations de salariés et d’employeurs pour cadrer leurs discussions. Ce document fixe plusieurs objectifs : lutter la précarité, répondre « aux besoins en compétences des entreprises » (certaines d’entre elles ayant de plus en plus de mal à recruter la main-d’œuvre qu’elles recherchent), diminuer la dette du régime – qui a atteint 35 milliards d’euros à la fin du troisième trimestre 2018, etc.

Mardi, le gouvernement a pareillement confirmé quelques-unes des pistes qu’il entend explorer. Premier axe : juguler l’inflation des contrats courts – ceux « d’un mois et moins » ayant été multipliés par 2,5 entre 2000 et 2016. Les CDD d’une telle durée concernent, à 80 %, des salariés qui sont réemployés durablement par le même employeur – soit, au total 400 000 personnes. Pour stopper cette dérive, M. Philippe et Mme Pénicaud veulent « responsabiliser » les entreprises : après avoir obtenu une modération du code du travail, celles-ci doivent maintenant renvoyer l’ascenseur et accorder des « contreparties », dans l’esprit de l’exécutif.

Modalités de calcul

L’hypothèse du bonus-malus est nettement « sur la table », a montré le premier ministre mardi. Cet instrument constitue « une solution » et « personne ne nous [en] a proposé à ce stade [de] meilleur », a abouti M. Philippe. Inscrit dans le programme de campagne d’Emmanuel Macron, ce dispositif majore les cotisations des sociétés où le personnel tourne fréquemment, et diminue celles des employeurs dont les effectifs sont stables. A ce stade, rien n’est concilié mais le président de la République a, plusieurs fois, exprimé son intention de concrétiser cet engagement, le ministère du travail ayant, pour sa part, indiqué que le dispositif était prêt.

La réforme pourrait aussi se traduire par une remise en cause du niveau maximal de l’allocation-chômage (un peu plus de 6 600 euros net par mois). Mardi, M. Philippe a affirmé qu’il fallait « revoir » ces règles d’indemnisation pour les « salaires élevés ». Un scénario de nature à punir les demandeurs d’emplois qui avaient une rétribution importante puisque l’allocation dépend des dernières fiches de paye : les cadres oseraient donc d’être touchés. Le pouvoir en place étudie cette option en invoquant le fait que le plafond d’indemnité en France est nettement plus haut que celui en vigueur chez nos voisins européens.

Finalement, les modalités de calcul et d’octroi de l’apport devraient être reconsidérées, car l’exécutif observe qu’elles n’incitent pas, dans certaines situations, à admettre un poste, dans la durée. Sont particulièrement dans le collimateur les règles acceptant d’entasser un salaire et une allocation. « Une personne qui travaille à mi-temps au smic perçoit un salaire de 740 euros par mois. Mais si elle alterne quinze jours de chômage et quinze jours de travail dans un mois, elle comprendra un revenu de 960 euros. Ce n’est pas normal », avait dénoncé Mme Pénicaud, dans un entretien au magazine Challenges, mi-janvier.

Dans les jours suivants, la ministre du travail souhaite apercevoir les leaders patronaux et syndicaux, remarquables à l’échelon interprofessionnel. Ultérieurement, et jusqu’à la fin mars, voire au-delà, plusieurs dizaines de réunions faudrait se tenir, rue de Grenelle, avec de nombreux acteurs : associations de chômeurs, mouvements d’employeurs avec une assistance moins importante que celle du Medef, aménagements de salariés non représentatives… Un exercice très exceptionnel puisque jusqu’à présent, seuls les associés sociaux ayant voix au chapitre au niveau national déposaient au point les conventions Unédic.

Pour les domestiques à Hongkong, c’est presque de l’esclavage

Plusieurs centaines de milliers de femmes, la majorité indonésiennes ou philippines, œuvrent dans ce territoire « semi-autonome » chinois.

Des domestiques d’origine philippine, à Hongkong.
Des domestiques d’origine philippine, à Hongkong.

Chaque dimanche, le centre de Hongkong propose un spectacle unique au monde. Dans les jardins publics, les centres commerciaux, au pied des grands hôtels ou à l’entrée des stations de métro, des dizaines de milliers de femmes espèrent patiemment que le temps passe. Elles sont là, assises, sans rien faire, si ce n’est manger, bavarder avec leurs voisines ou utiliser leur téléphone portable, insensibles aux Jaguar, BMW et autres berlines de luxe qui se faufilent dans les rues escarpées de l’ancienne colonie britannique, maintenant territoire « semi-autonome » chinois.

Ces femmes, la plus part voilées, qui prennent bien soin de s’asseoir sur des cartons pour ne pas salir leurs vêtements irréprochables, ne sont ni des manifestantes ni des sans domicile fixe. Juste des domestiques affairées de profiter de leur unique jour de congé hebdomadaire en dépensant le moins possible.

Arrivées d’Indonésie ou des Philippines, elles vivent chez leur employeur et n’ont nul endroit où se retirer au calme. Chaque semaine, pendant une dizaine d’heures, la rue est donc leur seul refuge. Bien sûr, la domesticité est un phénomène qui n’est ni nouveau ni spécifique à Hongkong. Mais ce petit territoire de sept millions d’habitants est l’un des postes avancés d’un nouvel aspect de la mondialisation : les services à la personne.

Avec un PIB par habitant presque identique à celui de la Suisse, les Hongkongais sont riches. Tirant principalement leur fortune de la finance, de l’immobilier ou du commerce international, ils n’ont qu’un goût mesuré pour les impôts et la dépense publique. Pour s’occuper des enfants ou des personnes âgées, ils ne estiment ni les crèches ni les maisons de retraite, mais des domestiques. Les chiffres le certifient : un ménage hongkongais sur huit emploie une domestique ; et même un sur trois dans les familles avec enfants.

Du pain bénit pour les médiateurs

Ni le gouvernement ni les Hongkongais ne voient de faire appel à des domestiques chinoises. Arrivées pour la plupart de la campagne, elles ne parlent pas anglais. Sans estimer qu’une arrivée pesante d’immigrantes du continent pourrait poser des problèmes politiques tant les relations demeurent complexes entre Hongkong et la Chine qui aménagent, selon la définition d’usage, « un pays » mais « deux systèmes ».

Pour garder leurs enfants, les Hongkongais favorisent donc les Philippines, fréquemment diplômées, à l’aise en anglais. Pour prendre soin des personnes âgées, ce sont plutôt des Indonésiennes, capables de se mettre aisément au cantonais, la langue locale. Vu le vieillissement de la population, cette demande devrait exploser dans les années à venir. Les « helpers », comme les appellent les Hongkongais, sont actuellement 370 000. Selon les évaluations du gouvernement, ils devraient être 600 000 – près de 10 % de la population – dans trente ans. Avec une suite directe : Philippines et Indonésiennes pourraient ne plus suffire.

 

Le désespoir des salariés de Ford de Blanquefort

A Blanquefort (Gironde), l’usine Ford, depuis sa création en 1972, a recruté en masse dans la région.
A Blanquefort (Gironde), l’usine Ford, depuis sa création en 1972, a recruté en masse dans la région. NICOLAS TUCAT / AFP
La nouvelle n’a pas étonné les salariés de Ford, avertis depuis des semaines. Lundi 25 février, le fabricant des voitures américain a affirmé ce que beaucoup appréhendaient, en refusant la dernière offre de reprise de Punch Powerglide pour son usine de Blanquefort, dans la Gironde. Ford souhaite poursuivre de favoriser un plan social, et les 849 salariés attendent de connaître leur sort. Environ la moitié d’entre eux pourront prétendre à une retraite anticipée, tandis que près de 350 pourraient connaître un plan de reclassement.

La sensation générale est à la colère et à la lassitude, pour une situation qui dure depuis trop longtemps. « Depuis un mois et demi, on sait que c’est terminé », expose Laurent Pinlou, 48 ans, agent de maîtrise à la logistique. Agent de l’usine depuis presque trente ans, il explique que « l’on sentait bien, lors des réunions, que les dossiers n’avançaient plus. Punch qui ne donne pas de nouvelles, l’Etat français qui rabâche toujours la même chose, on voyait bien que les constructeurs avec qui Punch avait envie de travailler ne voulaient pas s’engager ».

M. Pinlou, comme de nombreux salariés, est soumis, et tente de se faire une raison, pour « tourner la page, se tourner vers autre chose ». L’espoir n’est à peine dans les esprits, malgré la possibilité d’une revitalisation de l’usine évoquée par l’Etat, mais qui ne concerne pas les emplois. Laurent est las de ces allers-retours entre Punch, Ford et l’Etat, pendant que les salariés sont ballottés dans l’attente de leur sort.

 « Comment on peut détruire un outil de travail qui fonctionne »

Ford, c’est avant tout une entreprise qui, après sa constitution à Blanquefort en 1972, a mobilisé en masse dans la région. « A l’époque, Dassault et Ford étaient les deux grosses usines du coin qui employaient », retrace Jean-Christian Gonzales, qui a fait son passage chez le constructeur américain en 1986. S’il a connu l’époque où l’usine comptait 4 000 salariés, il évoque pareillement ces années où il travaillait dans de bonnes conditions, malgré la difficulté de son poste. Mais les années 2004-2006 et leurs premières vagues de départs ont détérioré cette atmosphère « bon enfant ».

« En un peu plus d’une dizaine d’années, ils ont tué l’entreprise », déclare M. Gonzales. Pour lui, Ford a soutenu la fermeture de l’usine : « Une entreprise qui ne gagnerait pas d’argent, on comprendrait. (…) Mais il n’y a pas de raison de marché, ils souhaitent se débarrasser de l’usine. Et on n’arrive pas à comprendre comment on peut détruire un outil de travail qui fonctionne. » Ce sentiment est partagé par bon nombre d’employés, pour qui Ford a saboté l’usine, avec un premier plan de reprise raté en 2008 par le groupe allemand HZ Holding, avant que Ford ne rachète son usine en 2010.

Une région qui ne compte plus d’usines de ce genre

Les demandes et l’inquiétude n’abandonnent pas les salariés depuis l’annonce de la fermeture. Beaucoup y sont entrés jeunes, et n’ont rien connu d’autre que cette usine, comme Gilles Penel, qui y travaille depuis trente et un ans. A 48 ans, il est dans obligation de faire son CV, et réfléchir au marché du travail, dans une région qui ne compte plus d’usines de ce genre. Lui aussi précise que « ce n’est pas nous qui avons fermé l’usine, nous ne sommes pas responsables ». L’idéal pour M. Penel serait « qu’après le PSE [plan de sauvegarde de l’emploi], Punch puisse racheter l’usine, s’ils ont nécessairement de l’activité comme ils l’ont dit, et qu’ils embauchent d’anciens de chez Ford ».

Un sentiment que partage Jean-Michel Caille, secrétaire général de la CFE-CGC, le syndicat des cadres, techniciens et agents de maîtrise de Ford Aquitaine Industries. Il tente de demeurer positif, même s’il admet qu’« on a très peu d’espoir qu’il y ait une suite avec Punch ». « Si cette société arrive à avoir des lettres d’intention de constructeurs d’ici trois ou quatre mois, il serait intéressant de ne pas lâcher cette piste, qui semble la plus viable aujourd’hui à court ou moyen terme », déclare-t-il.

Lors d’une réunion avec le ministre de l’économie et des finances, à Bercy en fin de journée, il s’attendait à « entendre parler de revitalisation ». Le ministre de l’économie a, lui, lamenté lundi que Ford ait rejeté la dernière offre de reprise de son site, fustigeant l’attitude « indigne » du fabricant américain et entérinant la fermeture de l’usine.

Prévoyant qu’une reprise de 200 à 300 personnes soit réalisable. M. Caille s’avoue « très déçu », lui qui travaille pour l’usine de Blanquefort depuis quarante ans, et voit la décision de Ford comme une « grande déception ». Celui dont le père est entré à l’usine en 1972 conclut : « Mon père a ouvert l’usine, et moi, je vais la fermer. Ford nous a menti depuis le début, il manque de courage et d’honnêteté. »

 

Etablir des centres d’appels un appui d’assimilation sociale et de développement économique

Un ensemble d’élus et de syndicalistes défends pour installer un code de bonne conduite qui fixerait un seuil maximal de décentralisation des activités de relation client.

«  Une obligation d’information, visant à obliger toute entreprise ou organisation utilisant un centre d’appel à informer ses correspondants téléphoniques sur le ou les pays d’implantation desdits centres, est en discussion. » (Paris, SAV Darty, centre d'appels).
«  Une obligation d’information, visant à obliger toute entreprise ou organisation utilisant un centre d’appel à informer ses correspondants téléphoniques sur le ou les pays d’implantation desdits centres, est en discussion. » (Paris, SAV Darty, centre d’appels). J-C.&D. Pratt / Photononstop

Quel secteur de l’économie française pèse aujourd’hui 264 000 emplois, emploie près de 1 % de la population active française et peut manquer plus de 20 000 postes de travail en une seule année (« International Customer Contact Benchmark 2016 ») ? Quel secteur connaît, au nom d’un dumping social sans fin, des décentralisations croissantes menaçant, à terme, son existence même ?

Il s’agit du secteur des centres d’appels, qui, de la télévente au service après-vente, est devenu un élément essentiel de la stratégie commerciale et de relation client des entreprises.

Des conditions de chômage préjudiciables

Ce secteur existe au quotidien à travers toutes ces voix qui nous répondent (ou parfois nous démarchent) et nous remettent informations et services. Il recouvre 3 500 centres de contacts en France, divisés en interne au sein des organisations ou « externalisés » chez leurs prestataires spécialisés. Il emploie de nombreux jeunes, une majorité de femmes et soutient l’accès à l’emploi tout en devant satisfaire à une exigence croissante de formation. Ces plateaux d’appels se trouvent partout en France, souvent dans des bassins d’emplois fragilisés et en ayant bénéficié de l’investissement des collectivités.

Le secteur voit régulièrement augmenter le nombre d’emplois délocalisés ou directement créés hors du territoire, au nom d’une double logique de réduction des coûts et de recherche d’une flexibilité accrue. Ces « gains » sont à relativiser grandement car les délocalisations possèdent de nombreux coûts cachés : formation, conformité, contrôle qualité, sécurité, etc.

En outre, ces décentralisations engendrent des situations de chômage préjudiciables, aussi bien aux individus concernés et à leurs familles qu’aux territoires concernés et à l’ensemble de la collectivité qui doit en supporter le coût social et économique. De plus, la qualité de service reliée à la relation client s’en trouve fortement dégradée. Ce qui porte atteinte à l’image et à la réputation des entreprises, adoucissant ainsi leur capital immatériel en ayant, à moyen terme, un impact sur leur potentiel commercial et leurs résultats.

Un appui de promotion

Dans un contexte de chômage de masse soutenu, de territoires déstabilisés en matière d’emplois et d’activité mais aussi de responsabilisation grandissante de tous les acteurs, nous pensons que l’heure d’une mobilisation générale est venue ! Le secteur des centres d’appels peut former un levier décisif dans l’indispensable lutte contre toutes les formes de relégation. Parce qu’il facilite l’accès à l’emploi des populations locales en ne faisant pas d’une qualification antérieur un obstacle. Parce qu’il forme et professionnalise. Mais aussi parce que, confronté à la digitalisation de la relation client, il permet une montée en compétence, ajustée à l’innovation et créatrice d’emplois à valeur ajoutée.

L’impact du tournant numérique sur les formations aux métiers du tourisme

Institut universitaire de technologie d’Evry (Essonne)
Institut universitaire de technologie d’Evry (Essonne)

Tournant numérique, image négative, formations pas tout le temps ajustées… Malgré 100 000 emplois à assurer, le secteur trouve des difficultés à recruter des étudiants

« Vous apprenez quelque chose ? » Georges Gautheret, professeur d’économie-gestion en licence professionnelle « commercialisation des produits touristiques » à l’Institut universitaire de technologie d’Evry (Essonne), pose cette question avec un serrement d’inquiétude. Une seconde de silence, puis une élève lâche, comme pour soulager le prof : « Ben oui ! »

Parfum de XXe siècle

Ils sont plus que dix étudiants (dont dix jeunes femmes) à joindre le module « entreprises et institutions du tourisme ». « Il s’agit de décrypter comment s’exploite un produit touristique et d’apprendre quelles sont les institutions du secteur : office du tourisme, comité départemental, régional… », déclare l’enseignant.

Il marine dans la classe un parfum de XXe siècle. Sur les tables de classe en mélaminé, pas un ordinateur. Les étudiants ont un stylo à quatre couleurs, les notes sont prises sur de grandes feuilles de classeur à carreaux, des surligneurs fluo apportent de la couleur. Tous travaillent, deux jours par semaine, en alternance chez un employeur – agences, organisateurs de voyages, comités d’entreprise, tour-opérateurs… –, avec un objectif amplement partagé : trouver un emploi à l’issue de leur formation.

Les professions du tourisme sont un grand pourvoyeur d’emplois en France. « C’est 7 % à 8 % du PIB et 2 millions d’emplois directs et indirects dans les transports, l’hébergement, la restauration… », ajoute Frédérique Lardet, députée (LRM) de Haute-Savoie, à la tête d’une mission gouvernementale sur les moyens à installer en œuvre pour ajuster la formation aux besoins des entreprises dans le secteur du tourisme. « Rien que dans l’hôtellerie et la restauration, il y a cent mille emplois à pourvoir », forule Jean-Luc Michaud, président de l’Institut français du tourisme (IFT), un observatoire du secteur.

80 millions de visiteurs étrangers par an

Alors que la France demeure la première destination internationale, avec plus de 80 millions de visiteurs étrangers par an, les jeunes résistent de nombreuses professions du tourisme. « Ces métiers ne bénéficient pas d’une image positive », admet par une litote Marie Allantaz, directrice de l’Ecole supérieure de commerce et d’administration des entreprises du tourisme. Selon les professionnels, l’imagerie collective entretiendrait une vision obsolète de leurs métiers, bornée à des travaux saisonniers, en horaires transposés et mal payés. « Une image d’Epinal que les parents et les responsables d’orientation, qui ont une vision très éloignée de la réalité, véhiculent et transmettent aux lycéens », regrette Jean-Luc Michaud.