Archive dans juin 2023

Monoprix débouté par la justice de sa demande d’interdiction de toute manifestation dans ses magasins

C’est un coup de poker qu’avait tenté Monoprix en assignant en référé trente-neuf salariés de son magasin de Picpus (12e arrondissement de Paris), dont des élus CGT, après qu’ils ont manifesté pendant deux heures, à deux reprises, les 8 et 19 décembre 2022.

Les protestataires dénonçaient le manque chronique de personnel et ses conséquences. Ils s’inquiétaient notamment de voir des palettes de viande fraîche laissées à l’abandon des heures dans des allées non réfrigérées. Les débrayages sont survenus quand leur collègue du rayon boucherie, seul pour faire le travail de trois, a été convoqué pour un entretien préalable au licenciement.

Arguant que les deux manifestations, à l’intérieur du magasin, avaient été fort bruyantes – un enregistrement diffusé à l’audience, le 28 mars, avait permis d’attester du niveau sonore – et qu’elles avaient dérangé les clients, entravant ainsi la liberté du commerce et d’industrie, Monoprix n’avait pas seulement demandé des dommages et intérêt.

Effet « bâillon »

Craignant une nouvelle manifestation dès janvier, la société avait tout bonnement demandé au tribunal judiciaire de Paris « d’éviter la réitération » de ce « trouble manifeste à l’ordre public » en ordonnant à tout salarié, de la société ou d’une autre, « de ne pas renouveler leur participation » à un mouvement dans un magasin Monoprix Exploitation, à Paris ou ailleurs, sous peine d’être condamné à 1 000 euros par personne et par infraction, et ce pendant trois ans. Une somme conséquente, quand la plupart des paies avoisinent le smic (1 383 euros net).

Pour ce faire, Monoprix avait utilisé l’assignation en référé, une procédure d’urgence devant un juge unique qui permet de prescrire des mesures pour « prévenir un dommage imminent » ou « faire cesser un trouble illicite ». Monoprix s’appuyait en cela sur un précédent : c’est grâce à cette procédure que la société était parvenue à faire cesser, fin 2020, une série de manifestations, chaque samedi, dans le cadre d’un long mouvement baptisé « Samedis de la révolte ».

Mais le juge des référés n’a pas suivi le raisonnement de Monoprix et fait la différence entre la chronicité du mouvement de 2020 et la ponctualité des deux manifestations de 2022. Dans son ordonnance rendue le 23 mai, il estime que « le trouble manifestement illicite a cessé, puisque la société Monoprix ne démontre pas que des manifestations illicites à l’intérieur du magasin Picpus se sont poursuivies, ni qu’elles ont été réitérées après les dates litigieuses ».

Le juge des référés a donc débouté Monoprix de sa demande d’interdire toute nouvelle manifestation. Ainsi que de sa demande de faire payer aux salariés les 1 116 euros de frais d’huissiers engagés par la direction du magasin pour faire constater les troubles, les 8 et 19 décembre 2022. La décision n’aura cependant pas empêché l’effet « bâillon » de cette procédure, qui a bridé toute nouvelle volonté de manifester des salariés ces cinq derniers mois.

A Disneyland Paris, la mobilisation salariale reconduite ce samedi

Le château de la Belle au bois dormant à Disneyland Paris (Marne-la-Vallée), le 16 mars 2017.

Pour nombre d’entre eux, la magie n’opère plus. Après s’être mobilisés de manière inédite mardi dernier − un millier de personnes −, des « cast members » (nom donné aux salariés du groupe Eurodisney) s’apprêtent à reconduire leur mouvement, ce samedi 3 juin, dès 9 heures du matin, sur le site de Marne-la-Vallée (Seine-et-Marne), faute d’avoir obtenu une réponse de la direction à la hauteur de leurs revendications salariales et de leurs demandes sur les conditions de travail.

« C’est historique », répète Ahmed Masrour, délégué syndical de l’UNSA. « On trouve des personnes issues de tous les corps de métiers, hôtellerie, restauration, billeterie animation ou gestion de flux, aussi bien des jeunes que des plus anciens », explique-t-il, alors que la mobilisation amorcée en avril n’a depuis pas cessé de grandir.

D’une poignée de personnes à ses débuts, il y a un mois et demi, elle en a depuis rassemblé 200, le 10 mai, puis 500, le 23 mai. Et, enfin, 954, mardi 30 mai, selon le décompte de la direction, et 1 800 (sur les 18 000 salariés), selon celui des syndicats.

Sentiment de « déclassement »

Issu à l’origine d’un collectif de salariés, ce Mouvement anti-inflation (MAI) a, par la suite, été rejoint par des syndicats, l’UNSA et la CGT en tête. Ensemble, ils réclament une augmentation de 200 euros net par mois des salaires, ainsi qu’un paiement double des dimanches travaillés et le doublement des frais kilométriques pour suivre l’inflation.

« Les tarifs pour entrer dans le parc ont augmenté ces derniers mois, l’activité se porte bien mais les salaires peinent à suivre l’inflation », rapporte David Charpentier, porte-parole du Syndicat indépendant des salariés du tourisme 77. Il souligne notamment le sentiment de « déclassement des salariés les plus anciens » qu’il justifie par un différentiel chaque fois plus faible entre leur salaire et celui des nouveaux embauchés au fil des revalorisations du SMIC.

En cause également, les conditions de travail. A ce titre, les salariés et plusieurs syndicats réclament la fin des horaires adaptés, lesquels avaient été mis en place dans le cadre d’un avenant sur le temps de travail en octobre 2020, et ce pour une durée de deux ans. « A l’occasion de la renégociation qui a eu lieu à l’automne dernier, les syndicats ont exprimé leur désaccord sur la poursuite de cette organisation », raconte Fabien Beiersdorff, représentant CGT, précisant que la direction a choisi de les imposer en passant en force au travers du CSE.

« Cette réorganisation a un fort impact sur la santé, la vie privée et la qualité du travail. On le voit avec l’augmentation des arrêts de travail », estime Ahmed Masrour alors que les salariés concernés se plaignent selon lui de la grande variabilité des horaires et du fait que les jours de repos ne sont pas forcément consécutifs. « Il peut leur arriver, après un jour de repos, de travailler deux jours pendant quatre heures, puis trois jours pendant neuf heures, et un sixième pendant six heures », renchérit le responsable CGT.

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Plongée dans les violences ordinaires en milieu académique

Dans les laboratoires de recherche, il est un mot qu’on ne s’attend pas forcément à trouver : « violence ». Le dernier numéro de la revue sociale, culturelle et politique Mouvements, daté du 15 mai, tente d’en démontrer, au contraire, l’omniprésence, par des témoignages mais aussi des enquêtes de terrain. L’ensemble, rédigé par des spécialistes (psychologues, sociologues…), est assez convaincant dès lors que le lecteur accepte une définition large du terme. Violence sexuelle, violence symbolique, violence des relations au travail, violence envers les animaux… sont autant de volets abordés dans cette publication, qui rattache ces constats aux transformations en cours dans l’enseignement supérieur et la recherche, marquées par la compétition, l’individualisme et un management gestionnaire.

Lire notre enquête : Article réservé à nos abonnés A l’Inria, un climat délétère s’est installé à tous les niveaux

Le volet le plus évident est celui des violences sexuelles et sexistes, dont on sait qu’elles n’épargnent pas le monde académique, comme toute organisation. Deux textes viennent rappeler la lente et difficile prise de conscience et des actions pour y mettre fin. Malgré de premières alertes dès 2002 dans le milieu universitaire, puis le mouvement Metoo, le déni et les résistances sont encore nombreux.

D’autres textes glissent ensuite vers les conditions de travail, les risques psychosociaux et les souffrances des personnels. Des auteurs montrent ainsi la pertinence de construire un observatoire sur ce sujet, afin de mêler action syndicale et méthode scientifique pour documenter les conséquences négatives des changements à l’œuvre, qui mettent les personnels sous pression, engendrent de la précarité ou tordent l’éthique même de la profession.

Un dernier texte enfonce le clou en s’inquiétant de ce que la mise en place de cellules consacrées aux risques psychosociaux n’aggrave, en réalité, la situation par une mise à l’écart des syndicats, une trop forte individualisation et une déresponsabilisation des directions.

Impératifs éthiques et de productivité

Plusieurs situations particulières illustrent concrètement ce que « violence » peut vouloir dire autour des paillasses. Il y a le récit d’une grève des employés de ménage, qui montre la violence cachée subie par ces prestataires. Ou celui d’employés d’animaleries qui se trouvent en tension entre des impératifs éthiques et de productivité ; sans compter la difficulté à saisir le sens de leur travail à cause de chercheurs peu enclins à expliquer les raisons du recours à ces animaux.

Des employés d’un éditeur académique témoignent de leur souffrance à gérer une surcharge de travail induite, a priori paradoxalement, par la numérisation de leur activité. Une nouvelle recrue décrit un stage de formation où elle se sent mal lorsqu’elle se rend compte que la priorité n’est pas ce qu’on dit mais comment on le dit. Elle s’avoue piégée par des dispositifs d’intégration « ludiques », loin de ses valeurs.

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Des matinales filmées de France Bleu et France 3 perturbées par un conflit social

Si les antennes de France Bleu fonctionnent normalement, voilà trois jours qu’il est impossible de regarder les matinales communes avec France 3 pour la moitié d’entre elles. A Lille, Bordeaux, Aix-en-Provence ou encore Paris, les visages de l’information locale ont été remplacés par des dessins animés, comme lors des jours fériés ou pendant les vacances scolaires. Seize locales étaient encore concernées jeudi 1er juin, alors que France Bleu Hérault et France Bleu Drôme-Ardèche pourraient se joindre au mouvement dans les prochains jours.

En cause, des salariés des radios locales publiques ont retiré leur droit à l’image pour dénoncer le statut précaire des confrères mettant en images les journaux radios. Ces derniers sont employés par un sous-traitant privé, la société de production Eden Press, dans le cadre d’un contrat à durée déterminée d’usage (CDDU) durant une saison. La direction d’Eden a annoncé début avril qu’elle ne comptait pas renouveler pour une saison supplémentaire le contrat d’éditeurs visuels ayant travaillé plus de trois ans d’affilée pour Radio France.

Quatre personnes termineront donc leurs contrats le 30 juin (seules trois sont concernées par la règle), dix autres à la fin de la saison 2023-2024. « C’est une forme de licenciement qui ne dit pas son nom », s’est insurgé le SNJ-CGT de Radio France dans un communiqué publié le 24 mai. « Eden Press craint surtout que ces journalistes ayant acquis de l’ancienneté ne revendiquent leurs droits », écrivait alors le syndicat.

Négociation pour prolonger (ou non) l’accord

Matthieu Darriet, cosecrétaire du SNJ à Radio France et journaliste à France Bleu Nord, est lui aussi révolté par cette situation. Il estime que l’entreprise publique doit utiliser « son statut de donneur d’ordre » pour inciter l’entreprise sous-traitante Eden Press à améliorer les conditions de travail de ses salariés et de laisser la possibilité à travailler plus longtemps s’ils le souhaitent. « Ce serait curieux que Radio France ferme les yeux sur les pratiques d’Eden alors que notre entreprise est dans une démarche de RSE [responsabilité sociale des entreprises] qui se veut exemplaire », estime M. Darriet.

Contacté, le président d’Eden Press, Grégoire Olivereau, n’a pas répondu à nos sollicitations. « Dans notre secteur, la règle limitant à trois ans les missions assurées par les collaborateurs en CDD d’usage s’applique partout, dans le privé comme dans le public », avait-il répondu mardi à l’Agence France-Presse. Cela « convient en général assez bien à la nature de nos activités, à leur saisonnalité et aux journalistes eux-mêmes », avait-il ajouté, rappelant que « plusieurs possibilités peuvent s’offrir » aux personnes concernées. « L’évolution vers un autre poste dans l’entreprise, encadrement des équipes détachées auprès de nos clients ou sur un autre programme dont Eden est en charge », avait-il encore insisté.

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« Le Travail et ses espaces » : une histoire des bureaux aux ambitions multiples

C’est un immeuble tertiaire dont les salles de travail ont des allures d’open space. Les bureaux des salariés fourmillent d’innovations, on peut y travailler comme à une table d’architecte. Le bien-être des employés a été réfléchi par le client et mis en musique par l’architecte Franck Lloyd Wright. Aux murs, des valeurs « corporate » sont gravées : « generosity », « imagination », « cooperation »… Baptisé Larkin Building, ce bâtiment a été édifié à Buffalo (New York) en… 1906.

Dans son ouvrage Le Travail et ses espaces, Jean-Pierre Bouchez, directeur de recherche à l’université de Paris-Saclay, nous propose une plongée dans l’histoire du travail et de ses espaces. Elle permet de découvrir, comme à Buffalo, des conceptions avant-gardistes qui ont fait date. C’est le cas des premiers bureaux non attribués de manière permanente et du concept de « non-territorialité », qui voient le jour dès les années 1970 à titre expérimental chez IBM. Lors de la conception de ce flex office avant l’heure, on s’interroge déjà sur les conséquences d’une telle organisation de l’espace sur la communication et la performance des équipes.

S’il souligne la précocité de certaines stratégies spatiales, l’ouvrage montre également combien elles sont le fruit d’une conjonction de facteurs. Elles progressent au rythme des innovations dans la construction comme dans les technologies de communication. Elles sont aussi et surtout portées par les visées managériales des entrepreneurs.

Les manageurs en première ligne

Ainsi le travail sur la luminosité peut être réalisé dans un but de contrôle social. M. Bouchez cite l’exemple d’un immeuble construit en 1886 dans le Nebraska : « En plus du toit vitré, les murs intérieurs autant qu’extérieurs sont ornés de grandes fenêtres. » Les occupants des bureaux fermés sont ainsi exposés en permanence au regard des autres. « Seuls les cadres supérieurs ont alors droit à un bureau autorisant une grande intimité, grâce à une source de lumière privée », précise-t-il.

L’histoire des lieux raconte des ambitions multiples, parfois difficiles à réaliser. L’ouvrage montre ainsi la complexité pour les flex offices de répondre à toutes les promesses qu’ils sont censés tenir. Les coûts immobiliers sont, certes, réduits, mais, dans le même temps, « l’accroissement des performances collaboratives des usagers » et « l’amélioration du confort et du bien-être au travail » sont « loin d’être démontré[s] », note l’auteur.

Lire aussi l’enquête : Article réservé à nos abonnés Le « flex office » bouleverse l’immobilier de bureau

L’ouvrage souligne ensuite que les évolutions récentes des bureaux placent les manageurs en première ligne. Les mutations à l’œuvre doivent être accompagnées. Dans les flex offices tout d’abord, où peuvent se renforcer l’« insécurité émotionnelle » des salariés et le sentiment qu’ils sont interchangeables. De même, « la collaboration ne se décrète pas », expose l’auteur, qui explique combien l’encadrement doit avoir un rôle moteur dans les espaces ouverts.

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La SNCF en surchauffe dans ses centres de maintenance

Dans la région Grand-Est, on les appelle les « TER Fluo ». La marque désigne des trains de proximité qui ont bientôt 20 ans. La moitié de leur vie. A cet âge canonique, les rames doivent être complètement rénovées pour repartir de plus belle et rouler les deux dernières décennies de leur existence. On les désosse, on les gratouille, on les répare, on les pare d’une nouvelle livrée, de nouveaux sièges et porte-bagages, avant de les remettre en service.

C’est l’une de ces rames que les élus de la région ont pu découvrir, vendredi 26 mai, au « technicentre » de la SNCF Voyageurs, à Bischheim (Bas-Rhin), près de Strasbourg, un site immense, étendu sur 23 hectares, dont 8 hectares couverts. Près de 900 agents et 70 alternants travaillent dans cette immense « clinique ferroviaire », comme la nomme son directeur, Alain Praxmarer.

Livrée bleu roi, rehaussée de lignes vert et orange fluo, sièges grisés et accoudoirs en bois, elle sent le neuf. Elle a surtout gagné quelques équipements indispensables : un vrai espace pour les fauteuils roulants, davantage d’emplacements pour les vélos, une prise électrique à chaque place, y compris lorsqu’on reste debout et des racks à bagages plus grands et plus accessibles. La Wi-Fi est renforcée et les caméras de vidéosurveillance permettent au service de sécurité de la SNCF d’avoir en permanence un œil sur ce qui se passe dans le train ou de détecter, avec l’intelligence artificielle, s’il reste des voyageurs à bord au terminus.

La vision externe est aussi améliorée : des caméras assistent le conducteur dans l’aide à la conduite d’un train de plus en plus connecté. Des capteurs permettent aux équipes de maintenance d’avoir une photo en temps réel de son état et de mieux anticiper les réparations. Coût de la remise en forme : 3 millions d’euros pour une rame, après trente-neuf semaines de travail pour roder le processus. C’est un tiers du prix du matériel neuf.

Un wagon de TGV rénové sort de la chaîne de montage, à Bischheim (Bas-Rhin), le 26 mai 2023.

Un enjeu énorme

Ce programme de rénovation des TER, dit OpTER, représente un enjeu énorme pour la SNCF. En 2020, toutes les régions, ainsi que les Chemins de fer luxembourgeois, lui ont confié leur flotte. Un contrat de 2,1 milliards d’euros, pour restaurer 931 rames acquises entre 2004 et 2011. « Il touche 40 % de la flotte de TER de douze régions. C’est sans précédent », explique Christophe Fanichet, PDG de la filiale SNCF Voyageurs, qui fait rouler les trains. Point important pour lui : ce programme était ouvert à la concurrence et les régions auraient pu confier aux constructeurs (Alstom-Bombardier ou CAF) la rénovation des rames. Elles ne l’ont pas fait.

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