Le paradoxe de l’amélioration de l’emploi

Editorial du « Monde ». Deux bons chiffres, émanant de l’Insee, témoignent de la bonne résistance de l’économie française : les créations d’emplois ont sensiblement augmenté, passant de 188 000 en 2018 à plus de 260 000 cette année. La cuvée 2019 est en outre marquée par un record historique de créations d’entreprises. Leur nombre a atteint 750 000 sur les onze premiers mois, loin du précédent record enregistré un an plus tôt (691 000).

Le chômage, qui était devenu le boulet du précédent quinquennat, recule de trimestre en trimestre, atténuant le sentiment d’un pays enkysté. Avec un taux de chômage de 8,5 %, la France reste, certes, au-dessus de la moyenne européenne, mais de grande malade elle est passée au stade de convalescente.

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Cette amélioration est d’abord due à la croissance, qui résiste mieux dans l’Hexagone que dans le reste de la zone euro. Elle résulte aussi des effets de la politique de l’offre. François Hollande s’y était rallié dans la douleur fin 2012. Emmanuel Macron l’a amplifiée depuis sans états d’âme. Il en récolte les fruits : le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), transformé cette année en baisse de cotisations sociales, serait à l’origine de 30 000 créations d’emplois, selon Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Le volume n’est pas négligeable. Il apparaîtra cependant encore faible à ceux qui, contestant le rapport coût/efficacité de l’allègement du coût du travail, dénoncent inlassablement le « cadeau » fait aux entreprises.

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Loin d’être vidée par l’élection d’Emmanuel Macron, la querelle reste en effet vive autour du modèle social à promouvoir. Si le marché du travail reprend peu à peu des couleurs, il ne ressemble en rien à celui qui avait marqué les « trente glorieuses » et qui entretient, en France, une indéfectible nostalgie.

Le nombre de contrats à durée indéterminée a beau légèrement progresser, les CDD restent la règle. Tandis que la probabilité de conduire sa carrière dans la même entreprise diminue, la prise de risque augmente. En témoigne l’engouement pour la création d’entreprise, qui se paie d’une proportion importante d’échecs : trois ans après leur naissance, un tiers seulement des microentreprises sont encore en activité. Après cinq ans, près de la moitié des entreprises créées ont fait faillite. A côté de quelques spectaculaires réussites, les revenus tirés de l’autoentrepreneuriat restent souvent dérisoires.

Un marché de plus en plus polarisé

Transformer le risque en opportunité est le pari d’Emmanuel Macron. Depuis qu’il est à l’Elysée, l’ancien banquier d’affaires a assoupli le marché du travail, réajusté les droits des chômeurs, renforcé la formation dans le but de favoriser le retour à l’emploi. La réforme des retraites, qu’il mène au forceps, participe de la même philosophie : sécuriser le parcours des plus mobiles, à commencer par les jeunes. Libéral convaincu, le président de la République a la particularité d’être plus constant, plus déterminé et plus anticipateur que ses prédécesseurs.

Là où le bât blesse, c’est que le modèle qu’il défend ne fait pas rêver. Une partie des salariés en place craint de perdre les avantages obtenus avec le temps. Une autre redoute de ne pas être géographiquement ou socialement armée pour trouver la bonne place sur le marché du travail. Or celui-ci devient de plus en plus polarisé, avec d’un côté des emplois hautement qualifiés, de l’autre des postes de travail très peu qualifiés. En sous-estimant ces deux peurs, Emmanuel Macron a contribué à accroître le niveau de la défiance, alors même que le recul du chômage aurait dû le faire baisser.

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Le Monde

Le théâtre a mal à ses ressources humaines

BORIS SÉMÉNIAKO

Cela vient comme un cri du cœur : « On a été et on est toujours naïfs et romantiques. On pensait qu’une direction du théâtre devait être une direction artistique. » Marie-José Malis, nommée en 2014 à la tête du Théâtre La Commune, à Aubervilliers, déchante. Le combat qui l’oppose depuis plus d’un an à la chef de la billetterie, déléguée syndicale, et une partie de l’équipe nommée par son prédécesseur, Didier Bezace, n’en finit pas de plomber l’ambiance. « Là-dessus, il faut le dire, on n’a pas été très bons. On vient des compagnies. Habitués au bricolage, on s’est pris un effet de réel », convient la metteuse en scène.

De Béthune à Dijon, metteurs en scène remarqués, ils ont débarqué dans les Centres dramatiques nationaux – consacrés à la création théâtrale –, en pensant toucher le Graal : un lieu et des moyens pour faire exister leur travail à grande échelle au service du plus grand nombre ! Ils ont découvert des entreprises lourdes à manœuvrer, à l’outil souvent obsolète ou à rénover, et aux subventions en berne. Après Rodrigo Garcia à Montpellier, c’est Philippe Quesne qui a jeté l’éponge, annonçant en juillet son départ de Nanterre pour la fin de l’an prochain.

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Résultat, à Aubervilliers comme partout, les avocats en droit du travail, les consultants en ressources humaines et les maisons d’audit (Technologia, La Belle Ouvrage, PK Consultants) sont désormais sur le devant de la scène… Un marché qu’on n’imaginait pas hier. Psychologues, médiateurs, cursus et plates-formes de formation font désormais partie du paysage. « En bout de chaîne, c’est autant d’argent que les artistes n’auront pas », soupire la directrice de théâtre épuisée. La formule est dans l’air du temps : « souffrance au travail » à tous les étages.

Micha Ferrier-Barbut est consultante en management. Présidente de l’association Le Pacifique, le centre de développement chorégraphique national de Grenoble, elle a codirigé en 2017 un petit opus qui a fait débat dans le milieu, La Gestion des ressources humaines dans le secteur culturel (Territorial éditions). « C’est un secteur pour qui le capital humain est longtemps resté un impensé, explique-t-elle. Ces structures se sont construites sur une sorte de militance – laquelle est de moins en moins vraie –, avec des formes d’organisation très hiérarchisées. Pas toujours nommées d’ailleurs, mais des hiérarchies symboliques très élevées. »

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Se livre ainsi en coulisse un combat à couteaux tirés entre la liberté de création et le droit du travail. D’un côté, des artistes patrons défendant la révolution permanente sur le plateau, apanage de l’art, dont la mission est de faire bouger les lignes et d’interroger les marges. De l’autre, des salariés, politisés, cultivés – plus que la moyenne des actifs –, aspirant à une forme de réalisation personnelle, où l’attachement à ces structures implique « une gestion particulière, comme le suggère un consultant. Au risque de voir l’émotivité transformer le conflit social en des clivages de personnes ». Et, pour couronner le tout, derrière l’ensemble, les fantômes très actifs des « hiérarchies symboliques » antérieures – qui, aux temps bénis des vaches grasses, ont pu acheter la paix sociale facilement.

A Alfortville, la lutte des sans-papiers d’un sous-traitant de Chronopost

Après six mois et six jours sur le piquet de grève devant l’agence Chronopost d’Alfortville, Sekou, Demba et sept autres travailleurs sans-papiers, qui déchargeaient les camions de colis de l’opérateur, sont soulagés. Ils ont obtenu, le 17 décembre, leur « admission exceptionnelle au séjour » en France, indique la préfecture du Val-de-Marne. Ils sont donc régularisés. Venus d’Afrique, ces travailleurs avaient été recrutés, racontent-ils, en présentant les papiers d’un ami ou d’un cousin en règle, un « alias », par Mission intérim, une société de travail temporaire à Créteil, pour le compte d’un sous-traitant de Chronopost, Derichebourg.

Un montage en cascade « qui dilue les responsabilités et permet d’exploiter les sans-papiers », estime Christian Schweyer, animateur du collectif des sans-papiers de Vitry (Seine-et-Marne), une ville voisine, qui soutient ce combat. Ces neuf régularisations viennent s’ajouter à celles obtenues par cinq de leurs collègues début décembre. « Je suis content, sourit Demba, un travailleur sénégalais régularisé, mais pas à 100 %. » Car 13 autres travailleurs sont encore dans l’attente. Alors la lutte continue.

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Une lutte très visible à Alfortville. De part et d’autre du trottoir qui longe le site de Chronopost, la filiale de La Poste qui livre des colis express, des dizaines de tentes vertes sont alignées, recouvertes de bâches bleues. A un bout du camp se trouvent quatre Sanisettes, financées par la mairie d’Alfortville (PS). A l’autre bout, un barnum chauffé en cas de besoin, fourni par le conseil départemental (PCF). Ils sont environ 120 sans-papiers à vivre sur place, dont 27 qui affirment avoir travaillé sur le site de Chronopost.

« Toutes les heures n’étaient pas payées »

Même régularisé, Sekou, un Malien de 29 ans qui a travaillé vingt mois chez Chronopost entre 2016 et 2018, « ne veu[t] pas quitter le camp tant que la situation des 13 autres n’est pas débloquée. Il est plus important d’obtenir des papiers que d’avoir un travail sans papiers », estime-t-il.

A partir de 3 heures 30 ou 4 heures 30 du matin, jusqu’à 7 heures 30, ils déchargeaient les camions chez le logisticien. « Il fallait aller le plus vite possible », raconte l’un d’eux. Mais le 11 juin 2019, ils ont dit stop. Stop à leur précarité, qui permettait aux chefs d’équipe de « leur mettre la pression en permanence, sous la menace de les remplacer par d’autres sans-papiers », ajoute M. Schweyer. « Toutes les heures n’étaient pas payées, raconte Demba. Mais si tu réclames, tu es viré. »

L’apprentissage est en nette hausse mais rate sa cible initiale

Des apprentis dans l’établissement des Compagnons du tour de France, à Saint-Thibault-des-Vignes, près de Paris, le 18 avril.
Des apprentis dans l’établissement des Compagnons du tour de France, à Saint-Thibault-des-Vignes, près de Paris, le 18 avril. STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

La France s’est elle – enfin – convertie à l’apprentissage ? Longtemps boudé dans l’Hexagone, ce mode de formation, où alternent périodes de cours et d’autres en entreprise, séduit de plus en plus. En juin, 458 000 jeunes étaient en apprentissage, un record. Au premier semestre 2019, le nombre de contrats de ce type a augmenté de 8,4 % par rapport à 2018, qui était déjà une excellente année, selon les chiffres du ministère du travail.

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« Nous pouvons espérer battre d’autres records cette année », affirmait le ministère, lors d’un bilan de mi-parcours rendu public en septembre. A cette date, 172 540 nouveaux contrats avaient été signés depuis le 1er janvier, le chiffre le plus élevé depuis 1993. Un signal positif, alors que la réforme contenue dans la loi du 5 septembre 2018, dite « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qui modifie profondément l’organisation de l’apprentissage en France, va entrer pleinement en vigueur au 1er janvier 2020.

Dans les grandes écoles

A quoi est dû ce succès inédit des formations en alternance ? Les campagnes de communication menées ces dernières années à l’initiative du gouvernement ont, sans aucun doute, porté leurs fruits. Le volontarisme politique de certaines régions, qui tiennent – encore pour quelques jours, jusqu’au 1er janvier, date à laquelle les branches professionnelles prendront le relais – les cordons de la bourse, également. Mais, selon l’économiste Bertrand Martinot, expert des questions d’emploi, c’est surtout à la croissance économique et aux tensions sur le marché du travail que l’on doit cet engouement. « Les entreprises ont d’énormes problèmes de recrutement, rappelle-t-il, et voient dans l’apprentissage une option intéressante pour trouver de la main-d’œuvre. »

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Mais derrière cet engouement, l’apprentissage semble de plus en plus éloigné de sa cible initiale, celle des jeunes les moins qualifiés, dont les difficultés d’accès au marché du travail sont les plus grandes. « La hausse globale du nombre de contrats cache de fortes disparités : on va se rendre compte que la progression est de 15 % pour les étudiants du supérieur… mais de 0 % pour les jeunes de niveau bac ou en dessous », poursuit M. Martinot.

Les étudiants y voient une excellente formule pour se former en finançant leurs études

De fait, on constate un très fort intérêt pour ce type de formation dans les grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs, particulièrement au niveau master. Les étudiants y voient, en effet, une excellente formule pour se former en finançant leurs études, tout en faisant leur entrée dans la vie professionnelle : plus d’un étudiant sur trois est embauché à l’issue de son contrat d’apprentissage, et pour 84 % d’entre eux, il s’agit d’un CDI. « Un vrai passeport pour l’emploi », selon l’expression d’Anne-Lucie Wack, présidente de la Conférence des grandes écoles (CGE). Il n’est donc pas étonnant que les effectifs augmentent : les établissements affiliés à la CGE comptent plus de 31 000 étudiants en apprentissage en 2018-2019, contre 24 823 en 2016-2017.

En 2019, les créations d’emplois en France repartent à la hausse

Avec plus de 260 000 créations d’emplois cette année (à comparer aux 188 000 enregistrées en 2018), un taux de chômage qui a atteint en milieu d’année 2019 son point le plus bas depuis 2009, à 8,5 % de la population active, la France est sans conteste dans une trajectoire positive.

Sauf retournement de situation – dû par exemple au conflit social autour des retraites –, les entreprises devraient continuer à embaucher début 2020, et le taux de chômage pourrait continuer à baisser de 0,1 % par trimestre l’année prochaine, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

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Ces bons chiffres s’expliquent, en grande partie, par la croissance économique, dont l’atterrissage en fin d’année est fixé à 1,3 % par l’Insee. « La totalité de la croissance passe en emplois », observe ainsi Patrick Artus, chef économiste chez Natixis. Faute de gains de productivité suffisants, les entreprises n’ont d’autre solution que d’embaucher pour faire face à l’accroissement de l’activité.

Infographie Le Monde

Un autre facteur a également joué un rôle, selon Eric Heyer : les transformations du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en baisse de cotisations sociales. Même si le résultat comptable est le même, l’effet psychologique sur les chefs entreprises ne l’est pas, explique cet économiste à l’OFCE. « Si vous baissez l’impôt – ce qui était le cas dans la première version du CICE –, vous n’obtenez pas le même résultat que si vous baissez le coût du travail, qui incite davantage à embaucher. » L’Insee estime à 30 000 le nombre d’emplois créés en 2019 grâce à cette transformation du CICE. Un impact qui sera nettement plus faible l’an prochain.

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Le tertiaire, principale locomotive

Tous les secteurs ont bénéficié de l’embellie. Fait notable, l’industrie recrute à nouveau depuis 2018, après une quinzaine d’années de décrue quasi ininterrompue. En 2019, comme en 2018, environ 12 000 emplois ont été créés dans les entreprises industrielles, notamment dans le secteur agroalimentaire.

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Même orientation positive dans la construction, une activité qui avait, elle aussi, perdu massivement des emplois entre 2009 et 2016. L’approche des élections municipales de mars 2020, ainsi que les grands projets, comme le Grand Paris Express, ne seraient pas étrangers au dynamisme du secteur qui a créé 41 000 emplois en 2019.

La locomotive reste cependant le tertiaire, et tout particulièrement les services marchands aux entreprises – conseil, services informatiques, ingénierie, juridique… – avec 167 500 emplois nouveaux cette année. Du côté de l’emploi non marchand, la baisse du nombre de bénéficiaires de contrats aidés se traduit par seulement 14 000 postes supplémentaires sur l’ensemble de l’année. Jugeant ce type de contrats peu efficaces pour un coût budgétaire élevé, le gouvernement d’Edouard Philippe a, en effet, revu drastiquement les dispositifs de financement. Au lieu de 320 000 contrats en 2017, ils ont été réduits avec l’objectif d’en financer 100 000 nouveaux par an.

« La Participation des salariés » : comment concilier responsabilité, participation des salariés et efficacité de l’entreprise

« La Participation des salariés », de Patricia Crifo et Antoine Rebérioux. Les Presses de Sciences Po, 128 pages, 9 euros.
« La Participation des salariés », de Patricia Crifo et Antoine Rebérioux. Les Presses de Sciences Po, 128 pages, 9 euros.

Le livre. Voici une donnée qu’il faudrait toujours garder à l’esprit lorsqu’on annonce la fin proche du travail et qu’on déclare que le futur appartient aux free-lance : en 2018, en France, dans le secteur privé, ce sont toujours 19,4 millions de personnes qui vivent leur expérience au travail en tant que salariés. « Comprendre et analyser le travail en France, c’est se pencher d’abord sur le travail salarié », rappellent Patricia Crifo et Antoine Rebérioux dans La Participation des salariés (Les Presses de Sciences Po).

Alors que la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) du 22 mai 2019 prescrit une plus grande participation des salariés au capital et aux décisions stratégiques de l’entreprise, la professeure d’économie à l’Ecole polytechnique et le professeur d’économie à l’université de Paris analysent les liens entre engagement et performance. Comment concilier les exigences de responsabilité, de participation et d’efficacité ? Comment associer les employés à la gouvernance ?

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Jusque dans les années 1970, l’intégration des travailleurs dans l’entreprise reposait sur un échange entre protection et subordination. « Un salarié travaille, sous les ordres d’un employeur et n’est pas là pour donner son avis ou participer aux décisions prises dans l’entreprise », explicitent les professeurs. Cet édifice va progressivement s’éroder sous le coup de deux mutations parallèles.

La première mutation concerne le travail lui-même. A partir des années 1980 se développent de nouvelles formes d’organisation du travail visant à rompre avec un modèle appréhendé sous le seul angle de la subordination. « La promotion de l’autonomie et l’affaiblissement du principe hiérarchique sont perçus comme un moyen d’accroître la productivité et de redonner du sens au travail salarié », soulignent les auteurs.

Vecteur de création de valeur

La deuxième mutation concerne l’entreprise : avec la prise de conscience de l’essoufflement de notre modèle de développement et des dommages environnementaux et sociaux que peut produire l’activité économique, la responsabilité des entreprises est de plus en plus sollicitée. « Ces deux mutations vont se conjuguer pour mettre au-devant des réflexions la participation des salariés aux décisions », résument la membre du Crest et le membre du Ladyss.

S’il emprunte à d’autres sciences sociales et à l’analyse juridique, l’ouvrage opte pour un regard essentiellement économique. Il analyse différents dispositifs de participation des salariés : droit économique du comité d’entreprise, négociation collective, représentation au conseil d’administration…

Entreprise et bien commun : il faut « sortir de l’opportunisme simpliste »

« La palme du bien paradoxal revient sans conteste aux géants du Web (…). Amazon prétend en plus atteindre la neutralité carbone avec dix ans d’avance sur l’accord de Paris. L’envers du décor ? Des centres-villes désertés, une hypercroissance pour doper la valeur boursière… »
« La palme du bien paradoxal revient sans conteste aux géants du Web (…). Amazon prétend en plus atteindre la neutralité carbone avec dix ans d’avance sur l’accord de Paris. L’envers du décor ? Des centres-villes désertés, une hypercroissance pour doper la valeur boursière… » DPA / Photononstop

Tribune. Etre rentable ne suffit plus. Il faut aussi être juste, vert, éthique. Aujourd’hui, qui ne l’est pas, ou qui ne prétend pas l’être ? La question est de savoir où commence le for good bashing.

Les crises sociale et écologique ont peu à peu obligé les entreprises à justifier d’un intérêt collectif. Elles ont fait feu de tout bois, précédées ou suivies par les pouvoirs publics : les labels privés se sont multipliés, tout comme les statuts, tels que « l’entreprise à mission » du rapport Notat-Senard, le statut ESUS [entreprise solidaire d’utilité sociale] pour les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) ou encore le label privé américain B Corp, dont l’obtention est officiellement visée par Danone. La « raison d’être » et le for good [« au service du bien commun »] hantent les entrepreneurs.

Et pourtant, le for good pour tous est une calamité dans cette légitime quête de sens. S’accrochant à leurs activités, certaines entreprises ne peuvent que se limiter à un affichage. D’autres peuvent être good  pour le client, mais ni pour les salariés ni pour les fournisseurs. D’autres encore peuvent l’être pour l’humanité, mais pas pour la planète. On savait que l’enfer était pavé de bonnes intentions, on en découvre la version 4.0.

La palme du bien paradoxal revient sans conteste aux géants du Web, comme Facebook, régulièrement épinglé pour des collectes de données illégales, ou Google, champion dans la catégorie « Big Brother », mais dont la maxime est « Do not evil » (« Ne faites pas le mal »)…

Un produit de plus en plus suspect

Le cas d’Amazon est encore plus parlant. Sa raison d’être ? « Etre l’entreprise la plus orientée client ». Proposer le plus de marchandises possible, livrées le plus vite possible. Amazon prétend en plus atteindre la neutralité carbone avec dix ans d’avance sur l’accord de Paris. L’envers du décor ? Des centres-villes désertés, une hypercroissance pour doper la valeur boursière, une relation salariée supplantée par une relation commerciale comme on le voit avec ses « travailleurs du clic » qui œuvrent pour 3,30 dollars l’heure, ou avec ses livreurs poussés à bout.

Pis encore, le quasi-monopole physique et technologique visé avec son activité d’hébergeur Amazon Web Services, de loin la plus stratégique et la plus rentable. La privatisation rampante d’un bien commun n’est pas l’exacte définition de l’intérêt général… Le pluralisme économique et démocratique, la vision citoyenne exigeraient le démantèlement d’un tel géant.

Sciences économiques : « Les nominations au Conseil national des universités se conforment à un seul courant de pensée »

Un collectif d’une centaine d’universitaires, parmi lesquels Aurore Lalucq, Pierre Khalfa, Gérard Filoche et Henri Sterdyniak, s’élève contre le manque de pluralisme des nominations effectuées par le ministère de la recherche dans la section « Economie » du Conseil national des universités, en charge des recrutements et des carrières de la discipline.