Cinq ans de travail et des millions d’euros perdus : Scribe, l’introuvable révolution informatique de la police nationale

Cinq ans de travail et des millions d’euros perdus : Scribe, l’introuvable révolution informatique de la police nationale

C’est une histoire de comités Théodule et de rapports circonstanciés, de réunions de pilotage et de pesanteurs administratives. D’espoirs déçus, aussi. Sept ministres de l’intérieur et trois directeurs généraux de la police nationale (DGPN) en avaient fait leur « priorité », mais après cinq ans de gestation, le programme Scribe, censé simplifier la rédaction des procédures pénales, n’a pas encore vu le jour. Un bug qui se chiffrerait à plus de 11 millions d’euros. « Pas 11 millions d’euros, assure cependant une source, mais beaucoup trop au vu de ce piètre résultat. » « Un fiasco, selon Anthony Caillé, représentant de la CGT-Police. Et pendant ce temps-là, la procédure se complexifie chaque jour un peu plus, avec un exécutif qui se sent obligé de sortir une loi au moindre fait divers. »

« C’est un échec cuisant, renchérit Yann Bastière, responsable de l’investigation au syndicat SGP-Police, et malgré ça, on met en place d’autres outils informatiques qui devaient être adossés à Scribe. Bilan, rien ne fonctionne. » A l’unisson, syndicats et enquêteurs s’inquiètent : alors que la procédure pénale numérique devrait être étendue à l’ensemble des juridictions françaises en 2022, la police attend encore un outil informatique moderne devenu indispensable.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Justice : la révolution tranquille de la procédure pénale numérique

Indispensable parce que l’institution traite 3,8 millions d’infractions chaque année, soit 70 % de la masse constatée en France. Moderne, parce que le logiciel actuel, le LRP-PN (logiciel de rédaction de procédures – Police nationale) tient de l’« usine à gaz ». Son architecture est obsolète, les déconnexions fréquentes, le coût de maintenance de 1 million d’euros annuel est exorbitant et son ergonomie quasi-nulle.

« Si on consulte le Ficoba [fichier des comptes bancaires], explique un enquêteur, impossible d’intégrer directement les éléments recueillis dans un PV, on doit tout ressaisir. Et associer une pièce jointe à une procédure, c’est l’enfer. » Sans compter les champs statistiques ubuesques à remplir pour satisfaire la voracité de l’administration – donc, du politique – pour les chiffres. La blague a fait le tour des commissariats : parmi les centaines d’items proposés pour préciser les circonstances d’une infraction ou la nature d’un objet volé, vaut-il mieux saisir « canot » ou « barque » ?

Arlésienne de la police

Aussi, l’enthousiasme est unanime lorsque le projet d’un nouveau logiciel est annoncé début 2016. Coût prévisionnel : 11,28 millions d’euros. Maîtres-mots du chantier : fluidité, souplesse, fiabilité, intuitivité. Cinq ans plus tard, une abondante documentation interne, que Le Monde a pu consulter, permet de mesurer l’écart entre les objectifs affichés à l’époque et l’état actuel d’un dossier en souffrance, véritable arlésienne de la police.

Il vous reste 80.04% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Avatar
LJD

Les commentaires sont fermés.