Ascoval : plus qu’une sidérurgie, une famille

Un ouvrier de l’aciérie Ascoval, à Saint-Saulve (Nord), le 29 novembre.

Un ouvrier de l’aciérie Ascoval, à Saint-Saulve (Nord), le 29 novembre. PIERRE ROUANET / PHOTOPQR/VOIX DU NORD/MAXPPP

Tout est chargé, sale, bruyant. La poussière pénètre dans les narines. Les bouchons d’oreille suffisent presque  à couvrir le vacarme assourdissant créé par les coupures d’arcs électriques. La hauteur sous plafond – 40 mètres – donne l’impression d’être dans le ventre d’un monstre, dont le cœur ne bat pas mais bouillonne. Des gerbes de feu sortent d’un four géant chauffé à 1 700 oC, semblable aux entrailles d’un ­volcan. Ce chaudron immense est capable d’avaler 90 tonnes de ferraille et de les recracher, une trentaine de minutes plus tard, en acier de qualité – lequel fait la fierté des 281 salariés d’Ascoval.

Cette fierté est aujourd’hui menacée par la peur, car l’aciérie d’Ascoval risque de ­fermer ses portes. En redressement judiciaire depuis le 10 janvier, l’usine de ­Saint-Saulve (Nord), dans le Valenciennois, compétitive et considérée parmi les usines sidérurgiques les plus modernes d’Europe, attend de ­connaître son avenir. Mercredi 12 décembre, le tribunal de grande instance (TGI) de Strasbourg examinera une nouvelle fois le dossier déposé par le repreneur Altifort, un groupe franco-belge.

« Si l’on annonce une fermeture, ce sera une déchirure », prévient Thomas Libanet. A 29 ans, ce technicien « méthodes et process » ne fait pas partie des plus anciens ­employés de l’usine, mais, à ses yeux, l’aciérie représente plus qu’une entreprise. Jamais il n’avait connu autant de solidarité qu’à Saint-Saulve, là où le groupe Vallourec a créé, en 1975, son aciérie connectée au réseau ferré et au canal de l’Escaut.

« Le métier très dur d’aciériste contribue à cette ambiance particulière », explique celui que l’on surnomme avec humour le « chat noir », parce qu’il a déjà connu trois plans de sauvegarde de l’emploi durant sa courte carrière. « Avec tout ce qui se passe, certains m’ont demandé pourquoi je ne partais pas. Je suis jeune, diplômé. Mais j’ai envie d’y croire et pas question d’abandonner les autres. »

Dans cette noire cathédrale, où le danger est présent, chaque ouvrier sait qu’il a la vie de ses collègues ­entre les mains

Ses collègues sont devenus ses frères. « Ça va gros ? Ça va mon lapin ? » Ici, tout le monde se connaît, les hommes se font la bise le matin et on se serre les coudes. « Avant, j’étais dans l’agroalimentaire, poursuit M. Libanet, qui était peu habitué à ces usines dont on ressort les joues couvertes de suie. Après mon premier jour à l’aciérie, j’ai dit : “J’y retourne pas.” J’avais le vertige en haut des ­passerelles. En m’accrochant à une rampe, un pigeon m’a chié sur la main ! J’avais l’impression d’être un bon à rien. Mais personne ne m’en a voulu. Tous m’ont tendu la main. Aujourd’hui, six ans après, je suis encore là. »

L’emploi salarié progresse légèrement au troisième trimestre

La France retient pour le quatorzième trimestre consécutif de créations nettes d’emplois salariés avec 15 000 nouveaux postes au troisième trimestre, a affirmé l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) mardi 11 décembre, mais au rythme seulement de 0,1 %.

Les créations nettes d’emploi salarié atteignent + 15 000, après + 15 900 au trimestre précédent. L’emploi recule de nouveau dans la fonction publique (– 7 400) et augmente encore modérément dans le privé (+ 22 400). Sur un an, il s’accroît de 175 100 (soit + 0,7 %) : + 197 200 dans le privé et – 22 100 dans la fonction publique.

Dans les services marchands, l’emploi salarié ralentit du fait de l’intérim et n’augmente plus que de 15 300, soit + 0,1 %, après + 0,2 % le trimestre précédent. Sur un an, ce secteur porte l’élémentaire des créations nettes d’emplois salariés : + 158 300, soit + 1,3 %. La baisse de l’emploi du secteur intérimaire s’accentue au troisième trimestre : – 1,2 %, après – 0,6 % au trimestre précédent. Sur un an, il reste en hausse : + 22 200, soit + 2,9 %.

L’emploi industriel reste permanent

L’emploi industriel reste stable au troisième trimestre et enregistre une légère hausse sur un an (+ 4 300). Les créations nettes d’emploi salarié restent solides dans la construction : + 5 400 (soit + 0,4 %, comme au deuxième trimestre). Sur un an, elles atteignent + 29 100 (soit + 2,2 %).

L’emploi salarié dans les services non marchands diminue de nouveau au troisième trimestre : – 6 500 emplois, après – 12 000. L’emploi privé y rebondit légèrement (+ 1 100, après – 3 000), alors que l’emploi public continue de baisser (– 7 400 après – 8 900 au deuxième trimestre). Sur un an, l’emploi dans les services principalement non marchands diminue de 23 100, dont – 22 100 dans le public.

Ces chiffres définitifs du troisième trimestre sont revus à la baisse de 7 800 pour ce qui concerne le seul emploi privé par rapport à l’estimation provisoire publiée il y a un mois.

 

« La vision hobbésienne de l’unité du peuple est de plus en plus déplacée par rapport à la réalité »

Chronique « Transformations ». Nos institutions démocratiques sont nées dans l’empreinte d’un débat qui remonte au XVIIe siècle. Dans Grammaire de la multitude (Editions de l’éclat, 2002), le philosophe italien Paolo Virno rappelle la confrontation, à l’époque, entre deux visions des individus dans la cité. D’un côté, Thomas Hobbes (1588-1679) voyait les individus comme un peuple, « une sorte d’unité qui a une volonté unique ». De l’autre côté, pour Baruch Spinoza (1632-1677), les individus formaient une multitude, « une pluralité qui persiste comme telle sur la scène publique ».

Notre pratique de la démocratie a abondamment donné raison à Hobbes. On a d’abord réservé le droit de vote à une minorité de privilégiés, fixant l’idée que l’uniformité du corps électoral conditionnait le bon fonctionnement de la démocratie. Ce n’est que sur le tard, et non sans appréhension, qu’on a rendu le suffrage formellement universel, plutôt que réservé aux plus fortunés. Et les femmes n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1920 aux Etats-Unis, en 1928 au Royaume-Uni et en 1944 en France.

Lorsque le suffrage universel est enfin entré dans la pratique, la vie démocratique a été encadrée par des établissements en phase avec le paradigme techno-économique de l’époque. A l’image des grandes entreprises fordistes, notre démocratie s’est structurée en pyramide. L’exercice de la citoyenneté a, en quelque sorte, été taylorisé. On invitait les individus à se mettre en rang pour exercer leur droit de vote de façon standardisée et cadencée : en glissant un bulletin dans une urne une fois tous les cinq ans.

Les médias ont aidé à confirmer cette vision hobbésienne de l’unité du peuple. Les barrières à l’entrée étaient telles dans des secteurs comme la presse, la radio et la télévision que seules quelques grandes organisations se répartissaient le marché de l’information. S’adressant à la majorité à la fois par principe et par intérêt économique, les grands médias inspiraient une vision consensuelle de la société, qui renforçait l’unité du peuple.

Changement de paradigme

Mais, actuellement, comme l’écrivait Paolo Virno dès 2002, le changement numérique a tout changé. Le numérique permet aux individus d’exprimer leur différence tout en se connectant les uns aux autres en réseau. Du coup, la vision hobbésienne est de plus en plus décalée par rapport à la réalité de la vie en société. C’est la multitude de Spinoza qui, désormais, impose son rythme – et sa pluralité – aux organisations.

Le dialogue sur l’augmentation du smic en trois questions

Herbert Diess, le nouveau souverain de Volkswagen

Le PDG de Volkswagen, Herbert Diess, lors d’une conférence de presse, au siège du constructeur automobile, à Wolfsburg (Basse-Saxe), le 13 avril.
Le PDG de Volkswagen, Herbert Diess, lors d’une conférence de presse, au siège du constructeur automobile, à Wolfsburg (Basse-Saxe), le 13 avril. ODD ANDERSEN / AFP

La gare de Wolfsburg, en Basse-Saxe, avance une vue insaisissable sur le XXe siècle allemand. Depuis le quai, en descendant du train, on est toujours frappé par l’immensité austère de l’usine Volkswagen (VW). La grande bâtisse rouge sombre, frappée du logo du groupe, est surmontée de quatre cheminées. A ses pieds, les deux grands bassins creusés dans le canal pour aider les livraisons fluviales donnent à l’ensemble un grandiose reflet.

L’usine, inaugurée il y a quatre-vingts ans par Adolf Hitler, devait produire la première « KdF wagen », la « voiture populaire » du syndicat nazi Kraft durch Freude (« la force par la joie »)Conçue par l’ingénieur et designer allemand Ferdinand Porsche, elle devait mettre la mobilité à portée de chacun, sur le modèle fordiste. Le projet échoue, et l’usine sert en premier lieu à construire des armes, avec une main d’œuvre forcé. Il faut attendre la fin du second conflit mondial pour que la première Coccinelle sorte des lignes de l’usine de Wolfsburg, passée sous contrôle britannique. La petite voiture, symbole de l’essor de la mobilité individuelle made in Germany, a fait la fortune de VW, aujourd’hui première entreprise d’Allemagne.

 

Impossible, en passant devant les cheminées de Wolfsburg, de cacher cette histoire alarmante. Impossible qu’Herbert Diess, patron du groupe depuis le printemps, n’y pense pas, lui aussi, à chaque fois qu’il entre dans la ville-usine. Avec cette crainte, devenue lancinante depuis trois ans, avec le commencement du « dieselgate », de voir ce monument du XXe siècle devenir une ville-musée, ou pis, une ville-fantôme.

Mi-octobre, lors du grand Salon des sous-traitants du groupe organisé à Wolfsburg, Herbert Diess n’avait rien caché du scénario qu’il redoute. « Qui regarde les anciens bastions de l’automobile comme Detroit, Oxford-Cowley ou Turin sait bien ce qui se passe dans ces villes où les groupes, autrefois puissants, et les industries dominantes commencent à tanguer. Dans l’état actuel des choses, j’évalue à 50-50 les chances que l’industrie automobile soit encore dominante mondialement dans dix ans », a-t-il déclaré aux représentants des sous-traitants, venus ce jour-là se partager les 170 milliards d’euros du budget achats du constructeur.

Centralisme excessif

Herbert Diess est le seul patron à avoir formulé aussi clairement l’ultimatum du déclin qui plane sur l’industrie allemande, si marquée par les spécialités du XXe siècle – la voiture, la machine, la chimie. Le « changement de structure », mot jusqu’ici réservé au charbon et à l’acier, est désormais utilisé dans l’automobile, bouleversée par la crise du diesel, l’émergence rapide du moteur électrique, du numérique et de l’intelligence artificielle sur le marché de la mobilité. « Il y aura moins d’emplois dans l’industrie automobile en Allemagne, nous le savons tous. La seule question, c’est de savoir à quelle vitesse nous pouvons accompagner le changement de structure », dit-il. Selon l’institut de recherche sur le travail IAB, proche de l’Agence allemande pour l’emploi, 100 000 postes sont directement menacés par l’introduction du véhicule électrique en Allemagne.

 

Brexit : Paris charme toujours les banquiers londoniens, malgré les « gilets jaunes »

Devant une agence BNP Paribas, le 2 décembre, à Paris, au lendemain de la mobilisation des « gilets jaunes ».

Devant une agence BNP Paribas, le 2 décembre, à Paris, au lendemain de la mobilisation des « gilets jaunes ». Julien MUGUET / © Julien Muguet pour Le Monde

 

Des voitures incendiées sur les avenues parisiennes montrées sans interruption sur les télévisions britanniques. Des beaux quartiers prisés des banquiers ciblés par les casseurs. Un retour en force de l’impôt sur la fortune, même si le président de la République, Emmanuel Macron, l’a écarté. L’instabilité en France s’annonce au moment même où plusieurs établissements financiers se préparent à transférer des emplois de Londres vers Paris pour cause de Brexit.

L’appel des « gilets jaunes » peut-elle remettre en épreuve ces projets au profit de Francfort ou Dublin, les places concurrentes ? « Nous n’avons pas d’indication de changement de plan de la part de banques qui ont décidé de relocaliser des équipes à Paris, constate Marc Perrone, avocat spécialisé en réglementation bancaire chez Linklaters, cabinet conseil de plusieurs établissements américains et internationaux dans le contexte du Brexit. Les grandes banques qui sont déjà très avancées dans leur planning, qui ont loué des locaux à Paris, n’ont, de toute façon, pas le temps de changer leur fusil d’épaule, en quelques mois. »

 

« A ce stade, on ne constate pas d’impact sur les demandes de relocalisation à Paris », confirme-t-on également du côté des autorités françaises. Certes, il y a urgence. Alors que le Parlement britannique se prononce, mardi 11 décembre, sur l’accord conclu entre la première ministre, Theresa May, et l’Union européenne, « les grandes banques se préparent, depuis deux ans, au scénario du pire, celui d’un Brexit sans accord », précise Fabien Zaveroni, directeur au sein du cabinet de stratégie Sia Partners à Londres. Un « no deal » entre Londres et Bruxelles interdirait de fait aux établissements financiers bénéficiant d’une seule licence britannique de travailler dans l’Union européenne à partir du 29 mars 2019.

« L’Allemagne avait initialement une longueur d’avance »

Ces derniers mois, les Credit Suisse, Goldman Sachs ou autres JPMorgan ont répertorié les équipes qui ne pourront plus servir leurs clients français, allemands ou belges depuis Londres selon un scénario semblable « Certains manageurs sont déjà partis. Pour le reste, les personnes concernées ont été alertées sur le fait qu’elles devraient être prêtes à boucler leurs valises à partir du mois de mars », explique un responsable en France d’une banque américaine. Un exercice mené à l’aveuglette sur fond d’incertitudes politiques et juridiques. « En octobre encore, des manageurs, qui pensaient jusque-là pouvoir rester à Londres, ont été prévenus par leur direction qu’ils devraient déménager », relate un banquier.

 

Et durant ce temps-là… Macron glorifie la start-up nation

Une quarantaine d’homme d’affaire français étrangers menés par John Chambers, l’ex-patron de Cisco, ont retrouvé le président français, jeudi 6 décembre.

Le mouvement de protestation  des « gilets jaunes » menace-t-il la start-up nation si chère à Emmanuel Macron ? Lors de son passage à Paris cette semaine pour encourager les jeunes pousses tricolores auprès des investisseurs étrangers, John Chambers, l’emblématique ex-patron de Cisco et actuel ambassadeur de la French tech à l’international, n’a pas semblé accablé par le climat social qui agite l’hexagone depuis trois semaines.

Pour cette tournée promotionnelle, M. Chambers était joint d’une quarantaine de capital-risqueurs et investisseurs étrangers venus découvrir les encourageantes jeunes pousses françaises. Au programme de cette opération séduction prévue de longue date, une rencontre avec Emmanuel Macron. Le rendez-vous qui avait lieu jeudi 6 décembre a été une opportunité pour le président de rassurer les investisseurs et confirmer  les ambitions de la France sur la scène tech. M. Macron a toutefois fait l’impasse sur le dîner, pris par les affaires du moment.

La France a les qualités pour accoucher des « prochains Facebook »

A commencer par ces « gilets jaunes », auprès desquels la Start-up nation n’a pas une bonne réputation. De fait, l’ancien patron de Cisco constate qu’en France – comme aux Etats-Unis –, l’économie numérique semble pour l’instant profiter à une minorité d’individus, largement concentrés à Paris. Au-delà de cette crise régionale, qui doit être corrigé – « il faut être plus inclusif » –, c’est avant tout un travail pédagogique qui doit être mené, selon lui. « Parler de start-up nation, c’est parler de la création des emplois d’aujourd’hui et de demain ; il y a une opportunité à saisir et si on ne la saisit pas, après, ce sera trop tard. »

A ses yeux, la France a les qualités pour accoucher des « prochains Facebook », avec un système éducatif de qualité et un esprit d’entreprenariat qui se diffuse de plus en plus : « Aujourd’hui huit élèves sur dix de Polytechnique rêvent de travailler dans une start-up ».

Le pire, selon lui, serait que la France, qui depuis plusieurs années se montre spécialement volontariste pour digitaliser son économie perde de vue son objectif, sous la pression de ceux qui « réclament un nouveau gouvernement chaque année ou une révision des politiques fiscales ». « On ne peut pas réussir si on ne pense qu’à court terme », dit celui qui parierait volontiers sur Paris comme capitale de la tech européenne d’ici cinq à sept ans. Un discours probablement plus audible par Emmanuel Macron que par les « gilets jaunes ».

 

La CGT et FO annulent leur appel à la grève des routiers

La grève des routiers n’aura pas lieu. La CGT et FO Transports ont levé vendredi 7 décembre leur appel à la grève prévu à partir de dimanche soir.

Les deux syndicats ont interrogé leur base après avoir obtenu jeudi des engagements écrits du patronat sur le maintien de la rémunération des heures supplémentaires des routiers, après une réunion au ministère des transports qui s’est lui-même engagé sur ce dossier.

Dans leurs lettres, les quatre organisations d’employeurs symboliques du secteur, la FNTR, TLF, OTRE et la CNM, s’engagent à conserver les taux de majoration de 25 % et 50 % appliqués aux heures supplémentaires des chauffeurs routiers. « Tout accord d’entreprise qui dérogerait à ces taux serait illégal », ont écrit ces quatre organisations patronales, reprenant les termes de la ministre Elizabeth Borne.

Une réunion « constructive » avec Elizabeth Borne

FO-transports et logistique, qui a qualifié de « constructive » la réunion jeudi avec Mme Borne, a précisé dans un communiqué que « 60,8 % » de ses instances locales avaient considéré que l’appel à la grève devait « être levé ». « Toutefois », a prévenu le syndicat, « si les employeurs ne respectent pas leurs paroles et leurs écrits, si le gouvernement dans sa loi [d’orientation des mobilités (LOM)] ne respecte pas ses engagements, un conflit dur pourrait débuter à tout moment d’ici à l’été 2019 ».

Une telle grève, très redoutée, aurait été synonyme de nouveaux barrages sur les routes françaises, en plein mouvement des « gilets jaunes ».

Pouvoir d’achat : le gouvernement veut collaborer les entreprises

Muriel Pénicaud arrive au ministère du travail pour une réunion avec les partenaires sociaux, le 7 décembre.
Muriel Pénicaud arrive au ministère du travail pour une réunion avec les partenaires sociaux, le 7 décembre. FRANCOIS GUILLOT / AFP

C’est la dernière hypothèse du gouvernement – inspirée par Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France – pour diminuer la colère des « gilets jaunes » à l’approche du week-end de tous les dangers. Le premier ministre, Edouard Philippe, puis son ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, et son homologue des comptes publics, Gérald Darmanin, se sont prononcés, jeudi 6 décembre, en faveur d’une prime exceptionnelle versée par les entreprises à leurs salariés. Une réponse à la revendication principale du mouvement : l’augmentation du pouvoir d’achat.

Rassemblés vendredi autour de M. Le Maire, les organisations patronales (Medef, Confédération des PME, Union des entreprises de proximité-U2P, Fédération du commerce et de la distribution…) se sont annoncés prêtes à verser cette prime aux salariés. A condition que ce soit sur la base du volontariat et qu’elle soit totalement défiscalisée et exonérée de cotisations sociales, ce qui implique une modification législative.

Le ministre s’est engagé à l’inscrire dans la loi « le plus rapidement possible », sans doute dans le projet de loi de finances 2019 qui revient à l’Assemblée nationale le 17 décembre, pour que « le plus grand nombre d’entreprises puissent verser cette prime au plus grand nombre de salariés possible ».

« Concertation » in extremis

« Ne l’oublions pas, nous sommes d’abord face à une révolte fiscale que les patrons partagent. La seule solution, c’est de baisser les prélèvements », souligne le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, en rappelant que la France est désormais la championne mondiale de la pression fiscale (46,2 % du PIB). « Les entreprises ne veulent pas être les boucs émissaires. Mais la situation est grave, concède-t-il. Le Medef est prêt à s’engager sur cette prime et sur un versement transport pour les 5 millions de salariés qui n’en bénéficient pas. »

L’idée d’une gratification n’est pas neuve. En 2011, Nicolas Sarkozy avait établi une prime de partage des profits obligatoire, due par les entreprises d’au moins 50 salariés versant à leurs actionnaires des dividendes en hausse. Ministre de l’économie, Emmanuel Macron l’avait supprimée à partir de 2015.

Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, s’est engagé à inscrire « le plus rapidement possible » dans la loi la prime aux salariés.

Lors de la préparation de la loi Pacte, la CPME avait défendu la création d’une prime plafonnée à 1 000 euros par an et versée en une ou plusieurs fois. « Il y a quelques mois, lors des discussions sur l’intéressement et la participationnous proposions une prime annuelle en fonction des marges et plafonnée à 1 000 euros, mais sans période de versement prédéterminée », renchérit Alain Griset, président de l’U2P, qui fédère 2,4 millions de petites entreprises. Mais, comme le patron du Medef, il prévient que les secteurs pénalisés par le mouvement des « gilets jaunes » auront du mal à la verser.

 

Emploi : les jeunes diplômés français s’en sortent-ils mieux ou moins bien que d’autres pays ?

J’ai décidé durant le mois de décembre de faire le point sur notre enseignement supérieur en comparant la France aux autres pays du monde. Pour que l’exercice soit plus fiable, je vous propose un quiz en 15 questions sur trois semaines (une par jour du lundi au vendredi à compter du lundi 3 décembre). Chaque question abordera un des enjeux importants de notre enseignement supérieur et la réponse sera illustrée par un graphique et des explications. À la fin des 15 questions, un bilan sera fait sur les forces et faiblesses de notre enseignement supérieur.

Hier, la question portait sur l’avantage du salaire que procure une licence universitaire (par rapport au BAC) sur le marché du travail. Aujourd’hui nous allons attaquer la question de l’employabilité des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur en comparant la France et la Corée.

Question : Est-ce que le taux d’emploi des jeunes de 25 à 34 ans ayant un diplôme de l’enseignement supérieur est plus élevé en France ou en Corée?

Réponse : Premier bilan, et cela n’est pas étonnant, le taux d’emploi augmente avec l’élévation du niveau de formation. Ainsi, par exemple, dans la plupart des pays de l’OCDE et des pays partenaires, de meilleurs débouchés sur le marché du travail s’offrent aux titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur. C’est particulièrement vrai en France où 86% des 25-34 ans diplômés du supérieur sont en emploi, contre seulement 50% parmi ceux qui n’ont aucune qualification. C’est l’un des écarts les plus importants des pays de l’OCDE (voir graphique).

Le diplôme est bien en France la meilleure protection contre le chômage ou l’inactivité, et ceux qui « décrochent » à l’école se retrouvent en très grande précarité ensuite. D’ailleurs, la lutte contre le décrochage scolaire est une priorité de tous les gouvernements depuis 2008. Résultat : le nombre de décrocheurs est passé en 10 ans de 150 000 à 100 000 en France, une réussite, même si des efforts sont encore nécessaires. C’est un signal fort qui montre également que lorsque les réformes se succèdent avec cohérence, tous les progrès sont possibles.

Taux d’emploi des adultes âgés de 25 à 34 ans, selon le niveau de formation et la filière d’enseignement (2016)

 

Source : OCDE. Regards sur l’Éducation 2017.

Toujours sur ce graphique, il est intéressant d’observer que l’insertion professionnelle quand on sort du système éducatif avec un BAC pro ou avec un BAC général (ou technologique) est relativement similaire en France. C’est assez atypique au sein de l’OCDE. En effet, dans un nombre important de pays, les filières professionnelles du secondaire offrent de bien meilleurs débouchés sur le marché du travail que les filières générales. Il n’y a qu’à voir en Allemagne pour s’en convaincre: les taux d’emploi sont pareils et élevés, qu’on ait un Bac pro ou un diplôme du supérieur. Une réflexion s’impose donc pour valoriser ces filières en France. Il faudrait également rehausser le niveau d’exigence dans les programmes, réfléchir à la formation des formateurs et développer l’alternance. Tout un programme.

Après cette digression sur notre école, revenons au supérieur et à notre question.  Le taux d’emploi des diplômés en Corée est bien inférieur à celui de la France, aussi bien quand on compare les diplômés du supérieur que lorsque la comparaison porte sur ceux qui ont quitté le système éducatif avec un Baccalauréat (ou équivalent) en poche. C’est surprenant tant on ne cesse de vanter l’excellence académique (bien réelle !) des élèves en Corée. En fait, la raison à ces faibles taux d’emploi est double. Premièrement, l’expansion ultra rapide de l’enseignement supérieur en Corée a abouti à des décalages importants entre les besoins des entreprises et la durée et l’exigence des formations. Aujourd’hui, 70% des jeunes ont un diplôme du supérieur, ils étaient à peine plus de 20% il y a 30 ans. Par conséquent,  de nombreux jeunes diplômés ne trouvent pas d’emploi à la hauteur de leurs compétences. Ils préfèrent rester à l’université car les contrats qu’on leur propose en dehors sont souvent de courtes durées et sans réelles perspectives de carrière. Autre effet pervers de cette situation d’inflation scolaire, certains étudiants préfèrent échouer à leurs examens pour se donner plus de temps pour avoir de meilleures notes et une plus grande chance d’accéder aux postes de leurs rêves.

Alors, cela n’est pas l’unique explication à ces faibles taux d’emploi. La Corée est parmi pays de l’OCDE où l’écart entre hommes et femmes sur le marché de l’emploi est le plus élevé. Seulement 69% des femmes diplômées du supérieur sont en emploi quand, dans le même temps, 81 % des hommes travaillent. À titre comparatif, l’écart est bien plus faible en France avec 84% des femmes en emploi contre 90% des hommes. Les femmes coréennes se mettent souvent en inactivité après leurs études supérieures pour fonder une famille. C’était même par le passé encouragé par le gouvernement, la Corée ayant le taux de fertilité le plus faible de tous les pays de l’OCDE (avec moins de 1.3 enfants par femme).Le gouvernement prend très au sérieux la situation et essaie depuis 15 ans d’inverser cette tendance. Pour cela, il a investi massivement dans son système de petite enfance. L’objectif est d’en rehausser la qualité et de rendre possible l’accès universel aux services pour les plus petits afin de permettre aux femmes de mieux concilier emploi et parentalité.

Pour affronter l’inflation scolaire galopante, le gouvernement a également investi pour développer les filières professionnelles du secondaire et pour inciter les jeunes à travailler une fois leur diplôme obtenu. Pour cela, des quotas ont été fixés aux entreprises pour recruter davantage de bacheliers, et des primes ont été offertes à ceux entrant directement sur le marché de l’emploi, sans passer par la case université.

On se rend compte qu’il y a encore beaucoup à faire en Corée sur la transition entre emploi et étude. En France, il faut agir en priorité sur les moins qualifiés mais aussi réfléchir à l’attractivité de certaines licences qui manquent de débouchés. Demain, pour le dernier jour de la semaine, nous aborderons la question des frais d’inscription, sujet sensible et largement débattu en ce moment.