Emploi, le challenge du logement
La réunification croissante des emplois à l’intérieur des grandes villes pose la question du coût du logement pour des personnes au salaire modeste. Cette gêne à se loger près de son lieu de travail est l’une des causes du chômage structurel en France.
Dans quartier historique du Marais, à Paris, à quelques pas des Archives nationales et de l’enceinte de Philippe-Auguste, se niche le siège de Famoco, une entreprise de haute technologie spécialisée dans la sécurisation des transactions sur mobile. Créée en 2010, la start-up intervient aujourd’hui dans le monde et compte étoffer encore son équipe d’une centaine de subordonnés. Pourquoi alors s’établir dans un immeuble historique de ce quartier colonisé par les boutiques de luxe, infréquentable en voiture, plutôt que dans un quartier d’affaires mieux adapté au business ? Lionel Baraban, directeur général et cofondateur, est catégorique : « Aujourd’hui, si vous proposez à de jeunes ingénieurs de travailler à La Défense, vous êtes sûrs qu’ils ne viendront pas. Avoir des locaux sympas, au cœur de Paris, fait partie de l’attractivité de la boîte, au même titre que les salaires. »
Un constat que fait aussi Audrey Barbier Litvak, directrice générale de WeWork pour la France et l’Europe du Sud, alors que l’entreprise vient d’ouvrir son cinquième immeuble parisien sur l’avenue de France, dans le 13e arrondissement, et s’apprête à en inaugurer deux autres cette année, à Saint-Lazare et porte Maillot. « Des entreprises qui avaient fait le choix de s’installer dans des centres d’affaires en périphérie prennent des bureaux chez nous pour revenir au cœur de la capitale », explique la jeune femme, en citant Carrefour, LVMH, Thalès… « Pour un grand groupe, c’est un vrai facteur d’attractivité et de recrutement. »
Attachée à la tertiarisation de l’économie et à la mondialisation, le rattachement croissante des emplois à l’intérieur des grandes villes, qui reçoivent un nombre toujours plus important de start-up, espaces de coworking et autres pépinières, est attestée par différentes études. « Entre 2000 et 2010, la croissance du pays a été générée aux trois quarts sur les grandes aires urbaines », confirme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Depuis la crise de 2008, et le très fort repli de l’emploi salarié privé du pays, seuls quelques rares grands territoires voient le nombre de leurs emplois progresser, grâce aux créations d’activités dans les secteurs de services supérieurs/numériques, à fortes qualifications. Et ces activités se concentrent au cœur de nos quelques métropoles « gagnantes » : plus de la moitié des créations nettes d’emploi dans ces secteurs se situe dans une douzaine des 36 000 communes françaises. (Paris, Toulouse, Lyon, Saint-Herblain, Nantes, Blagnac…), déclarent l’économiste Laurent Davezies et le géographe Philippe Estèbe dès 2015.
« Cocotte » est un vélo triporteur à assistance électrique et le cœur de l’activité de Vépluche : collecter les épluchures des restaurants locaux pour les transformer en compost. Un compost qui servira à faire de nouveaux légumes qui seront distribués aux restaurateurs. La boucle est bouclée.
Projet de fin d’études
L’idée de Vépluche, c’est donc de concevoir les poubelles. Ce ce n’est pas exactement ce qu’imaginait Clara en poussant la porte de Sciences Po, rue Saint-Guillaume, à Paris (7 e). L’étudiante voulait alors, simplement, « changer le monde ». Son plan : enseigner dans cette grande école, « avoir une grille de lecture de la société » pour faire une carrière dans une grande organisation où elle aurait de « grandes responsabilités ». Dans sa ligne de mire, l’Organisation des nations unies, rien de moins.
« En seulement quatre mois, nous avions établi un échéancier, un plan financier et trouvé la meilleure forme juridique. »
« “Tu voulais être diplomate”, m’a évoqué récemment ma grand-mère ! », déclare l’entrepreneuse. Mais, entre le moment où la native de Toulouse a gommé son accent du Sud-Ouest et celui où ses camarades de promotion ont passé le concours de conseiller cadre d’Orient, sa vision des choses à faire pour « changer le monde » s’est infléchie. Elle a, en amuse-bouche de sa future carrière, testé la grande entreprise lors d’un stage chez Airbus en tant que « storyteller ». « J’étais chargée d’écrire sur les succès de l’avionneur », explique-t-elle. Après quelques mois, elle éprouve le besoin de se confronter à un public et intègre l’Institut français, à Rome, où elle travaille à promouvoir la littérature française.
Simultanément, une autre voie s’esquisse. « A mon arrivée à Paris, à 18 ans, j’avais constaté qu’il n’y avait pas de tri des déchets alimentaires dans la capitale », déclare-t-elle. Une idée germe alors dans son esprit. Et, cette fois encore, l’école lui donne une clé : son projet de fin d’études de master en affaires européennes qu’elle décide d’orienter « business ». Clara et trois autres étudiantes imaginent un projet de collecte des déchets des lieux de restauration en vélo cargo. « En seulement quatre mois, nous avions été hyper loin. Nous avions établi un échéancier, un plan financier et trouvé la meilleure forme juridique », se félicite-t-elle. Romain Slitine, maître de conférences en entrepreneuriat social à Sciences Po, remarque la qualité du projet. « L’enjeu, c’est de le rendre concret et de passer à l’action », témoigne-t-il. Vépluche existe sur le papier et les tableaux Excel… Il ne reste plus qu’à le lancer. Ou pas.
« Souvent, les femmes s’autocensurent »
« La peur, c’est comme une petite sœur. Sa petite voix, on la laisse à l’arrière de la voiture », s’amuse Clara. Mais parfois, elle vous couvre : « Est-ce que je veux autant de responsabilités ? Est-ce que je veux monter une boîte ? Est-ce que je peux seulement le faire ? Est-ce que je dois mettre une jupe ou un col roulé ? Comment cela va-t-il être interprété ? Souvent les femmes se freinent, s’autocensurent. Elles se posent tellement de questions… »
« On pourrait enlever 5 000 camions de livraison de Paris. Vous imaginez l’impact ? »
Son master en poche, la jeune femme essai d’entrer à HEC. Première claque, elle n’est pas admise. « De rage, j’intègre un programme, Women4Climate, un système de mentorat qui encourage l’action des femmes qui veulent lutter contre le changement climatique, chacune à sa manière. » Un réseau de décideuses dont la voix porte bien plus fort que la petite sœur abandonnée à l’arrière de l’auto. Boostée par ces femmes qui osent, Clara lance Vépluche en 2018.
« J’avais déjà aperçu les possibilités de l’entrepreneuriat social chez Phenix », une jeune société qui s’attache à donner une seconde vie aux produits usagés et travaille à rendre la consommation plus responsable et économe en ressources. « J’y ai découvert qu’on pouvait faire du business avec un impact social ou environnemental positif. Ça m’a aidée à ôter les œillères que j’avais pour le privé. En janvier 2018, je suis repartie de zéro pour monter mon entreprise. »
Avec le soutien d’un associé et l’aide de deux collaborateurs, « Cocotte », le vélo fourgon, déambule quotidiennement dans les rues de la ville à l’assaut des poubelles des restaurateurs. Le défi : convaincre, expliquer aux gérants et patrons de cuisine l’intérêt collectif d’un circuit court et circulaire. A Boulogne-Billancourt, les restaurants L’Atelier, La Terrasse Seguin, 750 g La Table figurent parmi les trente clients pionniers. Grégory, patron du Pré en bulles, avoue « approuver une démarche qui (…) permet de [se] sentir responsables ».
L’espoir de Vépluche, c’est une prise de conscience collective que ce qui peut être consommé et transformé à l’échelle locale doit l’être. « On pourrait enlever 5 000 camions de livraison de Paris, prévoit Clara. Vous imaginez l’impact ? » Sortir le diesel, voire le moteur à explosion de la grande ville et le modifier par des transports doux. Pourquoi pas ? « Allez, Cocotte ! »