Archive dans novembre 2021

Emballement autour du RSA pour les non-vaccinés

C’est l’histoire d’un emballement dans le creux de la morne actualité d’un week-end de Toussaint. Au départ, une information révélée par Sud-Ouest. Le quotidien régional fait état, samedi 30 octobre, d’un courrier adressé la veille au premier ministre par les présidents, tous élus du Parti socialiste, de quinze départements (Loire-Atlantique, Gironde, Gers, Landes, Seine-Saint-Denis, Aude, Tarn, Nièvre, Lozère, Haute-Vienne, Pyrénées-Orientales, Ariège, Lot-et-Garonne, Côtes-d’Armor, Haute-Garonne). « Les départements refusent d’assumer seuls le versement du RSA aux antivax », résume le quotidien.

Dans ce courrier, que Le Monde s’est procuré, les présidents de conseils départementaux évoquent « la décision ministérielle relative au traitement des situations de suspension de contrat de travail en l’absence de passe sanitaire ». Selon eux, « la solution retenue serait de neutraliser les ressources des salariés en situation de suspension, à titre dérogatoire, afin de les rendre d’emblée éligibles au RSA [revenu de solidarité active] ».

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Les élus socialistes expriment leur « désaccord sur cette décision ». Ils estiment qu’« elle introduit une inégalité de traitement vis-à-vis des autres publics ». Qu’« elle prétend transformer le RSA, dispositif de solidarité destiné aux personnes dans l’impossibilité d’avoir des revenus d’activité, en allocation-chômage ou en exutoire de la politique sanitaire nationale ». « Il n’est pas acceptable qu’une décision relative à la gestion du RSA soit prise sans consultation avec les départements. C’est pourquoi nous souhaitons que le gouvernement rapporte sa décision et la soumette à concertation avec nos collectivités », conclut le courrier.

« Rien de concret »

Dans la foulée, l’information est reprise sur le site du Parisien sous le titre : « Quinze départements proposent de ne plus verser le RSA aux salariés suspendus pour non-vaccination ». Le titre sera modifié par la suite, mais le coup est parti. D’autres publications suivent dans les médias écrits et audiovisuels, reprenant la même thématique de refus des départements de verser le RSA aux salariés non vaccinés, entraînant de virulentes réactions par les antivax sur les réseaux sociaux. Les départements réfractaires sont accusés de « vouloir la mort des soignants licenciés ».

Prenant conscience de l’interprétation qui a été faite de leur prise de position, les quinze départements tentent de rectifier le tir par un communiqué titré « RSA dérogatoire : l’Etat doit compenser ses décisions ». « L’Etat doit assumer ses choix sans en faire supporter le financement par les départements », conclut celui-ci.

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Santé au travail : « La prévention primaire ne parvient pas à s’imposer dans les entreprises »

Tribune. Moins d’un tiers des 108 000 cas d’affections psychiques attribuables au travail ont été reconnus en maladies professionnelles en 2019. Ce constat, qui montre l’ampleur du phénomène de la souffrance au travail, révèle aussi qu’une part non négligeable des dépenses de santé liées à des risques professionnels ont été prises en charge par le régime général de l’Assurance-maladie, et non par la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP).

Cette estimation provient de la très sérieuse commission présidée par un magistrat de la Cour des comptes, chargée d’évaluer tous les trois ans le coût pour le régime général de la sous-déclaration des maladies professionnelles.

Le rapport de cette commission date de juin 2021, mais… il n’a pas été rendu public. Selon ses chiffres, seules 30 100 affections psychiques ont été prises en charge par la branche AT-MP sur les 108 000 : 28 500 au titre des accidents du travail et 1 600 en tant que maladies professionnelles. Cela signifie donc que 77 900 cas ont échappé au système de réparation des atteintes à la santé liées au travail, financé par les employeurs.

Craintes et pressions

Ce phénomène n’est pas nouveau. Il y a toujours eu, de fait, un décalage important entre la réalité des risques liés au travail et leur reconnaissance officielle ou leur indemnisation par le régime d’assurance AT-MP. Mais, loin de se réduire, cette différence n’a eu de cesse d’augmenter au cours des dernières décennies. Ainsi, dans son premier rapport, en 1997, la commission chargée d’estimer le manque à gagner pour l’Assurance-maladie avait chiffré celui-ci à 888 millions de francs, soit 135 millions d’euros. Aujourd’hui, elle estime ce coût entre 1,2 et 2,1 milliards d’euros.

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Certes, depuis 1997, les connaissances scientifiques ont évolué, permettant notamment d’établir davantage de relations causales entre expositions professionnelles et maladies. Mais d’un rapport à l’autre, on retrouve les mêmes constats sur les causes de la sous-déclaration.

Les deux tiers des affections psychiques dues au travail ne sont pas reconnues comme maladies professionnelles

Il en est ainsi du manque de formation et de sensibilisation du corps médical sur les pathologies professionnelles. Ou encore des réticences de nombreux médecins du travail à établir le certificat médical initial nécessaire à toute victime souhaitant effectuer une déclaration de maladie professionnelle, par crainte de voir se dégrader leurs relations avec les entreprises concernées. Et ce, malgré leurs obligations déontologiques et réglementaires en la matière.

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Les leurres du reporting

Entreprises. Après la retraite américaine d’Afghanistan durant l’été 2021, l’absence de résistance de l’armée afghane n’avait pas été anticipée par les rapports officiels. Peu de temps avant la défaite, ces derniers présentaient encore l’image d’une armée afghane bien formée et bien entraînée. En outre, sur la foi de ces constats, un armement abondant et moderne lui avait été fourni par l’armée américaine.

« Entre contrôleur et contrôlé, entre exécutant et dirigeant, aucun reporting ne peut se substituer au dialogue et à l’analyse critique des situations locales » (Le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, le chef d’état-major Mark Milley et le général Kenneth McKenzie, le 28 septembre).

Ces faits n’ont pas échappé à la commission d’enquête du Sénat des Etats-Unis, qui a longuement interrogé les plus hauts responsables militaires sur les raisons d’une telle erreur de jugement (United States Senate, « Hearing to receive testimony on the conclusion of military operations in Afghanistan and plans for future counterterrorism operations », September 2021). Or, dans les explications rapportées lors de ces auditions, on retrouve tous les effets de leurre – bien décrits en sciences de gestion – qu’induisent un reporting et des indicateurs, lorsque ceux-ci ne s’appuient pas sur une réelle intelligence des réalités qu’ils sont censés décrire.

D’emblée, le secrétaire à la défense Lloyd Austin n’a pas caché que l’effondrement de l’armée afghane avait bien constitué une totale surprise et que cet événement révélait des « vérités inconfortables », qui n’avaient pas été prises en compte et demandaient à être mieux comprises. Partageant cette prise de position, le général Mark Milley, chef d’état-major, ne peut s’expliquer les faits que par le retrait des conseillers américains de l’armée afghane. Il a ajouté que l’on peut « compter les avions, les camions, etc. » mais qu’il n’est pas possible de « lire dans le cœur des soldats sans être là ».

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Et lorsqu’un enquêteur remarque que de nombreuses alertes sur le terrain contrastaient avec l’optimisme continuel des rapports officiels, ce fut au tour du général Kenneth McKenzie, commandant en chef, d’admettre qu’il « acceptait cette critique » et que le « décalage entre le terrain et la hiérarchie » méritait une enquête de fond pour y remédier.

Dérives et effets pervers

Les spécialistes de cette guerre contesteront peut-être ces explications. Mais elles correspondent étroitement aux dérives et aux effets pervers auxquels conduit un usage fétichiste et bureaucratique des reportings. Des phénomènes déjà bien observés dans tous les types d’organisation.

Car entre contrôleur et contrôlé, entre exécutant et dirigeant, aucun reporting ne peut se substituer au dialogue et à l’analyse critique des situations locales. En leur absence, le reporting change de fonction. Il n’agit plus comme un outil de partage des connaissances. Il tend à produire une image artificielle destinée à protéger la base et à rassurer des chefs peu enclins à comprendre le réel.

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Quand « usine » n’est plus un « gros mot » : en France, la lente résurrection de l’industrie

Dans l’atelier de fabrication de films réflecteurs de l’usine Actis, à La Bastide-de-Bousignac (Ariège), le 28 octobre 2021.

Ce matin d’octobre, Gérald Sgobbo, élu de Villeneuve-d’Olmes, dans l’Ariège, est un maire heureux. L’usine textile désaffectée depuis plus de dix ans, qui a « structuré la vie du village », va revivre. Pas autour du textile, cette fois, mais qu’importe. Le groupe Actis, basé dans l’Aude, va y investir 31 millions d’euros pour y produire des panneaux isolants destinés au bâtiment, un produit d’avenir, transition environnementale oblige.

« Dans le village, on a compté jusqu’à 700 emplois industriels pour 1 600 habitants, raconte l’élu. La mémoire locale est marquée par l’industrie : pour les habitants, l’activité économique, c’est forcément de l’industrie. » Soucieuse de préserver cette culture, la communauté de communes s’est portée acquéreuse des bâtiments lors de la fermeture de l’usine et les a conservés en l’état en espérant pouvoir retrouver, un jour, une activité productive. C’est désormais chose faite.

Renouer avec l’industrie, relocaliser, réindustrialiser. Ce qui était presque inaudible dans les années 2000, à la suite du rêve d’une France « fabless » – avec ces entreprises sans usine, chères à Serge Tchuruk, l’ancien patron d’Alcatel –, est devenu le nouveau mantra hexagonal, scandé par les politiques, les élus locaux et les décideurs économiques avec une belle unanimité. Depuis le sommet de l’Etat jusqu’à Gérald Sgobbo, maire d’une petite commune de moins de 1 000 habitants blottie au pied des Pyrénées. « L’industrie est devenue le nouveau cheval de bataille d’à peu près tout le monde », se réjouit Alexandre Saubot, président de France Industrie.

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Que s’est-il passé ? La crise due au Covid-19 aura peut-être eu au moins une vertu : celle de faire prendre conscience aux Français, grisés par le virage du numérique ou la prééminence des services, qu’ils n’étaient plus capables de fabriquer des produits aussi essentiels que des masques, du paracétamol ou des respirateurs. « La crise sanitaire a agi comme un révélateur, explique François Blouvac, responsable du programme Territoires d’industrie à la Banque des territoires, filiale de la Caisse des dépôts. Lors des élections régionales, pas un programme qui n’en parlait pas : dans toutes les régions, il y a une envie d’industrie, pour des questions de souveraineté notamment. On constate une vraie appétence des acteurs locaux. »

Changement d’état d’esprit

Magali Joëssel, directrice générale du fonds SPI (Société de projets industriels) chez Bpifrance – fonds qui a investi dans quelque 17 usines en six ans –, a observé avec un brin d’amusement ce changement d’état d’esprit. « Quand nous avons lancé, en 2014, ce fonds pour recréer de l’industrie, nous nous sommes heurtés à de la surprise et de l’incrédulité. A l’époque, l’industrie était très dénigrée et, nous, nous arrivions en disant des gros mots comme “usine”. Le monde de la finance nous regardait comme des animaux étranges. Depuis, il y a eu une évolution du côté des investisseurs, l’industrie a été en partie réhabilitée. »

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La réparation de vélos en plein essor

Dans l’atelier associatif de réparation de bicyclettes La petite Rennes, à Rennes, le 20 octobre 2021.

« Il était temps qu’on ouvre, car la demande explose. » A Rennes, David Piederriere, coprésident de l’atelier associatif de réparation de bicyclettes La Petite Rennes, se félicite d’avoir troqué, début septembre, un local exigu du centre-ville pour un espace de 160 mètres carrés dans l’écoquartier de la Courrouze, à l’emplacement d’une ancienne caserne.

Chaque jour, entre 30 et 40 personnes poussent la porte de l’atelier, « pour réparer leur vélo, acheter une pièce d’usure, prendre une information », poursuit le responsable. En échange d’une adhésion de 20 euros par an, les membres peuvent manier les outils mis à leur disposition et bénéficier des conseils des salariés. Si l’association insiste sur sa mission « solidaire » et sur son engagement à réemployer des objets plutôt que de les jeter, une bonne partie de ses membres ne sont pas des militants. En effet, à Rennes, la dizaine de boutiques de vélocistes ne suffit pas à absorber la demande, et les délais d’obtention d’un rendez-vous se comptent en semaines.

Le marché de la réparation de vélos a beaucoup changé en quelques années. Jusqu’au milieu des années 2010, pour remettre en état sa bicyclette, l’usager pouvait solliciter, outre les 300 ateliers associatifs existants, un vélociste de son quartier ou, à défaut, « un gentil voisin qui fait tout ».

Mise en relation de réparateurs et de citadins pressés

Puis, à Paris, Strasbourg, Bordeaux ou Lyon, des plates-formes ont lancé un service à domicile. La société Cyclofix, créée fin 2015, met en relation des réparateurs indépendants, autoentrepreneurs pour la plupart, et les citadins pressés. Aujourd’hui, la plate-forme centralise les emplois du temps de 200 mécaniciens, dans 14 agglomérations. Entre-temps, les enseignes de distribution se sont équipées d’ateliers de réparation, le plus souvent en fond de boutique ou au sous-sol.

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La pandémie et la forte progression de l’usage du vélo ont chamboulé le marché. La pénurie à laquelle est confronté le secteur depuis plus d’un an a redoré le blason des vieux biclous retapés. Reprenant une idée de la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB), l’Etat a financé, entre mai 2020 et mars 2021, une dotation de 50 euros pour chaque vélo remis en état. L’opération, qui consistait à « sortir des caves » les bicyclettes qui firent un jour office de cadeau de Noël et rouillaient depuis, a fait chauffer les outils dans les ateliers. Enfin, parmi les nouveaux cyclistes, nombreux sont ceux qui avouent sans honte ne pas savoir changer une chambre à air ni remplacer un patin de frein.

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