« Le travail ne disparaîtra pas à cause de l’intelligence artificielle »

Au Salon Essen Motor Show, à Essen (Allemagne), le 29 novembre 2019.
Au Salon Essen Motor Show, à Essen (Allemagne), le 29 novembre 2019. Martin Meissner / AP

Chronique. La diffusion de l’intelligence artificielle (IA) dans l’ensemble de l’économie laisse entrevoir la possibilité – et, chez un bon nombre de gens, la peur – que les machines finissent par remplacer le travail humain. Certains se félicitent de ces avancées qui, selon eux, réalisent le vieux rêve humain de la libération du travail, tandis que d’autres leur reprochent de priver les gens de l’accomplissement par le travail et de couper le lien entre les prestations sociales et l’emploi.

Notre définition actuelle du travail remonte à la fin du XIXe siècle, lorsque l’essor de la grande industrie a généralisé la séparation du lieu de travail et du domicile. Le travail dans les régions industrielles s’est réduit à un emploi rémunéré à l’extérieur du domicile, tandis que les travaux ménagers, l’agriculture de subsistance et les échanges de proximité ont été soudainement exclus du calcul de la valeur. Ces activités n’ont pas disparu, ni de la périphérie ni du cœur de l’économie mondiale, mais l’absence de salaire impliquait l’absence de reconnaissance, donc aucun enregistrement statistique ni aucun accès aux prestations publiques.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Il est difficile de voir un progrès social dans l’intelligence artificielle »

Les travaux domestiques et de subsistance non rémunérés, ainsi que l’agriculture paysanne et l’artisanat traditionnel ont été considérés comme résiduels, bientôt remplacés par des techniques modernes et une logique de marchandisation.

Mais cette vision dominante tout au long du XXe siècle ne s’est pas matérialisée. Il est vrai que les relations salariales se sont développées, mais dans de vastes régions du monde, elles étaient insuffisantes pour nourrir une famille.

Nouvelles exigences

A partir des années 1980, le travail non rémunéré a fait son retour dans les économies développées. La rationalisation, la financiarisation et l’externalisation des productions à forte intensité de main-d’œuvre vers les pays de la périphérie mondiale ont brisé le lien entre l’emploi à vie et la sécurité sociale. Les employeurs ont introduit des contrats de travail de plus en plus flexibles. Les travailleurs pauvres, qui ne peuvent pas vivre de leur salaire, ont à présent plusieurs emplois ou contrats ; dans les zones rurales, ils répondent à leurs besoins alimentaires et de logement en partie grâce à l’agriculture de subsistance et aux travaux de construction. Mais l’augmentation de l’activité non rémunérée ne concerne pas que les pauvres. Afin de répondre aux nouvelles exigences de l’ère de la machine, les personnes aisées doivent aussi travailler sur leurs performances physiques et mentales, en particulier leur apparence, leur motivation et leur endurance.

Comment repérer le burn-out et y faire face

Le burn-out est encore mal appréhendé par les pouvoirs publics et les entreprises. Défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2019 comme « un syndrome résultant d’un stress chronique professionnel qui n’a pas été correctement managé », le burn-out est caractérisé par « un sentiment d’épuisement, du cynisme et une perte d’efficacité ».

Face au burn-out, la prévention est primordiale. Encore faut-il savoir de quoi l’on parle, et quels outils mettre en œuvre. Explications, en dessins, par la psychologue Catherine Vasey, avec notre partenaire Sydo.

Contribuer

Chez Engie, la querelle de gouvernance vire au pugilat public

Le président d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, et la directrice générale de l’énergéticien, Isabelle Kocher, le 7 janvier, au ministère de l’économie, à Paris.
Le président d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, et la directrice générale de l’énergéticien, Isabelle Kocher, le 7 janvier, au ministère de l’économie, à Paris. ERIC PIERMONT / AFP

Combien de temps Isabelle Kocher peut-elle tenir à la tête d’Engie ? Le mandat de la directrice générale du géant de l’énergie expire en mai, mais la guerre de tranchées qui dure depuis des mois sur la question de son renouvellement vire au pugilat.

« Tout dérape complètement », confie une source haut placée au sein d’un groupe où l’atmosphère devient irrespirable – les acteurs du conflit n’ont accepté d’évoquer le sujet avec Le Monde que sous de strictes conditions d’anonymat. D’un côté, Isabelle Kocher, unique femme à la tête d’un groupe du CAC 40, se targue d’avoir réussi la transformation de l’ancien GDF Suez en groupe ancré dans la transition énergétique. De l’autre, son conseil d’administration, présidé par Jean-Pierre Clamadieu, estime que la directrice générale n’est plus la bonne personne pour piloter cette stratégie.

L’Etat, premier actionnaire d’Engie avec 23,64 % du capital, avait fait savoir jusque-là qu’il entendait laisser le conseil d’administration faire son travail. Mais dimanche 2 février, dans un entretien au Journal du dimanche, Mme Kocher a dénoncé une « campagne » contre elle et a insisté sur le fait qu’elle s’inscrivait dans la ligne droite des engagements du président de la République sur le climat.

Seule femme à diriger une entreprise du CAC 40

Un assemblage baroque de soutiens s’est ensuite fait entendre dans les médias. Le député européen écologiste Yannick Jadot a d’abord appelé M. Macron à la soutenir. « Je soutiens cette femme qui est en train de faire changer un grand groupe énergétique français vers ce que nous portons, la révolution climatique, la révolution énergétique, l’efficacité dans nos logements », a-t-il expliqué, lundi 3 février, sur LCI. Dans la foulée, un collectif allant d’Anne Hidalgo à Xavier Bertrand en passant par Cédric Villani, a publié une tribune dans Les Echos pour vanter la « réussite » de Mme Kocher, leader « indispensable » à Engie.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Engie : tensions entre la directrice générale Isabelle Kocher et son conseil

Ce déballage en place publique a pour objectif avoué de pousser les pouvoirs publics à intervenir. « L’Etat ne voulait pas s’en mêler, analyse un soutien de la directrice générale. Et bien, on va l’obliger à le faire ! Si Macron veut la sortir, qu’il l’assume. » Il est vrai que mettre fin au mandat de la seule femme à diriger une entreprise du CAC 40 peut avoir valeur de symbole pour les pouvoirs publics, qui préparent une loi visant à favoriser la féminisation des instances dirigeantes.

La grève sans précédent à Radio France suspendue jusqu’à début mars

Manifestation de grévistes de Radio France, le 29 novembre 2019, devant le ministère de la culture, à Paris.
Manifestation de grévistes de Radio France, le 29 novembre 2019, devant le ministère de la culture, à Paris. GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Après soixante-trois jours de grève, des salariés de Radio France réunis en assemblée générale ont décidé, lundi 3 février, de suspendre le mouvement jusqu’au début du mois de mars.

La grève, d’une durée sans précédent dans l’histoire de l’audiovisuel en France, doit être suspendue à partir de minuit. La mesure a été adoptée avec 25 voix pour, 16 contre et 29 abstentions. Il s’agit de la deuxième pause décidée depuis le début du mouvement, après une suspension d’une dizaine de jours observée fin décembre.

Lire notre récit : A Radio France, le conflit s’enlise

Des concessions de la direction

Si les autres syndicats du groupe public ont appelé ponctuellement à des arrêts de travail depuis le début du mouvement, la Confédération générale du travail (CGT) est la seule organisation qui avait lancé un préavis d’une durée illimitée, reconduit jusqu’ici de jour en jour.

La grève avait commencé après l’annonce, en novembre 2019, d’un plan prévoyant 299 suppressions de postes, sur un effectif total de 4 600 équivalents temps plein environ. En janvier, la présidente-directrice générale de Radio France, Sibyle Veil, avait cependant accepté de transformer, à la demande de plusieurs syndicats (à l’exception notable de la CGT), ce plan de départs volontaires en rupture conventionnelle collective. Par ailleurs, 76 postes, en majorité liés au numérique, doivent être créés dans le cadre du plan.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi A Radio France, les techniciens et les réalisateurs sont inquiets pour leur savoir-faire

« Le rapport de force a changé »

Dans la foulée, quatre des six syndicats de Radio France, qui représentent la majorité des salariés, ont entamé des négociations avec la direction. Et vendredi, pour la première fois depuis le début du mouvement, le ministre de la culture, Franck Riester, a reçu l’ensemble des syndicats et la direction de Radio France. « Le problème, c’est comment on se bagarre. Le rapport de force a changé » avec l’ouverture de ces négociations, a estimé un représentant de la CGT lors de l’AG de lundi.

Suspendre la grève permettra aux personnels de « réemmagasiner des forces » et de « se remobiliser », a-t-il souligné, précisant que son organisation continuerait, en attendant la reprise du mouvement, d’appeler à la grève lors des journées interprofessionnelles de mobilisation contre la réforme des retraites, dont celle du jeudi 6 février. Une nouvelle réunion de négociation doit se tenir vendredi et la CGT organisera une nouvelle AG le 11 février pour faire le point sur ces discussions.

Retraites : « La question de la pénibilité au travail ne peut pas être abordée en silo »

« Entre un quart et un tiers des salariés français souffrent de stress au travail. Des chiffres nettement plus élevés que ceux relatifs à la pénibilité physique. »
« Entre un quart et un tiers des salariés français souffrent de stress au travail. Des chiffres nettement plus élevés que ceux relatifs à la pénibilité physique. » Ingram / Photononstop

Tribune. Les études européennes indiquent que les salariés français sont parmi ceux qui aspirent le plus à partir à la retraite. Le souhait exprimé par nos compatriotes de cesser de travailler dès que possible est à mettre en relation avec d’autres études qui indiquent qu’ils sont parmi les plus stressés au travail.

La question de la pénibilité au travail est certes abordée dans le débat sur la réforme des retraites, mais elle se focalise sur la seule pénibilité physique des métiers qui y sont exposés avec la possibilité d’un départ du travail plus précoce. La pénibilité psychologique n’est absolument pas prise en compte, alors que, depuis plusieurs années, les grandes institutions (Organisation mondiale de la santé, Bureau international du travail) soulignent que le stress est devenu le premier risque pour la santé des travailleurs.

Selon les données les plus récentes, entre un quart et un tiers des salariés français souffrent de stress au travail. Des chiffres nettement plus élevés que ceux relatifs à la pénibilité physique. Dans une étude couvrant la dernière décennie, Santé publique France s’inquiète de la progression des souffrances psychologiques liées au travail.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les nouvelles pénibilités au travail sont largement sous-estimées

Comment alors peut-on imaginer que l’hypothèse de reculer l’âge de départ à la retraite puisse être acceptée quand le travail est encore vécu par un nombre important de nos concitoyens comme source de mal-être ?

Dépression, burn-out, voire suicide

Malheureusement, la France est aussi le pays qui a le moins pris en compte la prévention des risques psychosociaux, à l’origine de cet hyperstress et des nombreuses conséquences qui y sont liées : dépression, burn-out, voire suicide. Là encore, les comparaisons internationales ne sont pas en notre faveur. Le rapport de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail sur les risques professionnels (Esener-2, 2014) indique que seulement 29 % des entreprises françaises ont mis en place des actions de qualité pour prévenir les risques psychosociaux, alors qu’elles sont plus de 50 % en moyenne en Europe.

La tendance est de traiter indépendamment les thèmes du chômage, des retraites, de l’emploi des seniors, de la qualité de vie au travail, etc. Il faut davantage réfléchir à une approche globale du travail, car tous ces thèmes sont intriqués entre eux

Quant à la formation des manageurs sur cette question, elle n’est mise en place que dans 46 % des entreprises françaises, contre 73 % en moyenne en Europe. C’est ainsi, sans surprise, que 35 % des salariés français pensent que leur employeur ne s’intéresse pas du tout à leur bien-être psychologique contre 16 % en Suisse ou en Allemagne.

Le gouvernement finalement favorable à l’allongement du congé suivant la perte d’un enfant

Le gouvernement fait un virage à 180 degrés. Jeudi 30 janvier, Muriel Pénicaud s’était opposée à l’allongement du congé qui suit la perte d’un enfant, tel que proposé par le groupe UDI à l’Assemblée nationale. Dimanche, au lendemain d’un recadrage du président Emmanuel Macron, la ministre du travail annonce dans Le Parisien que la majorité va finalement défendre cette extension de cinq à douze jour de congé lors de la prochaine lecture du texte au Sénat.

Muriel Pénicaud confie ainsi que « la décision prise collectivement [de refus du texte] n’était pas la bonne », et précise que « l’allongement à douze jours va revenir au Sénat sous la forme d’un amendement gouvernemental », à une date pas encore fixée. Samedi, à la suite d’une levée de boucliers allant de La France insoumise au Medef, le président de la République avait « demandé au gouvernement de faire preuve d’humanité » dans ce débat, provoquant la volte-face de la majorité.

« Après la perte d’un enfant, qui est le pire drame auquel on peut être confronté, on ne se reconstruit pas en quelques jours, dit aujourd’hui Muriel Pénicaud. Il faut des mois et des années. » Elle dit étudier les possibilités pour « aller plus loin », notamment en termes de financement.

« Nous allons travailler à un accompagnement psychologique sur la durée. Nous voulons aussi regarder la question des frais d’obsèques qui ne doivent pas être un poids supplémentaire. Enfin, nous allons ouvrir ces mesures aux fonctionnaires. »

« Pas à la hauteur pour reprendre pied »

Le vote sur la proposition de loi avait eu lieu jeudi, son rapporteur, le député (UDI-Agir) du Nord Guy Bricout, jugeant que les cinq jours donnés actuellement ne sont « pas à la hauteur » pour « reprendre pied suite à la mort d’un enfant ».

En réponse, la députée (La République en marche, LRM) du Var Sereine Mauborgne avait défendu la « possibilité pour l’employeur de créer un compte de don » de RTT par les collègues du salarié endeuillé. De son côté, la ministre du travail avait aussi mis en avant que le texte tel qu’il était rédigé ne reposait pas sur la solidarité nationale, mais sur un congé « payé à 100 % par l’entreprise ».

Lire aussi Publicités ciblées : une femme qui a perdu son enfant interpelle les plates-formes du Web

Ces propos ont soulevé l’indignation dans l’hémicycle. « On parle de la tragédie des tragédies », a lancé François Ruffin, dénonçant une majorité « mesquine », tandis que le député (apparenté Les Républicains, LR) des Ardennes Pierre Cordier dénonçait une « honte ». Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR, a lui indiqué qu’il proposerait « à l’ensemble des groupes politiques du Sénat de déposer en commun et de voter cette proposition de loi ». « Une question d’humanité » a-t-il ajouté.

Vendredi matin, c’est le président du Medef lui-même, Geoffroy Roux de Bézieux, qui a demandé un nouveau vote en faveur des douze jours. « C’est une évidence et c’est lancé », a-t-il répondu dans un tweet à l’ancienne présidente de l’organisation patronale Laurence Parisot, qui avait estimé un peu plus tôt que « le Medef s’honorerait à demander un nouveau vote de cette proposition ».

Chaque année en France, 4 500 enfants meurent avant d’avoir atteint leur majorité.

Mise à jour le 2 février à 21h35 : Contrairement à ce qui était indiqué précedemment, Sereine Mauborgne est députée du Var et non de la Sarthe.

« J’en étais arrivée à un point où je ne savais même plus dans quelle ville je me réveillais » : les épuisés de l’hypermobilité professionnelle

Roissy 2011. Photo extraite de la série « Les failles ordinaires », de Géraldine Lay.
Roissy 2011. Photo extraite de la série « Les failles ordinaires », de Géraldine Lay. GERALDINE LAY / GALERIE LE REVERBERE

Le moment de la valise revient à chaque fois. Certains l’expédient le plus vite possible, y jettent machinalement le nécessaire habituel. Pas question d’y perdre plus de temps, la semaine de déplacement qui les attend va déjà leur en voler assez. D’autres y consacrent plus d’une heure, dans une espèce de rituel pénitentiel au cours duquel il ne faut surtout pas les déranger. Les voilà déjà projetés dans le lever à 4 heures, le trajet pour la gare, l’aéroport, les halls, l’attente, les réunions, les dîners…

« Cette valise, c’est à la fois toute ma vie et mon enfer », lâche Antoine (les prénoms ont été changés à la demande des intéressés). « La planquer pour ne plus la voir » est son premier réflexe lorsqu’il rentre le vendredi soir. Cet objet renferme dix ans d’une hypermobilité professionnelle qui aura conduit ce cadre dirigeant d’une grande entreprise nationale à passer plus de temps dans les TGV, les avions et les hôtels que chez lui, auprès des siens, dans le Finistère.

« Quand vous passez vos semaines loin des vôtres, vous ratez tout, vous n’êtes là pour personne, vous ne vous impliquez nulle part » Antoine, cadre dirigeant

Dans le 5-étoiles où il a ses habitudes parisiennes, un grog pour venir à bout d’un rhume, le quinquagénaire, col roulé et blazer, raconte cette mécanique implacable qui « vous oblige à répondre aux impératifs de mobilité » si vous voulez obtenir promotions et fonctions stratégiques. « Quand, par malheur, vous avez choisi d’habiter en région, c’est la double peine. » Il décrit le paradoxe de ces discours managériaux prêchant la flexibilité, tenus par des PDG « dont les trajets se résument à Levallois-La Défense en berline ».

Parce que son travail compte, Antoine a choisi de « jouer le jeu ». Au risque de finir par tout perdre : femme, famille, amis. « Quand vous passez vos semaines loin des vôtres, vous ratez tout, vous n’êtes là pour personne, vous ne vous impliquez nulle part. Et ce n’est pas FaceTime qui permet d’y remédier. Le week-end, de passage auprès de votre femme et de vos enfants, vous tentez de rattraper l’irrattrapable. » Dans sa société, il constate un taux de divorces et de burn-out tristement élevé. Lui-même n’a échappé ni à l’un ni à l’autre. « Cette hypermobilité peut détruire l’unité familiale et la vie sociale, en plus de vous disloquer. »

Lire aussi le témoignage : Nicolas, commercial, 6 heures de route par jour : « On est nombreux à rester sur nos rails, juste pour être payés »

Bataillons d’actifs aux mines affairées

Dans le confort des salons grands voyageurs, le dirigeant se surprend à mépriser cette image à laquelle il aspirait, pourtant. Cette armée de cadres « en uniforme », suspendus à leur smartphone, absorbés par leurs mails, qui se frôlent mais ne se parlent pas, valeur travail et statut social chevillés au costard, dans « ce théâtre de l’élite mondialisée » dont chacun choisit de rejouer la partition. Les mêmes qu’il retrouvera peut-être, le soir, dans la solitude de l’hôtel. « Aime-t-on nos boulots ou le fait de se sentir important ? », s’interroge-t-il.

Décentralisation : six régions vont piloter Pôle emploi

L’ambiance était à la détente, mercredi 29 janvier, lors des vœux de Régions de France, entre les présidents de région et la ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault. Pour marquer cette intention de réconciliation, Renaud Muselier, qui a succédé début novembre 2019 à Hervé Morin à la tête de l’association, a offert à son invitée un olivier, symbole de paix. Une volonté d’apaisement après des mois de relations tumultueuses entre l’exécutif et les trois principaux groupements d’élus – Association des maires de France (AMF), Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France –, faisant front commun, avec l’appui du président du Sénat, Gérard Larcher, au sein de Territoires unis.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Décentralisation : la discussion démarre mal

Il est vrai que la réforme de la fiscalité locale liée à la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, contre laquelle bataillaient ces associations, est désormais inscrite dans la loi. Et que l’AMF et le Sénat se sont finalement félicités de l’adoption, fin décembre, de la loi engagement et proximité promulguée fin décembre 2019, qui conforte les pouvoirs des maires et l’exercice des mandats locaux. Les esprits sont à présent tournés vers la loi décentralisation, différenciation, déconcentration (« 3D ») qui devrait être présentée au deuxième trimestre, après les élections municipales.

Geste apprécié

Alors que Mme Gourault a engagé un cycle de concertation avec l’ensemble des élus locaux et de leurs représentants, au niveau national et dans chacune des régions, Edouard Philippe a apporté à ces dernières une première satisfaction. Lors du congrès des Régions de France qui s’était tenu le 1er octobre 2019 à Bordeaux, le premier ministre avait proposé que trois régions volontaires puissent expérimenter un pilotage de l’action de Pôle emploi « dans le domaine de la formation professionnelle ». Pas moins de douze régions se sont portées candidates.

Dans un courrier adressé le 21 janvier à M. Muselier et que Le Monde s’est procuré, le chef du gouvernement indique que l’expérimentation va pouvoir démarrer, « dans un premier temps », dans six régions : Hauts-de-France, Nouvelle-Aquitaine, Centre-Val de Loire, Pays de la Loire, Normandie, Auvergne-Rhône-Alpes. « J’ai demandé à madame Muriel Pénicaud, ministre du travail, de travailler dans les meilleurs délais, en lien avec les préfets et les présidents de conseil régional, à la mise en œuvre de cette expérimentation », précise M. Philippe. Celle-ci devrait être articulée, ajoute-t-il, avec la mise en œuvre du service public de l’insertion destiné à renforcer l’accompagnement des personnes éloignées de l’emploi. Le geste a été apprécié par les régions, qui souhaitent disposer du pouvoir de « coordonner le service public de l’emploi ».

Volkswagen-Tesla, Nokia-Apple… : « le dilemme de l’inovateur »

Clayton Christensen, professeur de management à Harvard, à New York, en 2016. Il est décédé jeudi 23 janvier 2020.
Clayton Christensen, professeur de management à Harvard, à New York, en 2016. Il est décédé jeudi 23 janvier 2020. Slaven Vlasic / AFP

Pertes & profits. En guerre économique, comme en guerre tout court, on se méfie toujours des petits nouveaux qui ne pensent pas comme nous. « Innovation : toujours dangereuse », avançait Gustave Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues (1913). En termes de stratégie industrielle, cette menace est existentielle. Et si un autre prenait ma place ? C’est le cri lancé récemment par le patron de Volkswagen, Herbert Diess, affirmant ne pas vouloir subir le sort de Nokia, la marque culte des téléphones portables, qui a sombré après l’arrivée de l’iPhone d’Apple. Et son Apple à lui s’appelle Tesla.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les constructeurs automobiles allemands inquiets de l’arrivée de Tesla sur leurs terres

On ne saurait trop conseiller au pilote du premier constructeur automobile mondial de se plonger dans les œuvres de Clayton Christensen, professeur de management à Harvard et considéré comme le pape de l’innovation. Il est décédé, jeudi 23 janvier, à l’âge de 67 ans.

Un futur incertain

C’est lui qui popularisa la notion d’innovation de rupture en se posant justement cette question simple : pourquoi des acteurs en place, dominant et riches, peuvent-ils disparaître ou se faire marginaliser par de nouveaux arrivants bien moins fortunés. Selon, lui, ce n’est pas par manque d’information – Kodak avait parfaitement identifié le risque de la photo numérique – ni de volonté, mais par contrainte et mode de pensée. Ce que Christensen a appelé, dans son livre le plus célèbre, le dilemme de l’innovateur (The innovator’s dilemma, Harvard Business Review, 1997).

La contrainte est celle de compromettre son activité historique très rentable pour un futur incertain. Kodak dégageait des marges considérables de son activité pellicule. D’autant que l’innovation apparaît sous un jour défavorable, moins performante, peu chère et séduisant un public différent de celui de l’entreprise dominante. Les premières compagnies aériennes low cost s’adressaient aux étudiants qui prenaient le bus. C’est cet élargissement soudain du marché à de nouveaux utilisateurs qui crée pourtant l’accélération. Le modèle s’améliore et vient grignoter progressivement le cœur de l’activité de l’entreprise historique.

Une prison qui est aussi mentale. C’est un vendeur de livre, Amazon, et un spécialiste du micro-ordinateur, Microsoft, qui ont conquis le marché de l’informatique décentralisée, le cloud computing, alors qu’IBM avait identifié le sujet depuis deux décennies. Parfois critiqué pour son aspect systématique, l’apport essentiel de Christensen, qui dépasse largement le cadre de l’économie, aura été de démonter le mécanisme qui conduit les innovateurs, qui seront les puissants de demain, à prospérer à l’ombre de l’orgueil et du confort des puissants d’aujourd’hui.