Mutations du travail : le « lean management », une forme moderne du taylorisme ?

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Le monde du travail réinvente jour après jour une vieille querelle éthique – celle qui oppose l’« artisan », chérissant l’ouvrage bien fait, à sa hiérarchie, soucieuse de ­rationaliser les processus de production. « En France, les tensions autour de cette question sont particulièrement vives, constate le sociologue François Dubet, directeur scientifique de la Fondation pour les sciences sociales. On croyait, à la suite des travaux de Max Weber sur l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, que le travail comme réalisation de soi était l’apanage des pays protestants. Les Français sont pourtant les Européens les plus attachés à cette conception créative de leur métier. »

Selon les enquêtes d’European Values Study, les Français plébiscitent plus massivement que leurs voisins l’éthique de l’épanouissement au travail. « Dans l’Hexagone, le métier est un peu considéré comme un art : l’ouvrier professionnel défend les ­traditions de sa corporation et le professeur se dit le maître, après Dieu, dans sa classe, poursuit François Dubet. Dans ce contexte, les politiques d’évaluation et de contrôle sont souvent considérées comme des ­machines bureaucratiques qui, paradoxalement, ­démotivent les salariés et les empêchent de réaliser leur travail dans les règles de l’art. »

Controverses

Le lean management (gestion de la production fondée sur la rentabilité) est au cœur de ces controverses sur le bien-être au travail : parce qu’il rationalise et standardise les procédures, on l’accuse volontiers de méconnaître, voire de déprécier le savoir-faire des salariés. Apparue en France dans les ­années 2000, cette modélisation des pratiques ­japonaises a été déployée dans l’automobile avant de s’imposer dans d’autres secteurs industriels, voire dans les services hospitaliers. Le lean management rêve d’améliorer sans cesse l’efficacité opérationnelle de la chaîne de production : il insiste sur l’optimisation des stocks ou l’affichage, dans les ateliers, des indices « qualité ».

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Si la démarche japonaise est imprégnée d’une philosophie participative qui met l’accent sur l’intelligence collective – elle a d’ailleurs été conçue en opposition avec le taylorisme –, le lean management tel qu’il est pratiqué en France ressemble souvent à un simple « outil » gestionnaire : au lieu de prendre en compte l’expertise des salariés, il impose des dispositifs standardisés imaginés par la hiérarchie dans une logique de performance à court terme. « Le “lean outil” est une optimisation technocratique centrée sur le rôle des ­experts, le poids des normes et la performance individualisée », résume François Dubet.

BPI France promeut un site pour recenser des start-up

Collaborer avec les start-up, adopter leurs solutions innovantes… Pour les grands groupes, qui ont longtemps observé ces jeunes pousses comme des ovnis, c’est devenu indispensable à l’heure de la transformation numérique.

Pour les y aider la Banque publique d’investissement (BPI) met à leur disposition depuis le 21 novembre un outil leur permettant de détecter les start-up dont les services pourraient leur être le plus utiles. Ce site présente 470 start-up françaises ayant des compétences dans plusieurs domaines tels que l’intelligence artificielle, le big data, l’Internet des objets.

Pour chacune d’elles sont précisés le détail de leurs activités, la liste de leurs investisseurs et les références des sociétés qui travaillent déjà avec elles. Car la BPI n’a retenu que des sociétés ayant déjà fait leurs preuves et dont les revenus sont de nature à rassurer les grandes entreprises qui souhaiteraient les approcher.

La BPI poursuit un double objectif : apporter des affaires à ces pépites françaises et favoriser, à terme, le rachat de certaines par des grands groupes. Paul-François Fournier, directeur exécutif innovation de la BPI, cite en exemple le récent rachat par le groupe Legrand de la société Netatmo. « Il y a quelques années, Legrand aurait peut-être développé sa propre solution de maison connectée, concurrente de celle de Netatmo. En les rachetant, ils accélèrent leur transformation », souligne-t-il.

Généralement, il estime que cette évolution serait bénéfique pour tout l’écosystème : « Il y a des start-up qui ne pourront pas devenir des licornes [sociétés valorisées plus de 1 milliard de dollars]. Pour elles, le chemin naturel est de se rapprocher des grandes entreprises. Cela permet à des investisseurs de se retirer pour investir ailleurs, cela fluidifie le système. »

Une communication imparfaite

Mais les esprits n’y sont peut-être pas encore prêts et les start-up semblent surtout attendre du nouvel outil proposé par la BPI qu’il leur permette d’attirer de nouveaux clients. « Les grands groupes, ça représente un potentiel énorme », convient Quentin Debavelaere, directeur opérationnel de Malt, une plate-forme de mise en relation de free-lances avec les entreprises.

Mais la communication entre ces deux mondes est encore souvent imparfaite : « Signer un contrat avec un grand compte, ça prend beaucoup de temps. Or le facteur plus critique pour une start-up, c’est le temps », témoigne Jérôme Tredan, directeur de la start-up Saagie. Souvent les négociations butent sur des garanties exigées des start-up, qu’elles ne peuvent apporter. A commencer par l’assurance qu’elles n’auront pas périclité dans un futur proche. « Travailler avec une start-up, c’est accepter d’innover mais aussi d’échouer », prévient M. Tredan.

Low Cost, EasyJet plane sur le marché

La publication, mardi 20 novembre, des résultats annuels d’easyJet a illustré le grand écart entre les compagnies low cost moyen-courriers et les petites nouvelles, qui tentent de se faire une place dans le secteur du long-courrier à bas coûts.

Selon les chiffres, publiés par la compagnie aérienne britannique, easyJet mène grand train. Lors de son exercice 2017-2018, elle a engrangé un bénéfice de 358 millions de livres, soit 400 millions d’euros, en hausse de près de 17 %. Une bonne fortune portée par la progression de 10,2 %, d’une année sur l’autre, du nombre de passagers transportés, qui s’est établi à 85 millions. Une performance qui se retrouve dans le taux de remplissage de 92,9 % (+ 0,3 %) des avions de la compagnie à la livrée orange. Au total, le chiffre d’affaires du transporteur low cost britannique s’est élevé à 6,6 milliards d’euros, en hausse de près de 17 %.

Cette santé insolente ne doit rien au hasard. Pour gonfler encore plus ses revenus, la compagnie a tablé sur son habituel cocktail à succès : une billetterie en augmentation et des revenus annexes (choix du siège, bagages supplémentaires, alimentation à bord) en progrès constant. la compagnie à bas coûts a aussi su échapper aux mouvements sociaux, qui ont affecté l’activité de sa grande rivale Ryanair.

Les ratés de Ryanair

Confrontée à des grèves de ses pilotes et de ses personnels de cabine, cette dernière a dû annuler des milliers de vols et rembourser plusieurs millions d’euros à ses passagers. Outre les ratés de Ryanair, easyJet a su aussi tirer, ces derniers mois, profit de la disparition de deux concurrentes, la britannique Monarch Airlines et l’allemande Air Berlin. Grâce à la faillite de cette dernière, easyJet a pu mettre le pied en Allemagne et étoffer sa flotte, avec la reprise de 25 appareils et environ un millier de salariés de l’ex-compagnie.

Les poches pleines, easyJet a pu confirmer une commande pour dix-sept Airbus A320neo, d’une valeur, prix catalogue, de 1,9 milliard de dollars (environ 1,66 milliard d’euros). Elle est même assez riche pour avoir déposé une des trois offres de reprise d’Alitalia, la compagnie italienne en grande difficulté.

Les compagnies low cost long-courriers souffrent

Surtout, easyJet veut continuer son expansion en Europe, et principalement en France. De fait, l’Hexagone est le principal relais de croissance de la compagnie britannique. « Nous y avons conforté notre position de deuxième compagnie, derrière Air France, avec 15,6 % de parts de marché et 40 % du marché du low cost, loin devant Ryanair, Transavia et les autres », s’est félicité François Bacchetta, directeur général France d’easyJet. Preuve de cette vitalité, la compagnie compte ouvrir, au printemps, une septième base à Nantes.

Pendant qu’easyJet gonfle son bas de laine, ce sont les compagnies low cost long-courriers qui souffrent. Ce nouveau segment du marché connaît même un début d’hécatombe. Presque coup sur coup, deux des fleurons du long-courrier à bas coûts ont fait faillite.

En octobre, la compagnie danoise Primera Air, a, du jour au lendemain, mis un coup d’arrêt définitif pour une dépense imprévue d’une trentaine de millions d’euros. Quelques semaines plus tard, au début de novembre, c’est sa rivale islandaise WOW Air qui a, à son tour, rendu les armes, en se faisant racheter par sa compatriote Icelandair.

La pionnière Norwegian en souffrance

Enfin, c’est la pionnière du genre, Norwegian, qui paraît souffrir d’une santé plus que chancelante. La low cost long-courrier norvégienne a dû annoncer la revente de la moitié des avions qu’elle avait commandés pour se développer. Affectée par plus de 2 milliards d’euros de dettes, la compagnie a, en outre, vu sa facture de carburant augmenter dangereusement ces derniers mois.

Quelques années après son lancement, en Europe, le long-courrier à bas coût n’a toujours pas fait la preuve de la solidité de son modèle économique. Preuve de cette incertitude, les Ryanair et autres easyJet, qui possèdent pourtant tout le savoir-faire pour se lancer, se sont pour l’instant toujours refusés à s’y aventurer.

Au contraire, easyJet veut renforcer son début d’alliance commerciale, à Londres, avec la compagnie de Dubaï, Emirates. Les passagers de la compagnie du Golfe pourront acheter leur billet pour poursuivre leurs vols sur les destinations moyen-courriers d’easyJet en Europe. La compagnie britannique à bas coûts pourrait renouveler cette opération, mais, cette fois, au départ de Roissy-Charles-de-Gaulle.

Les créations d’emploi en France toujours en hausse, mais pas assez pour faire face au chômage

Le secteur privé français n’a cessé de créer des emplois au troisième trimestre, mais à un niveau trop faible (+0,2%), c’est le résultat en partie du ralentissement de la croissance cette année, pour faire diminuer le chômage.

Côté pile, selon l’évaluation provisoire de l’Insee publiée mardi, le secteur du travail a enregistré un quatorzième trimestre de créations nettes d’emploi salarié de suite, avec 30.200 nouveaux postes, plus qu’au trimestre précédent (+22.400). Sur un an, les entreprises ont créé 211.100 emplois salariés (+1,1%), pour accéder un record de 19,43 millions de postes.

Par secteur, la hausse est la plus remarquable est dans la construction (+0,5%) sur le trimestre, soit +6.800), confirmant l’enquête de la Banque de France, qui faisait état de carnets de commande « bien garnis« . L’amélioration reste modérée dans les services marchands, moteur de l’économie (+0,2%, soit +23.300), en raison d’un recul de l’intérim (-10.300) alors que l’industrie se stabilise.

Mais, côté face, « la dynamique de l’emploi reste beaucoup plus réduite que l’an dernier« , relève Philippe Waechter, économiste en chef chez Ostrum Asset Management.

En 2018, il a été ainsi créé 33.800 emplois en moyenne par trimestre contre 82.100 sur les trois premiers trimestres de 2017.

Cette évolution nous donne une idée sur le ralentissement de la croissance de début d’année (+0,2% lors des deux premiers trimestres), même si elle a rebondi au troisième trimestre à +0,4%, un niveau qui devrait également être atteint au quatrième, selon la Banque de France.

« L’expansion de l’activité a franchement ralenti depuis le début de l’année et l’emploi a suivi (la même tendance) mais de façon plus marquée. Le rebond du PIB au troisième trimestre, bien que limité, a été beaucoup plus rapide que celui de l’emploi« , constate M. Waechter.

Pour lui, cela pose la question du « retard » de réactivité du marché du travail sur la croissance, « beaucoup plus marqué en France que dans les autres pays de la zone euro« .

– Hausse de la population active –

Une étude partagée devant la presse mardi par le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux. « Quand la croissance repart dans tous les pays autour de nous, le mouvement (à la baisse du chômage) est plus fort« , a-t-il observé, s’inquiétant « qu’on commence à dire qu’au fond le chômage structurel est à 9%« .

Le responsable patronal met en avant « l’inadaptation de nos compétences par rapport à la demande des entreprises« , comme le gouvernement, qui veut entreprendre un effort massif de formation pour les chômeurs de longue durée et les jeunes non qualifiés.

Interrogé sur le chômage qui ne reflue pas, la ministre du Travail Muriel Pénicaud a expliqué que le gouvernement ne pouvait « pas régler 30 ans de chômage de masse en un an seulement » et a mis en avant les employeurs qui ne « trouvent pas les personnes correspondant à leurs besoins« .

Mais pour Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, les chiffres de mardi ne viennent pas confirmer ces difficultés de recrutement des entreprises.

« 0,2% de créations d’emploi quand on a 0,4% de croissance, ça veut dire 0,2% de productivité, c’est un chiffre tout à fait stable, sans surprise. Il n’y a pas de hausse de la productivité, le marché du travail fonctionne normalement« , juge-t-il.

« Les difficultés de recrutement ne se voient pas dans le rythme de créations d’emploi, ni dans les progressions de salaires qui restent modérées« , analyse-t-il.

L’indice du salaire mensuel de base, également publié mardi, a augmenté de 0,3% au 3e trimestre et de 1,5% sur un an, un chiffre à mettre en regard avec les 1,9% de hausse des prix.

Si l’économie a donc continué de créer des emplois au troisième trimestre, le rythme risque d’être insuffisant pour faire baisser sensiblement le taux de chômage.

Au deuxième trimestre, il était de 9,1%. Le prochain chiffre sera connu le 20 novembre.

Mais ce taux est péniblement prévisible, selon M. Heyer, car il faut prendre en considération aussi la diminution de l’emploi public et surtout de la hausse de la population active.

 

 

« Cesser le travail suffit-il à être en pause ? »

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Question de droit social. Comme l’indique son étymologie, faire une « pause », c’est « arrêter ». Définies comme « un arrêt de courte durée sur le lieu de travail ou à proximité », les pauses sont en principe exclues du « temps de travail effectif ». Officielles mais aussi officieuses, elles ont donc pâti du passage de 39 à 35 heures. Nombre d’entreprises les ont alors réduites, ou exclues du calcul du temps de travail. Même si ce brave calcul comptable passe à côté de la vie d’un collectif : la pause-café crée du lien, permet d’échanger des informations professionnelles ou encore d’économiser des mails.

Des ouvriers, pendant leur pause, étaient tenus de rester dans un local vitré d’où ils devaient continuer à surveiller leurs machines

Issue de la directive communautaire du 4 novembre 2003, l’article L.3121-16 du code du travail indique que si « le temps de travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d’un temps de pause d’une durée minimale de vingt minutes consécutives » ; durée qui peut être augmentée – mais pas diminuée – par accord d’entreprise ou de branche. La « pause déjeuner » en est l’exemple le plus banal. Mais cesser le travail suffit-il à être en pause ? Certaines ne sont pas de tout repos, comme le montre l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 octobre 2018.

Dans ce restaurant, le chef de cuisine dispose d’une pause non rémunérée de quarante-cinq minutes pour déjeuner et dîner : mais il doit continuer à surveiller les commis. Ayant demandé en justice la requalification de l’ensemble de ces pauses en temps de travail effectif (et donc en heures supplémentaires), il a obtenu près de 90 000 euros : 46 146 euros de majoration salariale, et 38 687 euros de repos non pris. Des ouvriers avaient déjà obtenu la même requalification le 20 février 2013 : pendant leur pause, ils étaient tenus de rester dans un local vitré d’où ils devaient continuer à surveiller leurs machines.

Les limites du Code

Rien de surprenant, L. 3121-2 indiquant que « le temps nécessaire à la restauration ainsi que les temps consacrés aux pauses sont considérés comme du temps de travail effectif lorsque (…) le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ».

De l’art de gouverner une entreprise

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« La Gouvernance d’entreprise », de Pierre-Yves Gomez (PUF, « Que sais-je », 128 pages, 9 euros).
« La Gouvernance d’entreprise », de Pierre-Yves Gomez (PUF, « Que sais-je », 128 pages, 9 euros). PUF

Entre le VIe et le XIIIe siècle après J.-C., les monastères furent, en Occident, de véritables multinationales. Ils étaient largement autonomes localement sous l’autorité d’un abbé élu par les moines. Les règles monastiques devaient tenir compte de la double activité des religieux, à la fois spirituelle et active, et de la manière de gouverner les monastères et leurs réseaux souvent complexes de laïcs associés, dans la logique d’un double objet social et économique.

« A chaque fois qu’il fallut organiser des lieux de production collectifs, la question de leur gouvernance a été soulevée. Depuis trois siècles, les entreprises produisent les biens et services qui nous sont nécessaires, elles assurent l’emploi et les rémunérations de millions de gens et définissent largement nos goûts et nos modes de consommation. A leur tour la question leur est posée : comment sont-elles gouvernées et par qui ? », s’interroge Pierre-Yves Gomez dans La Gouvernance d’entreprise.

La chronique des affaires nous rappelle quotidiennement que l’entreprise est une institution économique et politique

Une représentation naïve de l’entreprise la suppose comme un système rationnellement géré par des dirigeants formés à cette fin qui prennent les meilleures décisions sans qu’interfèrent les intérêts de ce qui exerce une influence sur eux.« Conception irénique de l’entreprise, imperméable aux jeux de pouvoirs et aux calculs des acteurs qui la gouvernent, à leurs ambitions comme à leurs inimitiés », tranche l’économiste et chroniqueur du Monde.

Successions difficiles, prise de pouvoir par les actionnaires minoritaires, manœuvres visant à écarter un potentiel directeur général… La chronique des affaires nous rappelle quotidiennement que l’entreprise est une institution économique et politique. « Le pouvoir de la gouverner se fonde, se gagne et se défend. Il obéit à des normes légales, mais dépend aussi des comportements de gouvernants, de leur charisme et de leurs vertus. »

Sens à l’origine maritime

Dans son ouvrage, le professeur de stratégie à l’école de management de Lyon présente les fondamentaux de l’art de gouverner l’entreprise contemporaine. Le verbe « gouverner » vient du latin « gubernare », à savoir tenir un gouvernail. Le sens est, à l’origine, strictement maritime. Par leurs choix, ceux qui tiennent le gouvernail déterminent tant le travail des marins que le destin des passagers et cargaisons. Qui a le droit de tenir le gouvernail et qui en est tenu à l’écart ? Comment peut-il changer de mains ? Qui contrôle la pertinence des décisions ultimes ?

Grève d’ampleur à Pôle emploi

De mémoire de syndicaliste Pôle emploi n’avait pas connu une grève d’une telle ampleur depuis sa création, il y a une dizaine d’années. Mardi 20 novembre, un peu plus de 29 % des agents de l’opérateur public ont participé au mouvement social, lancé à la suite de deux appels distincts : l’un relayé par une intersyndicale (CFDT, CFTC, CGT, SNAP, SNU, Solidaires, UNSA), l’autre par Force ouvrière (FO). Le taux de grévistes, communiqué par la direction générale, est jugé inférieur à la réalité par des représentants du personnel : « Les chiffres définitifs, que nous obtiendrons d’ici deux ou trois jours, montreront que la participation s’est plutôt située aux alentours de 34 % à 35 % », confie David Vallaperta (CFDT).

A l’origine de cet arrêt de travail, plusieurs mots d’ordre, mais celui qui revient avec le plus d’insistance porte sur les effectifs. Les syndicats dénoncent la suppression de quelque 800 emplois (en équivalent temps plein) programmée dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2019. Un tour de vis qui s’ajoute à celui donné pour l’année en cours (près de 300 postes en moins). Avec de telles réductions de moyens, « nous ne sommes plus en mesure de remplir nos missions », affirme Nathalie Potavin (CGT). Or, Pôle emploi va être amené à développer son action, sous l’effet de la loi « avenir professionnel » promulguée en septembre : renforcement du contrôle de la recherche d’emploi, extension de l’assurance-chômage à de nouveaux publics (travailleurs indépendants, salariés démissionnaires avec un « projet professionnel »), ce qui va augmenter la charge de travail pesant sur les agents de l’opérateur… En outre, la convention, en cours d’élaboration, qui fixe les objectifs de Pôle emploi pour les trois prochaines années, s’annonce exigeante : elle prévoit notamment de resserrer les délais de prise en charge des chômeurs par le service public de l’emploi (diagnostic, offre de formation…).

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« Dématérialisation à tous les étages »

Autre sujet de récrimination : les conditions de travail. Des conseillers de Pôle emploi accompagnent 200 à 300 chômeurs, voire jusqu’à « 1 000 dans certains endroits », rapporte David Vallaperta. Le fait que la direction générale de l’opérateur mette l’accent sur la numérisation de l’offre de services est également mal vécu : « On nous dit “faites tout ce que vous pouvez pour que les gens ne viennent plus dans les agences” », témoigne Sylvie Szeferowicz (FO). Dans un entretien récent à l’agence de presse spécialisée AEF, la responsable du SNU-Pôle emploi, Delphine Cara, avait signalé la situation « difficile » de ses collègues « chargés du placement » des chômeurs : ils « font face à une dématérialisation à tous les étages [et] perdent le sens de leur travail, basé sur l’humain », avait-elle expliqué. « Nous sommes obligés de faire du traitement de masse alors que le face-à-face est nécessaire pour accompagner un demandeur d’emploi », avait-elle rappelé.

Lors de l’examen à l’Assemblée nationale des crédits relatifs à la mission « travail et emploi », des députés de l’opposition s’étaient émus, le 9 novembre, des compressions d’effectifs infligées à l’opérateur public. « Ce n’est pas en réduisant les moyens humains et financiers de Pôle emploi et en augmentant les charges des conseillers (…) que la situation des demandeurs d’emploi s’améliorera », avait déclaré Gérard Cherpion (LR, Vosges). « Au moment où ce [PLF] entérine la suppression de 800 postes chez Pôle emploi, les acteurs locaux ont l’impression que l’Etat opère surtout un transfert de charges vers les missions locales [qui s’occupent de l’insertion des jeunes] et vers les communes qui financent ces dernières », avait renchéri Francis Vercamer (UDI, Nord).

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« Accroître la productivité »

La ministre du travail, Muriel Pénicaud, avait répondu que les « ressources globales » de l’organisme « sont en augmentation (…) de plus de 100 millions d’euros » en 2019, pour un budget qui « dépasse 5 milliards ». « L’optimisation des plates-formes de support et la digitalisation [sic, numérisation] de l’accompagnement des demandeurs d’emploi permettent de repositionner plus de 3 000 agents pour l’accompagnement, ce qui représente un effort de 30 % supplémentaires », avait-elle argué, en faisant valoir que les 800 postes supprimés « doivent être mis en perspective avec les 56 000 autres », affectés chez Pôle emploi. D’après la ministre, ce service public peut être plus « efficace » et « accroître [sa] productivité », grâce en particulier à la « numérisation ».

Des représentants de l’intersyndicale ont été reçus, mardi, par un conseiller de Mme Pénicaud, après une rencontre avec le directeur général de l’opérateur, Jean Bassères. Un nouveau rendez-vous, entre les représentants des personnels et le ministère du travail, devrait être fixé dans les prochains jours.

Bertrand Bissuel

Le phénomène des salariés « boomerang » qui partent pour mieux revenir dans leur entreprise

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Il a démissionné en 2013 pour revenir chez son ancien employeur un an plus tard. Erwan Briet, 28 ans, fait partie de ces salariés dit « boomerang ». Entré fin 2011 comme commercial chez MeilleursAgents, une plate-forme d’estimation immobilière en ligne, il décide en 2013 de tenter sa chance comme créateur d’entreprise. Mais des problèmes personnels auront raison de sa détermination. Ayant gardé le contact avec d’anciens collègues de MeilleursAgents, il suit le parcours de son ex-société qui est en pleine croissance. Il propose à nouveau ses services. « L’entreprise m’a offert la chance de revenir. J’ai repris mon poste de commercial, mais j’ai dû faire de nouveau mes preuves », explique celui qui a pris du galon et qui est, depuis deux ans, responsable d’équipe commerciale.

Les deux tiers des manageurs y sont favorables. Quant aux salariés, 40 % seraient prêts à envisager cette possibilité

Le phénomène des salariés « boomerang » n’est pas négligeable. D’après une étude réalisée par Kronos et Workplace Trends aux Etats-Unis en 2015, alors que la moitié des professionnels RH affirment que leur organisation avait précédemment adopté une politique interdisant ces retours, 76 % déclarent aujourd’hui les accepter davantage.

Les deux tiers des manageurs y sont favorables. Quant aux salariés, 40 % seraient prêts à envisager cette possibilité, avec des différences notables selon les générations : 46 % chez les « millennials » (nés entre 1980 et 2000), mais seulement 29 % chez les baby-boomers (nés entre 1945 et 1960). Concrètement, seules 15 % des personnes interrogées sont retournées chez un ancien employeur.

Mais « la tendance est indéniablement à la hausse, précise Joyce Maroney, executive director au Workforce Institute de Kronos, spécialiste des solutions de gestion des effectifs. Ceci est dû notamment aux réseaux sociaux qui renforcent la transparence sur les pratiques, les changements d’emplois, etc. mais aussi au fait que le recrutement des talents peut relever aujourd’hui du défi. Toutes les pistes sont donc bonnes à suivre ».

Pénurie de talents

Manpower note d’ailleurs, dans son étude sur la pénurie des talents publiée en juin, que celle-ci a atteint un niveau record cette année. Ainsi au niveau mondial, 45 % des entreprises ont des difficultés à recruter. En France, elles sont 29 % (contre 23 % en 2016).

Handicap : l’insertion dans l’emploi est rarement perçue comme une évidence

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Selon le nouveau baromètre créé par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) et publié mercredi 21 novembre, l’insertion et l’emploi des personnes handicapées en entreprise ne sont « une évidence » que pour 10 % des employeurs, mais « l’enjeu est de plus en plus perçu comme important », remarque Didier Eyssartier, directeur général de l’Agefiph : 85 % des entreprises de plus de 20 salariés seraient prêtes à embaucher davantage de personnes en situation de handicap.

Menée du 27 septembre au 5 octobre en interrogeant plus de 1 000 salariés et 400 employeurs, cette enquête est destinée à mieux connaître la nature des freins à l’emploi des personnes en situation de handicap à partir des perceptions qu’en ont les employeurs d’une part, et les salariés d’autre part.

Le dernier bilan du ministère du travail, publié le 15 novembre, soulignait le progrès (de 0,1 point en un an, à 3,5 % en 2016) du taux d’emploi direct en équivalent temps plein des personnes en situation de handicap, qui a augmenté dans l’industrie, la communication et l’administration publique, plus particulièrement dans les entreprises d’au moins 500 salariés. Et 30 % des nouveaux embauchés sont en contrat à durée indéterminée (CDI). Mais leur taux de chômage reste de 19,1 %, plus du double de la moyenne nationale, tandis que la loi sur l’obligation d’emploi a plus de trente ans (10 juillet 1987) et celle qui a introduit le quota de 6 % en a bientôt quatorze (11 février 2005).

« Pour 34 % des employeurs, l’embauche de personnes en situation de handicap est une opportunité de s’ouvrir à de nouveaux profils. »
« Pour 34 % des employeurs, l’embauche de personnes en situation de handicap est une opportunité de s’ouvrir à de nouveaux profils. »

« La situation s’améliore depuis dix ans. La présence des handicapés en entreprise a changé la donne. Mais ça reste très compliqué, surtout dans les petites entreprises », estime Didier Eyssartier, au vu des résultats du baromètre.

Si près d’un salarié sur deux (48 %) conçoit l’insertion des handicapés comme une obligation sociale imposée par la loi, pour 46 % des employeurs, c’est d’abord « une difficulté objective du fait de la nature des postes proposés ». Par ailleurs, 63 % des dirigeants déclarent qu’il est difficile de recruter des personnes handicapées.

Contrainte budgétaire, charge supplémentaire dans l’organisation, adaptation de poste… Les difficultés sont réelles, « mais lorsqu’on constate que le handicap visuel est perçu par les employeurs, comme par les salariés, comme un des plus difficiles à intégrer dans l’entreprise, on comprend que les mesures de compensation [tablette braille, dispositif de localisation, accessibilité numérique] sont encore méconnues », souligne M. Eyssartier.

Les universités françaises pourraient augmenter les frais d’inscriptions des étrangers, pour faire face à la crise

Pendant que,  le gouvernement doit annoncer un plan pour relancer l’attractivité de la France auprès des étudiants, les universités se demandent comment recevoir toujours plus d’élèves, sans frais supplémentaires. L’une des solutions pour y arriver : élever les frais des étudiants non-européens.

Les universités françaises sont dans le rouge. Avec 38 000 étudiants supplémentaires l’année dernière, et 40 000 cette année, les budgets ne suivent pas, explique Hervé Christofol, secrétaire général du (syndicat national de l’enseignement supérieur). « Le ministère n’a donné aucun euro supplémentaire aux établissements qui avaient vu croître leur nombre d’étudiants. Donc, pour accueillir à budget constant, ça veut dire qu’il faut parfois supprimer des parcours, voire des formations pour faire des économies, et regrouper des étudiants dans des amphis toujours plus importants. »

« Ça ne favorise ni la réussite des étudiants, ni les conditions de travail du personnel » – Hervé Christofol

Université d’une taille moyenne, celle du Mans, surtout, peine à équilibrer son budget. « Beaucoup de projets de développement ne peuvent pas être conduits par manque de moyens« , regrette son président Rachid El Guerjouma. « Mais il est vraiment admis de tous, y compris, je pense, du ministère, que le financement des universités n’est pas à la hauteur des enjeux, et ce depuis pas mal d’années. »

L’inscription plus chère pour les étudiants étrangers ?

Dans les universités, de nombreux responsables et personnels estiment qu’un réengagement de l’État est indispensable. Mais le gouvernement pourrait procéder différemment. Dans le cadre des meetings universitaires de la Francophonie, qui commencent ce lundi à Paris, il devrait proposer une réforme des droits d’inscription dans les universités pour les étudiants extra-communautaires (hors Union Européenne). Cela concernerait 100 000 personnes, environ un tiers des étudiants étrangers accueillis chaque année.

Là où ces étudiants hors-UE paient aujourd’hui des frais classiques, ils pourraient à l’avenir payer des frais plus élevés, de l’ordre d’un tiers du coût réel. Et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, cela pourrait bien rendre de l’attractivité à nos universités.

Les coûts élevés, synonymes de qualité pour certains étudiants

Selon Patrick Courrilleau, vice-président de l’université de Cergy-Pontoise, le prix peu élevé en France a parfois un effet repoussoir, surtout pour les Asiatiques. « Certains parents nous disent : ‘Mais ce n’est pas possible que vous arriviez à faire tout cela en nous demandant aussi peu.’ Des parents pas rassurés par ce coût modique. C’est une réalité évidente, hors Europe.« 

« À partir du moment où la formation est quasiment gratuite, on a l’impression que c’est une formation qui ne doit pas avoir beaucoup de valeur. » – Patrick Courrilleau

Le vice-président est donc plutôt adepte de cette approche, d’autant que le nombre d’étrangers accueillis dans nos universités a baissé de 8,1 % entre 2010 et 2015. Cette nouvelle solution pourrait donc permettre d’inverser la tendance, même si la FAGE, premier syndicat étudiant, ne partage pas l’idée. Selon elle, ce ne sont pas les frais d’inscription qui expliquent les problèmes d’attractivité de la France, mais avant tout les complexités administratives auxquelles doivent faire face les étudiants étrangers.