Archive dans 2019

Reconversions professionnelles, le revers du décor

Commis dans un restaurant parisien, Philippe gagne moins de la moitié de ce qu’il gagnait dans l’informatique.

Un tradeur devenu vigneron, une avocate réinsérée en reine du stand-up… De nombreuses transformations de carrière se soldent par des déceptions ou un échec.

D’aussi loin qu’elle se évoque, Sophie a toujours voulu enseigner. Mais après sa licence de mathématiques, alors qu’elle s’apprêtait à rentrer à l’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM), elle a finalement choisi l’informatique et les statistiques et trouvé, dès sa sortie d’école, une place de choix dans une filiale de General Electric, à Paris. « Beaucoup de stress mais un bon salaire, de la reconnaissance sociale, la vie à Paris… c’était plutôt royal ! », déclare-t-elle.

L’idée que cette situation « royale » ne serait pas éternelle est venue quelques années plus tard, après un premier plan de départs au sein de son entreprise. A la faveur d’un bilan de compétences, Sophie conçoit que l’envie d’enseigner, de se « rendre utile », ne l’a pas quittée. En 2015, elle saisit l’occasion d’un nouveau plan pour se lancer dans des études de formatrice pour adultes.

Ecriture d’un mémoire, préparation des cours – qu’elle donne particulièrement dans une association de soutien aux migrants –, chute drastique de ses revenus… sa reconversion s’avère plus déstabilisante que prévue. Trois ans plus tard, abattue par son nouveau métier, cette mère de trois jeunes enfants s’interroge : « Est-ce que je suis capable d’aller jusqu’au bout ? Est-ce que mon choix est juste vis-à-vis de mes enfants ? » Et elle n’exclut pas, désormais, de revenir à son précédent métier.

La prospection d’un métier ayant du sens

Pour un tradeur devenu vigneron, une avocate reconvertie en reine du stand-up, ou une cadre devenue autoentrepreneuse, à quel point de parcours chaotiques, de reconversions « ratées » ? La reconversion professionnelle volontaire fait rêver : 34 % des cadres l’envisageraient, selon un sondage pour Cadremploi. Mais seule une minorité arrivera à concrétiser son rêve. La sociologue Sophie Denave, auteure de Reconstruire sa vie professionnelle (PUF, 2015), a calculé qu’environ 10 % des salariés changent de métier au cours de leur carrière. Si la mobilité volontaire a particulièrement été facilitée par les ruptures conventionnelles, franchir le pas reste compliqué.

Pour Emmanuel, tout bascule à la quarantaine. Déjà très sensible aux questions climatiques, il voit le film d’Al Gore, Une vérité qui dérange, qui dénonce l’inaction des politiciens face au réchauffement. « En sortant du cinéma, tout était devenu très clair pour moi, explique-t-il. Trois mois plus tard, je commençais une formation d’ingénieur, puis j’enchaînais sur un master en développement durable. »

La rémunération de base est une source de bien-être pour ses attributaires en Finlande

Helsinki dresse un premier bilan du projet, qui ajustait à donner à des chômeurs une allocation sans condition. L’objectif est positif sur la qualité de vie, mais sans effet sur le taux d’activité.

L’expérimentation finlandaise de la rétribution de base avait attiré l’attention du monde entier sur ce petit pays de 5,5 millions d’habitants. Vendredi 8 février, les chercheurs chargés de superviser le projet, mené du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018, en ont présenté une évaluation préliminaire couvrant la première année. Résultat : si le revenu de base n’a pas permis d’augmenter le taux d’activité de ses bénéficiaires, il a amplement amélioré leur bien-être.

Lancé par le gouvernement de coalition, dirigé par le centriste Juha Sipilä, le dispositif pointait à tester de nouvelles idées pour réformer un régime de la sécurité sociale d’une complexité parfois kafkaïenne et augmenter le taux d’emploi, le plus faible des pays nordiques.

Fin 2016, 2 000 Finlandais à la recherche d’un travail ont été tirés au sort pour collaborer au projet, sans pouvoir refuser. Agés de 25 à 58 ans, ces cobayes ont perçu pendant deux ans une indemnité de 560 euros non imposée, séparément de leurs autres ressources, en remplacement de l’allocation chômage.

En meilleure santé et moins stressés

L’application était contestée. Ses opposants arguaient que le revenu de base risquait d’encourager les chômeurs à la paresse. Ses partisans, au contraire, étaient convaincus qu’il les remettrait en selle. Finalement, « ce n’est ni l’un, ni l’autre », constate le professeur Olli Kangas, un des pères du projet, guère étonné du résultat qui « correspond à ce qui a pu être observé dans de précédentes expérimentations menées aux Etats-Unis et au Canada, dans les années 1970 ».

Donc, selon les premières suites de l’évaluation, 43,7 % des personnes ayant reçu le revenu de base ont occupé un emploi pendant la première année du projet, contre 42,5 % pour les membres d’un groupe témoin, composé de 2 000 chômeurs tirés au hasard. En moyenne, les premiers ont travaillé 49,64 jours dans l’année, contre 49,25 pour les seconds. « Il est possible toutefois que les chiffres soient différents sur le long terme, et que les gens réagissent au bout d’un an », remarque M. Kangas.

Les chercheurs, simplement, ont pu examiner des différences : ceux qui ont perçu le revenu de base sont plus nombreux que les chômeurs à se dire en bonne santé (55 %, contre 46 %) et sont moins stressés (17 % contre 25 %).

La RATP perd une opportunité dans un débat du travail hors norme

La justice vient de commander un revers à la RATP et au ministère de l’intérieur dans des conflits du travail entièrement atypiques. En 2018, l’entreprise publique avait renvoyé deux de ses agents au motif qu’ils auraient fait courir un risque à la sécurité de leurs collègues et des usagers. Sa décision était étayée sur deux avis rendus par un service rattaché au directeur général de la police nationale. Les avis en question ont été récemment annulés par le tribunal administratif de Paris, ce qui remet en cause le choix du transporteur de se séparer de ces salariés.L’un des différends intéresse M. X : embauché, il y a six ans, à la RATP en qualité d’opérateur de maintenance, il avait demandé sa mutation en vue de devenir conducteur de métro. L’autre contentieux implique M. Y, recruté en novembre 2017 pour conduire le métro. L’un comme l’autre ont donc été congédiés en 2018, à quelques mois d’intervalle, dans des circonstances analogues : ils ont d’abord été relevés de leurs fonctions avant de recevoir, quelques jours plus tard, une lettre de résiliation.Pour couvrir la rupture du contrat de travail, la direction s’est emportée d’une enquête administrative, qu’elle avait réclamée au ministère de l’intérieur. Cette investigation avait abouti à la conclusion que le comportement des deux hommes n’était pas « compatible » avec le poste convoité ou occupé, sans qu’un motif soit donné.Métiers jugés sensibles

Une telle action est prévue par la loi du 22 mars 2016. Elle offre la possibilité aux sociétés de transport de voyageurs de contrôler le pedigree de personnes qui désirent travailler chez elles ou de salariés déjà en place qui veulent changer d’affectation. Ces contrôles ne sont admises que pour certains métiers jugés sensibles – par exemple chauffeur de bus ou agent de sécurité.

Le but est de se garantir que les intéressés ne représentent pas une menace pour les personnels et la clientèle. C’est le Service national des enquêtes administratives de sécurité (Sneas), placé sous la tutelle du ministère de l’intérieur, qui se charge de « scanner » le profil des personnes. Il s’appuie, particulièrement, sur des fichiers relatifs « à la prévention du terrorisme ou des atteintes à la sécurité et à l’ordre publics ».

M.X et M. Y ont été surpris d’apprendre le soupçon pesant sur eux. Et le traitement qui leur a été réservé les a profondément choqués. Primo : ils ignoraient tous des raisons pour lesquelles un avis d’incompatibilité avait été émis à leur égard. En outre, l’avis accusé ne leur avait pas été notifié et la RATP avait mis fin à la relation de travail, sans qu’ils puissent se défendre. S’estimant victimes de pratiques expéditives qui ont violé leurs droits, ils se sont tournés vers le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir l’invalidation de la sentence du Sneas.

Argumentation différent

La démarche promise a tourné à leur avantage. S’agissant de M. X, le juge a estimé que le ministère de l’intérieur n’avait produit « aucun élément factuel » permettant de démontrer que le salarié « constituerait une menace pour la sécurité ou l’ordre public ». Du fait de cette « inexacte application » de la loi, le requérant est « fondé » à solliciter l’annulation de l’avis d’incompatibilité.

Quant à M. Y, l’argumentaire du tribunal est distinct mais parvient au même résultat : l’agent « aurait dû avoir notification de l’avis d’incompatibilité » et ce dernier aurait dû, de surcroît, « être motivé ». Or, tel n’a pas été le cas. Dans ces conditions, M. Y est, lui aussi, en droit de réclamer « l’annulation » de l’avis du Sneas.

Le ministère de l’intérieur et la RATP se bornent à déclarer qu’ils ont pris acte des jugements du tribunal, prononcés le 31 janvier. Un appel sera-t-il interjeté ? Pas de réponse, à ce stade. Toute laisse à penser, par ailleurs, que la RATP n’a pas l’intention de revenir sur sa décision de congédier les deux hommes.

La bataille judiciaire continue

Ce licenciement, M. X et M. Y le contestent, en parallèle, devant la justice prud’homale. Pour le premier, l’audience, au début prévue vendredi 8 février, a été repoussée au 6 mars. Son avocat, Me Raphaël Kempf, « ne voi[t] pas comment les prud’hommes ne pourraient pas tenir compte de la décision du tribunal administratif ». Autrement dit, la logique voudrait, selon lui, que la RATP soit condamnée, la rupture du contrat de travail ne reposant sur aucune « cause réelle et sérieuse ».

M.Y, lui, est déjà passé devant les prud’hommes, mais il a été débouté, le 1er février. Son conseil, Me Thierry Renard, avait sollicité que les débats soient rouverts de manière à prendre en considération l’invalidation de l’avis d’incompatibilité, mais il n’a pas été suivi. Il va donc faire appel.

Outre M. X et M. Y, quatre autres hommes, au moins, ont été remerciés de la même manière par la RATP. Epaulés par Me Thierry Renard, trois d’entre eux ont déjà promis des actions en référé devant les prud’hommes, qu’ils ont perdues. Les conclusions ont été rendues avant le jugement du tribunal administratif de Paris. Mais la bataille va continuer, affirme Me Thierry Renard : des requêtes sur le fond ont été déposées. Celui-ci compte aussi s’adresser au juge administratif afin que soit annulé l’avis d’incompatibilité émis à l’encontre de ses clients.

 

KLM lutte pour protéger son autonomie vis-à-vis d’Air France

Benjamin Smith, directeur général d’Air France-KLM (au centre), et Pieter Elbers (à gauche), PDG de KLM, en visite à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol, en octobre 2018.
Benjamin Smith, directeur général d’Air France-KLM (au centre), et Pieter Elbers (à gauche), PDG de KLM, en visite à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol, en octobre 2018. Elodie Gregoire / Air France

Une partie des salariés de la compagnie néerlandaise redoute que le mandat de leur patron ne soit pas renouvelé par Air France-KLM en avril.

Un parfum de fronde flotte dans l’air chez KLM. Une partie des salariés de la compagnie néerlandaise se mobilise pour parvenir au renouvellement, en avril, du mandat de son président, Pieter Elbers. Une pétition lancée vendredi 1er février a déjà recueilli environ 9 000 signatures sur les 32 000 salariés de KLM.

Aux Pays-Bas, certains prêtent à Benjamin Smith, le directeur général d’Air France-KLM, la volonté de bénéficier de l’occasion pour s’en débarrasser. Une inquiétude née il y a quelques semaines, à l’occasion d’une visite à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol. Face aux cadres et aux personnels de la compagnie néerlandaise, dont il a salué les résultats, il n’a jamais prononcé le nom du patron de KLM.

En décembre, dans un entretien au site spécialisé Luchtvaartnieuws, M. Elbers avait rappelé son souhait de conserver ses fonctions « pour quatre ans de plus, au moins ». Du côté d’Air France-KLM, on fait savoir que « des discussions » ont lieu entre les deux conseils d’administration d’Air France-KLM et de KLM. Toutefois, M. Smith « n’a encore pris aucune décision ». Selon nos renseignements, celle-ci ne devrait pas intervenir avant la publication des résultats annuels du groupe, prévue le 20 février. « Il n’y a pas d’urgence. Le calendrier, c’est fin avril », fait-on savoir de bonne source.

Aux yeux du patron d’Air France-KLM, Pieter Elbers exposerait deux défauts rédhibitoires. D’une part, il a fait figure de rival potentiel. A la suite de la démission de Jean-Marc Janaillac d’Air France-KLM, en mai 2018, il a longtemps été montré comme un possible successeur. « Il n’y a pas de question d’ego », veut-on croire chez Air France-KLM. D’autre part, il serait devenu gênant sur le plan stratégique.

« Créer des synergies et de la valeur »

Depuis son arrivée, à l’été 2018, à la direction générale d’Air France-KLM, Benjamin Smith a pris les commandes d’Air France. Il a débarqué sans états d’âme deux des principaux cadres de la compagnie, le directeur général Franck Terner et le directeur des ressources humaines Gilles Gateau.

Dans la foulée, il a appelé une nouvelle équipe dirigeante, avec « la volonté de garder la main sur Air France », note un syndicaliste de la compagnie. Outre ce renouvellement des cadres, M. Smith a taillé dans les marques du groupe, actant l’éloignement de Joon et le passage sous pavillon Air France de Hop !, filiale axée sur les vols court-courriers et les transversales régionales.

« Chômage en masse mais emplois non pourvus : où est le défaut ? »

 

De nombreuses offres d’emploi restent non pourvues en France.
De nombreuses offres d’emploi restent non pourvues en France. PÔLE EMPLOI/ FLICKR/CC BY 2.0

Dans sa chronique, Gilbert Cette l’économiste estime que pour accepter de résoudre les difficultés de recrutement, il faut réformer la formation professionnelle et rendre certaines professions plus attractives.

La simultanéité des difficultés de recrutement et d’un chômage en gros soulève des interrogations sur la concordance entre la formation des actifs et les besoins des entreprises. Ce thème faisait l’objet d’une conférence structurée le 18 décembre 2018 par la direction des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail. Il ressort des travaux présentés, comme par exemple ceux de Michael Orand (DARES), que cette coexistence traduit en réalité des situations contrastées selon les secteurs, et n’appelle donc ni les mêmes réponses, ni des procès simplistes sur l’inertie des demandeurs d’emploi ou les exigences démesurées des employeurs.

Les fortes créations d’emplois sur les dernières années se sont interprétées dans de nombreux pays européens par l’augmentation depuis 2015 des difficultés de recrutement signalées par les entreprises, jusqu’à des niveaux récents depuis dix ans. Cela n’est guère étonnant dans des pays à faible taux de chômage, comme l’Allemagne, où le marché du travail est globalement en tension. Elles sont plus surprenantes en France qui pâtit toujours d’un chômage massif. Elles y font craindre l’émergence de freins à la croissance et donc aux créations d’emploi et à la baisse du chômage, qui seraient liées à un mauvais fonctionnement du marché du travail.

Fortes tensions

La « courbe de Beveridge » – du nom de l’économiste et politicien britannique William Beveridge (1879-1963), théoricien et pionnier de l’Etat-providence – fournit une représentation synthétique de la qualité de ce fonctionnement : elle associe le taux de chômage aux offres d’emploi non satisfaites. Cette relation est négative, une diminution du taux de chômage se traduisant logiquement par de plus fortes tensions. Or, comme l’a montré une nouvelle étude (Le marché du travail français est-il en tension ?, de Françoise Drumetz et Rémy Lecat, Bloc-note Eco, Banque de France), on observe un déplacement de cette courbe vers le haut sur les années récentes en France : les tensions sont plus fortes alors que le taux de chômage reste le même, ce qui certifierait de la dégradation du fonctionnement du marché

IUT, licences pro, bachelors : mutations en vue

Un rapport recommande d’allonger la scolarité des IUT à trois ans et de réformer la licence professionnelle. Des décisions sont attendues bientôt.

Alourdi et détourné de ses fonctions initiales, l’enseignement supérieur court et professionnalisant – surtout les instituts universitaires de technologie (IUT) et les licences professionnelles – est à un tournant. Le diagnostic a été posé : au lieu d’être avant tout des tremplins vers l’emploi, ces filières sont devenues des tremplins vers les études longues – tandis que les bacheliers généraux sont de plus en plus nombreux à s’y intéresser.

En en plus, les jeunes qui décident de s’insérer sur le marché du travail à bac + 2 et bac + 3 réussissent des niveaux d’emploi insuffisants, qui ne sont pas, pour 45 % d’entre eux, en adéquation avec leur formation. Alors même qu’il existe des besoins sur le marché du travail. Ces constats ont conduit le ministère de l’enseignement supérieur à décocher en octobre une concertation sur la modernisation des formations courtes postbac.

Mission d’immatriculation professionnelle

A l’issue d’une consultation de divers acteurs, un rapport a été remis à la ministre, Frédérique Vidal, le 31 janvier 2019. Il offre de réorganiser l’accueil des étudiants dans ces formations et « de faire en sorte d’améliorer leur réussite », déclare François Germinet, président de l’université de Cergy-Pontoise et corapporteur du texte. Surtout pour les bacheliers technologiques qui s’engagent dans les IUT, et s’y trouvent en concurrence avec des bacheliers généraux.

« Il s’agit de rééquilibrer progressivement à 50/50 la part des diplômés qui entrent sur le marché du travail et celle qui continue les études », François Germinet

Deuxième objectif : convenir ces formations courtes sur leur mission d’insertion professionnelle, les besoins en professions moyennes étant réels du côté des entreprises. Or, actuellement, 90 % des titulaires d’un diplôme universitaire de technologie (DUT) continent leurs études. « Il ne s’agit pas de fermer cette possibilité, mais de rééquilibrer progressivement à 50/50 la part qui entre sur le marché du travail et celle qui continue les études », énonce François Germinet.

Plusieurs passerelles

Pour mieux former les étudiants et s’aligner aux besoins du marché, les DUT, en ce moment en deux ans, devraient ainsi voir leur cursus allongé à trois ans. Un chantier qui, selon toute vraisemblance, ne débutera pas avant la rentrée 2020. Autre préconisation : les programmes auraient un plus faible caractère national (70 % des contenus, contre 80 % actuellement).

Finalement, plusieurs passerelles devraient être facilitées tout au long du cycle. Avec la question – que devra trancher le ministère – d’une certification intermédiaire à bac + 2. Un moyen de « sécuriser les parcours », différemment dit de conserver l’attractivité du DUT pour les publics les plus fragiles, qui pourraient être échaudés à l’idée de s’engager dans une voie pour trois années, « que cela soit pour des raisons sociales, financières ou géographiques », précise le rapport.

Ce nouveau DUT qui délivrera un diplôme bac +3 (« grade de licence ») sera « plus adapté à l’individualisation des parcours », déclare Rodolphe Dalle, l’autre rapporteur, président de l’Assemblée des directeurs d’IUT (Adiut). Le réseau attend aussitôt les décisions du ministère avant de s’atteler à la lourde tâche de refonte de tous les programmes.

Une licence pro étalée

Autre atelier parallèle : la réforme de la licence professionnelle. Ces formations pourraient être étalées sur trois ans (actuellement, ce ne sont que des troisièmes années de licences). Avec, selon les cas, des intégrations possibles en deuxième ou troisième année. Certaines de ces licences pro (les moins spécialisées) s’introduiraient dans les nouveaux parcours en trois ans des DUT. D’autres garderaient leur filière propre.

Reste à savoir quelles conséquences cette réorganisation aura sur le recrutement des grandes écoles. Nombre d’entre elles puisent en effet dans les viviers des BTS, DUT et licence pro pour remplir leurs promotions avec des « admissions parallèles », qui constituent souvent plus de la moitié de leurs effectifs. Au lieu d’aller chercher des candidats à la sortie des DUT, « ces écoles pourraient recruter à bac + 2 dans les doubles licences, et développer le recrutement à bac + 3 en licence générale », préconise François Germinet. Ce qui semble convenir au président de l’Adiut : « On ne peut pas demander aux IUT d’être à la fois des acteurs importants de l’insertion professionnelle tout en alimentant de manière significative les écoles en diplômés ! »

Le bachelor en attente d’un « grade de licence »

Autre sujet brûlant dans ce paysage : le bachelor. Les établissements de la Conférence des grandes écoles (CGE) sollicitent l’attribution par l’Etat du « grade de licence » (un label d’état, garant d’une certaine qualité) pour leurs programmes bachelor. A la manière du « grade de master » qu’elles ont obtenu pour leurs diplômes bac + 5.

Les bachelors, cursus postbac en trois ou quatre ans, se sont amplement développés ces dernières années dans les écoles de commerce et d’ingénieurs. Leurs diplômés peinent parfois à poursuivre leurs études, en cycle master à l’université ou à l’étranger, faute de reconnaissance officielle de leur diplôme dans le système public. Et les familles peuvent être désorientées par une offre privée foisonnante et peu contrôlée. Ce dossier est porté par la CGE depuis plusieurs années, et le ministère de l’enseignement supérieur semble désormais prêt à l’étudier.

« Diplôme roi »

« Le bachelor est venu rebattre les cartes, avec une forte appétence des jeunes et des familles, mais aussi des entreprises, pour ces formations », admet François Germinet. Mais les rapporteurs se montrent très prudents envers ces formations coûteuses, qui entrent clairement en concurrence avec les DUT, les BTS et les licences. Leurs arguments : ces bachelors sont des formations très hétéroclites du point de vue de leur qualité. L’usage du terme « bachelor » n’est en effet pas protégé (contrairement à celui de master). « Les bachelors se développent, y compris dans des établissements hors de la Conférence des grandes écoles », constate Anne-Lucie Wack, la présidente de la CGE.

« Il faut qu’un système d’accréditation garantisse la qualité de ces formations et devienne un gage de confiance pour les familles », déclare Anne-Lucie Wack

« Ce n’est guère étonnant, c’est le diplôme roi à l’international. Il faut qu’un système d’accréditation garantisse la qualité de ces formations et devienne un gage de confiance pour les familles. » Ces formations seraient observées par l’Etat selon plusieurs critères – encore à déterminer –, à débuter par la qualité académique, les liens avec l’entreprise ou le niveau d’insertion professionnelle. Ce dossier est désormais entre les mains de Jacques Biot, ancien président de Polytechnique, et Patrick Lévy, président de l’université de Grenoble-Alpes, chargés par Frédérique Vidal de redonner un rapport sur le sujet courant février.

 

A Sciences Po, une vraie face de la différence

L’Institut d’études politiques parisien multiplie les voies de recrutement, mais trouve  encore une difficulté à s’ouvrir aux jeunes des zones rurales et périphériques. Une réforme des voies d’accès en première année est prévue en 2021.

Claire l’avoue aisément. Avec ses « bons résultats sans plus » – bac ES mention « assez bien » dans un lycée privé parisien –, elle aurait eu du mal à intégrer Sciences Po Paris à la fin de son année de terminale. Aisément conseillée, elle a convaincu ses parents de la laisser partir suivre une licence de sciences politiques en Angleterre, à l’université d’York. En janvier 2017, six mois avant l’obtention de sa licence, elle postule à Sciences Po afin d’intégrer l’école en master. Non pas par le concours classique, mais par la procédure internationale, un mécanisme réservé aux étrangers et aussi – et ils sont nombreux – aux Français qui ont étudié hors de nos frontières.

Pas de bachotage durant des mois. Pas d’angoisse en  vue d’un sujet de dissertation inconnu. Pas de stress avant un entretien décisif. Juste une lettre précieusement préparée et un dossier. Quelques semaines plus tard, la réponse tombe : elle est admise à la prochaine rentrée. « Quand je suis partie en Angleterre, j’avais en tête que cette stratégie me permettrait d’intégrer une meilleure école que celle à laquelle je pouvais prétendre après le bac ou en faisant une prépa, que cela soit Sciences Po ou une école de commerce type HEC », décalre celle qui dit avoir acquis de l’autre côté de la Manche, outre un très bon niveau d’anglais, une capacité à « penser par elle-même », et qui fait un « stage dans une start-up de cosmétiques naturels », entre ses deux années de master.

La méconnue procédure internationale

Si cet action internationale permet à Sciences Po de diversifier le pedigree de ses admis, elle reste exclusivement aux connaisseurs. Des « initiés » qui savent que seuls les excellents élèves réussissent à entrer à Sciences Po après le bac. En juin 2018, 86 % des 5 680 lycéens qui se sont présentés au concours ont été recalés. Ceux qui traversent la ligne « ont rarement eu moins de 16/20 de moyenne aux épreuves anticipées du bac, détaille Bénédicte Durand, directrice des études et de la scolarité à Sciences Po. L’année dernière, 97 % de nos admis en première année ont eu une mention “bien” ou “très bien” ».

Avec 17/20 de moyenne en première et 18/20 en terminale ES, Cyann rentrait dans ces cases. Née en Ardèche, elle va au lycée à Privas, la plus petite préfecture de France. Elle se considère comme faisant partie des « privilégiés » : ses parents, enseignants tous les deux, la supportent dans ses révisions et l’aident à comprendre les critères attendus, l’inscrivent à la prépa du CNED dès la première… Soirs et week-ends sont dédié à la préparation du concours – elle se garde juste du temps pour ses cours de théâtre. « Je lisais beaucoup moins de romans qu’avant, et faisais moins de sport, voyais moins mes amis. »

 

RSA : 1 bénéficiaire sur 4 toujours pas guidé au bout de 6 mois

Une personne présente les brochures informant sur le RSA mises à la disposition des usagers dans un centre de la CAF à Paris.
Une personne présente les brochures informant sur le RSA mises à la disposition des usagers dans un centre de la CAF à Paris. FRANCOIS GUILLOT / AFP

Selon une étude de la Drees, 17 % des personnes profitant du revenu de solidarité active n’ont pas été orientées par leur conseil départemental six mois après leur inscription.

Le nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) « orientés vers un parcours d’insertion » a doucement amélioré en 2017, mais près d’un quart n’était toujours pas accompagné au bout de six mois, selon une étude publiée jeudi 7 février par la Drees.

La quasi-totalité des attributaires du RSA et de leurs conjoints, soit 2,1 millions de personnes majeures, étaient fin 2017 « soumis aux droits et devoirs associés à cette prestation », rappelle le service statistique des ministères sociaux.

Mais le droit à un complément et l’obligation de recherche d’emploi restaient théoriques pour 17 % des intéressés, qui n’avaient pas été « orientés » par leur conseil départemental.

Variable selon le département

Ce rapport a doucement baissé par rapport à fin 2015 (20 %) et dépend logiquement de « l’ancienneté dans le RSA » : avant 6 mois elle culmine à 50 %, entre 6 mois et un an elle atteint 23 %, au-delà d’un an elle concerne encore 12 % des bénéficiaires.

Le taux de complément varie aussi fortement d’un département à l’autre : Paris et la Sarthe approchent du sans-faute avec 98 %, quand les Ardennes sont à la peine avec 48 %.

Les écarts sont encore plus formulés pour le délai « entre la date de demande du RSA et celle d’orientation vers un chemin d’orientation », qui était en moyenne de 94 jours en 2017, avec un minimum de 32 jours en Eure-et-Loir et un maximum de 162 jours dans l’Yonne – cette donnée n’étant disponible que pour la moitié des départements.

 

Salariés aléatoires : comment les contrats courts ont été augmenté en trente ans

Suivant les derniers chiffres de l’Insee, la proportion de salariés embauchés en contrat court s’est fixée depuis les années 2010 après avoir été multipliée par quatre.

En 2017, 1,2 million de personnes « en emploi » ont utilisé un contrat court – moins de trois mois –, que ce soit en CDD ou en mission d’intérim. Cela représente 4,4 % de tous les salariés à un instant T de l’année 2017. Cependant si, à un instant donné, les contrats courts sont très minoritaires dans l’emploi, ils représentent près de 75 % des embauches (hors intérim), contre 55 % en 2004, un salarié pouvant être embauché plusieurs fois dans l’année en contrat court.

Cette augmentation en trente-cinq ans cache d’importants écarts entre les différentes catégories socioprofessionnelles. Ainsi, chez les ouvriers, la part de contrats courts est de 10,6 %, bien plus élevée que celle que l’on retrouve chez les cadres (1,5 %). Mais, même à l’intérieur de ces catégories, les disparités peuvent apparenter à des gouffres.

Chez les ouvriers, on monte à 22,4 % chez les « ouvriers non qualifiés de type industriel » ou 15,6 % chez les ouvriers agricoles. A l’inverse, chez les cadres, cette part explose à 16,4 % dans les « professions de l’information » ou celles « des arts et des spectacles », voire la restauration, où il existe la éventualité d’embaucher en CDD d’usage (pour des besoins ponctuels ou occasionnels, il n’est soumis à aucun délai de carence et ne donne pas droit à une prime de précarité en fin de contrat).

Chez tous les salariés intéressés par les contrats courts, la proportion de ceux qui vivent avec moins de 1 000 euros par mois est plus élevée que dans le reste de la population « en emploi ». Ils sont environ 17 % à être en dessous de ce seuil, que l’Insee observe comme un seuil de pauvreté, contre 8 % pour les personnes qui occupent un emploi en France.

 

Agrégation : seulement 15 % des candidats arrive à avoir le Graal de l’enseignement

Les Ecoles normales supérieures demeurent la voie royale pour accéder à ce concours très sélectif qui ouvre un accès privilégié aux lycées et aux classes préparatoires aux grandes écoles.

Particularité française, l’agrégation du second degré est, depuis le XVIIIe siècle, le signe distinctif de l’aristocratie enseignante. « Les attentes, le référentiel de compétences d’un poste d’agrégé sont les mêmes que celui d’un certifié, mais pas le statut, plus intéressante et mieux perçu en termes de réussite sociale », résume la sociologue Géraldine Farges, auteure des Mondes enseignants (PUF, 2017).

Ce concours, qui propose aux professeurs un accès privilégié aux lycées et aux classes préparatoires aux grandes écoles, reste l’apanage d’une certaine élite scolaire. Avec un taux moyen de réussite, toutes disciplines confondues, compris entre 10 % et 13 % de 2006 à 2010 et qui tourne autour de 15 % depuis 2011 (15,03 % en 2018), l’agrégation externe, réservée aux titulaires d’un master, est le concours enseignant le plus sélectif. Avec des écarts importants selon les disciplines. Le taux est ainsi de 9 % pour la philo et de 11 % pour l’histoire, mais de 32 % pour l’agrégation de grammaire, qui attire par ailleurs peu de candidats.

Réussir l’agreg est une épreuve intellectuelle mais aussi « physique » et « psychologique », insiste Blanche Lochmann, la présidente de la Société des agrégés, elle-même agrégée de lettres classiques. Les élèves des Ecoles normales supérieures (ENS) – Ulm, Lyon, Paris-Saclay (ex-Cachan) et Rennes –, rigoureusement sélectionnés en amont à la sortie des classes préparatoires et payés durant leurs études, sont les mieux entraînés à l’affronter. Ce qui développe leur surreprésentation chaque année parmi les admis : en 2017, les normaliens constituaient un quart des 1 747 lauréats à l’agrégation externe de l’enseignement public (chiffre qui englobe aussi les admis au concours de l’agrégation spéciale, réservée aux titulaires d’un doctorat, et les auditeurs libres acceptés au sein des préparations au concours des ENS).

« Forte attractivité »

Le gros des troupes (38 %) des reçus à l’agreg sont issus de la fac, où ils ont enchaîné un master, et suivi une préparation à l’agrégation. Ces sections sont situées de préférence dans les grands établissements, dont beaucoup en région parisienne : « Paris-I et Paris-IV en histoire, Sorbonne Université ou Orsay en maths, par exemple », illustre Pierre Verschueren, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Franche-Comté, et agrégé d’histoire. Des préparations performantes à condition d’être justifié : « L’agrégation se joue beaucoup sur le mental, il ne faut pas lâcher. Quand on est dans une classe de 20 élèves à l’ENS Ulm, c’est moins difficile que quand on est perdu au milieu de 150 personnes à Paris-I… », Déclare-t-il.