Le dumping social sur les ferrys en Manche sur le point d’être interdit

Le dumping social sur les ferrys en Manche sur le point d’être interdit

Un bateau de la compagnie P&O Ferries, dans le port de Douvres, au Royaume-Uni, le 3 mai 2022.

Le 17 mars 2022, il avait fallu quelques minutes à la compagnie P&O Ferries pour licencier sans préavis, par simple message vidéo, près de 800 marins, pour la plupart britanniques, qui assuraient la liaison entre Calais (Pas-de-Calais) et Douvres, dans le sud-est de l’Angleterre. A leur place ont été mis avec effet immédiat des employés qui avaient été recrutés à l’autre bout du monde – essentiellement en Asie – et acceptaient de travailler à la moitié du salaire minimum, sept jours sur sept, quatre mois d’affilée. Aujourd’hui encore, P&O Ferries fonctionne avec ce modèle pour la traversée de la Manche.

Une des compagnies concurrentes sur la même liaison, Irish Ferries, utilise de son côté des salariés d’Europe centrale, là aussi au-dessous du salaire minimum, mais sur des contrats de six semaines de travail de suite.

A l’époque, le tollé politique avait été unanime, particulièrement du côté britannique. Pourtant, il aura fallu plus de deux ans pour réussir à interdire ce dumping social. Mardi 19 mars, le secrétaire d’Etat à la mer, Hervé Berville, doit signer les décrets d’application d’une nouvelle loi visant spécifiquement l’arrêt de ces pratiques.

A partir de leur publication au Journal officiel, dans les prochains jours, les entreprises qui traversent la Manche auront trois mois pour respecter deux conditions de base : payer au salaire minimum français et ne pas dépasser quatorze jours de travail consécutifs, suivis d’un temps de repos équivalent. « Ça doit mettre fin au cercle vicieux du moins-disant social, qui consiste à dire que la compétitivité nécessite une régression des droits, ce qui met ensuite la pression sur les autres entreprises », explique M. Berville. « On va pouvoir rétablir une concurrence saine », se félicite Yann Leriche, le directeur général de Getlink, l’opérateur du tunnel sous la Manche, qui est sur le même marché.

Lourdes pertes pour les concurrents

De l’avis de tous les protagonistes de ce dossier, cette vitesse d’exécution pour adopter une nouvelle loi est exemplaire. Elle illustre pourtant la lenteur intrinsèque des décisions politiques et administratives face à la réalité des entreprises. « Le monde économique va beaucoup plus vite que la capacité à prendre une loi », souligne Jean-Marc Roué, président de Brittany Ferries, une compagnie française qui milite contre le dumping social.

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Et pendant ce temps, les dégâts économiques sont réels. Brittany Ferries estime que les pratiques bientôt illégales de ses concurrents lui ont fait perdre de « 10 à 12 millions d’euros d’ebitda [bénéfice opérationnel] » sur la seule année 2023. « Pour nous, deux ans, c’est très long », renchérit M. Leriche. Son entreprise, Getlink, estime avoir perdu 6 points de part de marché sur le fret de camions, passant de 40 % à 34 %.

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