« L’absence de femmes dans l’IA augmente le menace de biais sexistes »

L’élaboration de modules particuliers sur « encoder l’égalité », dans les écoles d’informatique et de mathématiques, transformerait les regards, développent les docteures en sciences Aude Bernheim et Flora Vincent.

Docteures en sciences, Aude Bernheim et Flora Vincent ont créé l’association Wax Science, qui vise à encourager la mixité dans les sciences. Elles publient ces jours-ci L’IA, pas sans elles ! (Belin, collection « Egale à égal » du Laboratoire de l’égalité, 112 pages, 8,50 euros).

Pourquoi vous êtes-vous passionnées à la place des femmes dans les métiers de l’intelligence artificielle (IA) ?

L’IA fait aussitôt partie de notre vie, elle participe comme aide à la décision dans de nombreux domaines comme l’éducation, la police, la justice, la santé… La question de l’égalité et de l’équité de ces solutions automatiques est une participation sérieuse. Ecrire du code, c’est comme écrire tout court. On fait des choix, on privilégie une solution, une façon d’aborder le sujet, de traduire une problématique en langage informatique. Or, l’absence de femmes dans les métiers de l’intelligence artificielle augmente le risque de biais sexistes liés à ces choix, et prévient de faire jaillir une réflexion sur ce sujet.

Comment cela se produit-il ?

Les études de Rosabeth Kanter [professeure à la Harvard Business School] ont présenté que, à partir d’un certain seuil de diversité dans une groupe, on assiste à l’apparition de nouveaux points de vue, à des améliorations de comportements. C’est vrai dans toutes les disciplines. Quand les femmes ont commencé à investir des domaines comme l’histoire ou la géographie, on a vu des sujets émerger, par exemple le rôle des femmes dans ces disciplines.

Dans le domaine de l’algorithmique, les lanceurs d’alerte sont souvent intéressés au premier chef par les biais. C’est leur histoire personnelle qui les conduite à questionner le fonctionnement du système et à présenter que le biais est systématique. En 2018, Joy Buolamwini, étudiante noire au MIT [Massachusetts Institute of Technology], s’est touchée aux logiciels de reconnaissance faciale parce qu’elle a constaté que certains d’entre eux ne marchaient pas bien pour elle. Elle a pu montrer qu’ils étaient ajustés aux hommes blancs et discriminaient les femmes noires.

Existe-t-il des méthodes pour créer des algorithmes inclusifs ?

De nouvelles pistes d’étude se développent à l’interface entre l’éthique des mathématiques et de l’informatique. Les méthodes de construction d’algorithmes équitables débutent à être documentées. Il s’agit de placer des questions précises à chaque étape de leur développement : l’algorithme a-t-il été pensé avec des communautés différentes ? Le jeu d’apprentissage (c’est-à-dire les données à partir desquelles le logiciel est entraîné) est-il typique de l’ensemble de la population ? Véhicule-t-il des stéréotypes ?

Polémique autour des sans-emploi qui encaisseraient plus qu’en travaillant

Edouard Philippe et Muriel Pénicaud ont assuré qu’un chômeur sur cinq encaisse une allocation supérieure à ses rétributions antérieures.

Colère des syndicalistes et hésitation de plusieurs économistes. Le gouvernement a déclenché une vive polémique, mardi 26 février, en divulguant quelques-unes de ses pistes pour modifier le système d’indemnisation des demandeurs d’emploi. « Il faut que le travail paye toujours plus que le chômage », a déclaré Edouard Philippe. Or ce n’est pas certainement le cas, a poursuivi le chef du gouvernement, lors d’une conférence de presse à Matignon. Présente à ses côtés, Muriel Pénicaud, la ministre du travail, a expliqué qu’un chômeur compensé sur cinq touche une allocation supérieure à la moyenne de ses rémunérations mensuelles perçues antérieurement. Un tel « dysfonctionnement » résulte de règles qu’il faut modifier, a-t-elle affirmé.

Pour protéger une réforme politiquement délicate, l’exécutif s’est donc prévalu d’arguments chocs, qui ont scandalisé les leaders des confédérations de salariés. La statistique citée par Mme Pénicaud est « caricaturale » et admet au pouvoir en place « de dire que les chômeurs profitent du système », s’est indigné Laurent Berger, numéro un de la CFDT. Les autres centrales ont répondu sur le même ton.

Qu’en disent les économistes, qui éprouvent bien les rouages de l’Unédic – l’association paritaire chargée de guider l’assurance-chômage ? « Je ne vois pas bien comment le gouvernement parvient au ratio évoqué. Mais je ne dis pas que c’est radicalement impossible », confie Bertrand Martinot, ancien responsable de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle. Experte au Centre d’études de l’emploi et travail (CEET), Claire Vivés se demande : « Cette statistique ressemble sans doute à quelque chose, mais comment a-t-elle été construite ? »

Travail constant ou fragmenté                                                                

« Par Pôle emploi », répond le milieu de Mme Pénicaud, en montrant que des compléments d’information seront apportés dans les prochains jours. Le point mis en exergue par la ministre tient aux solutions de calcul de la prestation, qui sont terriblement complexes. Au cœur du problème, il y a surtout le salaire journalier de référence (SJR), sur lequel est basé le montant final de l’allocation. D’après le ministère du travail, le SJR peut, dans certaines conditions, conduire à l’octroi d’une indemnisation plus importante que le salaire mensuel moyen de la personne quand elle formait une activité. Un peu plus de 600 000 inscrits à Pôle emploi s’apercevraient dans ce cas de figure.

 

Il est nécessaire de clarifier les distinctes composantes du contrat de travail selon des conditions de leur transformation

Le juriste Jacques Barthélémy et l’économiste Gilbert Cette défendent pour vérifier les possibilités de modification du contrat de travail, afin d’élargir le champ de la négociation dans l’entreprise.

Nous offrons une clarification des différentes composantes du contrat de travail en fonction des conditions de leur changement : par simple décision du directeur d’entreprise, par un accord collectif, ou avec l’accord formulé du salarié concerné.

Une précision pareille admettrait de dédier le rôle de l’accord collectif et en conséquence celui de la négociation d’entreprise, en levant les incertitudes qui brident actuellement leur plein épanouissement. Les ordonnances travail de septembre 2017 et la loi Penicaud de mars 2018 visaient à affermir la négociation collective en étendant considérablement son rôle dans l’élaboration de normes qui peuvent dans certaines limites se remplacer à celles du code du travail.

Mais les incertitudes contemporaines sur le champ effectif de l’accord collectif font cueillir des actions contentieuses, surtout pour les PME. De ce fait, des compromis permettant un meilleur engagement entre la protection des travailleurs et l’efficacité économique ne sont pas réalisés, au préjudice de la croissance et de l’emploi.

La consécration de la démarche de réforme commencée par les ordonnances travail et le renforcement de la négociation collective d’entreprise appellent d’autres améliorations : tout d’abord, donner un contenu véritable à ce qui ressort de la négociation de branche, plutôt que de s’apaiser de l’actuelle juxtaposition de thèmes hétéroclites.

Situation ubuesque

Ultérieurement, enlever au chef d’entreprise la présidence et même la présence de droit au comité social et économique et au conseil d’entreprise, afin que ces instances font la représentation effective des travailleurs avec un réel pouvoir de négociation, en particulier en l’absence de reproduction syndicale. La situation actuelle est pour le moins ubuesque puisqu’elle accorde un droit de contestation avec le chef d’entreprise à des institutions présidées… par le chef d’entreprise.

Finalement, corriger la justice prud’homale afin de réduire l’insécurité juridique actuelle, garnie par la forte proportion d’invalidation partielle ou totale des termes de prud’hommes par les Cour d’appel. Le barème des plafonds d’indemnisation porté par les ordonnances travail est remis en cause du fait de sa probable contradiction avec des normes de droit international.

Il faut affermir la sécurité juridique du traitement des conflits du travail par des moyens plus ajustés, comme par exemple la création d’une étape de médiation, le renforcement du rôle de l’engagement et la présence automatique d’un juge professionnel au sein des tribunaux prud’homaux.

 

Un « French Tech Visa » pour toutes les entreprises considérées comme innovatrices

Ce mécanisme supposé assister l’embauche de salariés étrangers a été transformé, après des débuts compliqués.Après des débuts plus que timides, le « French Tech Visa », lancé par le Président de la République le 15 juin 2017 pour assister l’embauche de salariés étrangers par des entreprises tech françaises, évolue. A partir de ce vendredi 1er mars, le dispositif s’élargit et s’étend à toutes les entreprises avouées comme innovantes et revoit sa procédure afin de diminuer les délais d’acquisition. Objectif du gouvernement : accroître l’attractivité des jeunes entreprises françaises sur le territoire afin de faire émerger des champions tricolores sur la scène internationale.

Qu’est-ce que le « French Tech Visa » ?

Mis en place par le gouvernement il y a près de deux ans sur un secteur économique restreint, le « French Tech Visa » est une procédure qui simplifie et accélère les formalités administratives en vue de l’obtention d’un titre de séjour pour les travailleurs étrangers recrutés par des entreprises françaises innovantes, ainsi que pour leurs familles.

A partir d’aujourd’hui, pour y prétendre, l’entreprise voulant recruter un salarié étranger doit au antérieur être reconnue comme novatrice par le ministère de l’économie et des finances en garantissant à au moins l’un des trois critères suivants :

Avoir été bénéficiaire au cours des cinq dernières années d’un soutien public à l’innovation ;

Avoir une partie de son capital prévenue par une entité ayant pour objet principal le paiement ou l’investissement dans des entreprises innovantes ;

Avoir été guidée au cours des cinq dernières années par une structure d’accompagnement employée aux entreprises innovantes.

Les start-up tranchées innovantes pourront alors faire une requête en ligne pour un « French Tech Visa » à condition que le contrat de travail du futur salarié soit en lien avec le projet d’étude et développement de l’entreprise ou avec son développement économique, social, international ou environnemental. Le montant de la rétribution doit également être supérieur à deux smics annuels brut, soit 36 509, 28 euros. Une fois octroyé, le visa est valable pour une durée de quatre ans, reconductible.

Comment peut-il aider les entreprises françaises ?

L’embauche de profils très qualifiés, moteur d’innovation et de originalité pour les entreprises, est souvent crucial pour le développement des start-up de la tech, souvent évaluées à une pénurie de talents. Dans cette course, la France doit, par ailleurs, rivaliser avec une flopée de pays du monde entier. La mise en place du « French Tech Visa », qui admet de faire venir des salariés étrangers en un temps amplement réduit par rapport à la procédure standard présente donc un atout non insignifiant pour les jeunes pousses en renforçant à la fois leur compétitivité et leur attractivité en dehors de l’Europe.

L’assimilation de profils internationaux très recherchés dans l’écosystème français des start-up est l’opportunité pour ces dernières de davantage s’affirmer sur la scène internationale et de stimuler leur croissance en allant chercher plus facilement les compétences qui leur manquent hors des frontières de l’Hexagone.

Pourquoi est-il critiqué ?

Si, sur le principe, le dispositif de départ était attractif, il n’a, malgré cela, pas rencontré le succès escompté. Fin 2018, seuls 150 recrutements avaient ainsi été réalisés par ce biais. Un manque d’attractivité en partie lié à ses conditions d’accès : jusqu’à aujourd’hui, seules une poignée d’entreprises du numérique, triées dans le cadre du « Pass French Tech » (un programme d’accompagnement national destiné à soutenir des entreprises tricolores en hypercroissance) pouvaient y avoir recours pour recruter un salarié étranger. Ce n’est désormais plus le cas, le dispositif ayant été élargi à toutes les entreprises qui seront reconnues comme innovantes.

Autre point d’obstacle : la durée des convenances à accomplir, jugée encore bien souvent trop longue (jusqu’à plus de six mois) et qui a découragé plus d’une entreprise à se lancer dans le processus. Cette nouvelle version devrait la raccourcir à « quelques semaines », avait assuré le secrétaire d’Etat au numérique, Mounir Mahjoubi, en montrant le dispositif, le 10 octobre.

L’index récent de la parité femmes-hommes obtenu à l’arraché

Les entreprises d’au moins 1 000 salariés doivent avoir édité leur bilan le 1er mars et auront trois ans pour organiser leur situation sous peine de sanction financière pour celles qui n’auraient pas atteint leurs fins.

« L’objectif est de réduire à zéro l’écart salarial qui demeure à 9 % entre les femmes et les hommes pour un même travail. »
« L’objectif est de réduire à zéro l’écart salarial qui demeure à 9 % entre les femmes et les hommes pour un même travail. » Gary Waters/Ikon Images / Photononstop

99/100 à la MAIF, 99/100 pour CNP Assurances… Les bons élèves se sont empressés d’afficher leurs résultats sur la mesure de l’égalité femmes-hommes, à quelques jours de l’échéance fixée par décret. Au 1er mars, les quelque 1 400 entreprises ou unités économiques et sociales d’au moins 1 000 personnes doivent avoir informé leurs salariés du niveau de l’égalité de l’organisation.

Mais, à deux jours de l’échéance, elles étaient très peu nombreuses à avoir envoyé leur index à la direction générale du travail. Au sein du CAC40, la plupart envisageaient de le publier le 1er mars. « Elles ont jusqu’au 1er mars à minuit », indiquent les services de Muriel Pénicaud.

La dernière ligne droite a été franchie « un peu dans la précipitation », admettent les services du ministère du travail. Le décret d’application est sorti le 9 janvier et les derniers éléments sur les modalités de transmission de l’index à l’administration publique n’ont été annoncés aux entreprises qu’en février. « On n’a pu commencer à travailler qu’à partir du 9 janvier. Le décret qui précise le barème des indicateurs est paru relativement tardivement et n’a été complété par un questions-réponses du ministère que le 13 janvier », confirme Isabelle Villedieu, responsable rétributions et avantages sociaux de Schneider Electric, qui sera prêt vendredi 1er mars pour annoncer son résultat : 94/100.

Cinq critères

La note globale de l’index, engendré par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, doit être éditée par les entreprises sur leur site Internet, le détail devant être transmis au Conseil social et économique et à l’inspection du travail. L’objectif étant de diminuer à zéro l’écart salarial qui demeure à 9 % entre les femmes et les hommes pour un même travail.

La situation interrompue au plus tard au 31 décembre 2018, concerne cinq critères : les niveaux de salaire à poste et âge comparables (40 points), les aggravations (20 points), les promotions (15 points), les élévations au retour de congé maternité (15 points), et la part des femmes parmi les dix plus élevées rétributions (10 points). Les entreprises qui auront ajouté moins de 75 points, ont trois ans pour se mettre en conformité, sauf à essayer une sanction de 1 % de la masse salariale.

La féminisation des noms de métiers

Discours de réception de l’écrivain Andreï Makine sous la coupole de l’Académie française, à Paris, en décembre 2016.
Discours de réception de l’écrivain Andreï Makine sous la coupole de l’Académie française, à Paris, en décembre 2016. PATRICK KOVARIK / AFP
Finalement ! Jeudi 28 février, l’Académie française s’est exprimée pour une ouverture à la féminisation des noms de métiers, de fonctions, de titres et de grades. Concédé à une très large majorité (seules deux voix se sont élevées contre), le rapport provenait d’une commission d’étude étudiée de Gabriel de Broglie, Michael Edwards, Danièle Sallenave et Dominique Bona. Quoique très prudent et fort diplomatique, il n’en représente pas moins une sorte de révolution sous la Coupole. C’est la toute première fois que l’institution, créée en 1634, va aussi loin dans la reconnaissance du féminin des mots, rattachant en cela avec une pratique courante au Moyen Age.

Pas question d’administrer, rappelle le rapport, l’Académie se tranquillise d’être la gardienne du « bon usage ». « Nous voulions rouvrir ce dossier, pour montrer que l’Académie est sensible au fait que des femmes s’interrogent sur la définition de leur métier », montre l’écrivaine Dominique Bona, qui entreprend depuis longtemps pour cette avancée. Il ne s’agit pas de garantir toutes les nouveautés, ni de les freiner d’ailleurs, mais « d’étudier quelles évolutions pratiques il serait souhaitable de recommander » en débarrassant, parmi les usages, « ceux qui attestent une formation correcte et sont durablement établis ».

Pour autant, ses préconisations sont assez claires. Dans le domaine des métiers et des professions, d’abord, « il n’existe aucun obstacle de principe à la féminisation des noms ». La plupart des métiers manuels le sont déjà et depuis abondamment. Le rapport enregistre à ce fin que « la langue française a tendance à féminiser faiblement ou pas les noms de métiers (et de fonctions) placés au sommet de l’échelle sociale ». Cette résistance augmente à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie professionnelle.

Les mots finis par un « e » muet (« architecte ») ou un « o » (« impresario ») sont les plus faciles et, sauf quelques cas spécifiques (« médecin »), les noms masculins achevés par une consonne se féminisent facilement en ajoutant un « e ». Idem pour les noms en « eur », qui peuvent se féminiser grâce au « e » (« docteure »), sauf lorsqu’un verbe correspond au mot (« chercheur-euse »).

« Chef », « chèfe », « cheffesse », « cheftaine » ou « chève »

Restent les noms qui posent problème. A débuter par « chef », qui a donné lieu à l’ouvrage de formes féminines très diverses : « la chef », « chèfe », « cheffesse », « cheftaine » ou même « chève » (comme brève). Quoique n’appartenant pas de manière évidente au « bon usage », concluent les académiciens, c’est pourtant le mot « cheffe » qui le guide, car il est le plus employé.

Mais les mots sur lesquels les académiciens achoppent le plus et depuis longtemps sont ceux qui les intéressent de plus près : écrivain et auteur. Pour le premier, l’affaire est si délicate que le rapport expédie en deux lignes la forme « écrivaine » – laquelle se contente pourtant d’ajouter un « e » à un mot se terminant par une consonne, selon la règle recommandée plus haut. « Cette forme, lit-on, se répand dans l’usage sans pour autant s’imposer. »

En réalité, beaucoup d’académiciens poursuivent de trouver ce mot laid, ou dissonant. Ils entendent « vaine », là où ils ne remarquent pas du tout « vain » quand le mot est au masculin. Qu’importe ! Le 21 février, dans son discours de réception de Patrick Grainville à l’Académie Française, Dominique Bona n’a pas soupçonné à formuler le mot « écrivaine » en parlant de Marguerite Duras, juste pour le plaisir de le faire retentir sous la coupole…

L’auteure Dominique Bona, membre de la commission d’étude sur la féminisation des noms de métiers dont le rapport a été sélectionné, dans son habit d’académicienne à Paris, en octobre 2014.

L’auteure Dominique Bona, pilon de la commission d’étude sur la féminisation des noms de métiers dont le rapport a été choisi, dans son habit d’académicienne à Paris, en octobre 2014. KENZO TRIBOUILLARD / AFP

« Autrice »

En ce qui intéresse « auteur », faut-il simplement ajouter un « e » ou préférer « autrice », un peu plus élitiste ? Consulté sur cette forme en 2017, Alain Finkielkraut la jugeait « horrible ! » Autre solution : considérer, comme le conseille le rapport, que « la notion, qui enveloppe une grande part d’abstraction, peut justifier le maintien de la forme masculine, comme c’est le cas pour poète, voire pour médecin ». Le débat reste ouvert – et enrobé d’une certaine ambiguïté, puisqu’il semble attester que le concept demeure l’apanage du masculin.

Finalement, pour les fonctions, les Immortels rappellent que « contrairement au métier, une fonction est différente de son titulaire et indifférente à son sexe – elle est impersonnelle car elle ne renvoie pas à une identité étonnante, mais à un rôle social, temporaire et amissible, auquel tout individu peut, en droit, accéder (…). On n’est pas sa fonction, on l’occupe. » Idem pour les grades.

Toutefois, note le rapport, cet espacement ne constitue pas un obstacle à la féminisation, même s’il faut échapper de forcer des évolutions linguistiques. Par ailleurs, la dénomination des fonctions, titres et grades doit demeurer invariante dans les textes juridiques.

Pas de problème, donc, pour dire « inspectrice générale des finances », même si l’utilisation ne suit pas encore, mais « maître des requêtes » ne se féminise toujours pas et « conseillère maître », seulement à moitié. Le monde de l’armée, lui, a largement féminisé la plupart des grades. On peut dire « lieutenante-colonelle » ou « adjudante », mais le mot chef, constamment lui, continue de poser problème lorsqu’il est composé. On préférera « sergente-chef », exposent les académiciens, dans la mesure où le mot est pris comme adverbe.

Finalement, si la France avait de nouveau une femme à la tête de son gouvernement, elle s’appellerait sans doute « première ministre », et « présidente » si elle servait la plus haute fonction. Pour ce qui est de « chef d’Etat », en revanche, il est à cueillir que le féminin tarde encore à battre ce bastion de la virilité.

 

« Les jeunes cadres citadins désirent s’installer au pays des vacances »

Jean Viard est sociologue au Cevipof. Parmi ses thèmes de recherche, la décentralisation et l’administration territoriale, les identités territoriales , les loisirs et le travail.
Jean Viard est sociologue au Cevipof. Parmi ses thèmes de recherche, la décentralisation et l’administration territoriale, les identités territoriales , les loisirs et le travail.
Paris a vu une hausse phénoménale des prix de ses loyers et la ville poursuit de perdre chaque année des habitants. « Y habiter devient plus difficile, même si la machine créatrice parisienne est à son sommet », mentionne Jean Viard, directeur de recherches CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Les jeunes cadres, protégés par leurs diplômes, ont l’embarras du choix pour fuir Paris. Selon son point de vue, « le mouvement de mobilité sociale se situe désormais vers les grandes métropoles régionales : Lyon, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier ».

Comment analysez-vous le déménagement et l’envie de départ, des jeunes cadres parisiens pour les métropoles régionales ?

Nous sommes entrés dans une société de mobilité au fil de chaque journée, de l’année, de la vie. Quand on fait des études supérieures, il est bon de passer par Paris. Si possible d’y dédier un emploi en début de carrière. Puis vers 30 ans, ces jeunes cadres diplômés fondent une famille et pour eux partir de Paris devient alors attractif. Hier ils seraient allés dans les banlieues chics, aujourd’hui, plus souvent, ils vont vers les capitales régionales. Au fond, les Français nourrissent toujours le même désir de la « maison avec jardin ».

Chaque génération porte un projet d’élévation sociale. Les paysans ou les migrants qui parvenaient en ville devenaient ouvriers. Puis dans les années 1970-1990, leurs enfants ont fini un mouvement d’installation dans les zones périurbaines pour s’offrir le pavillon de leur rêve. C’est cette bande de la population qui compose le gros du mouvement des « gilets jaunes ». Car leur projet de vie est devenu passé avec la nouvelle puissance des métropoles et la pression écologique.

Pour le jeune cadre parisien, l’action de mobilité sociale se situe plutôt vers les grandes métropoles régionales : Lyon, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier. Ces jeunes, citadins et très diplômés désirent vivre dans ces grandes villes, ils veulent une qualité de vie, une vie culturelle, être proche de la mer tout en étant dans une ville créative et dynamique. En fait, ils ont le rêve de « vivre au pays des vacances ».

La ville parfaite pour eux c’est le « Club Med » allié à la culture urbaine du baron Haussmann. Cette population, protégée par ses diplômes, a l’embarras du choix. Les entreprises, quant à elles, comprennent ces logiques des territoires jaillissants et préfèrent de s’implanter là où vont ces nouvelles compétences. Le monde numérique défend ces évolutions, à terme beaucoup de ces cadres travailleront sans doute en plusieurs lieux, au siège à Paris, dans des bureaux près de chez eux et à leur domicile. Le travail va être multilocalisé.

Paris est-elle en train de devenir insupportable, même pour cette population favorisée et protégée par ses diplômes ?

Paris symbolise, comme New York, une ville de célibataires où se nouent les rencontres. C’est la ville d’une jeunesse connectée, urbaine, diplômée et anglophone. D’ailleurs les start up ne veulent pas aller à la Défense, elles préfèrent payer des fortunes pour être au cœur de Paris.

72 % des Parisiens évoquent de quitter Paris, mais malgré ces sondages Paris reste la ville séduisante qui deviendra le New York de l’Europe dans une région de 11 millions d’habitants. Elle concentre 80 000 chercheurs et une force créatrice considérable.

Il faut aussi concevoir que si la révolution numérique a tendu sa toile universellement, elle a d’abord précipité la création de richesse dans les grandes métropoles où la créativité est plus forte, la recherche plus dense, les contacts plus rapides. Aussi Paris a vu les prix de ses loyers éclater et la surface des logements se diminuer, la ville a perdu 60 000 habitants en cinq ans. La machine créatrice parisienne est à son sommet, mais y résider devient plus difficile.

Comment les villes françaises tirent leur épingle du jeu dans cette nouvelle dynamique ?

Les vraies métropoles s’améliorent. Lyon, Toulouse, Nantes, Rennes, Aix-Marseille, Montpellier… et depuis 2008 elles ont créé de l’emploi malgré la crise. Dans les années 1980 on exprimait de « développement post-touristique » pour les villes dans des régions touristiques, Grenoble puis Sofia Antipolis, puis Montpellier…

La façade atlantique faisait figure de belle endormie. Puis elle s’est provoquée et elle progresse aussitôt très vite. Après Nantes, Bordeaux est parvenu à accélérer sa mutation. La ville a « explosé » d’un coup, ce qui a exploré des écarts avec les villes alentour.

La métropole de Lyon compte deux millions d’habitants. C‘est une sorte de Milan du Sud, tout y est, universités, entreprises, à moins de deux heures de Paris, du ski et de la mer. C’est également une ville très endogame. La grande majorité des Lyonnais sont nés à Lyon. Pour captiver les jeunes cadres diplômés il a fallu insérer le désir et développer la vitalité culturelle. Il ne manquait que l’art de vivre, ce que le classement à l’Unesco lui a donné en 1998.

Et puis il y a Aix-Marseille. Cette métropole maritime pèse presque autant que Lyon mais son organisation politique l’a longtemps freinée. Quand le Nord s’est effondré après la fin des mines, Lille s’est peu à peu rétablie en prenant les énergies des villes qui l’entouraient, comme Béthune, Dunkerque. C’est une ville qui est en train de surmonter le deuil industriel. Lille est une métropole émergente dans une région qui aime la culture industrielle. Elle est au cœur de l’Europe mais le Brexit peut modifier son destin.

L’Est est aussi en pénitence car en deuil industriel et en manque de métropole. Mais elle a des voisins puissants. Et puis il y a des villes plus petites comme Rouen, Caen ou Orléans, on peut s’y établir et continuer d’aller œuvrer à Paris, qui n’est plus qu’à une heure de TGV. C’est aussi ce modèle qui se développera.

Comment expliquez-vous l’ascension en puissance d’une ville comme Nantes ?

Nantes a connu une crise importante avec la clôture des chantiers navals et l’effondrement de l’industrie portuaire. Mais elle incarne une ville qui a réussi à se réinventer. Jean-Marc Ayrault [maire de 1989 à 2012] a su s’entourer d’hypercompétences, particulièrement de Laurent Thery (urbaniste) ou de Jean Blaise (directeur artistique)… Ensemble, ils ont repensé la ville autour de la culture, devenue cœur du lien social. C’est un cercle vertueux, ville pauvre, Nantes a attiré les investissements grâce à l’énergie culturelle.

Le changement de Carrefour débute à porter ses fruits

Depuis son arrivée en juillet 2017 Alexandre Bompard en juillet 2017 poursuit le réaménagement du groupe et la restructuration des grandes surfaces.

Alexandre Bompard, PDG de Carrefour depuis juillet 2017, à La Defense, près de Paris, le 23 janvier 2018.
Alexandre Bompard, PDG de Carrefour depuis juillet 2017, à La Defense, près de Paris, le 23 janvier 2018. ERIC PIERMONT / AFP

Ce sont les premières conséquences économiques visibles de la manœuvre du nouveau PDG de Carrefour, Alexandre Bompard, arrivé en juillet 2017 pour relancer un poids lourd de l’attribution en perte de vitesse. Carrefour a enseigné, jeudi 28 février, avoir délibéré un résultat net de 802 millions d’euros en 2018, en hausse de 3,75 % sur un an, accompagné d’une croissance du chiffre d’affaires qui s’est accélérée sur le deuxième semestre pour finir sur une progression de 1,4 %. En France, le distributeur peine encore à sortir la tête de l’eau, avec un chiffre d’affaires de + 0,3 % à périmètre comparable, après + 0,8 % en 2017.

Des conséquences que le groupe juge encourageants et solides. La stratégie semble avoir arrêté l’hémorragie, comme le montre l’inversion de tendance du résultat opérationnel courant. Après une chute de 17,2 % en 2017, ce dénonciateur traduisant les gains que l’entreprise génère grâce à son production courante progresse de 4,6 % à taux de change constant.

Depuis le 23 janvier 2018, le répartiteur a mis en place un vaste plan de changement, Carrefour 2022, pour s’aménager à affronter les futurs enjeux de consommation. Un coup d’accélérateur a été mis sur le digital pour rejoindre le retard par rapport aux concurrents, en vue de réaliser 5 milliards d’euros dans l’e-commerce alimentaire d’ici à 2022. En 2018, cette activité a généré 1,2 milliard d’euros, notamment grâce à une nouvelle plate-forme de préparation de commandes industrialisée, et à la généralisation du modèle de « drives », ces points de retrait des courses ordonnées en ligne. Carrefour prédit d’avancer sa stratégie de développement sur les magasins de proximité et drives, très rentables, avec 3 000 ouvertures à horizon 2022.

Restructuration des hypermarchés

Carrefour s’est aussi employé à se distinguer de la concurrence en changeant son image de répartiteur impliqué dans la guerre des prix, en celle d’un commerçant recentré sur l’alimentaire et engagé sur des valeurs sociétales. Mettant en avant ses initiatives sur les emballages plastiques, le bien-être animal, ou sa volonté de démocratiser le bio, dans lequel il vise des ventes de 5 milliards d’euros d’ici à 2022. En 2018, ce segment a généré 1,8 milliard d’euros de recettes, contre 1,3 milliard en 2017.

Mais pour réaliser tous ces transformations, Carrefour a dû faire à des économies, tant sur la rationalisation des sièges qui se sont accompagnés de 2 400 départs volontaires en France, 1 000 en Argentine et 1 000 en cours en Belgique, que sur une restructuration du parc des magasins non rentables. 273 magasins de l’ancien réseau de hard discount Dia ont été fermés, vendus ou modifiés en drives piétons. Un plan de 2 milliards d’euros d’économies d’ici à 2020 avait été annoncé. 1,05 milliard ayant déjà été réalisés, Carrefour a déterminé de porter l’enveloppe globale à 2,8 milliards d’ici à 2020.

La faiblesse de Bercy face à la chute de plans sociaux

Ascoval, Ford, ArjoWiggins… Le gouvernement est chargé d’arranger de peu de marges de manœuvres face aux clôtures de ces usines.

Pour le ministre de l’économie, c’est une faible consolation. Dans une période où les mauvaises nouvelles sur l’industrie française tombent comme à Gravelotte, le tribunal de grande instance de Strasbourg a accordé, mercredi 27 février, un mois de plus à Ascoval pour trouver un repreneur. C’est ce que convoitait l’Etat. L’aciérie de Saint-Saulve (Nord) et ses 280 travailleurs ont été abandonnés par Altifort, incapable d’assembler les fonds fondamentaux au rachat.

Pour le reste, Bercy conteste toujours des vents contraires. Une journée « ville morte » est aménagée jeudi, notamment à Bessé-sur-Braye (Sarthe), en appui du papetier ArjoWiggins, mis en liquidation en janvier. Lundi, le gouvernement a dû prendre acte de la fermeture de l’usine Ford Aquitaine industries, située à Blanquefort (Gironde), qui fabrique des boîtes de vitesses automatiques. Le fondateur américain a en effet rejeté l’offre de reprise du belge Punch Powerglide, et le deuxième projet de plan de sauvegarde de l’emploi de Ford doit être observé par l’Etat avant le 4 mars.

« L’attitude de Ford est indigne d’un grand groupe industriel », a explosé Bruno Le Maire, lundi. Malgré cela, le gouvernement apparaît démuni devant  ces fermetures en rafale. Philippe Poutou, ancien candidat du Nouveau Parti anticapitaliste à l’élection présidentielle et secrétaire de la CGT de l’usine de Blanquefort, dénonce un Etat « en mal d’imagination ou sans volonté réelle de se confronter à la multinationale Ford ou sans moyen réel ». Citant Ford et Ascoval, Génération. s, le mouvement de Benoît Hamon, regrette que « deux nouveaux fleurons industriels [soient] alarmés par une impuissance publique aussi consternante que coupable ».

« L’Etat peut faire pression »

Faible, Bercy ? « La marge de manœuvre est importante. On peut faire beaucoup de choses », se défend-on dans le milieu de M. Le Maire. « Depuis deux ans, sur quatre emplois tourmentés dans l’industrie, nous en avons sauvé trois !, déclarait le ministre aux Echos, mercredi. Nous l’avons fait pour William Saurin, où 1 500 emplois étaient en jeu, pour GM & S dans la Creuse, avec 120 emplois sauvés, pour AR Industries à Châteauroux, avec 350 emplois sauvegardés, et Doux, avec 900 emplois. Je poursuivrai donc à m’engager et à me battre pour chaque emploi industriel menacé. »

« Il faut tout essayer pour que le constructeur américain Ford ne quitte pas Blanquefort sur la pointe des pieds »

Le député, Benoit Simian, met le point sur l’« échec de la puissance publique » à Blanquefort, compte tenu des 125 millions d’euros dirigés depuis vingt ans sur le site.

Benoit Simian est député de Gironde. L’entreprise Ford Blanquefort, qui est effarée de fermeture, se place dans sa circonscription. L’élu La République en marche demande à l’Etat de conduire la réindustrialisation du site sur lequel sont maintenant fabriquées des boîtes de vitesses automatiques.

Pour Ford, vous avez repassé « un échec de la puissance publique ». Pourquoi ?

Compte tenu de l’argent public qui a été administré ces vingt dernières années sur ce site, 125 millions d’euros, c’est en effet une déception de la puissance publique. Il n’en reste pas moins que Bruno Le Maire a fait témoignage de volontarisme en allant quérir des investisseurs. Même si cela s’est soldé par un échec puisque Ford a refusé de vendre au repreneur belge. L’Etat est actionnaire de constructeurs français, comme Renault et PSA. Ces entreprises passent plutôt leurs commandes dans l’est de la France. Mais il ne s’agit pas, pour nous, de déshabiller l’est du pays pour habiller l’ouest… L’Etat a un rôle de stratège, mais je ne connais aucune nouveauté qui soit partie de Paris. Il dépend aux territoires de se mettre autour d’une table pour exécuter à la réindustrialisation du site. On ne règle pas tout depuis Paris. Il faut faire confiance aux acteurs de terrain. Ne négligez pas que je suis un député girondin.

Qu’attendez-vous de Bercy sur ce dossier ?

Qu’il assiste cette réindustrialisation. Cela compromet un accord par les services de l’Etat, lequel doit assister toute la partie administrative. Par ailleurs, une carte nationale de réindustrialisation a été dernièrement exposée par l’Etat. Dans ce cadre, notre site devrait profiter d’aides massives. Des discussions ont par exemple été annoncées avec Hydrogène de France. Bercy doit assister ce type d’industriel à investir, particulièrement pour se financer via la BPI, par exemple. Il faut miser sur les techniques de demain, arranger l’avenir.

L’Etat peut-il faire pression sur Ford ?

On voit où on en est. Ford est une grande multinationale mondiale. Il faut tout faire pour que cette entreprise ne parte pas sur la pointe des pieds. Il faut être exceptionnellement attentif, car Ford est actionnaire et client d’une autre entreprise locale, Getrag, qui édifie des boîtes manuelles et emploie 1 300 personnes. Donc je veux bien que l’on poursuit à taper sur Ford, mais il faut aussi tenir compte des réalités. Ford doit rester ce client qu’il est déjà et poursuivre à jouer un rôle majeur en Nouvelle-Aquitaine.