« Les nouveaux open space et non attribués créent un déséquilibre émotionnelle et physiologique »
Les nouvelles façons de penser les aménagements des espaces de bureaux n’échappent pas aux phénomènes de mode : flex office, desk sharing, fab lab et work cafés. Les principales entreprises du CAC 40 établissent de nouveaux sièges sociaux emblématiques, où murs végétaux et décorations soignées sont déployés avec faste et virtuosité par des architectes de renom pour tendre vers le happiness at work.
La dernière vogue du flex office propose ainsi une réappropriation des lieux par les employés en leur donnant le choix des espaces selon une logique par activité. En complément de ces nouvelles façons de penser l’espace, des dispositifs de télétravail ou de coworkingcomplètent souvent ce mouvement.
Une immersion au sein de plusieurs de ces nouveaux lieux durant près de dix ans, en tant qu’acteur et conseil, couplée à un regard d’ethnologue et aux résultats de la recherche académique sur ces sujets, publie une réalité sociale moins altruiste qu’espérée, dans la mesure où ces nouvelles formes d’aménagement enclenchent des ajustements organisationnels et psychologiques délicats.
Proximité symbolique
Côté employeur s’élabore un calcul simple, basé sur la croyance d’un plus grand rendement des salariés, d’une diminution des coûts immobiliers et d’une attractivité supposée auprès des jeunes grâce à des aménagements qui ressembleraient à ceux des campus universitaires américains.
Le discours sur le flex office peut être mis à mal par ce qui est perçu comme un double langage par les salariés, qui questionnent dès lors la sincérité de l’employeur : d’un côté « améliorer le bien-être des salariés », de l’autre accroître la rentabilité immobilière (en réduisant les surfaces) et la productivité (en rendant plus poreux les espaces professionnel et privé, en accroissant la charge de travail).
La démolition des bureaux et des statuts crée d’autre part de nouvelles tensions sociales. Le changement des espaces traditionnels vers le flex office requiert de s’adapter à un mode self-service. Pratiquement, cette modification se traduit par un abandon des bureaux cloisonnés et par la raréfaction des étages supérieurs dédiés aux directeurs qui, dans un « élan sacrificiel », doivent rejoindre la légion des salariés.
Cette approche se veut la symbolique d’un aplanissement des hiérarchies et la preuve tangible d’une démocratisation des organisations. Si cette démarche semble louable, force est de constater que cette agora où se mélangent chefs, cadres et employés facilite également le contrôle, l’hypercirculation des directives et de facto l’endoctrinement des personnels – du moins le perçoivent-ils comme tels. De leur côté, les directions s’exposent encore plus à la question de la légitimité de leur autorité. Et cette nouvelle promiscuité exacerbe plutôt qu’elle n’atténue la question de la disparité des rémunérations…
Entamés depuis la première quinzaine de novembre 2018, les négociations sur l’assurance-chômage sont sur le point d’aborder un sujet hautement inflammable : la lutte contre la précarité. Dans un « document de cadrage », le premier ministre avait demandé aux partenaires sociaux de construire de « nouvelles règles », afin de « responsabiliser » les employeurs, spécialement, ceux qui recourent excessivement aux contrats courts. Ce thème occupera l’essentiel des discussions que le patronat et les syndicats doivent poursuivre, mercredi 9 janvier, en vue de bâtir un nouveau système d’indemnisation des demandeurs d’emploi.
La rencontre s’annonce difficile. Car les acteurs vont échanger sur une idée très clivante, défendue par Emmanuel Macron durant sa campagne présidentielle : le bonus-malus, qui consiste à moduler les cotisations des entreprises (autour d’un taux pivot par secteur) en fonction du nombre de fins de contrat donnant lieu à une inscription à Pôle emploi. Les sociétés où la main-d’œuvre tourne fréquemment paieront plus, tandis que celles qui créent des emplois stables seront moins mises à contribution.
Or, le patronat y est brutalement hostile. « Nous ne négocierons pas sur un tel dispositif », avait prévenu Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, dans un entretien au Journal du dimanche du 4 novembre 2018. « La vision centraliste du gouvernement au travers de ce système n’est pas adaptée à l’économie de demain », avait-il ajouté. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l’Union des entreprises de proximité (artisanat, commerce, professions libérales) ont, sans surprise, annoncé des positions similaires durant l’automne 2018.
Leur analyse a-t-elle évolué, depuis ? « Je ne les sens pas disposés à lâcher du lest, confie Michel Beaugas (FO). Ils sont même prêts à faire capoter les discussions, sur cette question. » « Le chef de file de la délégation patronale dans la négociation nous assure que toutes les thématiques peuvent être débattues, enchaîne Eric Courpotin (CFTC). Mais les leaders patronaux, eux, ne veulent pas entendre parler de bonus-malus. » Dès lors, il est difficile, à ce stade, d’envisager un geste d’ouverture de la part des organisations d’employeurs.
Des accords dans la sidérurgie et la distribution
Celles-ci ont l’intention, durant la rencontre de mercredi, de mettre en avant les mesures récemment adoptées dans plusieurs secteurs d’activité pour prolonger les périodes d’emploi et proposer de nouveaux droits aux travailleurs (par exemple en matière de formation continue). D’après Hubert Mongon (Medef), des accords allant dans ce sens ont été paraphés dans cinq branches, en 2018, notamment dans la métallurgie, la distribution et le secteur de la propreté. « Leur contenu est intéressant, car ils contribuent à mettre en place la flexisécurité à la française, avec plus de souplesse pour les entreprises et plus de garanties en faveur des salariés », explique M. Mongon.
S’agissant de la sidérurgie, les accords conclus prévoient – entre autres – de réduire les périodes de carence entre deux CDD ou deux missions d’intérim, c’est-à-dire la durée pendant laquelle une entreprise ne peut pas embaucher sur le même poste, sous l’un de ces statuts. Est également créé un contrat de chantier ou d’opération, qui lie l’employeur et le salarié pendant au moins six mois, pour la réalisation d’un projet bien précis. Ce dispositif a également été instauré par l’accord applicable au monde de la distribution. Dans cette même branche, le délai de carence entre deux CDD est supprimé et une expérimentation va être lancée afin de permettre « le remplacement de plusieurs absences par un même contrat à durée déterminée ».
Mais ces initiatives risquent de ne pas suffire, aux yeux des syndicats. « Pour le moment, le nombre d’accords est faible et leur teneur n’est pas tout à fait en phase avec la lettre de cadrage de Matignon, qui recommandait de favoriser l’emploi durable », estime Marylise Léon (CFDT). « Ils ne sont pas très ambitieux et ne vont pas assez loin », renchérit M. Beaugas. Dès lors, complète Mme Léon, « si le compte n’y est pas, on a intérêt à étudier une mesure comparable au bonus-malus pour combattre l’abus de contrats courts ». « Si on ne parle pas du système de cotisations, je ne vois pas pourquoi il conviendrait de continuer la négociation », affirme M. Courpotin.
« Deux écoles »
Le dialogue pourrait donc tourner court, mercredi, entre des organisations de salariés, désireuses d’avancer sur la modulation des cotisations en fonction des pratiques des entreprises, et le patronat, opposé à une telle option. En cas d’échec des discussions, l’exécutif pourrait reprendre la main et mettre en œuvre le bonus-malus, s’il trouve que les accords de branche ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Une hypothèse dont la crédibilité est accentuée par le contexte social du moment, pour Jean-François Foucard (CFE-CGC).
Mais certains mettent en doute les intentions affichées : « Deux écoles coexistent au sein du gouvernement », observe Denis Gravouil (CGT). Marc Ferracci, le conseiller spécial de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, « est le plus résolu à faire le bonus-malus », relève-t-il. Mais d’autres, au sein de l’exécutif, ne font pas preuve du même enthousiasme, considérant qu’un tel mécanisme « contredit le discours sur la baisse des charges », selon M. Gravouil. La confrontation va donc avoir lieu entre partenaires sociaux mais, peut-être, aussi dans les arcanes du pouvoir en place.